Posté le: Mer 28 Sep 2005 11:56 Sujet du message: Le Mythe du Nord, Père de tous les Stéréotypes
Un article très instructif sur lequel je suis tombé par hasard au cours de quelque pérégrination sur le net. Je le partage avec les grioonautes.
Le Mythe du Nord
Le père de tous les stéréotypes
La supériorité du Nord de la planète en tant que mythe qui a traversé l’histoire des trois derniers siècles. Une matrice cognitive qui structure les catégories avec lesquelles les pays industrialisés se représente lui-même et représente d’autres peuples et cultures. L’Afrique comme victime privilégiée du mythe du Nord et de ses conséquences opérationnelles.
«Un peuple blond, superbe, est né dans le Nord. Son envahissante fécondité se disperse par vagues vers le Sud. Toute migration est une conquête: toute conquête fertilise les mœurs et la civilisation» (Kessler, 1933).
Walter Rathenau, capitaine d’industrie et homme d’Etat, résumait ainsi, en 1933, une des idées directrices de la pensée raciste: celle d’un Nord fécondateur et civilisateur, véritable force morale et spirituelle de l’humanité.
Cette idée de Rathenau peut difficilement être considérée isolée, née de rien, fruit d’une élaboration personnelle ou de convictions propres. Au contraire, Rathenau exprimait alors une image du monde qui, sous différentes formes, était très courante et avait une racine profonde: celle d’un des mythes les plus résistants et puissants de la culture occidentale: le Mythe du Nord. Il est difficile de dire avec certitude quand ce mythe s’est formé et a pris pied. Il date probablement de la fin du XVIII° à l’apogée de ce processus complexe qui aboutira à la création des Etats modernes européens (Etats qui, pour se créer une cohésion interne, avaient besoin d’une image négative de ce qui se trouvait “à l’extérieur”). C’est en tout cas un fait certain que, pendant environ deux cents ans, le Mythe du Nord a, comme un fleuve souterrain, traversé une bonne partie de la pensée occidentale, en explosant ensuite, vers la moitié du XX° siècle, dans l’idéologie naziste.
Stéréotypés supportés par des études scientifiques.
Source: à titre gracieux de Jan Nederveen Pieterse
Sont des manifestations de ce mythe les positions que Jules Michelet exprimait, par exemple, vers la moitié du XIX° siècle ((1848) sur la primauté de la race allemande: «Le caractère de cette race qui devait se mélanger à tant d’autres, est la facile abnégation. […] Ce dévouement, désintéressé et sans conditions, raillée par les peuples du sud, a toutefois déterminé la grandeur de la race germanique».
La géographie vue du Nord se construit selon un système de catégories bien définies et une valeur scientifique affirmée. Comme le soutenait l’ethnologue britannique R. Keane (1886), au centre du monde il y a la race blanche, la seule porteuse de civilisation, subdivisée en trois grande familles: l’homo europaeus, de grande taille et clair de peau, d’yeux et de cheveux; l’homo alpinus, moyennement grand et moins clair que l’homo europaeus; l’homo meridionalis, irrémédiablement petit et avec des traits tous foncés. Inutile de dire que c’est seulement à la première famille raciale que l’on reconnaît la capacité de produire et de diffuser la civilisation. Les celtes, les slaves, les français du sud et les italiens du nord, qui appartiennent à la deuxième, ne possèdent pas ce talent mais sont en tout cas réceptifs aux vagues civilisatrices venant du nord. Les peuples méditerranéens, qui appartiennent à la troisième, sont au contraire placés aux limites du berceau européen. «Pour conclure – écrivait Ludwig Woltmann (1903) – les hommes les plus grands, qui ont un plus grand crâne, une dolichocéphalie frontale et une pigmentation claire, et donc celle de la race du nord de l’Europe (homo europaeus d’Ammon, Lapouge, etc.) sont les parfaits représentants du genre humain et constituent le produit le plus élevé de l’évolution». Bref, selon ce Mythe, la hiérarchie raciale coïncide avec celle dictée par une géographie qui procède systématiquement du nord au sud et à laquelle s’associe une hiérarchie de couleurs (du clair au foncé) et de caractères moraux (de la rationalité à l’irrationalité, de la capacité d’auto- gouvernement à l’incapacité d’autocontrôle et ainsi de suite); une hiérarchie qui ne s’arrête certes pas aux côtes septentrionales de la Méditerranée.
Dans un texte au titre significatif, Le règne animal (1917), Alphonse Cuvier notait avec une satisfaction mal dissimulée que la race nègre était «confinée au sud de l’Atlas». Wolfgang Menzel, homme d’étude “germanomane” qui connut une vaste popularité dans la première moitié du XIX° siècle, théorisa cette “hiérarchie géographique”, en partant du binôme esclavage/liberté et en trouvant des correspondances cosmiques pour chacun de ces éléments. Selon son raisonnement, la terre était esclave du soleil mais libre des étoiles. Raison pour laquelle l’homme est plus libre au nord où “domine” l’étoile polaire, plutôt qu’aux Tropiques où “règne” le soleil. Pierre Trémaux était convaincu du rapport entre géographie et civilisation au point de soutenir qu’une communauté de blancs transplantée en Afrique était destinée, le temps de quelques générations, à devenir de race noire: «Peuples, entrecroisez-vous, échangez-vous! Et, si le milieu ne change pas, il y aura toujours des anglais sur la Tamise, des français en France, des romains sur le Tibre, des égyptiens en Egypte, des nègres au Soudan et des peaux-rouges en Amérique» (Poliakov, 1976)
Une représentation de la "négritude" du point de vue de l’impérialisme culturel.
Source: à titre gracieux de Jan Nederveen Pieterse
Les thèses de Menzel et de Trémaux peuvent paraître ingénues. Et pourtant, la conviction qu’il existe un lien inséparable entre “nordicité” et liberté a été partagée par un très large nombre d’auteurs. Auguste Comte, fondateur de la sociologie, soutenait que la suprématie des peuples de l’Europe occidentale dérivait justement de leur capacité d’émancipation (1842). Comme beaucoup de ses compatriotes, l’historien anglais Edward August Freeman pensait que l’Angleterre devait ses institutions démocratiques à ses racines anglo-saxonnes (Mosse, 1986). A son tour, Max Muller pensait que la supériorité des européens du nord était liée à leur sentiment d’indépendance et à leurs capacités d’auto-gouvernement (Mosse, 1986).
On pourrait penser que le Mythe du Nord ait sombré en même temps que sa plus grande et plus dévastatrice concrétisation historique, autrement dit le nazisme. De nombreux signaux laissent pourtant supposer le contraire.
Comme ses pareils et comme l’enseigne l’anthropologie culturelle, le Mythe n’est pas une simple théorie, mais une matrice cognitive sur laquelle se construisent les mêmes catégories que nous utilisons pour lire la réalité. Bien qu’essentiel pour donner forme à une vision du monde, la pensée mythique peut par conséquent constituer également un danger car elle incite à produire des axiomes et des représentations qui tendent à échapper à la conscience critique en apparaissant sous la forme de l’“évidence”, du pris pour acquis et du déjà vu.
Le Mythe du Nord ne fait pas exception. En effet, il engendre des oppositions mentales qui n’ont absolument pas besoin de s’exprimer en thèses complètes et explicites, comme celles d’un Michelet, d’un Menzel ou d’un Trémaux; au contraire, elles sont portées à s’insinuer dans les plis du langage, dans les phrases toutes faites ou sous les formes de bon sens, en s’introduisant ainsi également dans les analyses les plus averties, honnêtes et documentées.
Il est hors de doute qu’il est encore actif en Europe: en témoigne le fait que la dichotomie Nord-Sud - au sens d’opposition entre différents niveaux de culture et de civilisation – est encore largement partagée dans de nombreux pays européens comme l’Allemagne, la France et, surtout, l’Italie où, au nom de la Nordicité, un mouvement politique actuellement au sein de la majorité gouvernementale s’est même constitué.
La principale cible du Mythe du Nord reste toutefois le continent africain. Il semble, par exemple, être à l’œuvre derrière les nombreuses thèses sur le “manque d’auto-gouvernement” de l’Afrique qui se propagent avec une continuité suspecte dans les médias occidentaux. Dans un essai bref mais dense (1999), l’historiographe ghanéenne Ama Biney montre à ce propos certaines pièces particulièrement significatives. Dans un article de 1991 apparu sur l’Independent on Sunday britannique, par exemple, on lit:
L’Afrique est tellement sans espoir qu’il est difficile de croire qu’elle puisse s’aider elle-même. Si les pays occidentaux en avaient la volonté, ils pourraient re-coloniser le continent qu’ils ont quitté en si grande hâte. Les japonais et les allemands pourraient gouverner l’Afrique en utilisant comme agents officiels les britanniques en tant qu’ex-colonialistes professionnels.
Lui fait écho, sur les pages du Spectator américain, le journaliste Paul Johnson dans un article de 1993:
Ce dont le tiers monde a besoin est une nouvelle forme d’impérialisme: altruiste, supervisée au niveau international, efficace et résolue... les facteurs qui permettront le retour du colonialisme sont en place.
Il s’agit de positions qui coïncident parfaitement avec l’idée d’un Nord civilisateur, même si elles sont, dans ce cas, armées des plus nobles intentions. Positions extrêmes, peut-être ; mais plus probablement des formes explicites d’idées et catégories mentales implicites dans de nombreuses thèses, idées et représentations courantes en Occident.
Dans un document de l’organisation African Action (APIC, 1997), on met par exemple en exergue combien, pour interpréter nombre des événements politiques qui caractérisent le continent africain, on insiste dans les médias et parmi les observateurs occidentaux, sur le concept de “tribalisme”, en opposition à celui de “civilisation’’. Les auteurs du document notent notamment:
C‘est surtout l’idée de tribu qui est à la base des opinions occidentales sur l’ethnique et les conflits ethniques en Afrique qui ont apparu au grand jour ces dernières années. Une fois de plus, les conflits sont interprétés comme les ‘’anciennes rivalités tribales’’ et les explosions de violence atavique qui ont toujours caractérisées l’Afrique.
Des observations a peu près semblables proviennent également d’autres auteurs.
Le sociologue camerounais Jean-Marc Ela (1998), par exemple, note qu’en Occident l’Afrique est désormais appréhendée à l’intérieur d’un paradigme général – celui de la “faillite du développement” – qui s’alimente également de la puissante idée d’une “résistance” à la modernisation des sociétés africaines. Par conséquent, si les choses vont mal, elles sont à attribuer à de non mieux identifiés “obstacles culturels”, qui plongent leurs racines dans un substantiel refus de la civilisation et l’irrationalité des croyances traditionnelles. L’économiste Serge Latouche (s.d.) met à son tour en exergue qu’en utilisant pour base d’analyse la supposition de l’irrationalité des systèmes économiques non occidentaux, de nombreux experts occidentaux arrivent à proposer des mesures délétères pour l’économie locales qui sont de désastreuses formes de rationalisation du secteur informel dont on ne parvient pas à comprendre le fonctionnement. Ce même mécanisme est dénoncé par Achille Mbembe (1991) qui révèle comment tout ce qui n’arrive pas à être compris par l’analyste occidental est dé-rubriqué sous le terme “irrationalité africaine”, ce qui le pousse à voir d’un œil bienveillant et compréhensif des phénomènes tels que la corruption ou le clientélisme.
Sur un autre front, Mathieu Thévenin (2002) souligne combien les représentations sur l’irrationalité des africains ont une influence négative dans le domaine de la lutte contre le SIDA. En effet, ne parvenant pas à s’y retrouver dans la complexe dynamique sociale qui tourne autour des comportements vis-à-vis des maladies transmissibles, de nombreux épidémiologistes occidentaux arrivent à supposer une “inaptitude culturelle à la prévention” qui rendrait inapplicables les habituelles stratégies pour limiter l’épidémie. Tribalisme, irrationalité et absence d’autocontrôle se dégagent également des descriptions apparemment plus neutres de l’Afrique. A ce propos Melissa Wall, professeur de journalisme dans une université californienne, se demande pourquoi le Washington Post décrit la foule en fête accueillant le Président Clinton en Afrique du sud lors de son voyage de 1998, comme une «masse d’humanité grouillante, jacassante et dégoulinante de sueur» ou pourquoi Nesweek parle de la guerre civile au Rwanda comme d’une «orgie de massacre tribal». La réponse, selon Ms Wall, est que ces descriptions sont plus faciles et immédiates si elles se mettent à l’unisson de l’idée encore partagée de l’irrationalité africaine si chère aux théoriciens du colonialisme.
"Les petits voyages de Paris-Plaisirs." (Paris Plaisir, Feb. 1930): répresentation d’un harem français avec un serveur eunuque noir.
Source:Jan Nederveen Pieterse, "White on Black: Images of Africa and Blacks in Western Popular Culture", New Haven, Yale UP, 1992
Ces quelques exemples semblent suggérer que si le Mythe du Nord n’est plus proposé sous ses formes plus explicites, les oppositions binaires qu’il a engendrées sont encore pleinement en action. Les catégories de l’irrationalité, de l’incapacité de produire une civilisation, de l’absence d’auto-gouvernement continuent en effet à se reproduire comme de bons raccourcis pour dissimuler les trous de la connaissance, en les enrobant éventuellement de formules plus politically correct, comme celles d’“obstacle culturel”, de “résistance sociale” ou de “conflit tribal”. Ce qui, toutefois ne change rien la substance: aujourd’hui encore le Sud constitue pour de nombreux occidentaux le point où se concentrent les valeurs négatives. Bref, le Mythe du Nord paraît avoir encore de nombreux adeptes inconscients, et l’éradiquer de nos visions de la réalité ne sera certes pas facile.
Traduction: Madeleine Carbonnier _________________ Les Vrais savent. Préviens les autres...
Le “Mythe du Nord” tend à dépeindre les peuples du Sud de la planète comme des gens paresseux et indolents. Or, il y a eu des époques durant desquelles certains de ces peuples voyaient ceux qui habitaient dans des climats plus froids avec tout autant d’orgueilleuse suffisance (et, certainement autant de préjugé).
Ci-dessous, nous reportons par exemple brièvement ce qui est affirmé dans un livre écrit sur la classification des nations écrit en 1068 par Said Ibn Ahmad, cadi de la ville de Tolède, et dans un autre, écrit au X° siècle par le géographe musulman Masu'udi. C’est une curiosité qui vaut la peine d’être signalée, ne serait-ce que pour montrer l’énorme capacité qu’a la pensée humaine de produire – dans les rapports interculturels – des interprétations très différentes les unes des autres à partir des mêmes éléments des faits de base.
Les autres peuples de ce groupe du genre humain, ceux qui n’ont pas cultivé les sciences, ressemblent plus à des bêtes qu’à des hommes. En ce qui concerne ceux qui vivent dans l’extrême nord, entre le dernier des sept climats et les limites du monde habité, l’énorme distance qui les sépare du soleil au zénith fait que l’air y est froid et le ciel dense de nuages, si bien qu’ils ont une âme insensible, des manières frustres, un ventre replet, un teint pâle et une longue chevelure sans aucune vigueur.
Ils ne possèdent donc ni acuité ni esprit lucide et sont en proie à l’ignorance, l’apathie, le manque de discernement et la stupidité.
[…] Leurs croyances religieuses manquent de solidité et ce, à cause de la nature du froid et du manque de chaleur. Plus ils se trouvent au nord et plus ils deviennent stupides, grossiers et incivils. Ces attributs s’accentuent au fur et à mesure que l’on procède vers le nord.
Les matériaux utilisés dans le texte sont tirés du volume “…Non seppellitemi in terradi schiavi … (Ne m’ensevelissez pas dans une terre d’esclaves), édité en 1997 par Operazione Sviluppo dans le cadre d’un projet réalisé avec le soutien des programme contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme de la Commission Européenne.
(de L. d’A.) _________________ Les Vrais savent. Préviens les autres...
Dernière édition par Farao le Mer 28 Sep 2005 12:02; édité 1 fois
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum