ibou Grioonaute 1
Inscrit le: 03 Mar 2004 Messages: 177
|
Posté le: Ven 25 Nov 2005 16:23 Sujet du message: Emeutes et "étranger": pdv intéressant d'un histor |
|
|
INTERVIEW ACCORDEE AU NOUVELOBS DE LA SEMAINE (http://www.nouvelobs.com/articles/p2142/a288585.html)
Ce point de vue d'un historien est intéressant car il semble rigoureux et permet de prendre du recul
Semaine du jeudi 24 novembre 2005 - n°2142 - Notre époque
Cache-misère ou bouc émissaire ?
Haro sur l'etranger !
Expulsions, retrait de la nationalité, mise en cause des familles africaines polygames... Après les émeutes en banlieue, la droite agite devant l'opinion le chiffon rouge du « voyou étranger ». Elle évacue ainsi la dimension sociale en recentrant le débat sur la question nationale, analyse l'historien Gérard Noiriel
Gérard Noiriel est historien, spécialiste de l'immigration et directeur d'études à l'EHESS. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont « la Tyrannie du national. Droit d'asile en Europe 1793-1993 » (Calmann-Lévy, 1991), « le Creuset français. Histoire de l'immigration aux XIXe et XXe siècles » (Seuil, 1992) et « les Fils maudits de la République : l'avenir des intellectuels en France » (Fayard, 2005).
Le Nouvel Observateur. - La crise qui vient d'embraser les banlieues est-elle le symptôme de la faillite du modèle français d'intégration ?
Gérard Noiriel. - Cette question casse-tête n'a pas - ou plus - lieu d'être. Un des aspects positifs de cette crise, c'est qu'enfin le problème n'est plus sans cesse réduit à l'« intégration » des « jeunes issus de l'immigration ». Si l'on compare les commentaires faits lors des émeutes de Vaulx-en-Velin au début des années 1980 à ceux d'aujourd'hui, il est frappant de constater le changement du discours médiatique. Cette fois, les journaux télévisés évoquent des « jeunes des quartiers », et non plus toujours des « enfants d'immigrés ». Ce n'est pas rien.
N. O. - On entend pourtant depuis quelques jours des références constantes à l'origine étrangère de ces jeunes : Jacques Chirac a parlé du regroupement familial, le ministre du Travail, de la polygamie, Nicolas Sarkozy a promis des expulsions...
G. Noiriel. - On est dans ce schéma depuis le XIXe siècle. En gros, la gauche parle des causes sociales d'une crise quand la droite y voit un problème national. Insister sur les discriminations, comme l'ont beaucoup fait les médias, c'est aller dans un sens favorable à la gauche. C'est pourquoi le gouvernement se devait de recentrer le débat sur la question nationale. En menaçant par exemple d'expulsion les fauteurs de troubles étrangers. Tout le monde sait, même le ministre de l'Intérieur, que ce sera limité en nombre, très marginal ! Mais voilà, on ne parlera plus de « jeunes pauvres » mais de « voyous étrangers ». Ainsi s'opère le glissement dans l'imaginaire collectif. L'allusion à la polygamie est du même ordre, elle veut provoquer le dégoût, suggérer l'étrangeté de ces gens-là, bien marquer qu'il y a « eux » et « nous » (voir p. 100). En ce sens, les mots sont souvent plus importants que les idées.
N. O. - A ce sujet, le mot « racaille » est-il nouveau ?
G. Noiriel. - Lorsqu'on veut stigmatiser les mouvements sociaux, on a traditionnellement recours à deux registres : le registre de l'étranger (pendant des décennies, on a utilisé le mot « indésirables » pour les désigner) ou celui de la délinquance. « Racaille » relève de ce vocabulaire, dans la lignée de « sauvageon ». Mais, s'il a bien mis le feu aux poudres, ce mot a aussi rassemblé. Beaucoup de gens s'y sont identifiés. Et ont retourné le stigmate à leur avantage, comme les Noirs avec le slogan « black is beautiful ». C'est pourquoi Nicolas Sarkozy, qui ne peut se dédire, a été obligé, non seulement de persister, mais d'aller plus loin. Introduire l'immigration dans le débat, c'était encore montrer sa force.
N. O. - Pourquoi cette nécessité de rappeler les origines étrangères de ces Français ?
G. Noiriel. - C'est le recours politique classique à « l'ennemi de l'intérieur ». Depuis les débuts de la IIIe République, la France s'est fait peur avec l'anarchiste italien, après l'assassinat de Carnot par un Italien, l'espion allemand pendant la Première Guerre mondiale et le communiste russe dans les années 1930. Aujourd'hui, elle a le terroriste islamiste. Ce sont des figures fantasmées, fabriquées à partir d'une base de réalité mais portées à des niveaux de généralité tels qu'elles n'ont plus rien d'objectif. En disant « ils sont étrangers », « ils ne se sentent pas français », on cherche à remobiliser la communauté nationale. Mais surtout, derrière la question nationale, il s'agit d'évacuer la question sociale.
N. O. -Un député UMP propose même de faciliter la déchéance de la nationalité française...
G. Noiriel. - Comme dans les années 1930 on a retiré la nationalité française et expulsé plusieurs militants communistes qui menaient les conflits sociaux ! La nationalité, selon une loi de base, c'est pourtant la protection qu'accorde l'Etat à ses ressortissants. Retirer la nationalité, c'est très grave. C'est un grand classique des régimes totalitaires : les bolcheviques ont refusé la nationalité soviétique aux Russes blancs (c'est pour eux qu'a été créé le statut de protection des apatrides), Mussolini et Hitler ont dénaturalisé à foison. Il faut se souvenir que la première mesure des nazis contre les juifs fut de leur retirer la nationalité. Sous Vichy, beaucoup d'entre eux ont également été déchus de la nationalité française.
N. O. - Voulez-vous insinuer que nous sommes dans une situation prétotalitaire ?
G. Noiriel. - La situation de la France des années 2000 est éloignée de celle des années 1930, ne serait-ce que parce qu'elle appartient à l'ensemble européen. Sans faire d'amalgame, je note juste des tendances, des réflexes qui peuvent avoir, sans que nécessairement le régime ne bascule, des conséquences très graves pour les personnes qui les subissent. Je pense à l'humiliation quotidienne, la stigmatisation permanente, le harcèlement policier. Ce sont des choses très difficiles à supporter, surtout quand on vit dans un pays qui se gargarise des droits de l'homme ! Et puis il n'est jamais anodin de vouloir résoudre une crise sociale en manipulant le levier national et sécuritaire. Cela aboutit toujours à une fuite en avant dans la logique répressive.
N. O. - Certains ont vu dans la gestion de cette crise, notamment avec l'instauration de l'état d'urgence hérité de la guerre d'Algérie, des relents néocoloniaux. Qu'en pensez-vous ?
G. Noiriel. - Je suis prudent sur ce terrain. J'entends dire, je lis que l'histoire coloniale serait absolument taboue, que la France n'aurait pas fait son examen de conscience. J'observe que si des blocages peuvent exister au sein de l'Education nationale, ce thème est tout de même extrêmement présent dans les médias. Je crois peu aux tabous qui passent en boucle à la télé ! Oui, longtemps, on n'a pas voulu savoir. Le premier livre sur le massacre du 17 octobre 1961 a été interdit. Là, il y avait censure, il y avait tabou. Ce n'est plus le cas. Alors je m'interroge. Ceux qui privilégient l'approche coloniale ne sont-ils pas eux aussi dans une autre forme de négation des enjeux économiques et sociaux ? Tout ne s'explique pas par le passé colonial. Les Italiens, que la France n'avait jamais colonisés, ont subi pendant très longtemps des crimes ou des violences xénophobes, à des niveaux bien plus importants que ceux qu'ont à connaître les populations issues des ex-colonies.
N. O. - Diriez-vous que la France est raciste ?
G. Noiriel. - Je parlerais plutôt de xénophobie. On constate dans l'histoire que souvent la droite française emprunte au registre de la xénophobie pour discréditer les colères sociales.
N. O. -On parle beaucoup en ce moment d'identité française. Mais, au juste, qu'est-ce qu'être français ?
G. Noiriel. - Je ne sais pas ! C'est une question impossible ! Moi-même, ai-je un sentiment français ? Comment définir ce sentiment d'appartenance dont certains parlent parfois ? Le seul critère objectif sur lequel le chercheur peut s'appuyer est juridique : est français celui qui a la nationalité française. Ce sont donc les papiers qui font le Français, point.
N. O. - Et pour les jeunes des quartiers, qui ont le sentiment de n'être que des Français de seconde zone... Quand cessera-t-on de les considérer relativement à leurs origines parce qu'ils sont issus de l'immigration ?
G. Noiriel. - Ce n'est pas seulement une question de temps, la réponse dépend énormément du milieu dans lequel on évolue. Plus la famille vit dans une position privilégiée, moins son origine étrangère posera problème. C'est en fait souvent la dimension sociale qui est déterminante. L'histoire des immigrés arrivés en France avant la Seconde Guerre mondiale montre que ce sont les guerres et la croissance économique des Trente Glorieuses qui ont ouvert le jeu.
Propos recueillis par Isabelle Monnin et Elsa Vigoureux
Elsa Vigoureux Isabelle Monnin
La nationalité en sursis
Retirer la nationalité française aux « voyous », Le Pen en rêvait, l'UMP l'a proposé. Jean-Paul Garraud, ancien vice-président du tribunal de grande instance de Paris, magistrat donc, présente un amendement à la loi Sarkozy sur le terrorisme, examinée cette semaine à l'Assemblée. La dénaturalisation existe déjà. C'est une procédure administrative qui jusqu'alors ne peut toucher le naturalisé que dans les dix ans suivant l'acquisition de la nationalité française, s'il a commis des actes de terrorisme ou contre les intérêts de la nation. Le ministre de l'Intérieur prévoit de porter ce délai à quinze ans. Plus fort que Sarko, Jean-Paul Garraud propose de supprimer le délai. Si son texte est adopté, tout individu coupable de terrorisme, de crime contre l'humanité ou de crimes et de délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation pourra, en peine complémentaire, être déchu de sa nationalité par un tribunal correctionnel ou d'assises.
Assez éloigné d
es incendiaires de voitures, dira-t-on. Pas si sûr, si l'on en croit l'argumentaire envoyé à ses collègues par le député de la Gironde : « Les récents événements, qui ont conduit à l'application de l'état d'urgence et à sa prolongation par le Parlement pour une durée de trois mois, ont notamment démontré que certains délinquants manifestaient par les infractions particulièrement graves qu'ils commettaient le rejet des valeurs fondamentales de la République. Dès lors, pour ceux qui ont obtenu la nationalité française et qui sont titulaires d'une double nationalité, il convient de mettre en place un système qui doit permettre de parvenir à la déchéance de cette nationalité française. En effet, devenir français signifie nécessairement l'adhésion aux valeurs qui fondent notre démocratie. Des droits et des devoirs en découlent. » Seuls les binationaux sont donc menacés de cette sanction. Ouf, Maurice Papon, dernier criminel contre l'humanité de France, restera bien français... _________________ On gagne toujours à taire ce que l'on n'est pas obligé de dire |
|