Posté le: Mar 04 Oct 2005 14:51 Sujet du message: Histoire du Rwanda.
HISTOIRE DU RWANDA
Introduction
Le Rwanda constitue une triple exception en Afrique :
a - Depuis plusieurs siècles, il forme un Etat - Nation peuplé par trois grands groupes humains : les Twas, les Hutus et les Tutsis.
b - Le Rwanda n'est pas une création du colonisateur qui aurait rassemblé les différentes zones en une nouvelle entité politique composite et à laquelle il aurait imposé un nom de son invention.
c - Ses trois groupes humains, les Twas, les Tutsis et les Hutus, constituent une seule et même ethnie : l’ethnie des Banyarwanda.
On distingue généralement trois périodes dans l'histoire du Rwanda :
1. la période pré-coloniale qui va du XIIIème siècle au XIXème (en 1899) ;
2. la période coloniale : de 1899 à 1962 ;
3. la période post - indépendance (ou post-coloniale) : du 1er juillet 1962 à nos jours.
1) La période pré-coloniale
Selon la tradition, la formation (embryonnaire) du Rwanda comme royaume, commence au XIIIème siècle, mais c'est vers le XVIème que s’installe la dynastie des Nyiginya, qui va, petit à petit, conquérir une cinquantaine de petits royaumes dirigés, chacun, par un roi de droit divin appelé « Umuhinza » ou « Umwami », royaumes qu'il finit par réunir sous son autorité. Ce mouvement s'acheva au XIXème siècle avec le règne de Kigeri IV Rwabugiri, dernier roi indépendant du Rwanda. Après avoir résisté entièrement à la pénétration des esclavagistes arabes le Rwanda fut un des derniers pays africains à être incorporé au système colonial européen à la fin du XIXème siècle (1885).
2) Période coloniale (1899-1962)
1884-1885 : La Conférence Internationale de Berlin attribua les régions du « Rwanda-Urundi » et du Tanganyika à la Compagnie allemande de l'Afrique Orientale qui firent dès 1885 partie de la couronne allemande. L'explorateur anglo-américain Stanley (Sir John Rowland Morton) fut le premier blanc à fouler le sol rwandais sur l'île du lac Ihema. Il se heurta à la farouche hostilité des habitants et se replia immédiatement.
1892 : Oscar Baumann, docteur allemand traverse le Rwanda par l'Est et continue vers le Burundi.
1894 : Le Comte von Gotzen est reçu par le roi Kigeli IV Rwabugiri (ou Rwabugili) à Kageyo.
1895 - 1896 : règne de Rutalindwa sous le nom dynastique de MibaMbwe IV.
1896 : «Coup d'état de Rucunshu», Musinga succède à Mibambwe IV sous le nom dynastique de Yuhi V.
1899 : Le Rwanda devient un Protectorat allemand.
1900 : Le roi Yuhi Musinga reçoit les premiers missionnaires catholiques européens, «les Pères Blancs».
1919 : Après la défaite de l'Allemagne et son retrait en 1918, le Conseil Supérieur des Puissances Alliées confia à la Belgique le Mandat sur le «Ruanda-Urundi». La Société des Nations (S.D.N, ancêtre de l'O.N.U ) ratifiera le Mandat en 1923 qui sera transformé en «Tutelle» en 1946.
1925 : Le « Rwanda-Urundi » est officiellement annexé au Congo belge et placé sous l'autorité d'un Vice-Gouverneur Général.
1931 (12 novembre) : le roi Yuhi V Musinga, qui regardait d'un oeil très méfiant le gouvernement belge et le catholicisme, fut destitué et remplacé par son fils Rudahigwa Mutara III, alors âgé de 20 ans (intronisé le 16 novembre 1931). MUSINGA fut exilé au Congo Belge à Moba (près de Kalemie) où il mourra le 25 décembre1944, après avoir séjourné quelques temps à Kamembe (Cyangugu).
1926-1935 : réorganisation administrative du Rwanda:
le Résident MORTEHAN supprime la triple hiérarchie administrative : les fonctions de chef d'armées furent supprimées, celles de chefs du sol et de pâturage attribuées à l'Administrateur du territoire - exclusivement belge, cheville ouvrière de l'administration coloniale.
1934-1935 : le peuple rwandais fut soumis à un « recensement » unique en son genre. Il s'agissait plutôt d'un « échantillonnage », effectué au niveau des sous-chefferies, qui porta sur les hommes adultes et valides. Au cours de ce recensement, l'administration imposa comme critère d'appartenance au groupe « ethnique » TUTSI le fait de posséder au moins dix têtes de bétail bovin. Le reste de la population fut assimilé aux groupes « ethniques » HUTU ou des TWA selon les professions. Le livret d'identité portant la mention du «groupe ethnique» de chaque citoyen fut introduit au Rwanda à cette époque. Ceci eut pour conséquence immédiate de figer chaque citoyen rwandais dans tel ou tel groupe ethnique HUTU, TUTSI ou TWA, contrairement à la réalité sociologique du pays.
1943 (17 octobre) : Baptême du jeune roi RUDAHIGWA , MUTARA III, suivi de ses chefs et sous-chefs, ce qui lui attira les faveurs et le soutien de l'Eglise Catholique. La même année, l'Administration belge remplaça tous les chefs hutus par les chefs tutsis désignés par le roi.
1945 : le roi MUTARA III, proposa la suppression du contrat de clientèle pastorale «Ubuhake» qu'il trouvait inadapté et « non équitable ». Il sera supprimé en 1954. Peu après, l'administration coloniale, malgré elle, accepta la suppression des travaux publics non rémunérés et exécutés avec contrainte.
1946 : le Rwanda - Urundi devient un territoire sous tutelle de l'ONU et le 27 octobre de la même année, consécration du Rwanda au Christ-Roi par le Roi MUTARA III.
1949 : Mutara III, s'opposa à la chicote (punition infligée aux hommes adultes : ils étaient battus en public, souvent devant leurs familles) au grand mécontentement de l'administration coloniale. C'est encore lui qui déclare en 1958 que les termes hutu, tutsi et twa ne devaient plus figurer sur pièces d’identité, fiches scolaires, etc... , que tous les habitants du pays n’avaient qu’un nom : « rwandais».
1954 : la suppression du contrat « Ubuhake ».
1955 : la Belgique nomme M. J.-P. Harroy, Gouverneur du « Rwanda-Urundi ».
1956 : Rudahigwa demande une indépendance totale et la fin de l'occupation coloniale belge.
Dans la même année le Vatican nomme Mgr Perraudin, un suisse, Archevêque du Rwanda.
Le Conseil Supérieur du Pays réclama un traitement équitable entre fonctionnaires européens et rwandais, suivant le principe de « salaires égaux à formation et compétence égales».
Le Conseil Supérieur réclama que l'accession aux fonctions de chef et de sous - chef soit soumise à une élection. Cette réclamation sera renouvelée en 1959, en même temps qu'un calendrier précis pour l'accession du pays à l'autonomie et à son indépendance.
1957 : La publication du « Manifeste des Bahutus ».
1959 : · 15 février : naissance du parti politique l’APROSOMA , Association pour la Promotion Sociale des Masses, fondateur Joseph GITERA avec l'aide des Missionnaires.
· 25 juillet : mort inopinée, dans des circonstances mystérieuses, de Mutara III Rudahigwa, à Bujumbura.
· 28 juillet : Enterrement de Mutara III et Intronisation de Jean-Baptiste Ndahindurwa, demi-frère de Rudahigwa, sous le nom dynastique de KIGELI V (ou KIGERI V).
· 3 septembre : création de l’UNAR, Union Nationale Rwandaise, 1er Président François RUKEBA (l'idée de la création de l'UNAR, comme association dès le mois de mai 59, était l'oeuvre de Mutara III).
· 14 septembre : Naissance du RADER, Rassemblement Démocratique Rwandais, créé par le Résident Preud'homme et son Adjoint M. Regnier. Ses membres étaient surtout les anciens « astridiens », anciens du groupe scolaire de Butare (ex-Astrida).
· 09 octobre : investiture de Kigeli V.
· 18 octobre : naissance du PARMEHUTU, Parti du Mouvement de l'Emancipation Hutu, fondé par le Père Andriatis et le Chanoine Ernotte, il fut lancé officiellement par Grégoire Kayibanda comme « Mouvement » en mai 1957.
· 3 Novembre : déclenchement de la guerre civile, qui sera qualifiée plus tard de « Révolution de 1959 » et de « révolution assistée » par J-P Harroy dernier gouverneur du Ruanda - Urundi.
3) Première République
26 octobre 1960 : Formation du premier gouvernement provisoire, Grégoire KAYIBANDA est Premier Ministre.
28 janvier 1961 : Abolition de la monarchie; son emblème KALINGA fut remplacé par un drapeau et la République fut proclamée. Dominique MBONYUMUTWA est élu Président provisoire de la République.
25 septembre 1961 : Les élections législatives et le référendum sur l'ancien et le nouveau régime, organisés sous les auspices de l'ONU, et dans des conditions contestables, confirmèrent la proclamation du 28 janvier 1961.
1 juillet 1962 : Le Rwanda recouvre son indépendance.
22 décembre 1963 : Tentative de retour armé des réfugiés Tutsis provenant des pays limitrophes, principalement du Burundi ; les autorités rwandaises disposeront d'un prétexte pour éliminer des milliers de Tutsis restés au Rwanda, « en guise de représailles ».
1965 : le MDR/PARMEHUTU sera déclaré parti unique. KAYIBANDA est réélu Président de la République et HABYARIMANA Juvénal est nommé Ministre de la Défense et de la Garde Nationale.
1966-1967 : Nouveaux massacres à l'occasion d'une nouvelle incursion armée d'une poignée de réfugiés Tutsis dans le sud du pays (commune NSHILI, préfecture de GIKONGORO).
1969 : le PARMEHUTU est rebaptisé MDR (Mouvement Démocratique Républicain) et Grégoire KAYIBANDA est «re-réélu » (pour la troisième fois ! ! ) Président de la République.
5 juillet 1973 : le Président Grégoire KAYIBANDA est renversé par un coup d'état militaire dirigé par le Général Major Juvénal HABYARIMANA, alors Ministre de la Défense de la Garde Nationale. HABYARIMANA éliminera presque tous les ministres, directeurs généraux et officiers supérieurs du Gouvernement précédent de Grégoire KAYIBANDA (principalement « les gens du sud ») et ce dernier mourra dans le dénuement et l'indifférence totale de ses compatriotes qui ne juraient que par KAYIBANDA, le père de la première République, quelques mois avant le coup d'état ! !
1975 : HABYARIMANA crée le Mouvement Révolutionnaire Nationale pour le Développement (le MRND).
1978 : Le Président HABYARIMANA introduit une nouvelle constitution et décrète le MNRD, Parti unique dont tout Rwandais est membre dès la naissance.
1979 : Un groupe de Rwandais exilés au Kenya crée le « Rwandese Alliance for National Unity » (RANU). Les objectifs du RANU étaient de trouver une solution au problème des réfugiés rwandais, et de combattre la dictature au Rwanda.
1982 - 1983 : Le régime de Milton OBOTE chasse d'Ouganda des milliers de réfugiés rwandais et des ougandais d'origine rwandaise. Le Gouvernement rwandais refuse l'entrée à quelques uns, détient d'autres dans les camps à l’intérieur du Rwanda, une partie de ceux-ci fut tuée.
1987 : le RANU devient RPF (Rwandese Patriotic Front) ou en français, le Front Patriotique Rwandais : FPR.
1988 (août) : 14 délégations des réfugiés rwandais organisent un congrès à Washington D.C. pour essayer de trouver une issue pacifique au problème de milliers de réfugiés rwandais dans le monde. La résolution de ce Congrès a été notifiée au Gouvernement Rwandais qui était invité, mais qui a préféré « snober » la rencontre.
1 octobre 1990 : attaque du Rwanda par l'APR (Armée patriotique rwandaise) branche armée du FPR.
1991 : le FPR et le Gouvernement Rwandais signent les Accords de cessez-le-feu de N'sele.
4 août 1993 : le Gouvernement Rwandais et le FPR signent les Accords de Paix d'Arusha (Tanzanie).
6 avril 1994 : l'avion qui transportait les présidents rwandais et burundais, en provenance de Tanzanie, est abattu au-dessus de Kigali.
7 avril - 3 juillet 1994 : début du génocide des Tutsis et le massacre des Hutus, par les milices du MRND et du « HUTU POWER » ; ce 7 avril, dix casques bleus belges seront tués en même temps que le Premier Ministre Agathe UWILINGIYIMANA, qu'ils protégeaient. Trois civils belges seront aussi tués dans la préfecture de Gisenyi (Rambura).
4 juillet 1994 : Prise simultanée des villes de Kigali et Butare par l'APR. Le régime génocidaire s’enfuit au Zaïre en amenant avec lui plus de deux millions de paysans.
22 juin 1994 : Les forces françaises de l'opération Turquoise entre au Rwanda, par la force, par la préfecture de Cyangugu. Le Conseil de sécurité avait été amené à accepter cette opération, qualifiée d'humanitaire par les Français eux-mêmes, sauf la Chine. L'opération Turquoise a en fait couvert la fuite du Gouvernement génocidaire de KAMBANDA avec son armée et ses milices INTERAHAMWE vaincus qui trompaient la population et la prenait en otage vers le Congo et d'autres pays voisins du Rwanda. L'objectif de l'opération Turquoise était de diviser le pays en deux zones : la zone contrôlée par le FPR et la zone contrôlée par le Gouvernement génocidaire, afin d'amener plus tard les deux parties à négocier pour ramener la paix ... Chose inacceptable, car le FPR n'avait rien à négocier avec les gens qui venaient d'assassiner plus d'un million de personnes et qui avaient détruit toutes les infrastructures du pays.
19 juillet 1994 : le FPR et sept autres partis politiques créent un gouvernement d'union nationale, M. Faustin TWAGIRAMUNGU est Premier Ministre. A ce moment le Rwanda sortait de la guerre, du génocide et des massacres qui ont causé la mort de plus d'un million de citoyens innocents, d'autres trouvant refuge à l'extérieur du pays. Le Rwanda connaissait alors des moments très difficiles : l'insécurité à ses frontières, la pauvreté issue du pillage et de la destruction des biens appartenant aux familles et au pays. Six ans plus tard, malgré les difficultés de toutes sortes, le Rwanda compte plusieurs réalisations dans différents domaines : sécurité intérieure, renforcement de la démocratie, coopération internationale, etc ...
ki nèg nwè ki nèg klè
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tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
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senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
L’histoire rwandaise montre qu’à partir de 1725 environ, les opérations de défrichement, qui ont été suivies d’un mouvement de sédentarisation ont été accomplies dans le même temps et sur les mêmes collines par les pasteurs et les agriculteurs. Tutsis et Hutus se sédentarisent ensemble, coexistent sur une même terre et parlent une même langue.
Il semble qu’à cette époque, les défricheurs aient eu une conscience très nette de leur appartenance à la catégorie sociale des Tutsis ou des Hutus, à celle des pasteurs ou des agriculteurs. Faute d’informations sur l’état de leurs relations sociales, rien ne permet toutefois de dire qu’il existait une relation de dépendance des uns vis-à-vis des autres.
En conséquence, ne relevant ni des ethnies, ni des classes sociales, Hutus et Tutsis s’apparentent plutôt aux ordres existant dans l’Europe d’avant 1789 -Stand, en allemand- c’est-à-dire à des groupes structurés à partir de leur activité. Ceci n’exclut d’ailleurs pas, pour reprendre la thèse formulée par M. Gérard Prunier devant la Mission, qu’Hutus et Tutsis soient d’origines différentes si l’on se place dans le temps long de l’histoire, même si, après plusieurs siècles, ils s’étaient largement assimilés les uns aux autres par le biais du mariage.
A la veille de la pénétration européenne, il n’existait donc aucun des critères permettant de définir ce que l’on a appelé une ethnie. Les premiers observateurs ont relaté toutes sortes de conflits d’ordre politique ou de caractère régional mais n’ont jamais fait état d’affrontement ethnique opposant éleveurs et agriculteurs, Hutus et Tutsis.
Le processus d’ethnicisation de la société rwandaise commence avec l’arrivée des premiers colons européens, en 1894. Il s’agit donc d’un phénomène relativement récent, même si : " la théorie campant des portraits contrastés du nègre de " l’Afrique des Ténèbres " et du mystérieux Oriental venu s’aventurer parmi eux avait déjà été forgée à partir des contacts avec d’autres régions d’Afrique et des réflexions anthropologiques de l’époque(10). " En un sens, il n’y a pas à proprement parler de découverte du Rwanda, mais plutôt une invention du Rwanda contemporain : " l’historiographie coloniale, qui va s’attacher " à fonder scientifiquement " le modèle racial (...) structure encore aujourd’hui la vision d’une large part de la population rwandaise. Ainsi, les Bantous (assimilés à la catégorie des agriculteurs hutus) se seraient installés dans un espace à peine défriché par les premiers occupants pygmoïdes (les Twas), Hutus et Twas étant ensuite eux-mêmes confrontés à l’arrivée d’éleveurs " hamites " (catégorie réduite progressivement à sa composante tutsie) qui, avec leur bétail, se seraient infiltrés dans tout l’espace laissé libre et auraient imposé progressivement leur loi sur l’ensemble des hautes terres centrales de cette région d’Afrique et leurs marges "(11).
Cette reconstitution pseudo-scientifique et largement mythique du passé, qui sera relayée durant toute la période coloniale par l’ensemble des élites rwandaises et européennes, a été largement déconstruite par l’historiographie contemporaine sans que celle-ci réussisse pour autant à faire disparaître totalement cette construction mythologique. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter à la lecture de certaine publication récente pour y apprendre que " les Tutsis se caractérisent par une apparence physique élancée, un nez fin, des cheveux lisses, ils sont traditionnellement pasteurs, anciens nomades, et ont depuis longtemps dominé politiquement et militairement la région. Les Hutus sont de type négroïde. Ils sont plus petits, aux cheveux crépus. Leur mode de vie est sédentaire et orienté vers l’agriculture. L’histoire récente du Rwanda est émaillée de luttes entre les Hutus et les Tutsis qui se sont traduites par une série de massacres "(12).
Tutsis évolués et Hutus faits pour obéir : ce mythe fut méthodiquement véhiculé pendant plusieurs décennies par les missionnaires, les enseignants, les intellectuels, les ethnologues et les universitaires qui accréditèrent cette vision de la société rwandaise jusqu’à la fin des années soixante.
Avec la " révolution sociale " de 1959 et l’accession du Rwanda à l’indépendance en 1962, le " piège ethnique " devient un " piège raciste ", pour reprendre l’expression de Mme Claudine Vidal, et comme le laissait présager d’ailleurs l’évolution durant les années 50 : " Les rivalités entre " évolués " hutus et tutsis, devenues ouvertement antagonistes, commencèrent à s’exprimer en termes de " races ", notions d’origine occidentale, qui n’existaient pas dans l’ancienne société. " En témoigne le manifeste des Bahutu de 1957 qui, ainsi que l’a souligné M. José Kagabo, Maître de conférence à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, lors de son audition devant la Mission, " récuse (...) toute idée de métissage au profit de la recherche d’une pureté raciale ".
Les changements politiques qui affectent le Rwanda lors de l’indépendance, loin d’atténuer le clivage ethnique, le renforcent. " Le paradoxe du " 1789 rwandais " est d’avoir consolidé ces " ordres ", en inversant leurs indices de valeur au lieu de les abolir "(13), souligne M. Jean-Pierre Chrétien. Le même auteur souligne que " l’équation entre " noblesse ", " caste tutsie " d’une part et " race bantoue " d’autre part sortait des livres et des pratiques d’une administration coloniale pour entrer officiellement dans la vie d’un pays africain. "
La première République se constitue ainsi dans un " brouillage quasi-total des références politiques avec, d’un côté, des monarchistes indépendantistes tutsis, soutenus par les nouveaux mouvements progressistes que s’est donnés le tiers-monde et par les puissances communistes -ce qui leur vaudra d’être taxés de " bolchevistes " par la puissance coloniale- et, de l’autre côté, les serfs hutus qui poursuivent leur quête d’émancipation sous la double tutelle de l’administration belge et de la haute hiérarchie catholique expatriée " (André Guichaoua). Cette confusion politique et idéologique s’exprime clairement dans le concept de " démocratie majoritaire hutue ", exprimé en kinyarwanda par le terme rubanda nyamwinshi (" le peuple majoritaire ") : celui-ci renvoie en effet " à une sorte de situation coextensive, l’idée étant que les Hutus forment 85 % de la population, il suffisait que l’un d’entre eux soit au pouvoir pour que la démocratie soit réalisée " (Gérard Prunier).
Comme l’a fait remarquer M. André Guichaoua lors de son audition devant la Mission, il est certain, dans ces conditions, que cette confusion a considérablement favorisé le développement de l’ethnisme et a permis par la suite sa manipulation par certaines forces politiques. La fin de la période coloniale et les premières années de la présidence de Grégoire Kayibanda sont d’ailleurs marquées par une exacerbation des conflits ethniques. Lors de la " révolution sociale " de 1959, quelque 300 000 Tutsis s’enfuient dans les pays limitrophes à la suite de combats meurtriers entre bandes rivales hutues et tutsies et de massacres de populations tutsies. De 1963 à 1966, les incursions armées des Tutsis exilés (les " Inyenzi ") se soldent systématiquement par le massacre des Tutsis de l’intérieur, otages faciles pour les dirigeants hutus. Même s’il est vrai que la violence fait partie intégrante de l’histoire rwandaise, plus qu’une " tradition de massacre ", ces événements reflètent une instrumentalisation du phénomène ethnique. A l’évidence, comme le souligne au cours de son audition M. Jean-Pierre Chrétien, " en accréditant le fantasme de l’homogénéité des intérêts au sein de tout un groupe défini par sa naissance ", le pouvoir rwandais s’est dispensé de la nécessité de mener une politique qui aurait permis de résoudre ou de s’attaquer aux véritables enjeux sociaux, politiques ou économiques.
A cet égard, la seconde République, qui se met en place avec l’arrivée au pouvoir de Juvénal Habyarimana en 1973, a pu faire illusion. Au-delà du fait que le nouveau Président se veut le réconciliateur national, le clivage ethnique semble gommé et laisse place à une ancienne opposition régionale. L’organisation des troubles ethniques suivant le coup d’Etat de 1973 masque mal la réalité des luttes politiques entre Hutus du nord, vainqueurs, et Hutus du sud, dont l’élite est décimée par le nouveau pouvoir. Dans un tel contexte, l’instauration de quotas pour l’emploi des principales fonctions administratives en 1974 est présentée par le Président comme la reconnaissance des droits de la minorité et l’instrument d’ancrage définitif de la démocratie. De même, la dégradation de la situation économique, puis politique, dans la deuxième moitié des années 1980, ne comporte pas de dimension ethnique, à tel point qu’un spécialiste de la région peut écrire en 1989 que la question ethnique n’est plus à l’ordre du jour. L’attaque lancée par le FPR le 1er octobre 1990, sur laquelle se greffent les difficultés économiques, les revendications politiques et le réveil de la société rwandaise, devait prouver -par les réactions qu’elle devait susciter de la part du pouvoir de Kigali- que l’ethnisme restait bel et bien une " ressource politique dormante ", pour reprendre l’expression du professeur André Guichaoua, sans que le régionalisme disparaisse pour autant.
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Le génocide comme stratégie de guerre totale
L’inavouable responsabilité française au Rwanda
Il y a dix ans, entre avril et juillet 1994, le Hutu Power massacrait plus de 800 000 personnes, principalement Tutsies. L’horreur ne prit fin qu’avec la défaite militaire des génocidaires devant les soldats du FPR de Paul Kagamé. Patrick de Saint-Exupéry, journaliste au Figaro, a assisté en spectateur privilégié à cette folie meurtrière. Il a vu les charniers, parlé avec des Tutsis en fuite et des Hutus en chasse. Il a côtoyé l’armée française lorsque François Mitterrand décida finalement de la déployer pour des « buts humanitaires ». Il est rentré en France, hanté par ce qu’il avait pu voir, mais décidé à comprendre pourquoi la France a soutenu jusqu’au bout le régime génocidaire. Il publie le fruit de ses réflexions dans un livre époustouflant, L’Inavouable. La France au Rwanda.
Comme d’autres génocides, celui du Rwanda a ses négationnistes : ils tentent de mettre sur le même plan le massacre systématique des Tutsis par les Hutus et les crimes de guerre perpétrés ultérieurement par le FPR sur les Hutus en fuite. Une rhétorique semblable à celle des négationnistes du génocide juif, qui mettent en balance le camp d’extermination d’Auschwitz et le bombardement de Dresde. C’est d’ailleurs ce discours, relayé au plus haut niveau, qui a suscité chez Patrick de Saint-Exupéry le besoin irrépressible de raconter « l’inavouable » : en septembre 2003, alors qu’il écoute Radio France Internationale dans sa voiture, à Moscou [1], il entend le ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin, évoquer « les génocides » rwandais. Pour le journaliste, « ce pluriel n’a l’air de rien, mais il est terrible ». « Il m’a tétanisé », écrit-il. Il lui rappelle en effet des déclarations de François Mitterrand au sommet franco-africain de Biarritz : au cours de la conférence de presse, le président de la République française avait parlé du « génocide » rwandais. En revanche, dans la version écrite de son discours distribuée à la presse, il était fait mention « des génocides ». Invité à expliquer cette dissonance, il avait eu ces mots glaçants : « Vous voulez dire que le génocide s’est arrêté après la victoire des Tutsis ? Je m’interroge aussi... »
Patrick de Saint-Exupéry se relance donc à corps perdu dans l’enquête sur l’implication française dans le génocide rwandais qu’il avait initiée au printemps 1998 par la publication d’une série d’articles dans Le Figaro. Il adresse son propos directement à Dominique de Villepin, qu’il souhaite emmener avec lui sur les lieux du crime, au cours d’un voyage imaginaire rendu possible par la littérature : « Vous serez, Monsieur, mon fil d’Ariane. Mon interlocuteur imaginaire. Le point d’appui sur lequel je me reposerai pour avancer au fond des ténèbres. Mon témoin. ». Et plonge le lecteur au cœur du « pays aux Mille collines ».
Le Rwanda sous mandat : la construction d’un antagonisme ethnique
Petit pays, d’à peine plus de 25 0000 kilomètres carrés, le Rwanda est une oasis tempérée au sein de l’Afrique des grands lacs équatoriale. Le climat y est doux et humide, du fait d’un relief particulièrement montagneux qui lui vaut son surnom de pays aux Mille collines. Majoritairement tourné vers l’agriculture, il est très propice au développement humain et est donc densément peuplé, avec près de 8 millions d’habitants en décembre 1993. Au sein de cette population coexistent deux ethnies principales : les Hutus, qui représentent 80 % de la population totale, et les Tutsis, qui en représentent 15 %. Cette précision ne serait pas nécessaire en temps normal : dans de nombreux pays d’Afrique, les ethnies se mélangent, se brassent, vivent ensemble. Même au Rwanda, où Hutus et Tutsis sont aujourd’hui présentés comme des ennemis irréconciliables, les deux groupes ont vécu ensemble pendant des siècles. Comme l’écrit Gérard Prunier, à l’origine « ces groupes ne répondaient aucunement à la définition d’une "tribu", c’est-à-dire d’une micro-nation. En effet, ils parlaient tous la même langue d’origine bantoue, vivaient côte à côte sans que se constitue un "Hutuland" ou un "Tutsiland" et les mariages mixtes étaient fréquents » [2].
Mais l’ethnisme est devenu un moyen pour les puissances coloniales d’assurer leur domination sur les populations qu’elles contrôlent : en distinguant les Tutsis des Hutus et en les opposants, les Allemands, puis les Belges, avaient choisi de promouvoir au Rwanda « une race des seigneurs » et de s’appuyer sur elle pour tenir le pays [3]. À l’inverse, à l’approche de l’indépendance, les puissances occidentales renversent leurs alliances. Dans le cadre d’une opposition ethnique qu’elles ont créée, elles ne cherchent plus à s’appuyer sur une minorité pour contrôler une multitude, mais sur une majorité apte à gagner des élections.
En outre, à la fin de leur mandat, les autorités coloniales aussi sont encouragées à jouer la carte des Hutus par l’Église catholique. Celle-ci tente de reprendre le contrôle de l’Église locale où le clergé indigène, qu’elle a formé surtout parmi les Tutsis, lui échappe. Les Belges s’appuient donc désormais sur le Parti du Mouvement et de l’Émancipation Hutu (PARMEHUTU) de Grégoire Kayibanda, qui n’est autre que le secrétaire particulier de Mgr Perraudin, le vicaire apostolique suisse. La même année, en 1959, ont lieu les premiers massacres de Tutsis. Le 28 janvier 1961, le pays accède à l’indépendance : toutes les fonctions exécutives sont confiées à des Hutus. Cette indépendance est officiellement reconnue le 1er juillet 1962.
Les bases des tensions ethniques sont donc d’ores et déjà posées. La minorité tutsie, qui est exclue du pouvoir, quitte le pays quand elle le peut, d’autant que les exactions menées par les milices hutus se multiplient. Les exilés se regroupent au Burundi ou en Ouganda, d’où ils lancent parfois des raids en territoire rwandais, qui provoquent en représailles des actions encore plus violentes du régime de Kigali envers les Tutsis restés au Rwanda. Dans le même temps, la France prend le relais de la Belgique non seulement au Rwanda, mais dans toute la région. Elle se fait le chantre de la « démocratie ethnique » : comme les Hutus sont l’ethnie la plus nombreuse, il est logique qu’ils occupent l’ensemble des postes de pouvoir [4]. Dès 1962, Paris signe un accord de coopération civile avec Kigali.
En 1973, un militaire plus extrémiste encore, Juvénal Habyarimana, s’empare du pouvoir à l’issue d’un coup d’État. Comme le dictateur précédent, Kayibanda, dont le procès en béatification est ouvert à Rome, le nouveau président s’appuie sur l’Église catholique. Mais il place aux postes gouvernementaux des représentants des factions militaires nordistes dont il est issu. L’année suivante, la France signe un accord général de coopération militaire technique avec le Zaïre, puis un autre avec le Burundi [5], enfin un troisième avec le Rwanda au terme d’un safari mémorable, au cours duquel Valéry Giscard d’Estaing fait le coup de feu aux cotés de Juvénal Habyarimana. La France s’engage par ailleurs à fournir une aide en armement à hauteur de 4 millions de francs par an.
Habyarimana-Mitterrand : une alliance aveugle
Le régime d’Habyarimana devient, avec le temps, de plus en plus raciste et totalitaire. À partir de 1978, la nouvelle Constitution prévoit que le maintien de l’identification ethnique sur les cartes d’identité, tandis que tout Rwandais est intégré, dès sa naissance, au parti unique, le MRND. Dévoyant le système traditionnel de l’umuganda, l’État et l’Église catholique contraignent toute la population à leur donner des journées de travail selon un principe qualifié de « travaux forcés » par le Bureau international du Travail.
La France ne s’émeut de cette situation : lorsqu’en 1983, Thérèse Pujolle, chef de la mission de coopération civile à Kigali depuis 1981, témoigne des violations des droits de l’homme perpétrées par le régime, elle est sèchement rembarrée par son administration : « Les droits de l’homme ne vous regardent pas. Faites du développement », lui dit-on en substance.
Les relations entre les deux pays sont marquées par les liens personnels qui unissent ses dirigeants. Jean-Christophe Mitterrand, le propre fils du président français, est un ami proche de Jean-Pierre Habyarimana, le fils du président rwandais. Thérèse Pujolle raconte ainsi comment « Papamadit » « avait un hélicoptère à sa disposition pour aller en safari photo. Le gendarme de la coopération a protesté, il a perdu. À chaque fois que Jean-Christophe Mitterrand débarquait, quinze Mercedes l’attendaient. ».
Le soutien militaire français ne correspond bien sûr à aucune connivence idéologique, mais pas non plus à des intérêts précis. Il reflète une division de l’Afrique en zones d’influence et la volonté d’application des méthodes coloniales par les gouvernements autochtones pour contrôler des populations jamais souveraines. Lors d’une mini-offensive lancée par le Front patriotique rwandais (FPR), organisation armée d’exilés tutsis, la France déclenche l’opération Noroît et envoie sur le front 150 hommes du 2e Régiment étranger de parachutistes (2e REP) stationnés en République centrafricaine. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, le régime organise un simulacre d’attaque sur Kigali avec la complicité des militaires français. Il en rend responsable le FPR, décrète l’état de siège et instaure un couvre-feu intégral. Dans la foulée, les principaux opposants politiques, qu’ils soient hutus ou tutsis, sont accusés de connivence avec le FPR et arrêtés. En outre, pour couper tenter de couper le soutien populaire du FPR, 10 000 Tutsis désignés comme boucs émissaires sont arrêtés. La population civile tutsi du Mutara subit une vague de tueries. Au final, les troupes franco-rwandaises parviennent à repousser le FRP en Ouganda.
Les amitiés familiales n’expliquent pas tout. Les vieux réflexes néo-coloniaux non plus. Les intérêts géostratégiques ne sont pas plus évidents. Pourtant, il apparaît, au fur et à mesure que l’on progresse avec Saint-Exupéry dans la découverte du Rwanda, qu’il y a un peu de tout ça dans les relations franco-rwandaises. Un cocktail explosif, qui contribue à l’escalade et mène au pire. La version officielle des décideurs français, telle qu’ils ont eu la possibilité de la rapporter lors de leur audition devant la Mission d’information parlementaire, en 1998, est que la France a manqué de discernement et n’a pas mesuré la dérive génocidaire du régime qu’elle soutenait. C’est précisément l’inverse que démontre Saint-Exupéry : plus les signaux émanant de Kigali se font inquiétants et menaçants, au point que des documents parlent dès 1992 de risques de massacres de grande ampleur, plus Paris renforce son soutien. Interrogé par Saint-Exupéry, Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand, dresse ce parallèle troublant : « Si nous avons une responsabilité au Rwanda, c’est à la manière de Nixon et Kissinger qui enclenchèrent le processus menant au génocide cambodgien ».
L’escalade
Fin 90, la France accorde un prêt de 84 millions de francs « pour le développement », puis un second, par le biais de la Caisse centrale de coopération économique, de 49 millions, « pour la réalisation de divers projets ». Ils serviront en réalité à l’achat, par Kigali, de nouveaux armements. De 1990 à 1993, les livraisons d’armes seront de 86 millions de dollars par an, par l’intermédiaire de la manufacture d’armes sud-africaine Armscor. Pourtant, les massacres de tutsis se poursuivent, de façon sporadique, même après le commencement des négociations avec le FPR, début 1992. En juillet, le gouvernement rwandais et le FPR de Paul Kagamé signent un accord de cessez-le-feu à Arusha, en Tanzanie. D’août à décembre se déroulent néanmoins des massacres de Tutsis et d’opposants hutus, surtout de la part du mouvement de jeunesse du parti, les milices Inteahamwe. En novembre, le président Habyarimana il dénonce le « chiffon de papier » des premiers accords d’Arusha lors d’un discours devant le parti unique.
Tout cela est connu des services de renseignement français, des chefs militaires déployés sur place, et donc des décideurs de l’Élysée. En octobre, le sénateur belge Kuypers dénonce le rôle des escadrons de la mort (les « réseaux Zéro ») et la politique raciste du régime Habyarimana. En 1993, la France va pourtant à nouveau engager ses forces aux côtés de l’armée rwandaise pour empêcher une offensive du FPR. En février, le capitaine Paul Barril, ancien responsable de la cellule antiterroriste de l’Élysée, est engagé par le ministre rwandais de la Défense, en vue d’une mission dont le nom de code est « opération Insecticide ». Dans le même temps, les négociations entre Habyarimana et le FPR progressent. Le 4 août, de nouveaux accords sont signés à Arusha. Ils prévoient les modalités d’un partage du pouvoir entre hutus et tusis, le retour des réfugiés rwandais et la fusion des deux armées. Les forces françaises mises en place lors de l’opération Noroît quittent donc le pays en décembre, peu de temps avant que n’arrive à Kigali le 3e bataillon d’élite du FPR, choisi pour représenter le parti dans la capitale.
Quand Paris formait les génocidaires
De retour à Paris après le génocide, Patrick de Saint-Exupéry a cherché à comprendre les raisons du soutien de la France au régime Habyarimana. Il évoque la coopération militaire franco-rwandaise avec « un haut responsable, un homme issu de notre diplomatie », qui lui répond : « Comment ! Vous imaginez des soldats français entraînant des assassins ? ». C’est pourtant bien ce qui s’est produit.
Plusieurs éléments attestent de la présence d’instructeurs français pour former les officiers les plus radicaux de l’armée rwandaise, qui constitueront peu après le noyau dur de l’appareil génocidaire. Il y a d’abord le témoignage de Janvier Africa, ancien membre des escadrons de la mort, le « Réseau Janvier » : le 30 juin 1994, il confie au journaliste sud-africain Mark Huband, du Weekly Mail and Guardian de Johannesbourg, avoir été formé par des instructeurs français : « Les militaires français nous ont appris à capturer nos victimes et à les attacher. Cela se passait dans une base au centre de Kigali. C’est là qu’on torturait, et c’est là également que l’autorité militaire française avait ses quartiers. [...] Dans ce camp, j’ai vu les Français apprendre aux Interahamwe à lancer des couteaux et à assembler des fusils. Ce sont les Français qui nous ont formés - un commandant français - pendant plusieurs semaines d’affilée, soit au total quatre mois d’entraînement entre février 1991 et janvier 1992. » [6]. En mars 1993, une enquête internationale est diligentée sur les massacres de Tutsis au Rwanda : l’un des membres de cette commission, Jean Carbonate, affirme avoir vu des instructeurs français dans le camp de Bigogwe, où « l’on amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués ». Ces informations seront confirmées ultérieurement par la Mission d’information parlementaire.
La coopération entre les deux pays va même plus loin : en février 1992, le Quai d’Orsay envoie une note à l’ambassade de France à Kigali selon laquelle « le lieutenant-colonel Chollet, chef du Dami, exercera simultanément les fonctions de conseiller du Président de la République, chef suprême des Forces armées rwandaises, et les fonctions de conseiller du chef d’état-major de l’armée rwandaise ». Le responsable des forces françaises déployées au Rwanda devient, par là même, le commandant de l’armée rwandaise. Les responsabilités de la France sont donc bien plus importantes que celles officiellement avouées : lors du déclenchement du génocide, à l’occasion de l’attentat contre l’avion présidentiel de Juvénal Habyarimana, la France peut compter, sur place, sur la présence de onze militaires du Département d’assistance militaire à l’instruction (Dami), en civil, pourtant sensés avoir officiellement quitté le Rwanda en décembre 1993. Sur place également, le capitaine Paul Barril, prestataire de services spéciaux.
Panique française
Pour stopper le génocide, le Front patriotique rwandais (FPR) attaque l’armée régulière (FAR), et gagne quelques batailles. L’attitude des autorités françaises traduit une précipitation à la limite de la panique : l’ambassade de France détruit toutes ses archives sur ordre de l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud. Dans le même temps, les ressortissants français et les principaux tenants hutus de l’idéologie génocidaire sont exfiltrés via Bangui, en Centrafrique : notamment la propre femme du président assassiné, Agathe Habyarmina, ses frères Séraphin Rwabukumba et Protais Zigiranyirazo, et l’idéologue Ferdinand Nahimana. Contrairement à ce qu’affirme aujourd’hui la diplomatie française, les livraisons d’armes se poursuivent. Le gouvernement intérimaire, composé des éléments les plus extrémistes de l’ancienne garde rapprochée d’Habyarimana, est reçu à plusieurs reprises par les responsables français à Paris. Le 9 mai, le lieutenant-colonel Ephrem Rwanbalinda, conseiller du chef d’état-major de l’armée rwandaise, est reçu à la Mission militaire de Coopération par le général Jean-Pierre Huchon. Selon ce dernier, « il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda, de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale. Entre-temps, la Mission militaire de coopération prépare les actions de secours à mener en notre faveur. » Jean-Pierre Huchon promet également de fournir du matériel de communication cryptée pour maintenir le contact entre les FAR et Paris.
Devant l’ampleur surprenante des succès militaires du Front Patriotique Rwandais, la France décide d’intervenir au grand jour, officiellement « pour des raisons humanitaires ». Ce sera l’opération Turquoise. Les propos du président François Mitterrand sont sans ambiguïtés : le 18 juin, il déclare que « c’est désormais une question d’heures et de jours. (...) Je le répète, chaque heure compte ». Cela fait pourtant deux mois que le génocide a commencé. C’est donc que ce n’est pas cela qui motive l’urgence. En revanche, les forces du FPR commencent à s’approcher de la victoire finale. Et la France doit absolument l’empêcher.
"Turquoise" : pour quoi faire ?
Il est au moins aussi difficile de comprendre cette logique qu’il est impossible de nier qu’elle existe. Saint-Exupéry tente néanmoins de mettre à jour l’idéologie qui la sous-tend. Son constat est simple : après une inaction de deux mois, la France va réussir à déployer en neuf jours plusieurs centaines d’hommes, membres de troupes d’élite et fortement armés, à 7000 kilomètres. Sur place, ils créent la Zone Humanitaire Sûre (ZHS), qui va permettre aux principaux responsables du génocide de fuir vers le Zaïre. Saint-Exupéry a pu vérifier sur place ce qu’étaient ces soldats venus accomplir une mission humanitaire. Il croise « des commandos de l’air aéroportés, venus de Nîmes, et des gendarmes du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), deux unités d’élites ». Il s’adresse alors à son interlocuteur imaginaire, Dominique de Villepin : « Tout comme moi, vous tiquez, Monsieur. L’intervention Turquoise, annoncée le 18 juin 1994 par le président Mitterrand, se revendique humanitaire. Vous regardez ces hommes, leur armement sophistiqué, et vous ne comprenez plus. Ces soldats sont comme engagés dans une guerre. Ils sont venus combattre un ennemi. Lequel ? ». L’auteur va même plus loin : selon lui, « à Paris (...) certains, négligeant le génocide en cours comme s’il ne s’agissait que d’un détail, avaient planifiée une reconquête. (...) Qui, inéluctablement, aurait ramené au pouvoir les maîtres du génocide. Ca a l’air inouï, mais il en fût bel et bien ainsi : la France, notre pays, fût à deux doigts d’engager son armée aux côtés des assassins ».
D’où les mises en garde adressées par Edouard Balladur, alors Premier ministre, au Président de la République, François Mitterrand. Dans un courrier du 21 juin 1994, il précise que, pour réussir, l’opération Turquoise doit « limiter les opérations à des actions humanitaires et ne pas nous laisser aller à ce qui serait considéré comme une expédition coloniale au cœur même du territoire du Rwanda » . Il précisera, dans un courrier du 9 juin, la teneur de son différend avec le chef de l’État : « Il n’était pas question aux yeux du président Mitterrand de châtier les auteurs hutus du génocide, et il n’était pas question aux miens de permettre à ceux-ci d’aller se mettre à l’abri au Zaïre ». L’opération Turquoise sera marquée par cette schizophrénie venue des décisions contradictoires de l’exécutif bicéphale en place à Paris. Les soldats français déployés pour « raisons humanitaires » sont des combattants aguerris, « capables de passer en quelques heures d’une stricte neutralité à un violent engagement ». Une intervention française à Kigali fut annulée au dernier moment. La capitale tombe aux mains du FPR le 4 juillet. De houleux débats ont alors lieu au sein de l’administration française pour délimiter la ZHS : si ses contours sont larges, elle permettra au Hutu Power de s’y réfugier, de s’y refaire une santé avant de reprendre l’offensive ; si elle est réduite, c’en est fini de toute idée de revanche. La deuxième solution l’emporte : les responsables du génocide abandonnent donc la partie, fuient pour le Zaïre. Aux barrages qui jalonnent la route, les fuyards sont l’objet d’un nouveau tri : les Tutsis sont systématiquement écartés, et seuls les Hutus sont autorisés à poursuivre. Sur le bord de la route, des abris de fortune sont construits pour permettre aux exilés de se reposer, le temps d’une nuit. Plusieurs millions de Hutus rejoignent ainsi les camps de réfugiés de Goma, où les génocidaires font régner leur loi. Le choléra y fait des milliers de victimes, suscitant la compassion de la communauté internationale et des médias. Les bourreaux sont devenus victimes, leur crime de sang lavé dans le sang de leurs frères. Rideau.
Rwanda 1994 : une expérience de guerre révolutionnaire ?
Le drame qui s’est joué sur la scène rwandaise ne peut pour autant tomber dans l’oubli. Ni les crimes de guerre commis par le FPR contre des civils hutus, ni la catastrophe sanitaire que furent les camps de Goma, ne peuvent faire oublier la réalité d’un génocide. Et surtout pas l’ampleur de l’implication française dans ces massacres. Cette idée hante Patrick de Saint-Exupéry depuis son retour du pays. Il cherche à comprendre quels intérêts la France avait à défendre au point de protéger et même d’armer les génocidaires. Dans un salon, Hubert Védrine lui explique l’état d’esprit français : « en prenant mes fonctions, je me suis interrogé sur la présence française au Rwanda. Il m’a été expliqué que le Burundi et le Rwanda avaient rejoint la famille franco-africaine. Il ne fallait pas les laisser tomber ».
Aujourd’hui, les « révisionnistes » du génocide rwandais préfèrent voir dans ce carnage qui fit plus de 800 000 morts la manifestation de massacres interethniques spontanés. Pourtant, interrogé sur cette question par le Tribunal pénal international, le chef des casques bleus présents au Rwanda pendant la période, le général canadien Roméo Dallaire, a fourni une réponse extrêmement claire : « Tuer un million de gens et être capable d’en déplacer trois à quatre millions en l’espace de trois mois et demi, sans toute la technologie que l’on a vue dans d’autres pays, c’est tout de même une mission significative. Cela prend des données, des ordres ou au moins une coordination. Il fallait qu’il y ait une méthodologie ».
Une méthodologie militaire. Dans sa quête de la vérité, Saint-Exupéry rencontre un sous-officier français. Celui-ci lui parle des « sales guerres » de l’armée française, et mentionne, à mots couverts, « le TTA 117, ce règlement interarmées forgé à la fin des années 1950 pour la guerre d’Algérie et aujourd’hui encore accessible dans les archives uniquement sur autorisation. Sans que le mot "torture" ne soit mentionné une seule fois, ce règlement conduisit à son usage. Un cercle restreint d’officiers de la coloniale l’utilise toujours comme base d’inspiration ». Un ancien haut responsable militaire confirme la présence de barbouzes, de « demi-soldes ». Selon lui, « très rapidement, la scène rwandaise a été envahie par les "moustaches". Les structures officielles ne contrôlaient plus rien ».
Tout commence lors de l’opération Noroît : Paris prend prétexte d’une prétendue offensive du FPR sur Kigali pour déployer deux compagnies du 2e REP « pour protéger la ville ». La nuit, des coups de feu se font entendre dans la capitale, accréditant l’idée d’une menace extérieure. Un officier français, entendu plus tard par la Mission d’information parlementaire, raconte : « cette histoire était ridicule. C’était nos "amis" des forces armées rwandaises qui nous tiraient dessus. Les autorités les avaient intoxiquées. En fait, cette soi-disant entrée des rebelles dans Kigali n’était qu’une manipulation ». Qui permet à la France de déployer sur place des troupes d’élite. Qu’elle ne retirera pas.
Selon Saint-Exupéry, « tout ce que la France compte d’unités appartenant aux forces spéciales débarque au Rwanda ». C’est en tout cas ce qui ressort de l’inventaire des forces en présence dressé par un « haut responsable militaire » : 150 hommes issus de deux régiments de la 11e division parachutiste. « Leurs unités d’attache, à vocation coloniale, sont le 8e RPIMa et le 2e REP, spécialisés dans les opérations secrètes. Le service action de la DGSE fait parfois appel à leurs compétences. (...) Des hommes du 1er RPIMa, rattachés au Commandement des opérations spéciales (COS), sont également présents. Tout comme les Commandos de recherche et d’action en profondeur ». Pourtant, de nombreuses dépêches confidentielles font déjà état d’exécutions sommaires sur la base de critères ethniques, qui pourraient « dégénérer en tuerie ». La France est donc là en connaissance de cause. D’après le témoignage d’un officier, « une structure parallèle de commandement militaire française a été mise en place. À cette époque, il est évident que l’Élysée veut que le Rwanda soit traité de manière confidentielle ». La principale préoccupation de Paris, c’est la chasse aux rebelles du FPR. En 1991, le colonel Gilbert Canovas, conseiller officieux de l’armée rwandaise, dresse un bilan de son action : « la mise en place de secteurs opérationnels afin de faire face à l’adversaire (...) ; le recrutement en grand nombre de militaires de rang et la mobilisation des réservistes, qui a permis un quasi-doublement des effectifs ; la réduction du temps de formation initiale des soldats limitée à l’utilisation de l’arme individuelle en dotation. » Il souligne également que « l’évident avantage concédé » aux rebelles au début des hostilités « a été compensé par une offensive médiatique » menée par les Rwandais à partir du mois de décembre 1991.
Saint-Exupéry déduit : « "Secteur opérationnels", cela signifie "quadrillage". "Recrutement en grand nombre", cela signifie "mobilisation populaire". "Réduction du temps de formation", cela signifie "milice". "Offensive médiatique", cela signifie "guerre psychologique". ». L’implication des militaires français est particulièrement visible en février-mars 1993, dans le cadre de l’ « opérationChimère ».L’objectif dudétachement Chimère est« d’encadrer et de commander indirectement unearmée d’environ 20 000 hommes ». D’après le rapport de la Mission d’information, « un officier français estime que cette mission est sans doute la première application à grande échelle, depuis vingt ans, du concept d’assistance opérationnelle d’urgence, et attribue ce mérite à la bonne connaissance du Rwanda par les hommes du 1er RPIMa ». À la tête de l’unité Chimère, le colonel Didier Tauzin avec « une vingtaine d’officiers et de spécialistes du 1er RPIMa », une unité dépendant du 11e Choc, le service Action de la DGSE créé par le général Paul Aussaresses. Pour Saint-Exupéry, la France n’a certes pas assassiné les Tustis. Mais « nous avons instruit les tueurs. Nous leur avons fourni la technologie : notre "théorie". Nous leur avons fourni une méthodologie : notre "doctrine". Nous avons appliqué au Rwanda un vieux concept tiré de notre histoire d’empire. De nos guerres coloniales. Des guerres qui devinrent "révolutionnaires" à l’épreuve de l’Indochine. Puis se firent "psychologiques" en Algérie. Des "guerres totales". Avec des dégâts totaux. Les "guerres sales" ».
À l’origine de cette idéologie mise en œuvre par l’armée française au Rwanda, la « mémoire jaune », composée, chez des anciens des guerres coloniales, de « l’humiliation de la défaite et l’ivresse de la guerre exotique ». Mais aussi « une fascination pour les méthodes ennemies qu’il faut adopter pour espérer vaincre un jour à son tour : les opérations secrètes, l’arme de la peur, le quadrillage des populations civiles, la manipulation des foules, la propagande ». L’Afrique francophone est menacée dans un monde devenu unipolaire après la chute de l’Union soviétique. Des hauts responsables militaires français veulent convaincre l’Élysée de recourir à la « guerre révolutionnaire » pour maintenir cette zone géographique sous influence française. Elle repose sur six grands principes : « le déplacement de populations à grande échelle, le fichage systématique, la création de milices d’autodéfense, l’action psychologique, le quadrillage territorial et les "hiérarchies parallèles" ». Ses défenseurs trouvent une oreille attentive de la part de François Mitterrand, qui fut haut fonctionnaire pendant l’Occupation nazie, ministre des Anciens combattants pendant le conflit indochinois, ministre des Colonies durant la IVe République et ministre de l’Intérieur au début de la guerre d’Algérie. Naît alors une théorie du complot : le Rwanda francophone serait menacé par l’Ouganda anglophone. On refait Fachoda. Des officiers rwandais ont été formés à Fort Bragg aux États-Unis, cette université militaire où plusieurs officiers français ont enseigné, au début des années 1960, le concept de « guerre révolutionnaire » à l’armée états-unienne. C’est donc que les États-Unis veulent s’emparer du Rwanda. Pour les en empêcher, on crée une structure militaire, hors de tout contrôle,« une légion aux ordres de l’Élysée » : le Commandement des opérations spéciales, placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, qui est lui-même sous l’autorité directe du président de la République. Le COS a sous ses ordres « les unités les plus aguerries de notre armée, dotées d’un équipement de pointe et rôdées aux techniques des "opérations grises" ». Ses objectifs sont à la fois militaires et paramilitaires. « En clair, le COS est une structure "politico-militaire" ». En 1993, le chef d’état-major des armées, l’amiral Lanxade, autorise la nouvelle structure à développer des capacités de guerre psychologique. Le Rwanda en sera le laboratoire.
Le lieutenant-colonel Canovas met en place les éléments clés de la « guerre révolutionnaire ». Ce sera une guerre totale : « ce n’est pas une guerre de mouvement, c’est une guerre tout en mouvements. Ce n’est pas une guerre de fronts, c’est une guerre où il n’y a que des fronts. Ce n’est pas une guerre d’armées, c’est une guerre d’hommes en armes ». Une guerre « cannibale », pour reprendre les mots de l’universitaire Gabriel Périès [7]. Elle cause tellement de victimes collatérales « que les plus ardents défenseurs du système finissent par être eux-mêmes touchés ». C’est cela, au fond, la vraie raison de l’implication totale de la France aux côtés du régime génocidaire de Kigali.
Dire le génocide aujourd’hui
L’héritage rwandais est lourd à assumer pour les responsables français. L’ampleur des révélations contenues dans le livre de Saint-Exupéry permet d’envisager que certains d’entre eux doivent répondre de « complicité de génocide » devant une juridiction internationale. C’est pour cette raison que se sont multipliés, ces dernières semaines, les déclarations et les articles de presse tentant d’évacuer la responsabilité française.
Au cœur des débats, l’assassinat du président rwandais, présenté comme le déclencheur du génocide. Depuis le premier jour, les défenseurs du Hutu Power ont tenté de désigner le FPR comme l’auteur de l’attentat contre l’avion présidentiel, ce qui paraît logique au premier abord, mais n’est pas étayé par les faits. Selon eux, les Tutsis de l’extérieur ont tué le président Hutu pour s’emparer du pouvoir, provoquant en réaction le génocide des Tutsis de l’intérieur. Cette thèse a ainsi été successivement défendue par Paul Barril, puis Pierre Péan et Christophe Nick, et enfin Stephen Smith, qui a accusé l’ONU d’avoir délibérément gardé secret le contenu de la boîte noire de l’avion, dans une série d’articles publiée en mars 2004. Pourtant, aucun de ces articles ne présente d’éléments factuels accréditant l’hypothèse qu’ils entendent démontrer. Il apparaît par ailleurs évident que l’analyse d’une boîte noire ne peut absolument pas révéler l’identité des personnes ayant abattu l’avion.
Le ministre des Affaires étrangères lui-même, Dominique de Villepin, a récemment déclaré que « la France a sauvé des centaines de milliers de vies au Rwanda », au cours de l’opération Turquoise. En 1994, au moment du génocide, il était directeur de cabinet d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères. Auparavant, il était l’adjoint de Paul Dijoud au Quai d’Orsay et s’est rendu au Rwanda. Il connaissait donc la réalité du pays. En défendant publiquement la politique africaine française de l’époque, au nom de la continuité de l’État, Dominique de Villepin défend, en réalité, la continuité des crimes d’État perpétrés par la France coloniale puis néo-coloniale. À l’heure où la politique étrangère française se veut multilatérale, équilibrée et modératrice, il est pourtant essentiel que la France reconnaisse ses responsabilités et tourne le dos à des doctrines militaires qui la déshonorent.
ki nèg nwè ki nèg klè
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tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
Extrait du Joint Evaluation of Emergency Assistance to Rwanda : La période coloniale et l’indépendance
Lorsqu’en 1916, la Belgique occupa le Rwanda-Urundi à la suite de sa campagne est-africaine contre l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, les deux royaumes du Rwanda et du Burundi n’avaient fait l’objet que d’une administration marginale par Berlin depuis 1899. En 1914, il y avait en tout et pour tout six fonctionnaires allemands au Burundi et cinq au Rwanda, soit un total de onze fonctionnaires pour administrer un territoire qui fait le double de la Belgique. S’étant rendu compte que les royaumes mwami existants fonctionnaient comme des nations à part entière avant l’arrivée des Européens et, sans aucun doute, guidés par une pénurie de personnel colonial, les Allemands décidèrent dès le début de favoriser une politique de régime indirect. L’occupation se traduisit par des " traités " de protectorat négociés entre les Allemands et les mwami (Reyntjens, 1994). Le système politique existant qui était beaucoup plus fort et plus centralisé au Rwanda qu’au Burundi, allait donc jouer à plein (Louis, 1963).
La Belgique poursuivit cette politique : un décret du 6 avril 1917 disposait que " sous l’autorité du commissaire résident, les sultans (bami ) exercent leur pouvoir politique et judiciaire dans la mesure où il reste en accord avec les coutumes indigènes et avec les instructions du Commissaire royal " (Rumiya, 1992).
Après la Première Guerre mondiale, la Belgique reçut le Rwanda en mandat de la Société des Nations et, en 1946, ce pays devint un territoire belge sous tutelle des Nations Unies. Pendant les 40 années d’administration belge, comme dans la plupart des régimes coloniaux, on observe une désintégration, une distorsion ou une corruption des structures sociales et politiques indigènes avec toutes les conséquences qui en découlent. Par exemple, alors que la relation pré-coloniale indigène patron/dépendant était flexible et contenait un élément important de réciprocité, le colonisateur belge a en fait rigidifié le système en supprimant les obligations réciproques. En " renforçant " une institution rwandaise, le colonisateur a ainsi introduit le travail forcé et renforcé les divisions socio-économiques entre Tutsis et Hutus. On peut citer des exemples similaires de détournement d’autres institutions pré-coloniales. Balandier décrit ce phénomène comme suit : la tombée en désuétude des entités politiques traditionnelles, la détérioration générale consécutive à la dépolitisation, l’effondrement des systèmes traditionnels de contrôle du pouvoir, l’incompatibilité entre le système de pouvoir et l’autorité et, enfin, les abus de pouvoir (Balandier, 1978). L’intéressant ici, c’est la mesure dans laquelle ces développements ont affecté les relations inter-ethniques au Rwanda.
La thèse hamitique se généralisa parmi les fonctionnaires et les missionnaires européens actifs dans la région des Grands Lacs au début du siècle. Selon cette thèse, " tout ce qui a de la valeur en Afrique a été introduit par les Hamites, branche supposée de la race caucasienne " (Sanders, 1969). Lorsque le célèbre explorateur britannique John Speke arriva dans le royaume de Buganda (aujourd’hui l’Ouganda) qui était doté d’une organisation politique élaborée, il attribua cette civilisation à une race indigène de nomades pasteurs apparentés aux " Hamites " Galla (éthiopiens). L’attrait de cette hypothèse pour les Européens réside dans le fait qu’elle permet d’établir un lien entre les caractéristiques physiques et les capacités mentales : les " Hamites " étaient supposés être des leaders nés et avaient, en principe, droit à une histoire et à un futur presque aussi nobles que ceux de leurs " cousins " européens (Linden, 1977). Au Rwanda, les Hamites étaient les Tutsis : " ils ne ressemblent aux nègres que par leur couleur de peau " (Jamoulle, 1927) ; " avant de devenir des noirs, ils avaient le teint hâlé " (de Lacger, 1961) ; " sa stature est plus proche de celle d’un blanc que de celle d’un nègre en fait, il ne serait pas exagéré d’affirmer que c’est un Européen qui a la peau noire... " (Gahama, 1983). Cette thèse raciste a été déclinée sur d’innombrables registres mais elle se résume à considérer les Tutsis comme apparentés aux Européens, si bien que les Européens pourront facilement travailler avec eux. Cette thèse servait donc également la politique coloniale du diviser pour régner (Adekanye, 1995).
Vers la fin des années 1920, la thèse hamitique connut une utilisation qui allait modifier radicalement les relations interethniques au Rwanda. Dans le cadre d’un processus de réformes administratives (qui connut son apogée avec le Programme Voisin en 1926-1931), consistant notamment à regrouper et à agrandir le territoire des chefs (il ne restait plus dans le nouveau système que 40 chefs sur 200), il fut décidé d’accorder un traitement préférentiel aux Tutsis dans le recrutement des autorités politiques indigènes. Il semblerait que la position tranchée adoptée sur la question par Monseigneur Leon-Paul Classe, vicaire apostolique au Rwanda, eut une influence considérable. Dans une lettre datée du 21 septembre 1927, il écrivait à Georges Mortehan, le Commissaire belge résident, en ces termes :
" Si nous voulons être pratiques et défendre l’intérêt réel du pays, nous trouverons un élément remarquable de progrès en la personne des jeunes Mututsis [...] Demandez au Bahutu s’il préfère recevoir des ordres de personnes frustes ou de la bouche de nobles et la réponse sera claire : ils préféreront les Batutsis, et avec raison. Chefs nés, ils sont faits pour commander. [...] Voilà le secret qui leur a permis de s’implanter dans ce pays et de le tenir sous leur emprise " (de Lacger, 1961).
Face à ce qu’il considère comme des " hésitations et des atermoiements de l’administration coloniale concernant l’hégémonie traditionnelle des Batutsis bien-nés ", Monseigneur Classe adresse en 1930 une mise en garde sévère rédigée en ces termes :
" Le plus grand tort que le gouvernement pourrait se causer à lui-même et infliger au pays serait de supprimer la caste mututsie. Une telle révolution conduirait le pays tout droit à l’anarchie et à un communisme vicieusement anti-européen. Loin d’être un vecteur de progrès, ceci annihilerait toute action du gouvernement dès lors que ce dernier serait privé d’auxiliaires capables de compréhension et d’obéissance de par leur naissance. [...] Nous ne saurions avoir de chefs meilleurs, plus intelligents, plus actifs, plus capables de comprendre l’idée du progrès et plus susceptibles d’être acceptés par la population que les Batutsis " (Classe, 1930).
Le message du vicaire apostolique fut compris comme un fervent plaidoyer en faveur d’un monopole tutsi, du moins en principe. Son intervention mit fin aux " hésitations " et aux " atermoiements " de l’administration. Les chefs et assistants-chefs hutus furent démis de leurs fonctions et remplacés par des Tutsis. De plus, le pouvoir mena une politique vigoureuse protégeant et renforçant l’hégémonie tutsie. De ce fait, bien que les Hutus et même les Twas exerçaient traditionnellement une partie du pouvoir, fût-ce à des niveaux inférieurs, la " tutsification " des années 1930 conféra aux Tutsis un monopole du pouvoir politique et administratif. Conjuguée à l’abolition de la triple hiérarchie des chefs (chef d’armée, chef de bétail et chef de terre), cette politique ne fit qu’accentuer les divisions ethniques (Reyntjens, 1985). L’introduction de la carte d’identité en 1933 vint encore ajouter un peu d’huile sur le feu : chaque Rwandais était désormais enregistré (sur la base de critères assez arbitraires) comme Tutsi, Hutu ou Twa (Reyntjens, 1985).
Enfin, les possibilités des Hutus furent encore limitées davantage par la discrimination introduite dans les écoles catholiques, qui représentaient le système scolaire dominant pendant toute la période coloniale. Les Tutsis qui avaient résisté à la conversion furent inscrits de plus en plus nombreux dans les écoles des missions catholiques. Pour adapter et encourager davantage ce processus, l’Église ajusta sa politique d’enseignement en favorisant ouvertement les Tutsis et en discriminant les Hutus. À quelques exceptions près, les Hutus ne recevaient que l’éducation requise pour le travail à la mine et dans l’industrie (C. Newbury, 1988).
Bref, la monopolisation du pouvoir entre les mains des Tutsis constitua un facteur crucial et indiscutable de l’enracinement (" structuration ") du clivage ethnique. Cette intervention coloniale transforma les groupes en catégories politiques distinctes. Dans un certain sens, nous avons affaire ici à un cas d’ethnogenèse (Roosens, 1989) qui, dans le cas du Rwanda, allait immanquablement entraîner une réaction de la part des Hutus exclus du pouvoir. Le discours tutsi a tiré des conclusions démesurées des allégations d’ethnogenèse en soutenant qu’avant l’arrivée des Européens, le peuple du Rwanda (et du Burundi) était assez homogène et que par leur politique du diviser pour régner, les autorités coloniales ont délibérément introduit des clivages ethniques. Or, les groupes ethniques existaient avant la colonisation. La politique coloniale n’a fait que se greffer sur une fondation qui contenait déjà en elle les germes de conflits potentiels (Reyntjens, 1994).
À partir de la moitié des années 1950, les exigences politiques commencent à être formulées en termes ethniques au Rwanda. Des thèses opposées furent exprimées de manière assez stéréotypée dans trois documents principaux : d’une part, le Manifeste des Bahutus du 24 mars 1957 et, d’autre part, deux lettres des grands chefs tutsis (" Abagaragu b’ibwami bakuru ") (Nkundabagenzi, 1961). Replaçant le problème ethnique dans un contexte social, le Manifeste des Bahutus revendique l’émancipation des Hutus ainsi qu’un processus de démocratisation. Partant de la thèse colonialiste selon laquelle les Tutsis sont des étrangers et revendiquant que les Hutus (en majorité) sont les véritables citoyens du Rwanda et donc les dirigeants légitimes du Rwanda, le manifeste est une déclaration importante tant pour la révolution sociale de 1959 que pour l’accentuation du clivage ethnique. Ce document capital publié au départ sous le titre " Notes sur l’aspect social et le problème racial indigène au Rwanda " et destiné à influencer une mission des Nations Unies en visite dans le pays, a été rédigé par neuf intellectuels hutus. Parmi les signataires, Grégoire Kayibanda, le futur président. Ce manifeste s’attaquait à tout le concept de l’administration belge et soutenait que le problème fondamental du Rwanda est un conflit entre Hutus et Tutsis d’origine hamitique, donc étrangère (Dorsey, 1994 ; Prunier, 1995). Les deux lettres écrites par les grands chefs conservateurs (et qui n’exprimaient pas forcément le point de vue de l’ensemble de l’élite politique tutsie) rejetaient la participation hutue " parce que nos rois ont conquis le pays des Bahutus, tué leurs `petits’ rois et donc assujetti les Bahutus ; comment peuvent-ils alors se prétendre nos frères ? " (Reyntjens, 1994).
Lors de la création des partis politiques à la fin des années 1950, les structures politiques étaient déjà établies selon le clivage ethnique : le Parmehutu (Parti du mouvement de l’émancipation des Bahutus) et l’APROSOMA (Association pour la promotion sociale des masses) étaient principalement hutus tandis que l’UNAR (Union nationale rwandaise) et le RADER (Rassemblement démocratique rwandais) étaient essentiellement tutsis. Lors des élections législatives de septembre 1961, ce clivage fut confirmé : les partis hutus obtinrent environ 83 % des suffrages, ce qui correspond à peu près à la proportion de Hutus dans la population. En d’autres termes, une majorité démographique se doublait d’une majorité politique. À partir de 1965, consécutivement à l’élimination de l’opposition (élimination en partie physique, en partie par des moyens politiques), le Rwanda devient de facto un État dirigé par un parti unique monoethnique (hutu) par essence (Reyntjens, 1985).
Du règne du mwami Rwabugiri jusqu’à l’abolition de la monarchie en 1961, le royaume du Rwanda a été un État hautement organisé et stratifié. Les réformes communales de la période coloniale ne firent que renforcer cette situation. La dernière grande réforme communale qui remonte à 1960, confirmait une nouvelle fois la structure hyperorganisée de l’État rwandais. Le pays fut divisé en 10 préfectures elles-mêmes subdivisées en un certain nombre de communes. Celles-ci, au nombre de 143 au total, formaient la base du développement. Les communes étaient divisées chacune en 4 à 5 secteurs, eux-mêmes subdivisés en " cellules " (10 cellules par secteur). S’inspirant du modèle tanzanien, l’unité organisationnelle finale est la cellule de 10 ménages comprenant 80 personnes. Rares sont les pays africains à être aussi bien organisés et à utiliser leurs structures de manière aussi intensive que le Rwanda (Reyntjens, 1985)
Transition vers l’indépendance
La révolution de 1959-1961 soutenue par l’administration belge (Harroy, 1984 ; Logiest, 1988) conduit à l’abolition de la monarchie et à la suppression de toutes les structures politiques et administratives tutsies sur lesquelles la Belgique avait, pendant des décennies, basé sa politique d’administration indirecte. La révolte des paysans (Hutus) a été largement provoquée par l’intransigeance d’un parti conservateur et de l’élite administrative qui refusa platement toute démocratisation pourtant réclamée par une élite hutue émergente et par une contre-élite tutsie, nettement plus progressive que celle au pouvoir (Reyntjens, 1994). Bien qu’au départ, le nombre de victimes soit resté assez limité, les tentatives de l’élite tutsie traditionnelle au pouvoir visant à maintenir un règne autoritaire conduisirent à des chocs violents. Les Belges ont soutenu la révolte. L’abolition de la monarchie et l’émergence d’une élite hutue devinrent définitives en septembre 1961 lorsque 80% des électeurs se prononcèrent en faveur d’une république à l’occasion d’un référendum. Les résultats des élections législatives désignaient aussi clairement les partis à domination hutue comme les grands vainqueurs du scrutin.
Les événements de 1959-62 : renversement de situation et confrontation
La plupart des observateurs s’accordent à dire que la transition révolutionnaire de la monarchie à domination tutsie vers la République dirigée par les Hutus, qui a duré de novembre 1959 à septembre 1961 et qui a connu son apogée le 1er juillet 1962 avec la déclaration d’indépendance, constitue une période cruciale pour comprendre la division ethnique du pays qui a suivi (Reyntjens, 1985 ; Lema, 1993 ; C. Newbury, 1988). Cette courte période de l’histoire, qui commença par la jacquerie de 1959, amena un renversement des rôles. Sous la pression de la vague de changement démocratique déferlant sur l’Afrique, les autorités belges cessèrent de soutenir l’aristocratie tutsie et accordèrent leur appui à la majorité hutue, retirèrent leur soutien au mwami , abandonnèrent leur politique d’administration indirecte et conduisirent en hâte le Rwanda (et le Burundi) à l’indépendance nationale. Ce processus, remarque Linden (1995), marque le début d’un cycle de turbulences du pouvoir dans lesquelles " la capture de l’État rwandais d’entre les mains des opposants politiques a été un jeu blanc violent dans lequel le vainqueur emporte tout ". La lutte pour le pouvoir dans une arène abandonnée par la puissance coloniale et son ancien allié, la monarchie traditionnelle, explique l’exacerbation des tensions ethniques. Alors que les Tutsis se considéraient déjà comme un groupe par leur position dominante dans la société coloniale, l’élite hutue émergente jugea nécessaire de susciter une conscience hutue des sous-privilégiés afin de réussir à battre en brèche le leadership indigène, de s’emparer de l’État vacant et de redresser les injustices résultant de l’histoire.
Vers la fin des années 50, les autorités belges s’intéressèrent subitement à la situation de la majorité constituée par les paysans hutus. L’Église catholique fit un changement de cap tout aussi radical comme en atteste la lettre pastorale de Monseigneur André Perraudin écrite à la fin des années 50, dans laquelle il adopte une attitude pro-hutue en affirmant que la discrimination sociale subie par les Hutus n’était plus compatible avec une saine organisation de la société rwandaise (Reyntjens, 1994).
Le 1er novembre 1959, des violences ethniques éclatent après que le leader du parti Parmehutu eut été molesté par des jeunes Tutsis. Les émeutes qui s’en suivirent menèrent à une vaste révolte des Hutus au cours de laquelle des centaines de Tutsis perdirent la vie. Le gouvernement belge réagit en envoyant des troupes belges. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les troupes belges ne tentèrent pas d’écraser la révolte hutue mais adoptèrent une politique pro-hutue dans les faits en installant une administration militaire et en désignant plus de 300 chefs et sous-chefs hutus pour remplacer les Tutsis renversés, tués ou en fuite depuis le début de la rébellion (C. Newbury, 1988 ; Prunier, 1995). Peu après, en mai 1960, les autorités belges confirmèrent leur nouvelle politique en créant une garde militaire territoriale indigène composée de 650 hommes et basée sur la répartition ethnique, à savoir 85 % de Hutus et 15 % de Tutsis.
Comme nous l’avons déjà dit, les rôles se sont inversés. Une nouvelle confirmation du changement fut donnée par les élections locales de juin-juillet 1960 qui créditèrent les partis politiques à domination tutsie de seulement 16 % des suffrages, traduisant ainsi une victoire hutue écrasante. Après les élections, 211 des 229 bourgmestres allaient être Hutus (C. Newbury, 1988). Dans cette situation et dans un contexte de chocs ethniques continuels, le mwami Kigeri V décida de quitter le Rwanda le 29 juin 1960, officiellement pour assister aux fêtes d’indépendance au Congo. Il n’allait cependant jamais regagner son pays.
La politique rwandaise de la Belgique a valu à cette dernière des critiques acerbes de la part de l’Assemblée générale des Nations Unies qui, de décembre 1960 à juin 1962, en appela à plusieurs reprises à une réconciliation avec le mwami et les représentants tutsis emprisonnés, tout en pressant la Belgique de préserver l’unité entre le Rwanda et le Burundi, mais en vain. Au contraire, les autorités belges renforcèrent le processus d’indépendance du Rwanda en lui accordant l’autonomie interne sous un gouvernement transitoire dirigé par le fondateur du Parmehutu , Grégoire Kayibanda, leader hutu de la région de Gitarama dans le centre du Rwanda. Pendant toute cette période, la confrontation entre Hutus et Tutsis continua mais ce fut l’escalade avec des morts, des expulsions ou des exils, surtout dans les rangs tutsis.
La transition entre la domination politique tutsie et la domination hutue a été scellée par les élections législatives du 25 septembre 1961 qui ont débouché sur une victoire écrasante des partis hutus. Le Parmehutu obtint pas moins de 78 % des suffrages, décrochant ainsi 35 sièges sur 44, tandis que l’UNAR (parti dominé par les Tutsis) n’obtenait que 17 % des suffrages et sept sièges. Un référendum simultané entraîna un rejet tout aussi massif de la monarchie pour lui préférer un système républicain de gouvernement. Après les élections, Grégoire Kayibanda fut élu président du nouveau parlement le 26 octobre 1961. Ce dernier nomma un gouvernement composé initialement de membres du Parmehutu , de l’UNAR et d’APROSOMA. Huit mois plus tard, le 1er juillet 1962, le Rwanda et le Burundi finirent par obtenir formellement leur indépendance en tant qu’États souverains, indépendance que l’Assemblée générale des Nations Unies n’approuva que du bout des lèvres.
Pendant les trois décennies suivantes, la jacquerie hutue de 1959 et les événements qui conduisirent à l’indépendance en 1962, constituèrent les principaux points de référence de la vie politique du Rwanda, positifs ou négatifs selon les craintes ou les espoirs des personnes concernées.
Pour quelle raison ces développements politiques ont-ils revêtu la forme d’une confrontation violente entre Hutus et Tutsi ? C. Newbury apporte un élément de réponse :
" le fait saillant est que la quasi-totalité de ceux qui contrôlaient l’État (avant 1959), les chefs et les sous-chefs, étaient Tutsis et c’est ici que le facteur ethnique prend toute son importance [...] Pour les leaders hutus, l’appel à la solidarité hutue devint le point de ralliement le plus efficace pour l’activité révolutionnaire. Bien que les Hutus fussent en mesure de distinguer et l’aient apparemment fait les différents types de Tutsis et leurs attitudes, le fait que les chefs et les autres agents africains de l’État étaient considérés comme des exploiteurs et que ceux-ci étaient très majoritairement Tutsis, fit la force de l’appel à la solidarité ethnique là où un appel à " tous les pauvres " aurait été moins écouté. La politique coloniale ayant à moult reprises pris pour cible la caste inférieure des Hutus au statut d’exclus, même les pauvres Tutsis n’ont pas subi les mêmes formes de discrimination que celles infligées aux Hutus. " (C . Newbury, 1988)
Trois conséquences de ce tournant crucial ont déterminé et continuent à déterminer les développements politiques au Rwanda.
1. Exil d’un grand nombre de Tutsis. Le nombre exact de réfugiés a fait l’objet de nombreux débats et a été utilisé à des fins de propagande. Tel fut le cas en particulier durant la crise d’octobre 1990 qui suivit l’incursion du FPR (Front patriotique rwandais) au départ de l’Ouganda. En fait, les réfugiés tutsis ont quitté le Rwanda lors des crises successives, plus spécialement en 1959-1961, 1963-1964 et en 1973. Au début des années 1990, leur nombre s’élevait à environ 600 000, y compris les descendants des premiers réfugiés (Guichaoua, 1992). Ce chiffre est contesté par de nombreuses personnes. Prunier établit cependant que ce chiffre est la meilleure estimation dont on dispose (Prunier, 1995). Ce chiffre est impressionnant puisqu’il correspond à environ 9 % de la population totale estimée du pays, soit la moitié de la population tutsie. Ils constituent un élément d’insécurité structurelle, d’autant que les communautés de réfugiés tutsis n’ont jamais accepté l’exil comme un fait accompli. Au contraire, ils ont toujours revendiqué leur appartenance au Rwanda et leur droit d’y retourner. Avant même l’indépendance, des groupes de réfugiés commencèrent à faire des incursions armées visant à tenter de récupérer leur ancienne position. Ces incursions étaient faciles à réaliser puisque la majorité des réfugiés résidaient dans les quatre pays voisins. Ces activités imputables à des groupes de réfugiés tutsis, les inyenzi (cafards) ne prirent fin qu’en 1967 (Reyntjens, 1994).
L’attitude officielle des gouvernements rwandais par rapport à ce problème a changé considérablement au fil des années. Au début des années 60, le gouvernement provisoire avait exprimé sa préoccupation en créant un Secrétariat d’État aux Réfugiés. Sous la Ière république (1962-1973), les réfugiés ont été invités à plusieurs reprises à regagner le Rwanda. Cet objectif n’a toutefois jamais été atteint. D’une part, les réfugiés tutsis n’ont jamais cru à la sincérité des changements d’attitude du gouvernement. D’autre part, les inyenzi faisaient des incursions à intervalles réguliers. Fin 1963, début 1964, une nouvelle vague de réfugiés quitta le Rwanda.
Sous la seconde république (à partir de 1973), la situation changea quelque peu (mais sans jamais disparaître) par suite d’une politique de pacification ethnique. Mais le régime en place dressa un nouvel obstacle en prétextant que le pays était surpeuplé et incapable de réintégrer un grand nombre de réfugiés. Les rapatriements massifs étaient donc exclus. Cette position fut soutenue par une déclaration du Comité central du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) datée du 26 juillet 1986. De plus, le retour des réfugiés individuels était soumis à certaines conditions prêtant à de multiples interprétations. Il était par exemple prévu que le candidat au rapatriement devait " apporter la preuve qu’à son retour au pays, il serait capable de se prendre en charge " (Ndagijimana, 1990). Cette position, qui devint la position " définitive ", entraîna pour la première fois la tenue par les réfugiés d’une conférence internationale à Washington en août 1988. La position du gouvernement fut rejetée et l’on réaffirma le plein droit de retour au pays. À ce stade, on assistait, sans doute sans s’en rendre compte, à la genèse d’une confrontation imminente. La crise d’octobre 1990 fut donc essentiellement une crise des réfugiés, plongeant ses racines dans les événements de 1959-1962, renforcée par les développements politiques qui ont suivi au Rwanda et dans les États voisins, en particulier en Ouganda.
2. L’exclusion virtuelle de tous les Tutsis de la vie publique. Cette exclusion a deux origines : 1) les partis tutsis ont subi le même sort que les autres partis d’opposition (voir ci-dessous) et 2) les citoyens tutsis devinrent les victimes d’abus en tous genres. En fait, la révolte de novembre 1959 n’était que le début d’une série d’actions violentes dirigées contre les Tutsis. Les événements de 1959 causèrent plusieurs centaines de morts et ce nombre ne fit qu’augmenter graduellement au cours des crises successives. Les premières victimes politiques furent les chefs et les sous-chefs tutsis. Quelque 21 et 314 des 43 chefs et des 549 sous-chefs tutsis en poste début décembre 1959, furent éliminés par meurtre, explosion ou exil. Ils furent remplacés par les autorités hutues temporaires qui, six mois après la révolte, occupaient environ la moitié des postes. Aux élections municipales de juin-juillet 1960, les partis tutsis obtinrent 289 conseillers municipaux sur un total de 3 125, soit environ 9 % des sièges. Il convient toutefois d’observer que l’UNAR avait appelé ses membres à boycotter ces élections, ce qui risque d’avoir influencé les résultats en faveur des partis hutus.
L’élimination physique resta monnaie courante, surtout dans les périodes de tension politique, comme avant et pendant les élections municipales de 1960 et les élections législatives de septembre 1961. Mais l’estocade fut donnée fin 1963. Une attaque des inyenzi à Bugesera déclencha une nouvelle explosion de violence. Le nombre de Tutsis tués est estimé entre 5 000 et 8 000 rien que dans la préfecture de Gikongoro, soit 10 à 20 % de la population totale de Tutsis dans cette préfecture. La majorité des leaders tutsis restés au Rwanda ont été éliminés : 15 des principaux dirigeants ont été exécutés sur le champ sans aucune autre forme de procès. Ce fut la fin des deux partis tutsis, UNAR et RADER, et la fin de toute participation tutsie à la vie publique. Des crises moins graves allaient continuer à affecter la minorité ethnique. La dernière d’entre elles avant 1990 survint début 1973 et préluda au coup d’État du 5 juillet 1973 (Reyntjens, 1994).
3. Concentration de pouvoir et autoritarisme croissant. Comme dans bon nombre de pays africains, le Rwanda, après une période initiale de multipartisme, devint de facto un État à parti unique. L’opposition fut éliminée par une combinaison de diverses techniques telles que l’intimidation, les arrestations, la violence physique et, parfois, les négociations. La politique du Parmehutu avait pour but l’extinction des autres partis, tant hutus que tutsis. Dans un discours prononcé à l’occasion du premier anniversaire de l’indépendance, le président Grégoire Kayibanda indique déjà sa préférence pour " un parti majoritaire une majorité écrasante avec sur le côté une opposition mineure ". Il affirmait qu’une " prolifération des partis politiques distrairait la population, rendrait le progrès du pays incohérent et conduirait à une stagnation néfaste de la nation " (Chronique de politique étrangère , 1963).
Résultat : en 1965, le MDR-Parmehutu était le seul parti à présenter des candidats aux élections législatives et présidentielles. Sans être entièrement constitutionnalisé, ce parti se donna le nom de " Parti national ". Ayant éliminé l’opposition, la concentration du pouvoir au sein du parti commença à augmenter. C’est surtout à partir de 1968 que les nombreux conflits ou divisions au sein du gouvernement forcèrent le régime à se replier de plus en plus sur lui-même. En 1972, l’usurpation du pouvoir par un petit groupe de politiciens originaires de Gitarama, la région natale du président Grégoire Kayibanda dans le centre du Rwanda, était consommée (Reyntjens, 1985).
La II e République
Face au mécontentement exprimé surtout par les politiciens et les militaires du nord, le gouvernement de Grégoire Kayibanda finit par recourir à la tactique " ethnique ". En 1973, une vague de violence initialement à caractère ethnique éclate dans les écoles, dans l’administration et dans les entreprises. Psychologiquement, ces développements ont certainement été influencés (et facilités) par les événements sanglants de 1972 au Burundi où les Hutus ont été victimes d’un génocide (Commission des Droits de l’homme des Nations Unies, 1972). Il faut cependant rappeler que l’impulsion visant à expulser les Tutsis trouve son origine dans les cénacles du pouvoir qui ont essayé de détourner ainsi l’attention d’autres problèmes (Reyntjens, 1985). Pourtant, les politiciens de Gitarama perdirent de vue la dynamique qu’une telle politique pouvait engendrer dans une situation de contrôle précaire. La population commença donc à s’en prendre aux riches (pas uniquement aux Tutsis) ; les Hutus du nord commencèrent à pourchasser ceux du centre ; les politiciens du nord se détournèrent des écoles où tout avait commencé pour braquer leur attention sur les ministères et les entreprises où ils se sentaient sous-estimés ou frappés d’ostracisme. Comme certains politiciens du nord et en particulier le ministre de la Défense nationale, le général-major Juvénal Habyarimana, sentaient planer le risque d’une élimination physique, ce dernier décida une intervention armée avec une armée dans laquelle le nord a toujours, historiquement, occupé une position prédominante. Le régime de Grégoire Kayibanda fut renversé par le coup d’État du 5 juillet 1973 qui eut lieu sans aucune violence et qui fut accueilli avec satisfaction par la population (Reyntjens, 1994). Cette date marque le début de la IIe République sous le président Habyarimana.
Après une procédure judiciaire organisée dans le plus grand secret, une cour martiale prononça en juin 1974 la peine de mort à l’encontre de l’ancien président Grégoire Kayibanda et de sept autres dignitaires de l’ancien régime. Les autres furent condamnés à de longues peines d’emprisonnement.
La clémence accordée dans certains cas n’eut qu’une signification symbolique. En fait, pendant les années 1970, d’innombrables dignitaires de la Ire République périrent dans la tristement célèbre " section spéciale " de la prison de Ruhengeri alors que Grégoire Kayibanda, qui était assigné à résidence à Kavumu, mourut en 1976 après s’être vu refuser les soins médicaux nécessaires. Après la " révolution morale " de 1973, les militants de la " révolution sociale " de 1959 avaient disparu certains par la voie politique, d’autres par des moyens physiques. Le régime de la IIe République se réclamait cependant de l’ancien régime : " Soucieux de préserver les acquis de la Révolution sociale de 1959, le MRND a l’intention de mobiliser l’ensemble du peuple rwandais sous la bannière de la paix et de l’harmonie nationale en restaurant un climat de confiance entre les fils et les filles de la Nation " (MRND, 1985). Pourtant, la rupture avec la Ire République était nette.
À maints égards, la IIe République contrastait fortement avec la précédente. Pour commencer, nous assistons à une période de modernisation prononcée qui se manifeste par une ouverture sur le monde extérieur, une croissance urbaine, des investissements et la reprise des affaires. Alors que le régime de la Ire République vivait replié sur lui-même, celui de la IIe République adopta une politique d’ouverture du pays. On constate une augmentation soudaine du nombre de postes diplomatiques rwandais à l’étranger et de postes diplomatiques étrangers à Kigali. Le président Habyarimana fait des voyages fréquents et séduit. En 1979, Kigali accueille la sixième Conférence franco-africaine. Le Rwanda est cofondateur de la Communauté économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) en 1976 et de l’Organisation pour l’aménagement et le développement de la rivière Akagera (OBK) en 1977. D’importants investissements sont consentis au niveau de l’infrastructure (réseau routier et télécommunications). Avec une population de 15 000 habitants en 1965, Kigali est devenue une métropole comptant 250 000 habitants au début des années ’90 et nombre de petits centres se sont graduellement urbanisés grâce à l’extension du réseau électrique. Le développement de la mobilité lié à l’amélioration des investissements, des communications et de la formation n’est cependant pas toujours vecteur d’une ambition de contrôle social, de maintien de l’ordre et de " moralité " ni de lutte contre l’exode rural (Reyntjens, 1994).
En ce qui concerne le monde des affaires, l’austérité particulière de la Ire République a cédé la place à une éthique différente. Par exemple, tous les fonctionnaires sont autorisés sans restriction à participer à des entreprises privées. Sont également permises : la propriété d’habitations louées, l’acquisition de véhicules loués et les prises d’intérêts dans les entreprises économiques mixtes et commerciales (Instruction présidentielle nº C 556101 du 11 juin 1975). Ce phénomène fut moins marqué au Rwanda que partout ailleurs, mais le fait que le Rwanda n’était en définitive pas si différent entraîna un changement dans l’image que certains se faisaient du pays depuis la moitié des années ’80.
" Le mythe d’une " république égalitaire " s’était évaporé : une bourgeoisie quaternaire (militaires, administrations, affaires et technocratie) détourne à son profit une part importante du revenu national " (Bezy, 1990).
Graduellement, le lien entre la ville et les campagnes (qui avait toujours constitué un élément important d’équilibre et de cohésion) commença à s’effriter. Une personne interrogée par Hanssens décrit la situation comme suit :
" Alors que les dirigeants actuels sont toujours des " paysans " dans l’âme, les enfants des cadres ou des dignitaires vivent selon un modèle urbain et, lorsqu’ils seront au pouvoir, ils auront perdu tout contact avec la réalité. D’où un phénomène de zaïrisation du Rwanda, avec une élite contrainte de négliger les infrastructures sociales afin d’accroître son propre bien-être " (Hanssens, 1989).
Le processus de rupture entre une minorité citadine et la majorité rurale était déjà bien avancé au cours des années ’80. Newbury observe que les changements économiques des années ’80 ont eu pour résultat de creuser le fossé entre le riche et le pauvre mais aussi d’affirmer les intérêts de la classe au pouvoir (C. Newbury, 1991).
Enfin, il faut observer que l’accès au pouvoir et à la connaissance était réservé à de rares groupes régionaux du pays, à savoir ceux des préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri au nord. Cette concentration naquit en quelques années et se focalisa sur ces deux préfectures à la fin des années ’80. Bien que cela se constate à tous les niveaux, nous nous bornerons à citer trois exemples. Vers la moitié des années ’80, la préfecture de Gisenyi s’arrogea près d’un tiers des 85 postes les plus importants de la république ainsi que le leadership quasi exclusif de l’armée et des services de sécurité. Selon une étude remontant au début des années ’90, 33 institutions publiques sur un total de 68 étaient sous la direction de personnes originaires de Gisenyi (19 postes) et Ruhengeri (14 postes). Au cours de la période 1979-1986, les " indices de disparité " en matière de bourse d’études à l’étranger étaient de 1,83 en faveur de Gisenyi et 1,44 en faveur de Ruhengeri (la préfecture la plus délaissée étant Kibungo à l’est, avec un indice de 0,67). En 1990, le conflit ethnique était éclipsé ou même transcendé par un conflit régional et, au sein de la région dominante, par des antagonismes à petite échelle (par exemple, les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri étaient à couteaux tirés dans le nord, tandis qu’à Gisenyi même, Bushiru, patrie de Habyarimana, se livrait à une concurrence sans merci avec Bugoyi) (Reyntjens, 1994).
Malgré toutes les difficultés rencontrées sous la IIe République, une série de développements positifs ont vu le jour. En se basant uniquement sur l’augmentation du PIB par habitant, les performances économiques du Rwanda étaient plutôt bonnes si l’on tient compte de ses handicaps inhérents (pays enclavé, pression démographique, manque de matières premières) et certainement en comparaison avec ses voisins. Le tableau 1 représente la progression du Rwanda et celle de ses voisins dans les classements réalisés pour les rapports sur le développement mondial publiés par la Banque mondiale au cours de la période qui coïncide avec la IIe République.
Tableau 1. PIB par habitant au Rwanda et dans les pays voisins Jaar
Source : Banque mondiale, Rapport sur le développement mondial, dans Reyntjens (1994)
En 15 ans, le Rwanda a donc amélioré sa position relative en passant de la dernière à la première position du classement tandis que le Burundi est resté stationnaire et que les autres pays voisins se sont appauvris, certains même fort. En d’autres termes, le Rwanda est passé de la position d’État le plus pauvre des 5 en 1976 à la position d’État le moins pauvre en 1990. Dans d’autres domaines tels que, par exemple, l’infrastructure, les progrès enregistrés sont tout aussi remarquables, avec un réseau routier qui peut être considéré comme un des meilleurs d’Afrique, un service postal fiable et des télécommunications fiables, un réseau de distribution d’eau correct, l’extension du réseau électrique, etc.
Au cours des années ’80, le Rwanda était considéré par la Banque mondiale et par d’autres instances comme une économie africaine florissante avec une dette modérée en comparaison avec celle des autres pays de ce continent, du moins jusqu’à la deuxième moitié de la décennie (en 1987, la dette du Rwanda s’élevait à 28 % du PIB, ce qui correspond à un des pourcentages les plus faibles d’Afrique). L’économie était en équilibre et la monnaie jouissait d’une assez grande stabilité dans la mesure où elle faisait office de monnaie forte dans la région.
Bien que loin d’être acceptable, la situation des droits de l’homme s’est également améliorée. Par exemple, le nombre de prisonniers politiques a diminué et des efforts ont été faits pour limiter et contrôler l’utilisation abusive et excessive des règles de prévention détentive et de restriction de la liberté de mouvement. De plus, il convient d’observer qu’entre la prise de pouvoir du général Habyarimana et la guerre d’octobre 1990, le pays n’a été la proie d’aucune violence ethnique majeure. On a souvent tendance à oublier aujourd’hui que le président Habyarimana était assez populaire chez les Tutsis de l’intérieur du pays et qu’il a même été accusé par certains Hutus de privilégier les Tutsis (Chrétien, 1993).
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
Les plus grands perpétrateurs de Génocide du siècle passé sont : Hitler, Jeune Turc, Pol Pot, Mitterand, Habyarimana
Hitler extermina plus de 6 millions de Juifs. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans une escalade de persécutions, d'extermination dans des chambres à gaz, les exécutants d'Hitler massacrèrent 6 millions de Juifs.
Jeune Turc effaça sur cette terre plus d'un million d'Armeniens
Entre 1975 et 1979, sur une population estimée à 8 millions, le régime de Pol Pot extermina 1 700 000 personnes, soit plus de 20% de la population.
Ce bilan a été égalé, sinon dépassé avec le génocde rwandais de Mitterand où le quart de la population fut liquidé physiquement. Oui, François Mitterand est un véritable GENOCIDAIRE. Avec la France, c'est la mort en Afrique. Ces massacres raciaux perpétrés par le régime Hutu, en 1994, et soutenu par la France, causant en quatre mois la mort d'un million et demi de Tutsis et de leurs défenseurs hutus, ont ravivé de semblables souvenirs.
Pourquoi François Mitterand et son gouvernement n'ont pas été inquiétés par la JUSTICE des Hommes ? Parce que tout simplement les Nègres n'ont pas la même dignité que les Blancs. Il faut combattre pour cette dignité, mes frères. _________________ -Toute action ensemble pour nous Africains est un produit de la liberté!
Les plus grands perpétrateurs de Génocide du siècle passé sont : Hitler, Jeune Turc, Pol Pot, Mitterand, Habyarimana
C'est une absurdité de dire que Habyalimana fut le préparateur du génocide alors qu'il qu'il la toute première victime de la tragédie rwandaise!
Je salue votre pertinence...je vois mal le bourreau en chef se sacrifier pour donner le signal général d'une boucherie aussi infâme.
Patience...les coincidences en histoire sont rares et rarement fondées...la vérité sur les causes et les responsables du drame rwandais finiront pas sortir... _________________ Chanteur de blues...seulement lorsque je suis déchaîné!!
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