Nous voyons tous depuis quelques jours, les images insoutenables, les témoignages accablants, les attitudes émouvantes ou dérangeantes de nos frères africains refoulés sans ménagement aux portes de l’Europe ces jours-ci.

Drame terrible de l’immigration surmédiatisé qui n’est que la partie émergée de l’Iceberg ; en effet, il y a le nombre impressionnant et certainement invérifiable de ceux qui meurent, d’épuisement ou par noyade dans le désert ou dans le détroit de Gibraltar; il ne feront plus jamais la une de l'actu.

Il y a surtout les millions d’âmes restées au pays et qui n’ont même pas la force, ni les moyens d’entreprendre la moindre tentative d’émigration, brisés ou essayant de survivre aux mille drames de notre continent ; drames (misère, guerres, maladies, famines…) ; drames qu’en définitive nous ne connaissons, nous les « chanceux » ou les « bien nés » qu’abstraitement, car il faut les vivre personnellement pour véritablement apprécier dans quels enfers ils conduisent un humain.

Et si nous revenons à l’actualité brûlante, elle nous renvoie à beaucoup de vérités dérangeantes :

1. La question de la dignité de ces Hommes, de leur fierté et de la pauvreté :

La question de la dignité de ces Hommes ne se pose même pas puiqu’une des plus belles affirmations que j’ai pu entendre récemment, peut se résumer à ceci : « la dignité, c’est ce qui reste à l’Homme, saint ou sot, héros ou immonde salaud, quand il a tout perdu ». Autrement dit, la dignité de l’Homme lui est intrinsèquement liée, elle est incessible et inaliénable ; elle lui reste attachée même quand il essaie de s’en débarrasser et il appartient justement aux autres d’en être conscient, quand ils sont confrontés à celui qui est à terre et veut ou semble abdiquer toute dignité. « Vouloir dénier la dignité aux autres, c’est vouloir perdre la sienne ».

Et toujours en essayant de paraphraser cette belle affirmation entendue récemment (cela me revient maintenant, c’était au cours d’une émission de JL DELARUE consacrée à la pauvreté en France) la fierté, quant à elle, paraît-il qu’elle est toujours mal placée.

Enfin, ces Hommes ne sont pas pauvres (au sens de celui qui n'a absolument rien) mais sont confrontés à la misère : la nuance n’est pas simplement sémantique entre pauvreté et misère ; ces Hommes sont en effet riches de biens inestimables: leurs rêves (illusoires ou réalistes), leur énergie et de leur volonté de s’en sortir au prix le plus élevé ; quelle que soit l’appréciation que nous pouvons avoir sur leurs stratégie de survie, ils sont encore debout… Quant à la misère matérielle, celle relative aux perspectives inexistantes dans leurs pays ou perçues comme cela ou encore plus certainement, réservées aux mêmes castes ultra minoritaires des privilégiés, la misère de la guerre, de l’irresponsabilité totale de l’immense majorité de nos élites et gouvernants…, elle existe bel et bien.

Alors de grâce, en évoquant le « spectacle » offert à leur corps défendant (en principe, un émigrant, ne recherche pas dans son périple, les lumières des sunlights), par les africains des enclaves espagnoles du Maroc, n’allons pas sur les terrains délicats de la dignité (attachée à chaque humain), de la fierté (toujours mal placée), de la pauvreté (il ne tient qu’aux « puissants » de toutes sortes, de valoriser la richesse des ces Hommes) . Aucun d’entre nous, n’est en mesure de se mettre à leur place et de ressentir ce qui peut vous conduire à un tel périple. On ne peut qu’imaginer, supposer et en général, dans ce genre d’exercice, ont est loin du compte.

Oui, quand on est Africain et Noir, ces images remuent beaucoup de choses en nous, elles dérangent bien des certitudes et discours convenus, les conforts établis, le désir de se fondre dans la masse de certains…En témoignent les propos ci-après, lus sur le site grioo.com en réaction à l’article « Maroc : Rapatriement des clandestins sénégalais et maliens ») :

''« La misère ne peut justifier à elle seule les aberrations de ses africains prêts à tout pour aller en Europe. Ils vous disent qu'on ne veut pas de vous. Arrêtez de faire honte à vos pays et à l'Afrique entière. Les maliens et sénégalais qui ont pris l'habitude d'aller chez les autres doivent aussi savoir qu'il n' y aura toujours pas de place pour eux. Le plus curieux c'est de voir leurs autorités justifier l'immigration. Parce que des maliens et sénégalais de la diaspora déversent des millions d'euro dans leur pays, les autorités sont prêts à les laisser mourir dans le désert pourvu qu'ils réussissent à franchir des barbelés. Je le croyais intelligent leur fameux Wade. Il n'a même pas eu le courage de faire une déclaration à l'occasion, lui qui est apte à l'ouvrir pour donner des leçons aux autres présidents imbéciles d'Afrique »'' FIN DE CITATION

2. Ces drames sont effectivement une honte pour nos gouvernants : le silence assourdissant des chefs d’Etats et autres autorités politiques subsahariennes est édifiant et scandaleux. Dans ces drames, c’est toute leur impuissance et incompétence, leur absence totale de projet et de considération pour le sort de leurs populations qui transparaissent…

Edifiante aussi est cette dépêche de l’AFP publiée sur le site lintelligent.com (http://www.lintelligent.com/gabarits/articleDEP_online.asp?art_cle=AFP35825lesetsnitse0)

''Les Etats africains muets sur le sort de leurs ressortissants clandestins 12 octobre 2005 - AFP

Le traitement réservé ces dernières semaines aux immigrants africains clandestins tentant de rejoindre depuis le Maroc les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla n'ont suscité que le mutisme de leurs gouvernements respectifs et peu de réactions des medias locaux. Quatorze émigrants sont morts, certains tués par balles, lors d'assauts collectifs contre les enclaves. Selon des témoignages concordants, les autorités de Rabat ont expulsé au coeur du désert, sans eau ni nourriture, plusieurs centaines de migrants, d'autres faisant état de violences, viols et rackets de la part des forces de l'ordre marocaines. La Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (Raddho), ONG basée à Dakar, a exhorté mardi "les dirigeants africains à sortir de leur silence pour condamner les atteintes aux droits humains dont les immigrants africains sont victimes en Europe et en Afrique du nord". Jusqu'ici, la situation n'a suscité aucune réaction officielle à Dakar, Bamako, Conakry ou Yaoundé, dont les ressortissants forment le gros des clandestins en question. Sollicités, plusieurs responsables se sont refusés à tout commentaire. Le ministre chargé des Sénégalais de l'extérieur, Abdou Malal Diop, qui entamait lundi une visite à Rabat, s'est contenté de faire "part aux autorités marocaines de sa totale compréhension". A Yaoundé, un responsable s'est interrogé, sous couvert de l'anonymat, sur la présence, pourtant avérée, de Camerounais dans les rangs des clandestins arrêtés. "Aucune situation d'exception ne justifie un traitement cruel, inhumain et dégradant contre la personne humaine", s'est contenté de déclarer à Conakry une source diplomatique guinéenne, qui a également requis l'anonymat. L'Union africaine (UA), dont Rabat n'est pas membre, a déploré mardi un "spectacle honteux", mais refusé de condamner un pays en particulier pour le traitement des clandestins tout en fustigeant la "réponse sécuritaire" de l'Europe à la question de l'immigration africaine. "Les pays africains ont une réelle méconnaissance de la réalité de la situation de leur ressortissants à l'étranger", a expliqué à l'AFP Nelly Robin, chercheuse à l'Institut pour la recherche et le développement (IRD) à Dakar. "Ils ne réagissent pas car ils peuvent craindre d'être à leur tour montrés du doigt pour leurs propres manquements, n'ayant pas su les retenir. Ils préfèrent rester prudents et s'occuper des ressortissants rapatriés", a-t-elle poursuivi. La presse malienne se contentait mardi de reprendre des dépêches d'agences de presse, tandis que les journaux camerounais n'évoquaient quasiment pas le sujet, consacrant leurs colonnes à l'élimination surprise des "Lions indomptables" de la qualification au Mondial 2006 de football. Plusieurs journaux privés sénégalais ont toutefois sévèrement critiqué mardi le Maroc, dont les relations politiques et économiques avec le Sénégal sont très étroites. "Un pays frère le Maroc ?" s'est interrogé l'éditorialiste du quotidien Le Populaire, dans un billet en "une" intitulé "Frères ?". "A voir comment ils se sont +occupés+ de leurs frères africains après les événements tragiques de Ceuta et Melilla, on ne peut s'empêcher de se poser des questions sur nos +frères+", estime-t-il, rappelant que les clandestins ont été "largués dans le désert comme de vulgaires bêtes sauvages". "Qu'est ce que ça peut faire à notre Gorgui national (surnom familier du président sénégalais Abdoulaye Wade), si fan du Maroc, de voir ses fils les plus valeureux se faire humilier de la sorte", ajoute le journal.'' FIN DE CITATION

3. L’attitude surprenante des autorités marocaines : grand pays pourvoyeur d’immigrés, les autorités marocaines (sous la pression de l’UE et certainement « débordées » par le flux des subsahariens transitant par leur territoire) ont une attitude étonnante dans la gestion de ce dossier. Je ne vais pas tomber dans le piège facile relatif aux rapports ambigus et complexes entre pays du Maghreb et pays subsahariens, ni faire du Maroc un bouc émissaire facile à accuser dans ce dossier. Mais j’avais cru comprendre que le jeune souverain de ce pays entendait rompre avec des pratiques du passé, qu’il était soucieux de justice sociale pour son peuple…Bref, les émigrants peuvent être renvoyés chez eux dans d’autres conditions et je renvoie les autorités marocaines aux propos extrêmement sévères tenus par des associations marocaines de défense des droits de l’Homme qui, heureusement, font l’honneur de ce grand pays

4. Le gouffre des écarts de niveaux de vie entre Nord et Sud : ce constat est évident pour tous et il va falloir vraiment s’attaquer sans démagogie et avec pragmatisme à ce dossier. Il faut simplement avoir constamment ceci à l’esprit : « par définition un misérable, n’a plus rien à perdre contrairement au riche qui, lui, a tout à perdre »

En conclusion (qui n'en est pas véritabement une car le dossier de la misère humaine reste largement ouvert), ce dossier est terriblement révélateur à plus d’un titre des profonds déséquilibres de notre époque, et de la "misère humaine" qui nous frappe tous ; personne n’en sort grandi et enfin, cela nous renvoie tous à nos responsabilités individuelles et collectives, à nos devoirs d’humanité et de solidarité. Bien entendu, il s’agit là d’autant d’exigences dont on peut aisément s’affranchir car elles sont apparemment, non mortelles. Mais à y regarder de près et à plonger individuellement dans les tréfonds de nos âmes, le constat est tout autre…