Avant le choc colonial, qui a conduit à une invasion et une exploitation des territoires à l'intérieur du continent noir (pour relativiser avec la Traite qui se caractérisait par des échanges surtout sur les comptoirs côtiers), les "Afriques" avaient une existence propre et parfois singulière. En effet, le reflexe qui veut qu'on voit l'Afrique Noire comme une entité unique et indivisible n'est pas correct, car les peuples du continent noir ont souvent des histoires et des cultures différentes, qui peuvent être complémentaires sans être aussi antagonistes que le prétendent certains!!!!!

Pour venir au seul cas du Cameroun, je vais citer un exemple qui illustrera assez bien la situation, autant pour signifier que des modèles de gouvernance et d'organisation sociale spécifiques existaient, et qu'on pourrait au moins essayer de les étudier en profondeur pour voir ce qui pourrait être modifié, adapté ou supprimé, en vue de proposer un concept ancré dans une réalité historique locale, qui permette de s’appuyer sur du solide avant d’affronter l’hostilité environnante !

Bref, ce qu’on appelle communément chefferie traditionnelle, représente en fait une mini-monarchie, et si je me limite à l’exemple que j’ai le plus étudié, celui des monarques Bamiléké, je dirais même qu’on a là un exemple de féodalité démocratique, du moins dans le concept de base, bien avant les interférences politico-coloniales qui font que les monarques soient désormais des suppôts du pouvoir politique central.

Illustrons donc…

Le souverain est désigné de manière héréditaire certes, mais il siège avec une cour de 9 notables (les Hauts notables dans ce qui suit) sur lesquels il n’a aucun pouvoir coercitif ; autrement dit, il ne peut ni les nommer, ni les défaire, et ceux-ci ont aussi chacun une succession héréditaire. Ce sont accessoirement des ministres (affaires étrangères, guerre, impôts, etc.). Tel est le premier cercle du pouvoir, composé de 9 notables avec un Roi au centre… Autour de ce premier cercle, on trouve d’autres cercles plus étendus qui gravitent autour de la personne du Roi, ou des cercles plus ou moins restreints gravitant autour d’un Haut notable. En particulier, il existe un deuxième cercle composés de 7 notables différents des précédents, avec une fois encore le Roi en son centre ; ce second cercle se situe dans un plan différent du premier cercle, pour montrer que ses adeptes ne sont pas assignés aux mêmes tâches !!! On a donc une organisation multidimensionnelle faite de cercles « d’influence » divers, qui gravitent chaque fois autour d’une personnalité, et peuvent recouper d’autres cercles, avec au final le centre de gravité absolu constitué par le Roi.

Ceci n’a rien à voir avec les modèles Nordiens connus, et cela constitue donc une première spécificité qui peut se revendiquer totalement africaine, sans influence directe externe, liée à un autre continent !

La société s’organise ensuite en corporations, confréries et autres cercles, qui constituent autant de références pour l’individu. Ces cercles donnent lieu à des distinctions qui sont à la fois des patronymes et des armoiries pour les individus concernés, à l’image d’une forme de noblesse qui se transmet alors à la descendance. Toutefois, la noblesse ici n’est pas fermée, en ce sens que toute personne qui de son vivant aura exécuté un acte dit de bravoure ou toute réalisation jugée remarquable par un « responsable » placé au centre d’un cercle quelconque, pourra se voir distingué et donc anobli, avec la possibilité de transmettre ses « armes » à sa descendance !!! Ceci constitue une deuxième spécificité africaine qui n’a rien à voir avec le modèle stratifié des classes sociales nordiennes (noblesse, clergé et tiers-état), ou encore celui connu des classes fermées en Inde (Les « intouchables », qui le sont ad vitam aeternam!!).

Mieux encore, la distinction nobiliaire (corporatiste et « confréricale ») s’associe à un système généalogique qui n’a pas d’équivalent chez les Nordiens, ni même des côtés oriental ou occidental du sous-continent noir… En effet, ce système permet qu’un individu porte outre son nom à l’état civil, une désignation généalogique liée à ses ascendances de références, c’est-à-dire celles qui sont à relation avec une distinction nobiliaire, quelles qu’elles soient. Ce système est souvent résumé sous le concept de Ndèh, Ndap ou Mkouh !

Le ndèh a la particularité de considérer à la fois les ascendances agnatique et cognatique, là où le système nordien classique ne considère que l’ascendance patriarcale, à travers le seul patronyme paternel !!! En outre le ndèh permet de représenter rapidement (c’est-à-dire en une expression plutôt concise), toute la lignée de référence d’un individu, qui peut ainsi s’étaler sur 3, 5, voire 10 ou 20 générations même, sans limitations autres que la mémoire de celui qui le cite.

Le cas de l’arbre généalogique à la nordienne est une bonne illustration pour traduire une limitation physique à ce système. En effet, non seulement l’arbre généalogique nordien « oublie » l’ascendance cognatique dans le schéma de transmission du nom, mais surtout il appelle une représentation physique particulièrement lourde et peu conviviale, une fois qu’on veut aller plus loin que 3 générations. Pour 6 générations par exemple, un arbre généalogique nordien complet demanderait la surface d’un terrain de football pour être visualisé entièrement!!! Dans le même temps, le ndèh permet en une phrase débité en 30 secondes, de remonter à 6 générations !!!! Ceci est une 3e spécificité purement africaine, qui n’a rien à voir avec le système nordien.

Et les monarchies telles que décrites ne souffraient pas du fameux coup de palais, qui s’est décliné plus tard en coup d’état !!! En effet, le cœur du groupe, c’est-à-dire le centre de gravité du peuple, ne pouvait pas être remplacé par la force, autrement le nouveau venu n’aurait aucune autorité sur aucun des sujets de celui qu’il avait remplacé !!!! Tout « citoyen » se sentant des velléités de « chef » se devait de quitter l’entité territoriale de naissance, pour aller ailleurs, idéalement en terrain non conquis, pour fonder sa monarchie nouvelle, avec sa cour et tout le toutim. Ceci est la 4e spécificité locale qui n’a rien à voir avec le système nordien, et qui au demeurant peut traduire une différence historique dans l’approche et la conception du pouvoir !

Et pour finir, comment ne pas évoquer la dernière et non moins remarquable spécificité qui justifie la mise en place de ndèh, à savoir l’oralité, là où d’autres peuples du monde sont passés à l’écriture !!!! Le ndèh, qui est un concept sans équivalent nordien, incarne à la fois la distinction honorifique, la noblesse, le corporatisme, la confrérie, la singularité physique (jumeaux), bref, le ndèh représente une véritable carte d’identité généalogique, sociétale et culturelle, qui au final se justifie par le fait que les individus qui l’ont mis en œuvre ont poussé loin les limites de l’oralité, au-delà de tout ce qui a pu se faire au Nord !!!!!!! Accessoirement, on peut dire que les peuples qui ont basculé dans l’écrit après l’oralité sont aussi ceux qui ont le moins eu besoin de pousser loin cette dernière, ou mieux, qu’à l’inverse, ceux qui ont chaque fois trouvé une réponse dans l’oralité n’ont pas eu besoin de réfléchir à un autre mode d’expression tel que l’écriture par exemple !!!!

Le volet précédemment évoqué n’est que partiel, car il élude tout du mode de vie des individus, et surtout de leur spiritualité qui demanderait un développement autre.

Mais puisqu’il faut aussi évoquer des solutions d’adaptation, on peut dire que le Cameroun en particulier peut par exemple mener les états généraux de la culture et de l’histoire, pour retrouver son identité propre et jeter un pont entre son « riche » passé, et son avenir qui reste à construire.

La culture est certainement un des aspects forts de ce pays. C’est ainsi que plutôt que d’aliéner les Rois qu’on appelle injustement « chefs traditionnels », on pourrait imaginer qu’on en fasse des personnages au dessus des luttes d’appareils et de partis, qui seraient non seulement à l’abri du besoin, mais aussi des éminences qu’on consulterait pour faire entrer la culture dans la modernité, sans la dénaturer pour autant. Quoi d’autre donc qu’une place d’office dans un sénat où ces Rois seraient membres de fait (pour une proportion définie, tel le tiers) par exemple, les deux tiers restant étant élus parmi les citoyens ! Leur avis serait particulièrement intéressant pour les réformes touchant à la culture, car c’est bien au sénat qu’on planche in fine sur la constitution, un des volets de la république qui normalement est lié à l’histoire et à la culture d’un pays !!! Il faut dire que dans le cas d’espèce, la constitution émarge malheureusement de celle de l’ancienne puissance colonisatrice (la France!), et donc, ne s’appuie pas vraiment sur une fondation culturelle locale.

D’autres développements au départ de l’histoire culturelle peuvent encore être faits, pour autant qu’on se consacre à l’étude de ce qui a été « construit » par les ancêtres du temps où ils n’étaient pas sous l’influence des Nordiens, et qui a perduré des siècles durant !!!!!! Il suffirait pour cela d’oser étudier ce qui était avant 1960, voire en 1800 peut-être, si tant est qu’on suppose que ces peuples y étaient à leur apogée. Mais le temps est compté, car si richesse culturelle il y a, celle-ci semble parfois bien fragile car aucun support écrit n’existe vraiment ! Donc, l’heure est venue de se lancer tous azimuts dans l’étude et la compréhension de ce qui était le mode de vie des ancêtres, et qui a été transmis tant bien que mal aux jeunes générations malgré les influences externes !!! Ces jeunes générations sont quelque part en perte de repère parce qu’on essaie tant bien que mal de transmettre une culture qui n’a parfois pas d’ancrage solide, étant donné le seul recours à la mémoire des uns et des autres !!! L'étude profonde de la culture et des cultures pour les écrire, afin de mieux comprendre en quoi elles ont été fragiles face aux autres, de rectifier le tir et de rentrer alors avec de solides armes dans le village planétaire !

Les Afriques ont de quoi faire des émules, mais encore faudrait-il savoir ce qu'elles ont à proposer aux autres, car pour le moment, elles apparaissent comme des peuples qui ont besoin des autres pour tout, y compris pour survivre, sans jamais rien avoir à proposer de propre ou d’original, en retour !!!