Un samedi après midi normal pour la plupart des habitants de Paris et de sa région. Les uns en profitent pour décompresser après une dure semaine de folie ; les autres partent pour un court week-end ou font des courses pour la semaine à suivre, et une certaine catégorie miséreuse essaye de survivre un week-end de plus. Le temps gris et pluvieux rendait l’humeur de la plupart âcre et amer. Déjà que le quotidien était loin d’être gai !

Quelque part dans la banlieue du 93 ; réputé pour être une zone sensible et difficile, surtout en cette fin d’année 2006 où l’actualité était loin d’être rassurante sur le propos ;. Chacun transportait son lot de misères et avait ses propres raisons de se diriger vers la capitale. Professionnelles, sociales, familiales ou personnelles ; pendant quinze minutes, ils allaient partager un court instant de leurs vies.

Sur le quai d’AULNAY SOUS BOIS, assises sur un des bancs publics, deux jeunes femmes à l’apparence anodine, attendaient le RER B reliant l’aéroport CHARLES DE GAULLE à ROBINSON ou MASSY. Il s’agit de Cynthia et de son amie Elodie.

Cynthia habitait à Aulnay sous Bois depuis quelques années. Elle venait de sa province et avait eu comme toutes les jeunes naïves, le parcours classique de la fille qui croit que parce que son entourage lui a toujours soutenu qu’elle était une « FOR MI DA BLE CHANTEUSE… », Elle était vouée à percer dans la capitale et devenir la future Céline Dion. La désillusion est arrivée assez vite. Au début, elle avait voulu s’accrocher ; mais elle avait vite réalisée qu’il y en avait des millions comme elle et que ce n’était sûrement pas elle et sa peau noire qui allait sortir du lot. Elle avait fini pas se résigner au fait qu’elle était condamnée à ne faire que des petits boulots. Elle allait sur ses vingt huit ans ; n’avait en poche que son brevet des collèges (pour devenir STAR on a pas besoin de diplôme… Enfin, si on y arrive. Elle avait joué à quitte ou double ; elle avait perdue et elle assumait complètement…) ; et elle était toujours célibataire… Damnation pour sa famille traditionnelle africaine.

Cynthia et l’amour, c’est une longue histoire qu’une saga de milles pages ne pourrait pas résumer. Sur ce point, elle avait toujours été différente de ses sœurs et des ses cousines. Depuis un moment, sa famille de plus de trente personnes, oncles, tantes, grands parents, neveux cousins y compris ; prenait un plaisir fou à la mettre devant le fait qu’elle était en train de devenir une « vieille fille ». Sa cousine lui avait dit au téléphone deux jours plutôt :

– Si tu continues à rêver au prince charmant, tu vas finir toute seule. Les hommes sont tous des salauds… Si tu veux arriver à en garder un, il faut que tu te mettes en tête qu’un homme te trompera toujours et que l’amour, ce n’est que dans les romans ou à la télé que c’est passionné et éternel. Dans la vraie vie, c’est la galère et un combat au quotidien. On ne se marie pas forcément parce qu’on à trouver l’homme de sa vie. On est obligé parfois de se marier parce que la solitude est source d’ennui qui est source de tous les vices… (Elle avait rajouté une petite couche pour faire passer la pilule). Il faut aussi que tu penses au fait que tu approches de la trentaine. Après, il sera trop tard pour faire des enfants. « Une femme sans enfants est comme un arbre sans fruits ».

Cynthia rigolait intérieurement à chaque fois qu’un des membres de la famille se faisait l’intermédiaire des autres pour faire passer le message : « MARIES TOI. FAIS DES ENFANTS ET SAUVES NOTRE HONNEUR… ». Cela avait toujours été ainsi. Celle par qui le scandale arrive. La noire de France qui rejette la culture de chez elle et qui est comme disent les jeunes d’aujourd’hui « UNE CAINFRI FRANCISEE* ». Celle qui a toujours refusé de se plier à la dure éducation de ses parents et qui a douze ans déjà, fuguait avec ses copines les « BABTOUS* »( blanches) ; et qui se barre de la maison à dix huit ans alors que la majorité en Afrique est fixée à vingt et un an. Cynthia ne se torturait même plus pour ça. Elle avait depuis longtemps sa propre opinion sur la question et personne ne réussirait à la détourner de la pensée que l’amour était au bout du chemin. L’amour, le grand, l’unique, le vrai. Celui qui vous transperce comme une dague ; qui remue vos émotions comme si vous les passiez au mixeur ; qui vous provoque des crises d’ulcères fantômes… Oui, l’amour où on se parle avec le regard, on se fait des confidences secrètes pour que les autres ne pénètrent pas notre monde à deux…

Cynthia en avait pourtant connu des peines de cœurs. Et pas que des histoires où la jeune fille naïve se fait avoir sexuellement à plusieurs reprises ; y laissant à chaque fois un peu d’elle-même. Jusqu’au jour où elle n’a plus rien à donner et elle devient aigrie ; jalouse du bonheur des autres ; mais se consolant sur des chansons d’amour en se faisant des films sur le jour de la rencontre. Elle avait lu quelque part que « l’amour ne venait que quand on ne l’attendait pas… ». Elle y croyait dur comme fer. Si sa mémoire était bonne, à chaque fois qu’elle avait cru rencontrer sa moitié, la rencontre avait été magique… Même si l’ombre des séparations violentes, plane sur chacune d’elles. Elle n’en avait rien à faire. Vingt huit ans, c’était jeune. Chez les blancs, les femmes ne se posaient définitivement que vers l’âge de trente ans. Elle avait vu ça à la télé. Ce qui fait que, étant française de son état, elle évoluait dans les normes c’est tout. Sa famille n’avait qu’à s’adapter tiens… Cette idée la faisait frémir quand elle y pensait parce qu’elle se sentait traîtresse…

Sa dernière histoire comme les précédentes, s’était soldée par un fiasco monumental. Si elle avait encore passée des nuits à pleurer dans son appartement, ce n’était pas vraiment à cause du chagrin causé par la rupture (ce qui venait d’elle d’ailleurs). Elle s’était vidée de tout le liquide de son corps parce qu’elle s’en voulait de s’être fait avoir de cette façon. Un de plus au tableau de chasse qui s’allongeait à une vitesse impressionnante au fil des années. Elle s’était alors dit au bout d’une semaine ; qu’il lui fallait une année sabbatique pour se remettre en question et voir ce qui clochait chez elle. Parce que ça ne pouvait venir que d’elle. L’histoire se répétait trop. Il fallait chercher, creuser pour voir ce qui clochait dans sa personnalité pour qu’elle ne soit en apparence qu’une bonne partie de jambes en l’air satisfaisant… A quinze ans déjà, c’était pareil. Ce ne pouvait être que sa faute. Elodie lui avait dit que c’est parce qu’elle était trop passionnée et indépendante avec ça… Les hommes ont une peur bleue des filles fougueuses qui s’assument toutes seules ; avait- elle rajouté. Parce qu’ils se disent qu’elle n’aura pas besoin d’eux. Elodie d’ailleurs parlait assez bien des hommes. Elle était mariée sans enfants mais semblait avoir beaucoup d’expériences dans le domaine. Cynthia travaillait comme caissière dans un magasin d’alimentation dans le dix septième arrondissement de paris depuis plus de quatre ans. Elle y avait trouvé un confort après sa reconversion (si on peut appeler ça comme ça…). Même si son quotidien ne la satisfaisait pas, elle s’en contentait. Elle avait dans son malheur la grande chance de disposer d’un toit et de quoi le payer tous les mois. Elle n’allait pas se plaindre non plus. Elle en connaissait qui avait très mal tourné après la désillusion des rêves d’ « AMOUR GLOIRE ET BEAUTE… ». En plus de son boulot de caissière, elle faisait partie d’une association composée uniquement de femmes. Pourquoi ? Parce qu’elles avaient moins de scrupules à se lâcher sur les hommes en général. Elles étaient une trentaine ; mariées, divorcées, célibataires compris ; âgées de vingt à quarante ans ; et se retrouvaient deux heures trois fois par semaine pour se lâcher sur l’objet de leurs souffrances. AH ! Les hommes. Chacune en profitait pour se défouler parce qu’elle savait que les autres ne la jugeront pas. Elles étaient pour la plupart bien placées pour comprendre. L’association existait depuis cinq ans et avait été fondé par trois copines en détresse. Petit à petit, le « bouche à oreille » a fonctionné et depuis un an, chaque trimestre, il y avait une dizaine de demande d’adhésion. Bien sûr, que des nouveaux cœurs chagrinés, meurtris ou seuls… Cynthia s’était trouvée des alliés solides pour combattre sa solitude et ne pas flancher. Un an sans relations amoureuses, ni sexuelles. Un an à se remettre en question tout en luttant contre la tentation. Cela fait cinq mois qu’elle s’était imposée ce régime et cela fonctionnait plutôt bien. Elle s’était rendue compte qu’elle était beaucoup plus concentrée et plus active. Ce qui n’était pas pour lui déplaire. En ce moment, elle se protégeait. Elle imageait souvent en disant que son cœur était déjà très fissuré ; et que sa dernière histoire avait contribué à ce que les fondations s’écroulent. Il n’y avait plus rien à présent, sauf un affreux vide qui espère recommencer une nouvelle bâtisse ; mais pas avant la fin du jeûne...

Bon, revenons à ce qui vient d’arriver à notre chère Cynthia, plutôt dégoûtée des hommes ces derniers temps. Ce samedi après midi donc, elle se rendait au siège de l’association sur Paris avec sa copine. La veille, Elodie avait dormi chez Cynthia car elles avaient fini tard et il y avait eu un problème de voiture avec son mari. Il était plus de vingt deux heures et il n’était pas conseillé à une jeune femme de s’aventurer toute seule dans le RER D pour rejoindre CREIL. Ce n’était pas la première fois. Les deux jeunes femmes étant de très bonnes amies, c’était plus un plaisir qu’une contrainte des deux côtés. Elles s’étaient endormies vers trois heures du matin après avoir encore et encore essayé de rentrer dans la tête de ses « connards de mecs ». Cynthia avait soutenu entre autre : – Franchement, ce n’est pas si mal d’être seule. C’est vrai que de temps en temps, je me rends compte que je manque de câlins et de « HEM HEM »…Mais je préfère encore me masturber que de laisser un assoiffé de sexe me salir encore une fois.

Elles avaient rigolés comme des gamines.

La réunion était à quatorze heures et il était midi passée quand elles se levèrent. Dans la précipitation, Cynthia oublia dans un premier temps sa carte orange. Il fallu refaire le chemin inverse en perdant dix minutes. Ensuite, comme si c’était la journée de la poisse, une fois à la gare, pas de monnaies pour qu’Elodie puisse acheter son billet. Course, tour des commerces proches ; elles ratèrent deux trains entre temps. Enfin, une fois sur les quais, désarroi. Le prochain train était dans quinze minutes. On était samedi, le trafic était moins régulier qu’en semaine. Rien à faire à part attendre. Elles s’assirent sur les bancs publics, et attendirent. A un moment, en tournant la tête sur sa droite, Cynthia aperçu au loin, sur un autre banc, un homme d’une trentaine d’années, cheveux châtains ,vêtu d’un costard assez classe qui lisait l’EQUIPE, les coudes sur les genoux, penché vers l’avant. Une petite valise était posée à côté de lui. Cynthia trouva sa pause très virile sans plus. Elle lança à sa copine juste pour faire la conversation : – Regarde ELO ; tu vois le mec sur la droite là avec le costard ? Je pense que c’est le genre de mec qui va plus m’attirer dans le futur… Cette dernière regarda et répondit l’air sceptique :

– Ouais. C’est un style, personnellement, je préfère les BAD BOYS ; un peu comme le mien. Il fait trop élégant là…

– T’es dingue. Il est classe et viril. J’aime bien moi ce genre de style. Ça fait homme d’affaires, ou commercial ; sérieux quoi…

– Hm m! Question de goût… Les secondes se remirent à défiler. Cynthia pensait à trouver une excuse pour que Laurence leur présidente ; ne fasse pas encore une crise. En général, il y en avait toujours une dizaine qui arrivait en retard. Cynthia et Elodie en font partie… Laurence ne croyait plus à l’excuse habituelle des problèmes de transports.

– EH ! Cynthia, il regarde par ici. Il est trop beau ! Entendit-elle perdue dans ses pensées. Elle bougea nonchalamment et tourna la tête. Elle ressentit un douloureux frisson dans le dos tandis que son cœur s’affolait. Cynthia eu le vertige. « Ils » s’étaient observés même pas cinq secondes. Elle avait eu l’impression qu’il l’avait fixé plus longtemps. Elle tourna dignement la tête vers sa copine avant de pouffer comme une gamine :

– Merde ! On vient de s’afficher là. Il nous a capté. Elodie aussi riait franchement en se cachant. Elles faisaient penser à deux collégiennes émues d’avoir eu un regard du plus beau du collège. Le train se mettait à quai pendant ce temps. Elles se reprirent assez vite. Cynthia dans son émotion, avait ri en pleurant. Elle nettoya furtivement son visage avant de monter dans le train, impassible, tandis que l’alarme qui rappelle à l’ordre résonnait fortement dans sa tête.

Dans le train, par le plus grand des hasards, les deux jeunes femmes se retrouvèrent assises en face de lui, sur les strapontins. Elodie l’aida à nettoyer des restes de larmes. Il y avait un peu de monde. Cynthia essayait de paraître détachée mais elle était secouée de l’intérieur. Comme pour l’enfoncer, sa copine lui souffla à l’oreille :

– Putain, comment il mate…

– Nous ? fit Cynthia.

– Ouais. Il n’arrête pas de mater là.

– T’as vu la dégaine qu’on a ? répondit-elle. Il doit se foutre de notre gueule je suis sûre. On dirait deux gamines avec nos jeans et nos baskets. En plus, on n’est pas maquillé. Quelle honte … Lui fit Cynthia avec le même geste en se cachant la bouche avec sa main droite. Elle préférait rester de profil pour ne pas avoir à le regarder et à croiser son regard critique. Mais pourquoi elle ne s’était pas un peu maquillée ? Pas dans le but de le séduire mais juste pour être un peu plus présentable. Avec son AFRO, ses bijoux africains et ses grosses boucles d’oreilles, elle devait lui faire penser aux femmes de la tribu des « HIMBA DE NAMIBIE » se disait la jeune femme. Elle en fit part à son amie qui rigola en lui disant qu’elle n’avait pas besoin d’artifice pour être belle. Elle l’était assez au naturel. Même si on lui avait souvent dit ça, Cynthia s’était toujours trouvé BOF ; sans plus. Mais là, elle avait l’impression d’être la laideur incarnée face à ses yeux qui sans les voir, savait qu’ils l’observaient. Elle se pencha vers l’oreille droite d’Elodie et lui demanda.

– Il mate toujours ?

– Non, fit cette dernière, il a repris son journal. La jeune femme se risqua alors à lui jeter un coup d’œil. Elle tomba les pieds joints dans un océan « Vert-gris »… Cynthia eu une secousse interne et détourna rapidement les yeux. Elle reprit son air impassible de celle qui n’en a rien à faire qu’il soit mignon. Même si elle sentait comme une sorte de connexion. C’est ce à quoi elle pensa sur le moment. Le RER se dirigeait lentement vers la capitale en faisant des haltes de temps en temps pour laisser monter d’autres passagers. A un moment, une fille black plutôt pas mal, monta et s’installa à côté du type qui avait toujours son journal à la main. Cynthia se dit que elle au moins, avait pensé à se mettre en valeur. Elle avait toutes ses chances avec MR COSTARD CRAVATE VIRIL AU VISAGE DUR MAIS AUX YEUX TRES EXPRESSIFS…

Elle finit par se dire qu’elle se faisait encore des idées comme d’habitude. Ce qu’elle ressentait, c’était juste la rage de ne pas être vu sous son meilleur jour ; maquillée, coiffée, bien sapée. Ça n’aurait rien changé mais elle aurait eu un peu plus confiance en elle et l’aurait défié du regard. Mais là, autant se faire toute petite en espérant arriver à GARE DU NORD le plus vite possible pour fuir définitivement son regard. Parce qu’à chaque fois qu’elle essayait de le regarder en cachette, leurs yeux se rencontraient, isolant le reste du wagon. Elle avait l’impression qu’il lui parlait juste avec le regard mais avait trop peur pour essayer de comprendre. Elle se persuada tandis que le train amarrait à gare du nord, qu’il devait penser avec tout ce qui se passe en ce moment « Voilà deux jeunes filles qui revendiquent leur appartenance au 93 ».

Et comme elle ne faisait rien à moitié, elle avait trouvé le moyen de mettre

un SWEAT rouge sur lequel, de grosses lettres blanches taguées au niveau de la poitrine, confirmaient ce qu’il devait penser: « BAD GIRL ». Quelle honte !…

C’est au moment où elle se frayait un passage pour descendre que ça arriva. En général quand il y a trop de monde dans les transports, il est conseillé de ne pas occuper les strapontins pour faire de la place. Malgré le fait que du monde se bousculait pour monter, empêchant les autres de descendre, ce qui donnait une impression de bagarre devant l’entrée d’un concert pour occuper la meilleure place, il resta assis et s’avança même en posant ses coudes sur ses genoux prenant un peu plus de place, les yeux rivés sur Cynthia. Cette dernière devait passé à côté de lui pour descendre et commença à paniquer sans savoir pourquoi. Elle osa le regarder une dernière fois et là ; il y eu comme un truc ; comme si le temps s’arrêtait. Ils se regardèrent, pas longtemps mais elle eu le temps de graver à jamais son visage dur au menton carré, aux pommettes saillantes avec des débuts de barbes ainsi que son océan vert, teinté d’un ciel gris, et ses plis sur le front. Elle cru même que le regard cherchait à la retenir mais se dépêcha de sortir, les jambes en coton. Elle frôla son genou au passage et ressentit une décharge électrique dans tout le corps. Elle voulu se retourner pour voir s’il la regardait partir mais était trop fière pour ça. Son amie le fit à sa place et ce qu’elle lui dit sur les escalators, n’arrangea pas les choses :

– Cynthia, il continu à te mater ; il te jette un de ces regards… Franchement, je crois que t’avais une ouverture là… Viens on retourne dans le train pour que tu lui laisse ton phone…

– Je pense plutôt qu’il doit nous mépriser ouais...

– Je te jure que non. Son regard était plus intrigué ; comme s’il voulait en savoir plus sur toi. Il n’a pas arrêté de te chercher du regard. T’as raté quelque chose ma pauvre…

– Arrête de m’enfoncer alors que tu sais que ce n’est pas vrai. T’as vu ma gueule et la sienne… ? Rien à faire ensemble. J’ai croisé son regard à chaque fois que j’ai voulu le mater discrètement. Ça me glaçait le sang. Il devait nous juger sur notre apparence. Là, on fait vraiment « NEUF TROIS REPRESENTE », dit elle en accompagnant sa phrase d’un geste des doigts que font souvent les rappeurs. Elles continuèrent à parler en montant dans le métro qui les menait vers VAVIN. Elles prirent place sur des strapontins, ce qui remua un peu Cynthia comme si elle revivait les choses… Son amie parlait avec frénésie.

– Tu es trop bête. Moi je vous verrai bien ensemble. Il est grand, beau gosse ; tu es grande et très jolie… Je t’ai en plus dit dès qu’on est monté qu’il n’arrêtait pas de t’observer, l’air intrigué.

– Ce genre de mec sait qu’il est beau. Il doit être arrogant. En plus, les meufs qu’il doit draguer doivent plus se rapprocher des « ELLE MACPHERSON » que de moi…

– Tu fais exprès de te rabaisser ou quoi ? Il n’a pas arrêté je te dis. Toi ; tu ne voyais pas forcément qu’il te regardait. Il a rangé son journal, s’est penché en avant, il m’a même fait un sourire à un moment tout en te regardant avec insistance. T’as vu le geste qu’il a eu avant que tu ne descendes du train ? J’ai cru qu’il allait te retenir en t’attrapant par la main.

– N’importe quoi…

– Je t’assure. T’as vu la black et les petites blondes ? Elles avaient craqué mais il ne leur a pas jeté un seul regard. On aurait dit qu’il était vraiment intrigué par toi…

– Normal, il devait se dire « elle s’est enfuie de sa tribu ou quoi ..? »

– Ce que tu peux être nulle. En tout cas, tu viens de rater un truc. J’affirme et je confirme…

– De toute façon, je suis au régime en ce qui concerne les mecs; en plus de ça, on ne se reverra jamais, comme ça au moins il n’y à aucune tentation et c’est réglée d’avance.

– Peureuse de l’amour… Je suis persuadée que tout le monde dans le wagon devait ressentir qu’il se passait un truc entre vous, sauf toi bien sûr. Ce n’est pas parce que tu es au régime que tu ne dois pas laisser la chance à quelqu’un d’apprendre à te connaître. En tout cas, c’est pas moi qui vais passer des nuits solitaires à regretter… Elle prit un air dramatique.

–HM M ! Fit une Cynthia perdue dans ses pensées, encore dans le RER. En se repassant le film, elle se rendait compte petit à petit que son amie n’avait pas eu tort…

Un mois plus tard, ce regard restait encore gravé dans la tête de Cynthia telle une photo qu’on aurait inséré à l’intérieur de son crâne ; lui provoquant des palpitations cardiaques. Le pire dans tout ça, c’est qu’avec le recul, elle se rendait compte qu’il s’était vraiment passé un truc ce fameux samedi en quinze minutes. Le fait qu’ils se soient d’abord regardés sur le quai intensément, la décharge électrique quand elle croisait son regard. Ce fameux regard qu’elle n’avait pas su déchiffrer et qui semblait pourtant lui avoir dit tellement de choses... Pas des choses du genre « tu es belle » ou ce genre de baratin. Plutôt « Je veux en savoir plus. Tu m’intrigues… Tu es naturelle et ça me plaît… Tu ne rentres pas dans le moule… ». Le dernier regard qui avait semblé vouloir la retenir à tout pris et qu’elle avait mal interprété, lui avait peut-être dit :

– Je ne peux pas te suivre parce que j’ai des obligations. Reste… Pour qu’on garde le contact. J’ai envie d’apprendre à te connaître. Ta carapace de dure est trop bien faite. Il se cache des choses en dessous et j’aimerais savoir de quoi il s’agit. Ne descends pas tout de suite. Fais quelque chose mais ne me laisse pas comme ça…

Et elle, complexée et mal dans sa peau, s’était enfuie comme une voleuse. C’était dingue peut-être mais elle avait vécu une histoire passionnelle en l’espace d’un regard. Elle en ressortait frustrée, certes, mais sans séquelles. C’était le plus important. Sans oublier que la leçon qu’elle avait tirée de cet évènement, c’est qu’elle avait réalisé que son cœur était loin de s’être effondré. Il était bien là et, ne l’attendrait pas pour décider de se remettre à palpiter pour quelqu’un. Ce sont des choses qui ne se contrôlent pas.

Cynthia a repris le cour normal de sa vie, avec ce regard marqué à jamais ; qui lui fait passer des nuits banches depuis, émue comme une ingénue découvrant certaines sensations. Ce qui la troublait dans tout ça, c’était qu’elle se sentait amoureuse d’un regard. Parce que depuis, elle ne pouvait pas s’empêcher de comparer les hommes qu’elle rencontrait à l’inconnu. C’était le plus beau. Elle se demandait de plus en plus si elle n’avait pas en fait raté le bon. Ce qu’elle ne saura peut-être jamais ; et elle s’y était résolue. Evidement elle s’abstint d’en parler aux réunions. C’était son petit secret.