Leçons d’après émeutes
Par Ibou, mardi 31 janvier 2006 à 14:40 :: Général :: #772 :: rss
Quelques réflexions qui me viennent à l'esprit, suite aux émeutes d'il y a deux mois dans l'hexagone.
Voici quelques semaines déjà que l’hexagone, a connu ces soirées d’émeutes suite à la mort de deux jeunes habitants d’une cité de la région parisienne ; électrocutés après s’être réfugiés dans un transformateur EDF, en tentant d’échapper à un contrôle de police…Une nouvelle année bien entamée désormais, nous sépare de ces évènements et de mon point de vue, c’est le moment approprié pour revenir sur ces évènements avec un tant soi peu de recul: les passions sont retombées; idem pour l’émotion télévisuelle et toutes les pressions médiatiques sur fond de déchirements de la société française.
1ère réflexion pas très bien inspirée que je me suis fait après avoir appris la mort de ces deux jeunes malheureux : quelle idée d’aller se réfugier dans une enceinte EDF alors que le moindre poste de transformation du producteur national d’électricité, est truffé de têtes de morts et autres avertissements sur l’extrême dangerosité de ces lieux…Dans quel état se trouve une partie de notre jeunesse pour avoir ce genre de réflexes? Il apparaît après coup qu’il y avait un certain nombre de choses qui m’échappait : que de toute évidence, je ne suis certainement pas au fait du caractère assez cavalier de certains contrôles de police que subissent ces jeunes « issus de l’immigration » (selon la terminologie consacrée) ; j’en ai personnellement subi un au cours de ma vie et il était surprenant (je sortais juste de la maison d’un parent très proche dans un quartier tranquille et pavillonnaire de la banlieue parisienne) mais fort courtois et je n’ai eu droit ni à tutoiement, ni à comportement humiliant de la part de ces deux officier de police qui étaient par ailleurs habillés en civil…Loin de moi l’idée de jeter la pierre aux force de police dont on peut effectivement apprécier le self control au cours de ces semaines bien « chaudes » ; mais il est évident que ce corps ne regorge pas que de saints et d'individus conscients d’être des « forces de l’ordre ». Par ailleurs, il y a un vrai souci dans un pays riche et démocratique, quand deux gamins meurent électrocutés en voulant échapper à des policier !!! Et si cela n’est pas non plus une excuse pour les policiers qui déshonorent leur uniforme, la réalité extrêmement brutale des caïds de certains quartiers mis sous coupe réglée, m’échappe aussi largement…Quand on y envoie les plus jeunes policiers, qui n’en sont pas issus, avec leur part de préjugés et qui ont l’impression que tous les jeunes de ces quartiers, sont de cette espèce là, les drames et autres dérapages sont vite arrivés.
Autre chose : ces deux jeunes, qui étaient à mille lieues d’être des voyous, avaient une belle frousse (au moins l’un d’entre eux) de la raclée paternelle, s’il était parvenu aux oreilles de leur géniteur, qu’ils avaient eu maille avec la police ; bref, on peut vraisemblablement dire que ce n’est pas dans un état d’esprit rationnel, qu’ils se sont réfugiés dans un transformateur.
2ème réflexion : de nombreux témoignages dont on entend plus les échos, vite étouffés avant même leur expression, par les prises de position de la haute hiérarchie policière en la personne du ministre de tutelle, rapportent que certains policiers étaient bien informés de l’entrée de ces deux gamins dans l’enceinte EDF. Pire, il y aurait eu de la part de ces individus, la conscience du danger potentiel couru par les deux adolescents et EDF aurait donc pu être prévenu pour éviter le drame…Réalité (elle serait terrible) ou rumeurs malveillantes ??? Seule une enquête rigoureuse et impartiale pourrait nous édifier et enlever le mur du soupçon. Et sans vouloir faire de procès d’intention à quiconque et au vu des prises de position rapides du ministre de l’intérieur sur l’attitude exemplaire de la police dans cette affaire, mon sentiment est que le dossier est clos. La rumeur pourra toujours continuer à courir et on peut supposer vraisemblablement que les jeunes amis des deux adolescents électrocutés et certains habitants de leur quartier (et d’autres), n’ont pas fini de se poser mille questions…Peut-être aurons-nous dans le meilleur des cas à une enquête audacieuse et courageuse d’un journaliste, dans quelques mois…On peut toujours rêver
3ème réflexion : beaucoup de citoyens et d’habitants de ce pays, ont fait un parallèle saisissant entre les réactions engendrées par le décès de ces deux jeunes, et la mort odieuse et inqualifiable de ce père de famille, lâchement frappé par une bande de voyous, alors qu’il prenait les photos d’un lampadaire. Il n’y a pas eu effectivement d’émeutes après cet acte horrible ni après la mort d’un homme frappé par un jeune homme, alors qu’il commentait dehors, dans un quartier, les évènements liés aux émeutes. Ces morts sont aussi horribles, insupportables et choquantes que celle de ces deux jeunes électrocutés ; ils sont du même ordre que ces « faits divers » (expression terriblement malheureuse pour évoquer les violences terribles et absurdes subies par des individus d’une semaine à l’autre ; pour les familles éplorées, cela n’est certainement pas de l’ordre du « fait divers » mais plutôt de l’ordre d’un séisme !!!).
Ce qui est plutôt fondamentalement différent dans ces deux catégories de décès absurdes, c’est le contexte : il y a d’une part, la mort de deux adolescents imputée indirectement, à tort ou à raison, aux forces de l’ordre accusées de tous les maux dans les quartiers, et sur fond de sentiment justifié ou phantasmé de discriminations et racisme subis au quotidien ; la mort de ces deux jeunes ayant agi comme un détonateur. D’autre part, il y a le meurtre lâche de deux pères de famille par des voyous dont sont censés s’occuper normalement et prioritairement les forces de l’ordre ; de manière à ce qu’ils soient définitivement mis hors d’état de nuire. Globalement, toutes le « honnêtes gens » s’accordent sur ce projet là pour nos forces de l’ordre ; le point de divergence commence là où une partie de ces « honnêtes gens » ont l’impression d’être systématiquement confondus aux voyous et autres racailles « à karcheriser » selon une expression devenue mondialement célèbre. Dans cette affaire, s’il y a bien un gagnant, c’est KARCHER, le fabricant de nettoyeurs à haute pression, dont plus personne ne doute de l’efficacité des produits
4ème réflexion : en mettant de côté les réflexes partisans et sans vouloir mettre en accusation le ministre de l’intérieur, il est important que la réflexion et les propos d’un homme d’Etat « volent bien haut » même s’il entend ne pas manipuler la langue de bois (décriée par tout le monde et être très direct dans ses propos. En ces temps où l’emballement médiatique ne demande qu’une étincelle pour s’enclencher, où les sensibilités diverses sont exacerbées, un Homme politique avec un réel projet national, qui n’entend ni être populiste et démagogue, ni un fossoyeur du projet national (pour autant que celui-ci ait encore un sens et s’il a jamais réellement existé) doit être clair, audible par tous et direct ; cela ne se confond pas avec l’appropriation du langage le plus « terre à terre » utilisé par tous avec une codification bien précise mais certainement pas accepté quand il vient des autres, notamment d’hommes politiques ; les Noirs s’auto désignent volontiers de nègres, traduisant ainsi des expressions de pensée bien précises ; ils acceptent rarement d’être ainsi désignés par d’autres vu le caractère connoté que ce terme peut avoir dans ces cas là; dans le même ordre d'idées, que les jeunes des cités se désignent par le terme de "racaille" ou de "caillera" n'autorise pas un Homme politique à adopter la même phraséologie. On a vu les dégâts causés par les termes « nettoyer », « racaille », « karcher » (et la part d’interprétation, de manipulations et autres phantasmes qui s’y sont raccrochés) reliés à une posture, un discours et des actes qui ne font pas forcément l’unanimité ; que ces mots aient pu servir de justificatifs faciles (ou aient blessé bien des consciences restées elles silencieuses et passsives) aux actes de bon nombres d’émeutiers dont la réflexion ne vole pas bien haut, il faut le reconnaître (question d’âge et de culture à acquérir ou à ne jamais acquérir), est assez édifiant et renvoie chacun(e) à sa part de responsabilité et de remise en cause. L'action politique et un projet de société peuvent bien faire l'économie de mots qui sèment le trouble, qui peuvent être surinterprétés ou faire l'objet d'amalgames faciles, quelle que soit la bonne foi de celui qui les prononce. Il est vrai aussi que bon nombre d'hommes politiques terriblement ambitieux, sans foi ni loi, savent aussi prospérer avec essentiiellement ce genre de mots. Cela peut donc être aussi du domaine du choix "stratégique"...
5ème réflexion : les émeutes ont été encore l’occasion de voir que le poison du racisme, de la xénophobie et des discriminations diverses, dans toutes ses composantes et quelles que soient ses cibles, subi, vécu ou phantasmé via les témoignages des autres, n’est pas appréhendé dans toute son ampleur par de nombreux citoyens. Ce que provoque comme dégâts, ce poison vieux comme le monde, a du mal à être compris par les heureuses personnes qui en sont épargnées.Ceux qui l’insufflent au plus profond de l’âme des autres, se reconnaissent rarement comme tels ; même si un récent sondage semble marquer une évolution inquiétante ou positive (c’est selon) en la matière ; en effet, une majorité significative de nos compatriotes se reconnaîtrait (chiffres et questionnaires des sondages à manipuler toujours avec prudence et avec les précautions d’usage) raciste. Si cela s’avérait juste, le côté positif d’une affirmation si terrible, serait de dire que le corps social a bien pris conscience d’un des cancers qui le ronge ; à partir de là, il peut accepter une prise en charge vers la guérison ou au contraire, un suicide ou une mort lente. L’avenir nous édifiera à court moyen termes sur son choix.
6ème réflexion : à propos de racisme, discriminations et cie, on peut se poser légitimement la question de sa prise en compte par nos élites ; pour ce qui est politiques censés être les médecins du corps social, il semble bien qu’une majorité d’en eux, toutes sensibilités confondues, soient en retard d’un train sur le sujet, malgré les discours confondus. Il est bien malheureux qu’il ait fallu des émeutes pour qu’il y ait au moins, du point de vue des annonces, des mesures concrètes, des discours assez directs tenus aux chefs d’entreprises et autres partenaires sociaux. A SUIVRE donc si la prise de compte des réelles difficultés d’une partie de la population, sera suivie d’effets sur le long terme. Pire, les émeutes ont été l’occasion de voir bien des élus et hommes politiques exprimer publiquement le fond nauséabond de leur pensée qu’on peut assimiler sans détours à de l’incitation à la haine raciale, ou tout au moins, à de la stigmatisation facile de certaines populations ; et je ne parle pas des partis politiques d’extrême droite dont cela est le fond de commerce habituel depuis bien longtemps. Plus affligeant en termes de spectacle offert par nos « élites » qui n’ont « d’éclaireurs » que le nom et les avantages, les sorties et propos lamentables de personnalités tels la secrétaire perpétuelle de l’Académie Française ou un philosophe qui de toute évidence, était mieux inspiré en d’autres temps. Et il y a d’autres… Pour en revenir à ces deux exemples de personnalités qui étouffaient sous le poids du « politiquement correct », il faut souligner leur manque de courage dans l’expression du « politiquement incorrect » : l’une ayant choisi les froides terres, pays de ses ancêtres, pour cracher son venin ; invitée instamment à les réitérer en France, c’est silence radio depuis ; l’autre, aussi descendant d’immigré (comme quoi l’intégration réussie des étrangers crée assurément des « français plus vrais que nature » à l’instar de notre super ministre d’Etat) a récusé misérablement ses misérables propos tenus dans un quotidien Israélien, a priori loin de lui être hostile. Bref, passez, il n’y a rien à voir pour ce qui est du rêve fait par certains « d’élites éclairantes ». C'est une espère rare ou en voie de disparition, ces temps-ci.
7ème réflexion : les difficultés socio-économiques, le déracinement, le mal-être les discriminations, le racisme et autres vexations du corps et de l’âme, ne justifient nullement la démission de certains parents issus ou non de l’immigration, dont le spectacle offert par les rejetons, est lamentable.
On n’a pas attendu les émeutes pour s’en apercevoir ; mais les valeurs, la sous-culture et les références d’une partie de notre jeunesse est désespérant et indigne d’un pays comme la France ; si j’ose une comparaison facile ("toutes choses étant égales par ailleurs") d’un spécimen « jeune » (le terme étant devenu connoté à force de ce type là) de l'hexagone avec un jeune enfant ou adolescent africain scolarisé et issu d’un milieu très pauvre, il n’y a pas photo et la misère (de l’âme et de l’esprit) n’est pas là où on pense la trouver.
Ce qui nous renvoie à nos responsabilités individuelles de parents et à la responsabilité collective de la société sur les valeurs qu’elle entend transmettre à sa jeunesse ; notamment aux plus démunis économiquement, socialement et culturellement et qui sont les plus vulnérables aux modes et modèles asservissants pour l’esprit, à la consommation la plus primale pour le plus grand profit de ceux qui les méprisent par ailleurs.
Cela renvoie aussi à la responsabilité de l’Education Nationale qui n’a certes pas vocation à se substituer aux parents mais qui doit effectivement permettre l’éclosion de tous les talents quels qu’ils soient. Elle fait déjà beaucoup en la matière mais elle est aussi soupçonnée d’être via certains de ses membres, l’instrument de la stigmatisation de certain(e)s (en étant alors à l’image de la société) en choisissant des orientations convenues, vécues ou étant des « voies sans issue » ; ses membres au contact des publics les plus difficiles, sont aussi les plus jeunes, les moins matures, ceux qui ont le moins d’expérience ; on voit bien a contrario les résultats largement positifs là où des enseignants expérimentés et qui vivent leur mission comme un véritable sacerdoce, dans des contextes difficiles, se comportent comme de véritables héros anonymes du quotidien ; « sauvant » littéralement tous les cas qui ne sont pas « définitivement » désespérés. Mais les enseignants ne peuvent pas faire des miracles sans le soutien du reste de la société.
8ème réflexion sous forme de conclusion (certainement pas définitive): en termes d’enseignement essentiel à tirer de ces évènements, on peut osciller entre deux attitudes : soit y voir la manifestation du caractère « inassimilable », et désespérément indignes d’être français , de certaines populations définitivement à part ; on demandera toujours plus de repli sur soi, de fermeture étanche des frontières, de répression à l’intérieur, de reconduite hors des frontières des « barbares » infiltrés au sein de « l’empire ». Soit, sans complaisance aucune, faire un état des lieux individuel et collectif des réels problèmes révélés par ces émeutes ; avoir une attitude réellement pragmatique devant cette situation en se disant que c’est un gâchis pour ce pays (dans un contexte mondialisé et où nous venons de régresser derrière la Chine au niveau des puissances économiques) que la jeunesse en général et certains jeunes en particulier sortent du système scolaire sans aucune qualification, avec un niveau de culture réduit à sa plus simple expression et inemployables de fait ; et puis il y a ceux qui sont formés et qui ne s’en sortent pas non plus. C’est simplement un immense gâchis pour « l’entreprise France » et c’est comme ça qu’il faut prendre les choses et laisser de côté l’aversion « naturelle » que certains peuvent avoir pour d’autres parce qu’ils sont basanés ou bronzés ou encore gaulois. Une telle approche dépassionnée de la part de tout un chacun, serait assurément une vraie source d’avancée pour tous.
Cela éviterait de revoir le spectacle d’émeutes qui comme mode d’expression d’un mal être ou de mille et une frustrations, n’a rien de glorieux ; et ce ne sont pas les personnes molestées ou dont les biens ou le travail de toute une vie sont partis en fumée, qui vont être les plus indulgentes.
Mais comme me le disait bien hier un collègue tout ce qu’il a de plus « caucasien » (avec des ascendances germaniques par ailleurs), « la France est un pays de gaulois avec la défense farouche des intérêts catégoriels des différents villages qui la composent » ; aller mettre ensemble tous ces villageois pour s’entendre sur un mode opératoire consensuel face aux grands défis collectifs, est de l’ordre de l’utopie. Ca se passe comme ça sous d’autres cieux ; ici, on commence par se rentrer dedans pour apprécier l’état des forces du village d’en face, voir aussi la réalité des malheurs dont il se plaint …Après ça, on peut discuter ou nouer un semblant de dialogue...
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