Un soir d'avril 2005, en clôture du printemps des poètes, puisant dans leurs délires, des complices ont décidé de refaire le monde, en choisissant délibérément de faire un discours rythmé sur le corps de la femme, le sexe et l'amour. De leurs discussions passionnées et nécessairement provocatrices est né 'Boulevard de de la Liberté', ouvrage collectif de poésie, avec l'appui bienveillant du Centre culturel Français de Douala, qui nourrit en secret l'idée de développer la diffusion du livre et des idées au Cameroun. L'acte poétique a été commis au mois d'octobre 2005. Boulevard de la Liberté; le corps du délit est un florilège de 96 pages signé par quatre poètes camerounais parmi les plus loquaces du moment: Fernando d'Almeida  Anne Cillon Perri, Hervé Yamguen et Marie-Claire Dati. L'histoire a pour trame le Boulevard de la Liberté à Douala, une avenue célèbre pour ses belles de nuit, ses enfants de la rue, ses intellos et ses artistes unis par le destin sur une voie publique qui mène à tous les fantasmes.

Chacun des auteurs y est donc allé de sa libido créatrice. La femme sous toutes les coutures valait bien cette voie de contournement littéraire. Dès le portail, Fernando d’Almeida annonce la couleur avec une partition en rut majeur :

Femme/Que ta vie soit porteuse de plénitude/Aux entrelacs des métaphores(…)

‘Corps mémorable’ un loin poème de 23 pages aux accents surréalisants confirme, au-delà de la thématique adoptée, la verve de cet enseignant de littérature qui compte à son actif une quinzaine de recueils. Par ce poème séminal par essence, d’Almeida se fait reconnaître comme toujours à sa tonalité. A cette tenue virile de la langue brassant les éléments et les êtres, le concept et l’image, fondant enfin une manière de mythe contemporain, profondément enraciné mais aérien ensemble. 'Corps memorable' donne une tonalité particulière à l'ensemble du recueil.

Anne Cillon Perri (anagramme de Pierre Collin NNA) signe dans le même mouvement ‘Blues et Coca-Cola’. Ce sont des gouttelettes de rosée qui entendent purifier l'essentiel d'une vision intérieure marquée par l‘idéal de la femme.

De temps en temps/cette forte migraine du désir/l’obsession des chemins purpurins du matin/et mon corps dans l’entière oblation(...)

Administrateur civil émargeant à la fonction publique camerounaise, celui qui a choisi dans cette aventure inédite du ‘boulevard de la Liberté’, de s’acharner sur ‘le spasme trépidant de la crispation finale’ est de la même école que son prédécesseur en plus jeune. Sa poésie est une libération permanente du dire, tout en souplesse et en image.

Cette image que renvoie Hervé Yamguen, l’artiste peintre de la bande des quatre, qui a choisi le pinceau et la plume pou décorer le scandale. ‘Au milieu de l’issue de secours’, l’auteur déflore la femme dans un souffle quasi-érotique.

Fais la chose du paradis/dans la lune/et dans la boue/de la vie(…)

On imagine le poète dans le tourbillon de la chair, la plume retroussée, faisant l’amour à la nuit. Dans certaines pages, il hurle sa douleur de n’être pas, au-delà de l’utopie, le rédempteur aux coups de crayons ravageurs. En Yamguen, tout est forme et masques.

Mais il n’y a pas de crime parfait. Et c’est connu, le barde revient toujours sur les lieux du poème. Car il doute de ses actes. Il veut se revoir dans les yeux de l’autre. Vivre sa vie. Dans ‘Boulevard de la Liberté’, le regard s’est voulu pluriel, parler de du corps de la femme pour solde de tous comptes. Les complices se sont donc adjoint une…poétesse de charme. Voici Marie-claire Dati au détour du chemin. Impliquée jusqu’au porte-plume dans ce projet éditorial.

C’est pourquoi j’arrive, le soir/Enduite de copal/Et ne demandant de cène/Que ton pénis à engouffrer…jusqu’aux orchis(…)

Connue pour sa poésie et ses activités théâtrales, Marie-claire Dati a travaillé comme traductrice-interprète à l'Assemblée Nationale du Cameroun. La touche de fraîcheur qu’elle apporte au recueil est à mettre au crédit des éditeurs. Nadia Derrar et Bruno Essard-Budail souhaitent en effet, à partir du Centre Culturel Blaise Cendrars de Douala, offrir leurs chances à toutes les formes d’écritures, en suscitant les vocations et en proposant différentes œuvres à bas prix (moins de deux euros) afin de promouvoir des projets livres/lecture.

En dépucelant le corps de la femme, les auteurs n’y ont pas vu seulement le sexe, mais aussi cet amour qui rend pur ce qui est prosaïquement charnel. L’écriture est belle dans l’ensemble, les textes sont aérés, ouvert à la beauté et laissés libres de se mouvoir dans des vers sans contrainte de formes. ‘Boulevard de la liberté’ donne à découvrir une poésie neuve, qui répond à l’universelle expression, sans jamais se départir du rythme originel fait de mots-sentences, de métaphores et de sonorités propres à une Afrique qui se réinvente au sortir de l’impasse de la négritude.

Boulevard de la liberté 96 pages, ouvrage collectif. Editions du Centre Culturel Français Blaise Cendrars Douala-Cameroun Septembre 2005

Edouard Kingue