Qu’il reçoive mes congratulations pour ce qu’elles valent

Un ami me confia lors d’une discussion sur la situation du pays : ‘Tu sais Tafsir, notre président, la courtoisie et le sens civique voudraient que son peuple le félicite pour le choix porté sur sa personne par l’Unesco. Ce prix Houphouët Boigny pour la démocratie doit être considéré comme une fierté nationale.’ Je lui répondis que faisant parti du peuple et étant au courant de la vitesse avec laquelle la démocratie recule dans notre pays sous le régime de notre cher président, qu’il reçoive mes congratulations pour ce qu’elles valent. Avec l’installation de ce nouveau régime, nous avons constaté tout d’abord que la promesse électorale concernant la mise en place d’un régime parlementaire n’a pas été tenue. Mais, en politique, certains acteurs véreux soutiennent que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Ensuite, notre Assemblée nationale nous a habitués à des votes de projets de loi taillés sur mesure pour mieux consolider les dérives monarchiques du régime en place. Parmi ces lois, figure celle dénommée ‘loi Ezzan’ votée par les députés du président et du parti au pouvoir, un vote qu’ils ont effectué les yeux presque fermés malgré la désapprobation de la majeure partie des populations et surtout de la totalité des organisations qui luttent pour les Droits de l’homme. Comment comprendre qu’un régime, dirigé par un homme qu’on plébiscite pour son attachement à la démocratie, cautionne une loi d’amnistie qui blanchit des tueurs à gage et leurs commanditaires dans une affaire qui touche une haute autorité de notre appareil judiciaire ?

A cela s’ajoute cette fameuse loi votée par ces mêmes députés prolongeant eux-mêmes, contre toute attente, le mandat que notre peuple souverain leur a octroyé. Que personne ne s’émeut si, demain, ces mêmes députés votent une loi pour prolonger le mandat de notre cher président. Le calendrier électoral subit les caprices ou calculs politiques d’un seul Sénégalais sans aucune concertation sérieuse avec la classe politique représentative. Le droit à la marche, consacré par notre Constitution, ne sert plus à rien avec des préfets qui n’accordent presque plus d’autorisation aux citoyens désireux de l’exercer.

Les opinions contraires à celles des tenants du pouvoir ainsi que leurs auteurs subissent les foudres de la police et de certains procureurs. Des journalistes tels que Madiambal Diagne, Abdou Latif Coulibaly, ceux du groupe Sud Communication…, des leaders politiques comme Moustapha Niasse, Abdourahim Agne, Amath Dansokho, Jean-Paul Dias, Pape Diouf…, des créateurs comme Joe Gaye Ramaka (la liste n’est pas exhaustive), en savent quelque chose. Talla Sylla et Pape Cheikh Fall ont subi, dans le cadre de l’exercice de leurs activités politiques et journalistiques,, respectivement des marteaux et des barres de fer ; des crimes qui n'ont pas encore été élucidés et punis. Quant à l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, il a reçu comme réponse à ses ambitions présidentielles d’abord des insultes et des bouses de vaches, ensuite sept mois de privation de liberté sur la base d’un pré rapport de l’Ige (Inspection général d’Etat).

Qu’ils arrêtent de faire du palais qui est l’un des symboles les plus importants de notre République un lieu où se tiennent les réunions du Comité directeur de leur parti et des espèces de meeting politique déguisé. Qu’ils accordent à notre hymne national sa véritable place dans les rencontres officielles abritées par notre pays (nous nous souvenons encore de ce qui s’est passé à la prestation de serment de notre cher président au stade Léopold Sédar Senghor). Que notre drapeau national flotte par-dessus nos têtes lorsque nous accueillons des hôtes ou organisons des cérémonies officielles (personne ne s’oppose à ceux qui brandissent le drapeau de leur parti dans leurs manifestations politiques). Et de grâce, qu’ils ne prennent pas, de façon unilatérale et autoritaire, eux et leurs députés, la décision, à quelques mois des élections (si Dieu nous y aide), de faire voter nos hommes de tenue.

Au moment où, dans la campagne, nos braves paysans souffrent le martyr parce que ne sachant plus à quel saint se vouer pour la vente de leur production agricole, voilà qu’ils déplacent des hordes d’applaudisseurs professionnels en France pour faire plaisir à un homme. Cet argent dépensé pour payer des billets d’avion, des frais d’hôtel… aurait pu servir à soulager un tant soit peu la galère du monde rural. Autant ce gâchis me désole, autant je ne comprends non plus une partie de notre opposition qui compte déplacer ses troupes pour aller organiser une contre-manifestation à Paris. Toutes ces sommes d’argent auraient pu être utiles ici. Mais ils me diront qu’ils ont leur raison ; que l’actuel président de la République l’avait fait à son prédécesseur. La loi du talion, dans le contexte actuel de paupérisation et de profonde déception, n’est pas toujours la meilleure. Investissez vos sous dans le social et le combat pour conscientiser vos futurs électeurs sur l’essentiel. Aux prochaines élections, la France et l’Unesco (que je respecte beaucoup) ne vont pas choisir à la place des Sénégalais que nous sommes.

Bravo aux membres du jury de ce prix à l’Unesco et à certains de nos intellectuels qui ont respectivement attribué ce prix et dédié leurs félicitations à notre cher président pour ses efforts consentis pour la démocratie. Ils l’ont choisi et félicité à la place de sa jeunesse désœuvrée dont une partie confie aujourd’hui son destin aux pirogues en partance pour une Europe hypothétique, de ses paysans affamés et assoiffés, de ses travailleurs désorientés, de sa presse à la subvention usurpée depuis qu’elle a été un droit pour elle, de plusieurs de ses citoyens qui ne le reconnaissent plus. Serait-il vrai que le pouvoir dénature l’homme ? Que chacun d’entre nous défend jalousement son peuple contre l’hypocrisie qui est devenue de nos jours un gagne pain très prisé même par une partie de ceux que nous considérions comme étant la voix des sans voix. ‘On ne participe pas à la chasse à l’éléphant en se contentant de regarder passer son cadavre devant sa case.’

Tafsir Ndické DIEYE Ecrivain sénégalais Auteur de romans policiers dont : Ces fossoyeurs de la République Editions Mélonic Québec Canada Juillet 2005 E-mail : ndickedieye@yahoo.fr


 
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