Ottou Marcellin, l'autre chansonnier et poète Bantou, a enchanté le public en interprétant " Je suis malade " de Serge Lama et deux de ses compositions propres les plus emblématiques: " un soldat tirera " et " un enfant pleure sa maman ".

-Que représentent pour vous l'artiste Eboa Lotin et son oeuvre ?

D'abord, il faut dire que chez nous au Cameroun, ce n'est pas tous les jours qu'on célèbre un artiste. Huit ans après sa mort, Eboa Lotin reste un monument de la chanson et de la culture africane, bien au-delà de son pays natal. La guitare a quelque mille cinq cents accords. Le musicien Eboa Lotin en mourant en maîtrisait plusieurs centaines. On sait que le Makossa se joue avec trois accords : do, fa, sol ou sol, do, ré. Eboa Lotin a réussi à enrichir cette musique sans le trahir. Le Makossa joué et revisité par Eboa Lotin a gardé sa quintessence. Alors qu'il dit n'avoir pas été loin dans les études et qu'il n'a jamais fréquenté un conservatoire de musique, il a réussi à donner au makossa une dimension esthétique tout en harmonisant le Makossa et la langue Duala. En cela on peut dire qu'il était un génie. Tout cela a pu être possible parce qu'en technique musicale, un texte poétique est déjà en lui-même une musique. La technique de composition obéit à un certain nombre de règles. Dans la langue française par exemple on a du mal à harmoniser texte et musique. A moins de se trouver face à un Brassens qui avait une diction très particulière qui sauvait le texte dans la forme. Il faut également le sauver dans le fond. Il y a une relation étroite entre la nature d'un message, d'un son et d'un accord.

-Quelle est la place des artistes dans la société

Les artistes sont des bâtisseurs. Le son n'est jamais neutre. Il est d'abord physique. Le son qui doit accompagner par exemple la prière, c'est le son d'un instrument à cordes et surtout pas d'instruments à vents. La technique de composition du chant ou de la musique doit considérer d'abord le fond (tristesse, émotion langoureuse...) et la forme(les couleurs, les tons...). Les chefs d'Etat partout dans le monde, ont toujours su être entourés de techniciens de l'art musical pour éveiller ou endormir le peuple. Quant à la musique camerounaise proprement dite, on constate qu'il y a une propension à promouvoir une musique qui imbécilise les populations. Depuis le Ndombolo, le Mapouka jusqu'au Coupé décalé. On produit des sons, du bruit et non de la musique pensée et construite. C'est une musique destinée à faire bouger le corps et non comme la composait Eboa Lotin dans le but de faire danser l'esprit autant que le corps. Le Bikutsi, tel qu'il est récupéré de nos jours, est également une musique qui fait danser le corps. Car les gens qui le jouent ne sont pas des initiés. La quintessence initiatique est remplacée par un son produit par les ordinateurs. C'est donc le matériel informatique qui a pris la place des instruments traditionnels originels. Si vous demandez à ces pseudo musiciens de composer une musique de film ils ne le pourront pas. C'est probablement la musique la plus difficile à composer, dans le sens qu'elle exige une osmose quasi parfaite entre les sons, le décor et l'image projetée. Pour que la musique camerounaise retrouve le niveau qui était le sien, il y a encore quelques décennies, il lui faut remplir quatre conditions: la volonté politique du gouvernement, l'investisseur (producteur), une communication crédible qui passe par la formation des critiques d'art et, enfin, une formation des artistes dans le souci de se recycler au jour le jour surtout quand ils ont déjà fait la preuve qu'ils maîtrisent bien leur art.

- Que faire pour contourner la contrefaçon dans la musique?

Contrairement à ce que nous observons pour le Cameroun, la musique en Afrique conserve toute sa dynamique. Elle a gardé ses racines profondes, ses sources d'inspiration. Même si des jeunes musiciens surtout en milieu urbain sont confrontés à d'autres sources qui inspirent des sonorités différentes de nos racines culturelles originelles. Ce qui dérange le plus la musique en Afrique, c'est le plagiat et la monotonie. D'un côté, on a tendance à reprendre les extraits de l'oeuvre d'un artiste si ce n'est l'oeuvre entière. De l'autre, c'est l'auteur compositeur lui-même qui, par manque d'inspiration, reprend les oeuvres déjà diffusées. Dans ces cas, c'est la preuve incontestable qu'il y a un manque de création artistique et donc d'inspiration. Tout cela ne doit en aucun cas être comparé avec la piraterie qui est davantage une activité économique illégale. Cette activité ne touche pas forcément le domaine de la création artistique. Elle n'interfère pas dans la création musicale. Les gens doivent donc éviter de tout confondre. A moins de chercher sciemment à entretenir la confusion dans les esprits.