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L’immense potentiel de la RD Congo : illuminer le continent africain du Cap au Caire

Georges Nzongola-Ntalaja (21-07-2006)

Alors que la République Démocratique du Congo (RDC) s’ approche des élection, le politologue Georges Nzongola-Ntalaja répond à Pambazuka News sur l’importance stratégique de la RDC. L’existence d’un état fort au Congo menacerait le contrôle exercé par les Occidentaux sur les pays de la sous-région riches en ressources naturelles, tels que le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale, le Gabon et Sao Tome Principe. De plus, il prétend que la RDC possède suffisamment de sols cultivables, de de précipitations, de lacs et de rivières pour devenir le garde-manger de l’Afrique, et suffisamment d’énergie hydroélectrique pour éclairer l’ensemble du continent du Cap au Caire.


Pambazuka News: Quelle est l’importance stratégique et économique de la RDC, pour l’Afrique et au niveau international ?

Georges Nzongola-Ntalaja: La meilleure réponse à cette question est une citation de feu Jacques Foccart, l’éminence grise de la politique gaulliste en Afrique durant les présidences de de Gaulle, Georges Pompidou et Jacques Chirac, lorsque ce dernier fût Premier Ministre durant la présidence de Mitterrand. A la question d’un journaliste qui écrivait les mémoires de Foccart sur ces réflexions concernant la RDC, le vieil homme répondait :

« Vous m’avez demandé quel était l’intérêt de la France. Sur cette question, il n’y aucune ambiguïté. Le Congo-Léopoldville, aujourd’hui le Zaïre, est le plus grand pays d’Afrique francophone. Il possède des ressources naturelles considérables. Il a les moyens de devenir une puissance régionale. L’intérêt à long terme de la France et de ses alliés africains est évident (comprendre «le mien». Jacques Foccart et Philippe Gaillard, Foccart parle: entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard/Jeune Afrique, Paris, 1995, p. 310)

Ce qui est évident c’est que la France et ses alliés, africains comme non-africains, ne souhaitent pas que la RDC devienne une puissance régionale en Afrique centrale et puisse ainsi constituer une menace à l’hégémonie française et aux intérêts occidentaux dans la sous région. Un état fort au Congo menacera non seulement le contrôle exercé par les Français sur les pays riches en ressources de la région, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale, le Gabon et Sao Tome Principe, mais en plus la RDC que la RDC dispose de suffisamment de sols cultivables, de précipitations, de lacs et de rivières pour devenir le garde-manger de l’Afrique, et de suffisamment d’énergie hydroélectrique pour éclairer l’ensemble du continent du Cap au Caire. Alors que ses ressources minérales sont tellement abondantes et qu’au début du siècle dernier un jeune géologue put déclarer que le pays était un scandale géologique, le véritable scandale du Congo réside dans le fait que son uranium fut utilisé pour construire les premières bombes atomiques dans le monde et que depuis l’époque du roi Léopold II ses richesses n’ont pas été utilisées dans l’intérêt de la population du pays mais au bénéfice de ses dirigeants et de leurs alliés externes.


Pambazuka News: Vu cette importance, quelles sont les implications avec les élections qui se dessinent?

Georges Nzongola-Ntalaja: L’élection à venir a plus d’importance pour la communauté internationale - qui la finance avec des moyens importants et envoie même des troupes de l’Union européenne pour assister la MONUC et assurer la tenue des élections -, que pour la population congolaise. Les principales puissances dans le monde et les organisations internationales qu’elles contrôlent souhaiteraient légitimer le régime actuel de Kinshasa, qui est leur client afin de pouvoir continuer à prélever librement toutes les ressources du Congo dont ils ont besoin.


Pambazuka News: Quel est le rôle libérateur que pourrait avoir la RDC par rapport au développement de l’Afrique et que signifie l’auto-détermination dans le contexte des élections ?

Georges Nzongola-Ntalaja: La RDC ne peut pas jouer un rôle positif dans le développement de l’Afrique aussi longtemps qu’elle restera un territoire dépendant de sources exterieures pour financer environ 60% de son budget national, c’est à dire plus de 400 millions d’US dollars finançant ses élections nationales et virtuellement toutes les décisions de politique de développement. Dans ce contexte, les élections ne sont pas un exercice d’autodétermination mais un rituel conçu pour justifier un contrôle externe à travers les éléments faibles et non-patriotiques de la classe politique. Afin de jouer un rôle émancipateur dans le développement de l’Afrique, la RDC doit terminer sa transition menant du colonialisme vers la véritable indépendance en tant que nation souveraine ayant son propre projet social et la capacité de produire et mettre en œuvre sa politique de développement.


Pambazuka News: Historiquement, du moins depuis l’indépendance, la RDC a eu, suite à la Guerre Froide, une importance stratégique pour les USA. Les nouvelles dynamiques associées à la guerre contre le terrorisme ont «-elles changé cela et de quelle manière ?

Georges Nzongola-Ntalaja: Au contraire, l’obsession américaine du fondamentalisme islamique comme source potentielle de terrorisme fait de la RDC un pays stratégiquement important en raison de sa proximité géographique avec le Soudan, de sa population musulmane qui est certes petite mais non négligeable, de ses liens avec l’Afrique de l’Est, et parce que l’instabilité persistante dans le Nord-est est propice à fournir des opportunités pour le traffic de drogue, la prolifération des armes légères, le blanchiment d’argent ainsi que pour d’autres activités criminelles susceptibles d’être exploitées à leur propre avantage par des groupes terroristes. L’intérêt des Américains pour la RDC est clairement mis en évidence par l’implication de Washington dans la gestion de la transition actuelle par le CIAT (Comité International pour l’Accompagnement de la Transition).


Pambazuka News: Quel est et a été l’impact de l’héritage historique de Léopold 1er et du colonialisme belge sur le pays ?

Georges Nzongola-Ntalaja: Actuellement, Georges Forrest, un homme d’affaires belge dirige un empire minier dans la province du Katanga, avec le soutien évident de l’état belge. Louis Michel, Commissaire européen au développement, ancien vice-ministre et ancien ministre des Affaires Etrangères de la Belgique, est décideur le plus puissant concernant le destin du Congo. Même s’il serait exagéré de les mettre au même niveau que les agents de l’époque du Congo de Léopold 1er ou du Congo belge, l’héritage de la domination belge reste vivant à travers leur énorme influence sur l’économie et la politique congolaise.


Pambazuka News: Quels sont les liens entre le pouvoir colonial, Mobutu, le pouvoir de feu Kabila-père et celui de son fils qui dirige actuellement ?

Georges Nzongola-Ntalaja: Le lien principal entre le pouvoir colonial, Mobutu, les deux Kabila a déjà été souligné ci-dessus, à savoir qu’ils représentent tous un régime prédateur au sein duquel les énormes richesses du pays est monopolisée par les dirigeants et leurs alliés étrangers au lieu de servir à subvenir aux besoins basiques du peuple congolais.

Pambazuka News: Vous avez écrit un livre intitulé “The Congo from Leopold to Kabila: A People's History” (Le Congo de Léopold à Kabila: Histoire d’un peuple”) dans lequel vous dites que, tout au long de son histoire marquée par l’oppression, le peuple congolais a lutté pour établir des institutions démocratiques dans le pays et pour se libérer de l’exploitation étrangère. Ceci est peut être quelque chose qui fait souvent défaut dans les discussions sur le Congo qui se focalisent sur la guerre et l’extraction et donnent l’impression que le peuple de la RDC est démuni face à ces forces. Pouvez vous développer vos arguments et nous expliquer comment cette lutte s’est exprimée ?
Georges Nzongola-Ntalaja: En janvier 1959, les masses populaires se sont révoltées contre la domination coloniale à Kinshasa et à la fin de l’année, une partie du pays était devenue ingouvernable, ce qui a amené les Belges à la conclusion qu’ils devaient respecter l’appel du peuple congolais à « l’indépendance immédiate ». En 1963, confrontés à l’évidence que l’indépendance ne satisfaisait pas leurs aspirations les plus profondes de liberté et de bien-être matériel, les paysans de la partie occidentale du pays ont lancé un nouveau slogan, celui de la « deuxième indépendance » et ceci est devenu le cri de ralliement des insurrections populaires menées par les partisans de l’ancien Premier Ministre assassiné, Patrice Lumumba, qui avaient réussi à prendre le contrôle de près des trois-quarts du territoire national. Ces insurrections furent vaincues par une contre-insurrection coordonnée par les Etats-Unis et la Belgique qui comprenait l’utilisation de mercenaires blancs d’Europe et d’Afrique du Sud.

En 1990, le rejet du régime de Mobutu lors des consultations populaires, initiées par le dictateur lui-même pour obtenir un verdict sur son gouvernement, ouvrit le processus de transition vers le multipartisme démocratique. Si le pouvoir de Mobutu n’avait pas été affaibli par la répudiation populaire, officialisée en 1992 par l’élection d’Etienne Tshisekedi comme Premier Ministre du gouvernement transitoire, Laurent Kabila et ses alliés rwandais n’auraient pas pu marcher de Goma à Kinshsa en 7 mois sans rencontrer une opposition militaire significative de la part de l’armée de Mobutu.
Malheureusement, tous ces épisodes de résistance populaire à la tyrannie et à la recherche de la démocratie et du progrès social ont échoué à cause de l’absence de dirigeants politiques qui auraient mis les intérêts du peuple avant les intérêts étroits de classe des politiciens égoïstes et corrompus.

Pambazuka News: Avez vous un pronostic sur la manière dont les prochaines élections vont se dérouler ?
Georges Nzongola-Ntalaja: Puisque le gouvernement de transition actuel n’a pas rempli les objectifs fixés par l’accord de Sun City/Pretoria pour des élections libres et justes, le rituel va probablement confirme Joseph Kabila comme président, mais il ne n’améliorera pas la situation politique du pays. La violence continuera dans le Nord-est, la corruption et l’incompétence resteront les traits les plus saillants d’un gouvernement dont l’agenda est contrôlé de l’étranger.


Interview conduite par email. Le livre de Georges Nzongola-Ntalaja, «The Congo from Leopold to Kabila: A People's History” est publié par Zed Books, 2002. Georges Nzongola-Ntalaja est Facilitateur au sein de l’Africa Governance Institute (AGI, Institut d’Afrique pour la Gouvernance), un projet du Bureau Régional pour l’Afrique du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) à New York. Il a aussi exercé au PNUD en tant que directeur du Centre pour la Gouvernance d’Oslo / Norvège du 1er août 2002 au 31 juillet 2005 et en tant que Conseiller Senior du Gouvernement Fédéral du Nigeria à Abuja, Nigeria, de mars 200 à mai 2002.

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