Posté le: Dim 02 Juil 2006 21:33 Sujet du message: La dot dans la tradition bulu
Voici une cérémonie de mariage coutumier (la dot) comme cela se pratique chez chez les Bulu du Cameroun. C'est pratiquement la même chose que chez les Etons où j'ai passé l'essentiel de mon enfance, mais les bulu ont cette particularité du culte des traditions qu'on s'efforce de transmettre à la jeunesse grandissante.
Après lecture quelles sont vos impressions ?
Citation:
Chez les Bulu : Tout est dans le verbe. Proverbes et maîtrise de la langue sont des atouts.
Marion Obam
Pierre Mouéllè va bientôt perdre patience. Son oncle maternel, Adolphe Ndoumbè qui l´accompagne et qui le connaît bien, pose une main apaisante mais ferme sur son genou. Il lui parle à voix basse: "Calme toi, je sais comment il faut s´y prendre, si tu montres des signes de nervosité, ils en profiteront pour te faire plus languir et peut-être augmenter la somme. Je suis un aîné, laisse moi gérer la situation, si tu ne peux pas supporter la tension, va faire un tour où on a garé les voitures, mais ne t´éloignes pas trop. Sinon, ils peuvent considérer cela comme un manque d´intérêt certain pour leur fille". Pierre Mouéllè se lève, s´excuse et sort. Il fait quelque pas dans la cour. Il lève son regard vers la cuisine en terre battue où se cache sa dulcinée. Mais, l´air farouche qu´affichent les trois tantes de sa future épouse, le dissuade d´avancer. Il se dirige alors vers le baobab sous lequel sont garés les véhicules. Il entend les bêlements des chèvres et le grognement des truies, sans doute fatiguées par le long et éprouvant voyage de Douala à Ebolowa, puis d´Ebolowa à Mvangane, situé à plus de 100km du chef-lieu de la province du Sud, sur une route non bitumée. Il est lui-même las...
Il retrouve sa grande soeur, qui est sortie de la salle, peu avant lui. "Je ne sais pas ce que tu avais à épouser cette fille bulu, si tu avais pris une fille de la même ethnie que nous, on ne serait pas coincés en pleine forêt équatoriale où on écoute les cris des singes et où on risque de rencontrer toutes sortes d´animaux". Après un moment de silence, il lâche : "Angèle, nous n´en sommes plus là. Toi même tu as accepté de venir, puis tu trouves Eliane tellement gentille. C´est toi qui m´avais conseillé de la prendre pour épouse. De quoi te plains-tu maintenant?". "Tu sais que j´aime beaucoup Eliane, mais je ne m´imaginais pas que son village était aussi loin de la civilisation et que la dot serait si compliquée", ajoute t-elle.
Pris de remords comme s´il allait manquer quelque chose, Pierre Mouéllè se dirige vers la case des hommes. Il rencontre son cousin qui venait déjà le chercher. "A quel niveau sont-ils?", lui demande Pierre. "Elianne a fait sa première apparition et on a besoin de toi pour remettre les premiers présents".
Lorsque Pierre entre dans la case, ses yeux cherchent aussitôt ceux d´Eliane, l´amour et la confiance qu´il lit sur ses prunelles noires qui luisent lui redonnent confiance. Il reprend alors sa place près de son oncle. Sur la table, il y a deux bouteilles du Rhum Saint James, deux pagnes Wax, une paire de boucles et une épaisse enveloppe qui contient 200.000 francs. Et, à côté, une grande bassine en faïence, dehors une chèvre, une truie et trois cartons de poissons (bars), trois dame-jeannes de vin rouge. C´est ce qu´on appelle "Vôos Aba" ou "balayer la case des hommes". C´est lors de cette petite cérémonie que le prétendant ou le dirigeant de la famille expose la raison pour laquelle il est venu dans ce village et dans cette famille. Adolphe Ndoumbè prend la parole et s´adresse à l´assistance en langue Bulu, ce qui est un atout dans la discussion qui va suivre. C´est qu´il a vécu pendant près de 10 ans à Sangmélima et a enseigné pendant 7 ans à Mbalmayo; il s´exprime donc très bien en langue bulu et connaît beaucoup de proverbes.
"Eyon wo yen mone a tabe e nsen ayab, oyeme na´a a yene ya mvon évovoê éné, éto fe na´a bot ya´ mvon ané ba ba´ale ye mvoé".
Traduction : "Quand tu vois ton enfant rester longtemps dehors, c´est qu´il a trouvé un autre lieu paisible où il est à l´ombre.
Car dans ce lieu, il a trouvé des gens qui le gardent aussi bien que s´il était chez lui". Il réussit à capter son auditoire. C´est un véritable jeu où tout se gagne par la négociation et par le mot juste. Il ne faut pas user de violence ou chercher à étaler son opulence. Et ça, Adolphe Ndoumbè l´a compris. Il poursuit : "nos deux enfants se sont rencontrés et se sont aimés. Nous avons observé Eliane et elle nous a prouvé qu´elle est une fille bien élevée et qui a toutes les qualités d´une bonne mère. C´est la raison pour laquelle nous sommes venus demander sa main. Nous souhaitons vraiment qu´elle porte nos petits-fils", conclut-il.
Nœud
Le père d´Eliane prend alors la parole. Il pose d´abord le chasse-mouche imposant qu´il a en main, puis, se racle la gorge. Il regarde ensuite du côté de la famille qui souhaite doter sa fille et se retourne vers Eliane : "Tu as écouté comme moi tout ce que ces gens ont dit. Si tu veux aller en mariage, prends les présents qui sont sur la table et remets les moi. Si tu veux encore rester avec nous, tu leur remets leurs biens et qu´ils repartent chez eux. J´espère que tu as bien réfléchi parce que je ne veux pas de problèmes après, car si tu n´es pas sûre de ton choix, tu as encore le moyen à ce moment précis de te rétracter". A partir de cet instant, l´air se charge d´une tension. Pierre a peur d´être rabroué. Eliane se dit qu´en donnant son accord, fini la petite indépendance et ses accès de colère qui duraient pendant des semaines et qui obligaient Pierre à la couvrir de cadeaux, et de lui refaire à nouveau la cour. Consciente de son pouvoir actuel, elle prend tout son temps. Elle est même ramenée à l´ordre par un coup de coude dans les côtes de la petite soeur de sa mère. Elle prend une bouteille du Rhum Saint-James, la paire de boucles et l´enveloppe. Elle se dirige vers Pierre. Toute l´assistance est muette, comme saisie par un même doute: Va-t-elle remettre cela à son prétendant ? Ce serait incompréhensible alors que quelques minutes avant elle chantait tout l´amour qu´elle avait pour lui.
Eliane s´arrête devant Pierre, dont on peut lire une angoisse profonde sur le visage. "Est-ce que tu veux vraiment de moi pour épouse ? Iras-tu sérieusement jusqu´au bout de tes engagements?". Il lui sourit et lui dit d´une voix claire où percent des accents de sincérité: "Oui et tu le sais depuis toujours, sinon je ne serais pas venu jusqu´ici voir tes parents". Rassurée, d´un pas plus gai, elle va remettre les présents à son père. Aussitôt un "Oyenga", espèce de long "youyou" sort de la bouche de sa tante pour communiquer à tout le village la bonne nouvelle: Eliane a accepté le mariage. Une joie folle saisit sa mère et les autres femmes restées à la cuisine. C´est la fin des moqueries. C´est la fin des intrigues. C´est la confirmation qu´elle est une bonne mère. C´est la dernière de ses filles qui n´arrivait pas à trouver un époux. Elle a enfin rempli sa mission : marier toutes ses filles. Elle sera désormais un personnage imortant dans le village. Toutes les femmes bien moins nanties qu´elle viendront demander sel, savon, huile et riz. Elle voit déjà la scène d´ici mais avant tout, il faut que la famille où sa fille va en mariage donne le reste de la dot, c´est à dire tout ce qui avait été mentionné sur la liste envoyée il y a quelques mois. Un boeuf, une couverture en laine, un costume pour le grand père, trois grosses marmites de fabrication artisanale communément appelé "macocotte", trois sacs de riz 100kg, un fût de 50 litres d´huile rouge, quatre sacs de sel, un appreil de musique, un sac de morue, 50 feuilles de tôles, une tonne de ciment, trois truies, trois chèvres, cinq pagnes de wax hollandais, un service complet (assiettes,fouchettes cuillères, verres, etc.), une grosse valise etc. Et, une envelloppe de 1.000.000 francs. La liste est tellement longue qu´elle s´étale sur deux pages et il ne serait pas démésuré de dire que ce sont deux listes. Là encore, il faudra négocier.
Douleur
Certains oncles et tantes d´Eliane sont vexés. La raison est bien compréhensible : ce qu´ils ont demandé dans la liste n´a pas été livré. Après avoir discrètement vérifié le contenu des trois voitures et le camion, ils ont pu se rendre compte qu´il manquait les tôles, l´appareil de musique, la tonne de ciment et la grosse valise. Ils ne tardent pas afficher leur colère. Le plus courroucé d´entre eux dit alors au père d´Eliane : "J´ai participé à l´éducation de notre fille. Chaque fois que tu allais lui rendre visite à l´internat au Collège Bonneau d´Ebolowa, j´envoyais mon argent, ma femme faisait la pâte d´arachide et pour les dossiers du baccalauréat lorsque tu étais coincé c´est encore moi qui t´ai trouvé les fonds nécessaires. Pourquoi c´est ce que moi je demande qui manque. Eliane ne peut pas partir en mariage sans que je n´aie pris ma part". Quelques murmures d´approbation parcourent la salle. Un autre blocus.
Pierre Mouéllè est pris d´une violente envie de pleurer. Adolphe Ndoumbè demande une petite pause. La famille sawa de Bonadibong sort. "Tonton, je n´ai plus rien. Où est-ce que ces personnes pensent-elles que je trouve l´argent? Moi je veux déjà prendre ma femme et rentrer. Pourquoi est-ce qu´ils me torturent de la sorte?" "Du calme mon fils. Je t´ai déjà dit que c´est un jeu où il faut avoir les nerfs rompus à l´épreuve. Nous rentrerons avec Eliane, mais pour cela il faut jouer la carte de la diplomatie." Adolphe se retourne vers Angèle Mouélle, et lui demande : "Combien nous reste t-il de liquidité?" "300.000 francs, Tonton. Mais nous n´avons pas fait le plein de toutes les voitures, donc il faut prévoir l´argent de l´essence au retour", répond-elle. "Remets moi 100.000 francs et que chacun de nous donne encore 10.000 francs. Je sais que c´est dur mais nous ne pouvons plus revenir ici pour le même problème. Souffrons de le résoudre une fois", conclut Adolphe Ndoumbè. La collecte donne 250.000francs. Puis, tous regagnent leurs places dans "l´Aba". Pendant leur absence, les autochtones du village ont ausi tenu une petite réunion. C´est d´ailleurs la coutume chez les Bulu de tenir les palabres pour parler d´une seule voix. "S´ils n´ajoutent rien, nous ne leur donnons pas Eliane. C´est le seul moment où nous avons entièrement la situation en main.
Ces Duala là sont trop imbus d´eux-mêmes, en plus, dans les chambres préparées pour eux, ils ont refait le lit comme si ce que nous leurs proposons n´est pas digne d´eux. Ils voulaient même dormir dans la voiture", lance une vielle dame, reconnue pour sa langue fourchue, puisqu´elle est reprise par une autre: "Ne sois pas trop dure. Ils avaient aussi raison, ces draps là étaient trops sales. Pour l´heure ce n´est pas le plus important il faut qu´ils nous donnent tout ce qu´on a demandé". Dès que le chef de la délégation, Adolphe Ndoumbè, revient dans la salle, tous se taisent. La palabre continue."Nous avons respecté la liste que vous nous avez fait parvenir. Mais quelques petites choses n´ont pas pu être réunies. Si nous ne les avons pas apportées, ce n´est par mépris pour vous, au contraire, nous souhaitons toujours revenir ici. Car comme vous le savez la dot d´une fille ne se fait pas en un seul jour. C´est le cordon qui nous unit maintenant et nous voulons toujours vous être redevable.
Pour calmer la colère des oncles nous ajoutons 250.000 francs à ce que nous vous avons déjà remis", explique Adolphe Ndoumbè à sa nouvelle belle famille. Il est applaudi et qualifié de "Nyamoto" ou "Vrai homme". Il réussit ainsi à faire tomber le dernier obstacle entre Pierre et Eliane. "Vous pouvez déjà prendre votre femme", lui dit le père d´Eliane. Elle est aussitôt appelée à tue-tête. C´est en courant qu´elle arrive toute essoufflée dans la case, parée de blanc comme un agneau prêt pour le sacrifice. Un peu anxieuse car connaissant les atermoiements de son père. Ce dernier lui dit : "Tu restes notre fille, mais tu appartiens désormais à cette famille dont tu fais partie intégrante. Ne viens plus ici seule, ou sans l´aval de ton époux parce que c´est désormais lui qui répond de toi". Pierre Mouèlle est enfin heureux et peut afficher son premier sourire depuis deux jours. Doter une femme chez les Bulu c´est pas évident pour un mauvais "tchatcheur". Heureusement Pierre était bien accompagné et que, par dessus tout, le deux parties se comprenaient
Posté le: Lun 03 Juil 2006 04:34 Sujet du message:
Citation:
les tiennes d'abord... tu en penses quoi ?
L'impression que j'aie, si l'arrière-garde des traditions bulu ne change pas de mentalité, il ne risque plus avoir assez d'hommes pour prendre leurs filles en mariage.
En disant cela, ce n'est pas que je serai le premier à passer outre cette étape du mariage, non, mais je crains que les nouvelles générations d'Africains, soucieuses de l'image matérialisante qu'elles se font de la femme noire en générale, y trouvent un prétexte pour se dérober du mariage coutumier.
Nos traditions nous paraissent subitement si ancestrales, si étrangères, si banales dès lors que nous en parlons.
Parce que dans notre inconscient nous avons intégré un certain confort existentiel qui n'a rien à avoir avec la culture que nous voulons défendre.
La belle famille arrive dans un village bulu, où toute une famille s'est unie derrière les géniteurs pour éduquer leur fille, une démarche honorable mais qui prend un autre sens dès lors qu'on nous parle de "civilisation".
Si je résume la pensée du narrateur, la civilisation s'éteint une fois qu'on s'éloigne des villes, les campagnes n'étant que le monde sauvage où on entend les cris d'animaux. Parallèlement, il a su mettre en exergue l'art de la rhétorique de l'interlocuteur d'expression bulu :
Citation:
"Chez les Bulu : Tout est dans le verbe. Proverbes et maîtrise de la langue sont des atouts."
J'ai une fâcheuse impression qu'une fois le mariage scellé, ce village sera oublié, mais la femme bulu, bonne épouse, comme en rêverait tout homme qui se respecte continuera à avoir tout son intérêt premier.
Elle doit bien faire la cuisine, honorera son mari comme son père et sa mère, brèf, elle deviendra la chose de son époux, avec la bénédiction de sa soeur...C'est elle qui l'a poussé à en arriver jusque-là.
Du coup le mariage en lui-même, perd tout son sens...
Parce que deux pensées s'affrontent, la femme comme socle de la famille africaine et la femme comme la chose qui servira à son mari et à procréer.
Et pourtant, c'est bel et bien ce village, loin de la civilisation qui a fait d'elle, ce que les "gens civilisés" ont apprécié et décidé d'épouser...
Posté le: Lun 03 Juil 2006 17:04 Sujet du message:
Lekunfry
En effet, tu as raison de penser que la dot s'est pervertie dans des moeurs, on ne peut plus "mafieuses", mais rejeter cette tradition que nous avons héritée de nos anciens n'est pas la solution la plus appropriée. je pense qu'il faut la réformer et je peux t'assurer que beaucoup de familles en ont fait un acte symbolique coutumier et précisément les mieux loties financièrement.
La pervertion comme tu la conçois provient de la paupérisation de nos sociétés qui y touvent un moyen de combler des lendemains qui déchantent.
J'ai une soeur et je souhaiterais pour elle un mariage coutumier, c'est à dire une demande officielle de sa main auprès de mon père et quelques membres de la famille, sans toutefois imposer des obligations matérielles à son futur époux.
C'est aussi une question de respect...
Pour ma part, j'ai décidé de me rendre personnellement dans le pays de ma future épouse pour les mêmes raisons, si d'aventure nous décidions d'en arriver là...
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