L'on s'accorde à dire de plus en plus que l'alliance et la parenté à plaisanterie sont des valeurs culturelles à sauvegarder. Il est un fait que là où le jeu de l'alliance et de la parenté à plaisanterie s'exerce, des conflits surviennent rarement. Pourtant, les phénomènes d'urbanisation, de scolarisation et de modernisation tendent à lessiver cette valeur culturelle.
Expressions culturelles séculaires et profondes qui survivent au temps et à l'espace, les alliances et parentés à plaisanterie permettent de cimenter entre elles les familles, les communautés, les ethnies, les régions, les pays.
Anodine et faussement superficielle, elle [la parenté à plaisanterie] représente un modèle d’avenir dans la régénération de la cohésion sociopolitique africaine et même dans la gestion en amont des conflits interethniques, internationaux.
La parenté à plaisanterie est une parmi tant d'institutions et pratiques sociales négro-africaines ayant contribué à la grande stabilité politique de nombreuses sociétés africaines anciennes ; démontrant leur efficacité à produire des rapports sociaux paisibles, en tout cas moins structuralement confligènes.
Ailleurs, en Europe notamment, de fréquentes révolutions sociales ont parfois décapité tels autocrates vivant de la surexploitation brutale (taille, dîme, gabelle, etc.) de leurs sujets, dans des rapports sociaux extrêmement autoritaires.
Pourtant, dans l'entendement eurocentrique, cette fréquence de révolutions a été posée (sur un piedestal) comme unique et nécessaire "moteur de l'histoire", seule capable de produire du changement (économique, politique, technique, etc.) dans la société. Tandis que la grande stabilité politique des sociétés négro-africaines est éprouvée comme une marque "d'anhistoricité", qui se dit désormais plus subtilement (?) "immobilisme", "extraordinaire résistance aux changements", ou autres billevesées (que l'on peut lire notamment chez OPG)...
En réalité, en tout cas dans une perspective afrocentrique, d'une part la fréquence des soulèvements populaires en Europe peut s'entendre aussi (quoique pas seulement) comme conséquence d'un échec récurrent de la société à élaborer des modes de vivre-ensemble équilibrés, stables, maatiques. D'autre part, la grande stabilité des sociétés négro-africaines, non seulement ne signe aucun "immobilisme", mais témoigne d'une expertise dans l'élaboration de mécanisme sociétaux efficaces, en vue de régler les conflits, d'épuiser les manques et excès survenant nécessairement entre des hommes vivant ensemble sur un territoire donné.
Dans cette optique afrocentrée, la parenté à plaisanterie peut être regardée comme une des inventions de l'ingénerie politique traditionnelle négro-africaine, dont la "boîte à outils" est particulièrement bien garnie en moyens efficaces pour rétablir et/ou promouvoir la paix sociale.
En sorte que les Africains devraient puiser d'abord dans cette boîte, c'est-à-dire en eux-mêmes, dans leur propre histoire, les moyens indispensables à une Renaissance Politique efficace, rapide et durable... _________________ http://www.afrocentricite.com/ Umoja Ni Nguvu !!!
Les Panafricanistes doivent s'unir, ou périr...
comme Um Nyobè,
comme Patrice Lumumba,
comme Walter Rodney,
comme Amilcar Cabral,
comme Thomas Sankara,
Et tant de leurs valeureux Ancêtres, souvent trop seuls au front...
Voici une anecdote personnelle sur la parenté à plaisanterie. Je suppose que certains ici n'ont jamais expérimenté concrètement cette institution. Ceux qui en ont une expérience pourraient la faire partager, en racontant des cas par eux vécus :
C'était donc à Bouaké (Côte d'Ivoire), alors que j'étais adolescent, fin des années 1970. Un dimanche vers midi, le climatiseur de notre salle à manger commençait à prendre feu.
On appela les sapeurs pompiers, qui vinrent et maîtrisèrent ce début d'incendie. Avant de repartir, ils prodiguèrent quelques conseils d'usage, notamment qu'il ne fallait surtout pas tenter d'arrêter un tel type de départ de feu en y projetant du sable, comme nous avions commencé à faire.
Puis, soudainement, le chef de l'équipe de pompiers commença à disjoncter : ils parlait très haut (en français, bien sûr), donnait des ordres à qui mieux mieux aux gens de la maison, exigeant d'être traité avec tous les égards dûs à son rang royal, faisait des grivoiseries à destination des femmes, etc. Le pur délire
On était tous décontenancés, persuadés que le chef pompier avait perdu la tête. Mais une des mamies de la maison se rapprocha très près du monsieur disjoncté, le dévisageant mystérieusement. Ce devait être une de ces nombreuses vieilles tantes, grand-mères, etc. qui venaient souvent du village rendre de longues visites (des mois, voire des années) à la famille en ville. Cette dame parla au pompier dans une langue africaine (en fait la langue maternelle du gars), en lui demandant s'il n'était pas originaire de telle région de la CI. Le pompier aquiesca, en s'esclaffant.
C'est ainsi que j'appris qu'aux temps des ancêtres, notre nation et celle du pompier, aux territoires mitoyens, avaient passé une alliance ; aux termes de laquelle les membres des deux groupes se devaient tout particulièrement respect et assistance, en toute circonstance, partout, et toujours. Par conséquent, ayant reconnu une famille alliée (à travers la langue que parlaient les gens de notre maison) à des centaines de kilomètres de nos pays respectifs (sud-ouest de la CI, tandis que Bouaké se trouve au centre), le Chef des Pompiers était parfaitement habilité à foutre le dawa, à railler les femmes, à injurier les hommes avec grossièreté, sans que personne ne pût en aucun cas lever la main sur le lui. Sauf seulement à redoubler de grossièreté, comme fit d'ailleurs la mamie qui était intervenue.
Cela eut évidemment pour effet de détendre l'atmosphère. Mon père insista vivement pour retenir les sauveteurs à déjeuner (mais ça faut pas le répéter). Ce que ne pouvait refuser le chef pompier : bouffe, boissons, déconnades à gogo, échanges de coordonnées. Et les pompiers durent malgré eux écourter leur pause déjeuner, en principe non autorisée...
Ce fut ma première et seule expérience de la parenté à plaisanterie ; laquelle m'avait beaucoup impressionné. J'espère avoir ainsi permis à ceux qui ne la connaissent pas à avoir une petite idée concrète de cette institution. Pur bijou de pratique sociétale apaisante, de la part de gens "civilisés jusqu'à la moelle" comme dirait Léo Frobenius...
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C'est ainsi que j'appris qu'aux temps des ancêtres, notre nation et celle du pompier, aux territoires mitoyens, avaient passé une alliance ; aux termes de laquelle les membres des deux groupes se devaient tout particulièrement respect et assistance, en toute circonstance, partout, et toujours. Par conséquent, ayant reconnu une famille alliée (à travers la langue que parlaient les gens de notre maison) à des centaines de kilomètres de nos pays respectifs (sud-ouest de la CI, tandis que Bouaké se trouve au centre), le Chef des Pompiers était parfaitement habilité à foutre le dawa, à railler les femmes, à injurier les hommes avec grossièreté, sans que personne ne pût en aucun cas lever la main sur le lui. Sauf seulement à redoubler de grossièreté, comme fit d'ailleurs la mamie qui était intervenue.
Très intéressant , moi je n'ai pas été la "victime" de cette Institution , mais l'un de mes amis l'a été.
Il existe bien ce qu'on appelle des alliances ( je ne sais pas si c'est exactement la même chose que la parenté à plaisanterie , mais comme tu l'expliques ca m'a l'air d'être identique ) entre les Gouro et les Koyaka ( en Côte-d'Ivoire ) si bien qu'il est habituellement dit qu'un Gouro qui viellit devient Koyaka et qu'un Koyaka qui viellit devient Gouro .
Les alliances en question , selon la légende , sont faites avec le sacrifice d'un taureau que l'on "coupe" en deux du crâne jusqu'au bas du ventre ... ( il est même dit qu'en des temps lointains c'était plutôt des hommes qui étaient sacrifiés , mais bon c'est la symbolique de l'action qui primait ).
Donc pour l'histoire , mon ami Koyaka ( Fofana ) avait une mère qui etait grossiste en fruits et légumes au marché du plateau ( en face de l'Hotel de ville ) , lors d'un midi en passant près de l'étalage de sa mère , nous nous arrêtons pour les salutations , on nous fait asseoir ( nous étions 4 ) pour nous servir un Tchebou-dien ( Plat Sénégalais assez populaire ) des vendeuses tout près , grâcieuseté de la bienveillante Mère de Fofana, nous finissons comme des gloutons nos plats , puis soudain mon ami Gouro ( Boty Bi ) decide qu'il est temps de faire valoir son droit d'alliance , il commence par dire qu'il veut épouser la grande soeur de mon autre ami , well , tout le monde se regarde croyant avoir mal entendu "l'ingrat" ami , mais il répeta son indécente proposition si bien que nous pensions qu'il avait effectivement perdu la raison , puis sans attendre la reponse de sa première folie , exige 3 sachets de fruits , et pour couronner le tout il s'est permis de prendre les chaussures de plage "addidas" Unisexe de la soeur qu'il veut épouser pour les essayer , supposer qu'elles devaient être siennes , les ramassa et les mis dans son cartable ...
Nous commencions tous à rire jaune ,et moi à suer comme je sais si bien le faire quand je suis dans ce genre de situation , ... sans tapages , la Mère ordonna qu'on lui confectionne non pas 3 mais 6 sachets de fruits et autant qu'il en voudra à chaque fois qu'il passera par là , les chaussures lui furent données avec des appréciations sur la concordance avec son teint , pour les fiancailles avec la soeur , on lui a demandé d'être d'abord majeur ( tout ca avec un petit sourire ) , de fait , à chaque fois que ( Boty Bi ) arrivait chez mon ami ( Fofana ) il etait servi comme un Roi , cela dit la réciprocité etait de rigueur ...
Je n'ai malheureusement jamais cherché à savoir jusqu'où cette parenté à plaisanterie pouvait aller ,ni ses tenants encore moins ses aboutissants , je le redecouvre avec ton post ,que je trouve instructif , j'espère que le post continu....
Les liens de ces alliances sont très forts et très connus des vielles personnes , je fus assez impressionné par l'action de mon ami , pourtant je l'ai trouvé assez téméraire sur les bords vu que mon autre ami etait Musulman ...et qu'il voyait TRÈS mal les regards que nous posions sur les postérieurs de ses soeurs qui, ma foi n'étaient pas mal. _________________ "Always be intolerant to ignorance but understanding of illiteracy (..)in those homely sayings (mother wit) was couched the collective wisdom of generations" I know why the caged bird sings, p99, Maya Angelou
Dernière édition par Gnata le Lun 04 Sep 2006 12:02; édité 3 fois
Inscrit le: 12 Oct 2005 Messages: 1346 Localisation: Abidjan / Ouagadougou / Bruxelles / Paris / Tours
Posté le: Lun 04 Sep 2006 09:56 Sujet du message:
Aaaah ! en effet, la parenté à plaisanterie est un de ces trucs qu'on a du mal à capter quand on a pas grandi dedans. Pourtant les exemples au quotidien en sont nombreux, mais il n'est pas toujours facile de savoir et de se souvenir qui est allié avec qui etc ...
Bref, des exemples....Les funérailles d'un collègue Yacouba (Dan) qui s'était tué en moto. A un moment, un autre de nos collègues se lèvent et commencent à faire tout un pataques ! Un barouf du diable pour dire que le mort lui doit de l'argent et qu'il ne le laissera pas se faire enterrer dans que ses parents lui auront pas remboursé la somme!!!
Il crie, il fait du scandale, il sasseoit sur le cerceuil et bloque tout, ca a l'air sérieux...pourtant les gens font mine d'être géné. Et on comprend assez vite que le collègue "baroufeur" en question est Peul. Et qu'entre les Peuls et les Yacoubas y a alliance. C'est donc un jeu rituel à ce moment là qui se trame. Les parents du défunt font mine d'être catastrophé. Conciliabules, demande de pardon en tout genre et finalement ou bout de 30 minutes, un billet de 500 F (somme extrement dérisoire...je le note pour pas que cela soit interprété autrement) et notre collègue se calme et décrète que le gars peut maintenant être enterré.
Alors en effet, ca reste assez vivace et surtout ca surprend toujours car personne ne peut etre au courant de toutes les alliances des un avec les autres meme dans un '"petit" pays comme la CI. Alors comme l'a dit Gnata, on se retrouve parfois dans des situations ou on sait plus ou se foutre, jusqu'à ce qu'on ait compris que c'était "affaire d'alliance".
Un autre exemple récent. Les funérailles de Guéi. Ses "parents du Nord", là il faut comprendre les Sénoufos ont bloqués sont cortège funèbre, pour les memes raisons, y a alliances entre sénoufos et yacoubas....après moults palabres et autres eclats de voix, 1 000 francs et le corège est reparti.
En passant, de son vivant, Guéi comptait sur cette alliance traditionnelle pour que les Sénoufos votent pour lui et ainsi passer. Je travaillais dans l'ouest au moment des élections de 2000 et je peux dire que ca faisait parti de son discours de campagne à un niveau bien plus élevé qu'on peut l'imaginer. Comme quoi ca peut avoir des influences en politique.
Pour le reste, c'est souvent (mais pas toujours) basé sur des relations du type : "Vous les X vous etes nos esclaves! et l'autre de répondre Non ce sont vous les Y qui etes les esclaves des X!" Bref ca surprend toujours un peu en effet quand on voit les gens se traitrer d'esclave. Ce que j'en ai appris c'est que c'est au contraire, des relations qui se sont crées lors de guerres ou autres conflits. Un groupe ayant défendu l'autre, il devient son obligé. D'où le mot esclave qui n'est pas à prendre au sens premier.
Le plus souvent ca donne des gens qui se "parlent mal" en faisant sauter toutes les hiérarchies actuelles, tu peux ainsi avoir un coordonnier qui envoie péter le préfet de région ! En fonction de çà.
Au regard des quelques exemples qui ont été déjà glanés ici, en espérant qu'il y en aura d'autres venant de d'autres pays africains :
Citation:
Il existe bien ce qu'on appelle des alliances ( je ne sais pas si c'est exactement la même chose que la parenté à plaisanterie , mais comme tu l'expliques ca m'a l'air d'être identique ) entre les Gouro et les Koyaka
Citation:
y a alliances entre sénoufos et yacoubas
Citation:
Et qu'entre les Peuls et les Yacoubas y a alliance.
Le livre que j'ai mis en lien traite de la parenté à plaisanterie au Burkina Faso.
On peut dire que cette institution est très répandue en Afrique (de l'Ouest), qu'elle est encore relativement vivace, qu'elle ne concerne pas que des nations au territoire mitoyen. En effet, Peuls et Yacoubas habitent à plus de mille kilomètres les uns des autres. De plus, une même nation peut nouer plusieurs alliances, à l'instar de Yacouba (avec Sénoufo, et avec Peul).
Il en résulte que : les soit-disant "ethnies" africaines ne sont pas nécessairement en guerre perpétuelle ou imminente les unes avec les autres. Qu'au contraire entre elles existent aussi des institutions et pratiques (comme celle ici visée) favorables au mieux vivre-ensemble, particulièrement efficaces pour promouvoir des relations maatiques entre nations.
Donc ce que l'africanisme eurocentrique nomme "ethnie" n'est pas une tare, ni un facteur de "retard", "blocage", au développement de l'Afrique ; ni encore moins de prolifération de guerres dites "inter-ethniques". Cette stigmatisation continuelle trahissant un vif agacement à la résistance culturelle de groupes autochtones africains (que je nomme volontiers nations) à une occidentalisation hégémonique de leur monde, manières d'être, de vivre et de faire ce monde.
Bref, avant l'arrivée des Blancs, il n'y avait des sauvages en Afrique, occupés seulement à guerroyer les uns avec les autres, "produisant" un énorme volume de bois d'ébène, dont les blancs seraient venus généreusement les soulager de l'excès, en en déportant des millions... _________________ http://www.afrocentricite.com/ Umoja Ni Nguvu !!!
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