Cathy Super Posteur

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Posté le: Mar 08 Nov 2005 20:36 Sujet du message: Violences urbaines et Politiques sociales territoriales |
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Violences urbaines et Politiques sociales territoriales : Analyses diachroniques et perspectives
Resumé :
Cet article se veut une analyse et une compréhension des différents phénomènes qui concourent au passage de la violence physique comme seule moyen d’ expression d’une population dite jeune et que les politiques définissent au niveau de la banlieue comme étant une « classe dangereuse ». Notre principale hypothèse se base non pas sur la variable économique comme seule variable déterminante, mais sur d’autres facteurs explicatifs comme les représentations sociales négatives et dévalorisantes de ces types de populations.
Les événement actuels qui dont le point d'ancrage est Clichy-sous-bois et qui ont tendance à se généraliser dans toute la France constituent comme nous le constatons aujourd’hui l'actualité politique et journalistique. Comme événement social, il restera gravé dans l’inconscient collectif et comme événement politique, il reste l’objet d’analyse politiciennes, voire morales qui ne nous permettent pas d’y voir clairs car étant basé sur une logique duale d’un côté les bons, de l’autre les mauvais. Logique binaire et duale qu’on retrouve à travers des termes utilisés par des intellectuels comme les inclus et les exclus, les « sérieux » opposés aux « bandits », voire un mot qui pose beaucoup de problèmes dans les discours politiciens comme « racaille ».
Ce que nous intéresse dans cet article, ce n’est pas de prendre position car nous n’allons pas procéder par jugement de valeurs (nous ne représentons pas Dieu) mais par jugement de fait en nous basant sur l’histoire d’une part et des analyses sociologiques.
Laisser entendre que c’est Monsieur Sarkozy qui est à l’origine de cette explosion des banlieues est de mauvaise foi. De même dire que c’est la Droite ou la Gauche qui est à l'origine ne nous avance pas non plus et constitue une analyse réductionniste et simpliste de la situation. Cette crise dénote d’un effritement des valeurs d’appartenance, d’un choc culturel qui nous interpelle sur les rapports, voire l’écart qui existe entre la construction des identités individuelles de ces groupes et de l’identité collective telle qu’elle est définie par les valeurs de la République .
Pour mieux comprendre ces faits, il faut repartir des Lumières qui nous ont montré les chemins de la démocratie avec une certaine trilogie Liberté-Egalité-Fraternité même si aujourd’hui nous savons que la démocratie est un idéal et engendre beaucoup d’incertitudes quant aux populations qui ne participent pas à la prise de décision.
Le XVIII siècle est aussi l’époque de la révolution industrielle qui a entraîné une certaine paupérisation des classes sociales comme les ouvriers et des under-class qui constituent les classes laborieuses, voire des classes dangereuses. De ce fait l’économique en lui-même porte les germes d’une inégalité qu’on retrouve aujourd’hui avec le plein pouvoir des actionnaires et une décroissance du pouvoir des partenaires sociaux avec l’individualisation de plus en plus poussée des pratiques des salariales. Logique qui met en mal aujourd'hui les structures syndicales. La vision moraliste et de culpabilisation découle de l’émergence même du capitalisme comme système économique et du libéralisme comme système politique. C'est de ce contexte qu'émerge l'image et la perception affectée aux publics précaires.
De même, nous dirons que les "publics précaires" ne deviennent objet de véritable politique qu’à partir des années 70 avec la rupture du compromis fordiste, mais aussi de la rupture du contrat social keynésien basé sur le triptyque croissance-plein emploi-redistribution. Ce qui a entraîné une véritable rupture des liens sociaux mais nous ne dirons pas que c’est simplement l’économique qui reste la variable déterminante dans l’analyse de ce fait social qui nous interpelle tous autant intellectuels que simples citoyens.
Nous somme aujourd'hui convaincu que même si la croissance revient, il ne peut y avoir de plein-emploi ( il n’y a pas de déterminisme causal entre croissance économique et emploi), de ce fait, l'autre interrogation est de voir ce qui est à l'origine de cette violence.
Notre hypothèse va beaucoup plus s'intéresser vers l'image négative, voire stigmatisante qu'on se fait de ces types de populations. Pour approfondir, l'analyse, il faut dire que toute politique est découpée en orientations, et chaque orientation pour devenir opérationnelle est découpée en actions et en activités mises en place par toutes les structures déconcentrés et décentralisées, les associations ainsi que toutes les structures d'insertion sociale, professionnelle ou par l'activité économique. Ainsi donc politique nationale et politique territoriale sont doublement liées et ce qui engendre toute la difficulté pour situer les niveaux de responsabilités par rapport à la violence telle qu’elle est vécue aujourd’hui par les banlieues. Avec les différentes décentralisations et déconcentrations, le territoire est devenu l'objet duquel et à partir duquel, il faut penser la socialité, l'emploi voire même l'insertion. Nous pensons que cette flambée de violence reste déterminée par une crise des politiques d’insertion sociale et professionnelle locales c’est-à-dire définies sur des territoires comme la commune ou communautés de communes (bassin d’emploi)
Cette crise reste selon nous à l’échec des politiques de la ville et des politiques de l’emploi territorialisées. En effet, dans son émergence comme dans sa conception actuelle, l’insertion reste tributaire d’une vision d’handicapologie des publics cibles des politiques sociales. En effet, ces publics se définissent par manque de capitaux économiques, capitaux sociaux ou symboliques (liens sociaux), de capital culturel (qualification), de déficiences psychiques (malades mentaux), par l’âge (enfants, vieillesse) etc.
C’est à la suite de tous ces constats qu’une nouvelle entreprise va naître qu’on appelle politiques d’insertion qui font partie intégrante des politiques de la ville et des politiques d’emploi locales, qui va prendre en charge des publics qui ne relèvent ni directement de l’aide sociale, ni directement de la sécurité sociale ( disons que le RMI solutionner cette problématique). En effet, ils ne relèvent ni directement de l’aide sociale car ils ne sont pas totalement exclus du marché du travail, ni directement employables donc ils ne relèvent pas de la sécurité sociale. L’on assiste ainsi à une nouvelle catégorie de personne entre les exclus et les inclus cibles des politiques d’insertion.
Les politiques d’insertion prennent leur essor dès les années 80 et vont prendre deux dimensions majeures avec les lois sur les décentralisations de 1982 à 1984 :
- Les politiques de la ville : Dès 1981 apparaissent des dispositifs à visée d’insertion sociale pour réhabiliter les territoires :
· Le développement social des quartiers (DSQ) qui consiste à réhabiliter les logements sociaux avec un accompagnement social des populations.
· Les « Opérations prévention été » (OPE) dispositif créé après l’été chaud des Minguettes en 1981 qui propose des activités estivales aux jeunes des quartiers défavorisées
· Les Conseils de prévention de la délinquance (CNDP)
· Les zones d’éducation prioritaire (ZEP) pour lutter contre l’échec scolaire.
· Plan de cohésion sociale de Borloo
- Les politiques de l’emploi : C’est du côté professionnel et de l’économique que la notion d’insertion s’est d’abord imposée. La mission Schwartz du nom du président et son émanation la délégation interministérielle à l’insertion des jeunes (DIIJ) jette les bases des dispositifs d’accompagnement vers l’insertion professionnelle. Elle met en place plusieurs dispositifs et d’autres suivront au fur et à mesure :
· Les missions locales pour l’emploi des jeunes
· Les permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO)
· Les entreprises intermédiaires
· Les Centres inter institutionnels de bilan de compétence (CIBC)
· Les crédits formation jeunes
· Les dispositifs Paque, Trace, emplois jeunes etc.
Dans le travail social, nous distinguons classiquement l’insertion par l’activité économique(qui vise des publics très éloignés du marché du travail qui sont les cibles des entreprises d’insertion et des entreprises intermédiaires), l’insertion par la formation(qui vise une requalification de certains publics eu égard à leur faible qualification ou qui ont besoin d’un complément de formation), l’insertion par la culture(qui vise des publics plus ou moins en rupture par rapport à la culture dominante), l’insertion sociale ( qui vise des publics qui sont en situation de dé liaison voire en phase de désocialisation).
Dans notre esprit ces différentes insertions ont un dénominateur commun à savoir que ces publics ont souvent un manque, par rapport au référentiel des valeurs globales.
Ainsi, définissons-nous l’insertion comme une politique qui vise à rendre des publics qui dit-on sont déficientes, par rapport à une culture dominante dont la socialisation passe par l’emploi (dans les sociétés salariales la socialisation ne peut passer que par l’emploi), aptes à vivre dans une société orthonormée dont la valeur essentielle est la productivité. Ainsi ces publics doivent créer une valeur ajoutée (même si nous savons que dans des sociétés libérales, il y aura toujours du chômage) au risque de porter des stigmates dont l’indicateur visible est qu’ils sont réduits à des cases administratives( RMI, API, jeunes en difficulté etc.).
Les politiques d’insertion vont définir un mode opératoire dans le sens ou il existe une relation épistémologique entre un sujet (le conseiller professionnel, le travailleur social, l’assistante sociale) représentant de la rationalisation des valeurs globales, et un objet (« les publics précaires ») avec tous les jugements de valeurs et les zones d’incertitudes liées à la situation d’interaction que cette relation peut comporter.
Pour revenir au public qui nous intéresse, il faut dire que la plupart des jeunes dont on parle ont quitté l'école à cause de la sélectivité du système scolaire qui passe d’un système d’évaluation à un système de classification et donc de stigmatisation, mais aussi de l’influence exercée par la bande. Le processus de désocialisation qui les a amenés à sortir du système scolaire est assujetti à des valeurs d'appartenance qui sont très fortes et qui les poussent à s'identifier beaucoup plus à la bande, disons au quartier qu’au système scolaire qui fonctionne comme une violence symbolique exercée sur eux. En effet, l’école de la République ne leur permet pas de connaître leur histoire collective et donc l’on note un manque de référentiel symbolique qui puisse leur permettre de trouver des réponses adaptatives par rapport à leur existence et aux aléas de la vie.
Ils rejettent ainsi l'institution( dans les violences aujourd’hui, ils s’en prennent aux institutions de la République) et nous savons que l'effet de groupe analysé par les psychosociologues est un rempart car il sécrète inconsciemment des valeurs d'appartenance supérieures à celles de l'école de la République.
Il se forme ainsi une sous culture de groupe qui donne sens et signification à leur existence. Mais cette sous-culture est dynamique dans la mesure où elle se révèle incompatible par rapport à certaines valeurs fondamentales qu'on retrouve à travers ces jeunes issus de l'immigration. Et, parmi ces valeurs, nous retrouvons la famille d'où la motivation (il faut interroger le manque de motivation que note les professionnels de l'insertion sociale et professionnelle). La famille est à leurs yeux une institution très importante à laquelle il faut apporter son soutien financier ( logique familiale qu’on retrouve aussi à travers l’intervention des grands frères qui constituent des exemples de médiation).
Par ailleurs, il y a un autre volet à savoir l’emploi. En effet avec la logique de bassin d’emploi qui s’est imposée aujourd’hui avec la décentralisation, ces jeunes vont à la recherche d’un premier emploi au niveau des entreprises du territoire. Là, ils sont confrontés non pas à une idéologie mais à un mythe à savoir la représentation générale qu'on se fait d'eux et qui les pousse à l'exclusion sociale. Nous ne partageons pas le point de vue statique de la conception de la reproduction de la pauvreté et de l’exclusion (analyses structurelles et culturalistes), mais nous insistons sur le fait qu’il existe une structuration mentale ambiante et collective qui attache une image négative et stigmatisant à ces types de populations qualifiés d’« inemployables » ( comment peut-on définir une hypothétique « inemployabilté » si la personne n’a jamais travaillé et n’a jamais subi une évaluation en milieu de travail pour voir ces compétences?). Il est très facile selon nous de trouver des justifications comme le fonctionnement du système capitaliste ou de l’économie néo-libérale pour expliquer ce chômage de masse et le doublement du taux de chômage au niveau des banlieues.
Donc, en résumé nous retrouvons des représentations sociales négatives( discriminations au sens large du terme)) qui font que ces publics sont dévalorisés et l’on passe de la violence symbolique (fruit d’une longue intériorisation) à une violence physique légitime(extériorisation de l’intériorisation) à leurs yeux et qui constitue des éléments de réponse aux stimulus des environnements hostiles. Cela ne peut constituer en aucun cas une justification de leurs actes de violence mais fournit des éléments explicatifs.
Partant de ces constats, nous pensons aussi qu’il faut interroger les acteurs de l’insertion ( CCAS, associations diverses, ANPE etc.) qui sont instrumentalisées par les pouvoirs publics pour maintenir l’illusion d’insertion de ces jeunes.
Selon moi, il faut avoir une vison complexe et systémique qui ne peut se résumer à un seul plan Borloo ( la question est de voir si l’on peut construire une société sur des emplois précaires ?). Accompagner un changement défini sur la base de la construction d’un consensus partagé entre les élus, les citoyens, la société civile et les entreprises des territoires(démocratie participative) devient une necessité.
Ma seconde réflexion est de permettre de limiter les effets pervers des acteurs de l’insertion et d’utiliser des analyses fonctionnalistes et systémiques qui permettent d’éradiquer de manière systématique les effets pervers liés à la compétition interpersonnelle qui devient des conflits inter-structures et la jouissance de certains professionnels car croyant détenir un pouvoir consistant à juger à priori ces publics et de définir en priorité qui a le droit de s’insérer ( c’est l’idée d’équité qui est avancée).
Cela doit commencer par un contrôle plus strict des évaluations en faisant appel à des groupes extérieurs (externalisation des évaluations), à définir des outils quantitatifs ( les effectifs insérés) et qualitatifs ( constructions de projets personnels, reconstructions de liens sociaux) capables de mesurer leur valeur ajoutée. L’autre idée serait de mettre en place un travail en réseau au niveau du territoire. Cette idée se base sur le constat que la démocratie participative( sans participation ?) se base sur une information des publics laquelle information permettra à ces publics de se l’approprier et de comprendre de quoi on leur parle. Aujourd’hui, les publics rencontrent différents problèmes qui sont segmentés entre différents acteurs sur les territoires. Comment coordonner et comment mettre en relation ces différents acteurs? C'est la question que devrait se poser les politiques autant au niveau national qu'au niveau territorial.
Dia Aboubakry
Doctorant en sociologie, Université de Franche-Comté _________________
"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)
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