Posté le: Mar 03 Oct 2006 04:03 Sujet du message: Yovodah : Les veines ouvertes de l'Amérique Latine
Eduardo GALEANO, « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine », éd. Plon, 1981.
Le Yovodah, le crime de l'homme blanc, consiste également aux "veines ouvertes de l'Amérique Latine". Extrait du titre d'un ouvrage d'Eduardo GALEANO contemporain de celui de Walter RODNEY (déjà cité).
L'auteur y expose la face amérindienne de l'expansion criminelle de l'Europe sur l'Atlantique, comme première cause de son essor capitaliste commercial, monétaire et industriel à partir du XVIème siècle.
La manière dont les Européens se comportèrent avec les autres gens qu’ils rencontrèrent sur les bords de l’Atlantique est particulièrement bien documentée en Amérique : pillages, massacres, incendies de champs et habitations, humiliation des chefs locaux, tortures, décapitations, extermination des autochtones, exploitation frénétique des ressources naturelles, etc.
Eduardo GALEANO a écrit:
Cette violente marée de convoitise, d’horreur et de courage ne s’abattit sur ces régions qu’au prix du génocide des indigènes : les investigations récentes les mieux fondées estiment que la population du Mexique précolombien atteignait entre vingt-cinq et trente millions d’habitants et on évalue à un chiffre identique la quantité d’Indiens de la zone andine ; l’Amérique centrale et les Antilles comptaient entre dix et treize millions d’âmes.
Les Indiens de l’Amérique totalisaient pas moins de soixante-dix millions de personnes lorsque les conquistadores firent leur apparition ; un siècle et demi plus tard, ils n’étaient plus que trois millions et demi.
Selon le marquis de Barinas, entre Lima et Paita, où avaient vécu plus de deux millions d’Indiens, il ne restait que quatre mille familles indigènes en 1685.
[Eduardo GALEANO, « Les veines ouvertes de l’Amérique Latine », éd. Plon, 1981, p58]
Or, ce sont ces mêmes Européens (principalement de la Péninsule ibérique) qui fréquentaient les côtes atlantiques africaines à la même époque (XVIè et XVIIè), voire bien avant (XVè siècle).
Comment imaginer qu’ils réservaient leur cruauté et avidité aux seules nations Américaines, tandis qu’avec les Africains ils devenaient miraculeusement de gentils partenaires commerciaux ? Qu’est-ce qui expliquerait une telle schizophrénie ?
En réalité, les nations américaines ne connaissaient pas encore l’usage du fer au XVIè siècle. Si bien que de façon générale, leurs matériels militaires étaient beaucoup moins performants que les chevaux, mousquets et canons des conquistadores. De plus, les principaux centres civilisationnels américains n’étaient pas très éloignés des côtes. Ils étaient disséminés sur les îles de l’arc antillais, et surtout autour de la chaîne de montagnes andines, avec un arrière-pays recouvert de l’épais manteau forestier amazonien. D’où de très fortes densités de populations sur une bande géographique relativement étroite, quoique très longue. Conditions écologiques plutôt favorables à une extermination rapide, à grande échelle, d’une population indigène pouvant difficilement s’enfuir vers les sommets andins glaciaux et arides, ou vers l’amazonie à l’écosystème hostile. Il fut donc plus aisé pour les Européens de massacrer les Américains, d’accaparer leurs terres, or, argent et autres ressources naturelles, en raison de leur très grande supériorité militaire.
En revanche, sur les côtes atlantiques africaines, les densités de populations étaient globalement plus faibles aux XVè et XVIè siècles, car les principaux centres civilisationnels négro-africains se situaient loin à l’intérieur des terres, notamment à l’orée du Sahara, dans la boucle du Djoliba, aux alentours des lacs Tchad et « Victoria ». D’ailleurs, le plus grand pays africain des côtes atlantiques, Kongo-Dyna-Nza, fut rapidement dépecé par les Européens, au même rythme que le massacre des Américains ; des millions de Kongo les remplaçant comme bêtes de somme, au fur et à mesure de leur extermination.
En outre, depuis le temps de Ta Seti (pays de l’arc), et même longtemps auparavant (si l’on en réfère aux rupestres sahariens dépeignant des archers), les Africains avaient une très longue tradition militaire. Aux XVè et XVIè siècles, les sociétés africaines possédaient des armes en fer (essentiellement des lances) fabriquées par des castes de forgerons qui travaillaient ce métal depuis des millénaires. L’Afrique disposait donc de moyens militaires plus performant que ceux d’Amérique, bien qu’encore moins efficaces que les armes européennes.
Cette plus grande capacité de riposte militaire, combinée avec un contexte géographique moins propice aux attaques étrangères par l'Atlantique, permirent aux Africains de résister plus longtemps à « la férocité blanche », quoique bien péniblement ; jusqu’à sa complète occupation militaire des XIXè et XXè siècles. Et là, le scénario documenté est rigoureusement identique à celui de l’Amérique précolombienne, trois siècles plus tôt : pillages, massacres, incendies de champs et habitations, humiliation des chefs locaux, tortures, décapitations, extermination des autochtones, exploitation frénétique des ressources naturelles, etc.
Il résulte de ce qui précède que la recherche de « logiques internes » africaines pour expliquer le yovodah n’est qu’une vaine entreprise de diversion. Les causes ultimes, nécessaires et prépondérantes de cet événement sont consignées dans la trajectoire historique particulière de l’Europe, dans ses propres institutions, pratiques et évolution...
Autre conséquence épistémologique : une compréhension "globale" du yovodah ne peut pas raisonnablement omettre son versant "amérindien". Nous autres Africains et Afrodescendants, qui sommes plus nombreux à avoir survécu à "la férocité blanche" commettrions un crime si nous oubliions, a fortiori occultions, le "génocide indien", ainsi que le nomme GALEANO. Ce funeste sort réservé par les Occidentaux aux Américains n'est pas seulement ce à quoi nous avons échappé. C'est surtout ce à quoi nous nous exposons, à continuer de végéter comme des zombis amnésiques... _________________ http://www.afrocentricite.com/ Umoja Ni Nguvu !!!
Les Panafricanistes doivent s'unir, ou périr...
comme Um Nyobè,
comme Patrice Lumumba,
comme Walter Rodney,
comme Amilcar Cabral,
comme Thomas Sankara,
Et tant de leurs valeureux Ancêtres, souvent trop seuls au front...
J'ai toujours considéré que ce continent avait de l'avance, car il a été le premier a subir la féroce exploitation des nations européennes. Après avoir connu les pires régimes possibles, au cours du XXè siècle, un courant nouveau émerge, au Vénézuéla et en Bolivie, notamment. Une lueur d'espoir ? _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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Posté le: Mar 03 Oct 2006 17:19 Sujet du message:
Chabine a écrit:
J'adore GALEANO, merci OGO
C'est avec quelques articles que j'ai fait la connaissance avec la plume de cet auteur, et ceci grace a toi Chabine qui me l'a fait decouvrir. Merci
J'ai lu pour la premiere fois un de ses livres il ya quelques semaines:SENS DESSUS DESSOUS, L'ecole du Monde a l'Envers. J'en suis encore tout retourne.
Le livre qu'OGO nous presente aujourd'hui est bien sur dans mon point de mire... C'est vraiment quelqu'un qui merite d'etre lu! _________________ l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH
J'ai toujours considéré que ce continent avait de l'avance, car il a été le premier a subir la féroce exploitation des nations européennes. Après avoir connu les pires régimes possibles, au cours du XXè siècle, un courant nouveau émerge, au Vénézuéla et en Bolivie, notamment. Une lueur d'espoir ?
Evidemment que je connais ton topic, et rejoins globalement ton analyse : merci encore pour le taff...
Voici un auteur dont personne ne parle, parmi les soit-disant spécialistes autoproclamés du yovodah, alors que "Les veines ouvertes..." date des années 1968 et que c'est du béton...
J'ai eu la chance, dans mon parcours universitaire, de rencontrer un prof originaire de l'Amérique Latine, et qui m'avait aiguillonné vers des auteurs comme GALEANO, CELSO FUTARDO, CANDIDO MENDES, INCAS GARCILACIO DE LA VEGA ("Très brève relation de la destruction des Indes"), etc. Depuis lors, personne ne peut me la faire à l'envers avec "les retombées positives" ou "les aspects positifs". Certainement pas Pître-La-Grenouille...
Morales, Chavez, Lula sont en train de donner quasiment une génération d'avance à l'Amérique Latine par rapport à l'Afrique. Mais j'ai l'intuition que ce sera plus difficile pour eux de déplacer les montagnes :
- Chez eux, les descendants des esclavagistes ne sont pas des étrangers, et ils exercent directement leur pouvoir économique, politique, culturel, etc. sous la protection rapprochée du plus puissant des pays occidentaux : que du très lourd...
- En revanche, en Afrique, beaucoup de leviers de pouvoir sont tenus par les autochtones, même si ce ne sont pas les principaux leviers. Quant à la classe des larbins cleptocrates, elle ne possède qu'un simulacre de pouvoir : tous ses oripeaux les plus ostentatoires, mais pas sa substance. Sans le soutien de ses parrains françafricains, demain matin Bongo devient un clochard. Quand les dictateurs africains tombent, c'est toujours de très très haut, et en quelques instants...
Et bien entendu, la France n'est pas les EUA... _________________ http://www.afrocentricite.com/ Umoja Ni Nguvu !!!
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Et tant de leurs valeureux Ancêtres, souvent trop seuls au front...
Le traité de Tordesillas, en 1494, permit au Portugal d'occuper des territoires américains au-delà de la ligne de séparation tracée par le pape, et en 1530 Martin Alfonso DE SOUSA fondait les premiers centres de peuplement portugais au Brésil, après avoir expulsé les intrus français.
[...] Francisco PIZARRE, un éleveur deporcs, analphabète, entrait triomphalement au CUZCO en 1533 et s'emparait ainsi du coeur de l'Empire inca ; en 1540. Pedro de VALDIVIA traversait le désert d'Atacana et fondait Santiago du Chili.
[...] la capitale des Aztèques, Tenochtitlan, était alors cinq fois plus grande que Madrid, et deux fois plus peuplée que Séville, la plus importante ville d'Espagne.
[...] Avant d'égorger l'Inca Atahualpa et de lui couper la tête, Francisco PIZARRE lui extorqua une rançon sur "un brancard d'or et d'argent qui pesait plus de vingt-six mille écus d'or très fin...". Après quoi, il se précipita sur Cuzco.
[Pp27-32]
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Cette plus grande capacité de riposte militaire, combinée avec un contexte géographique moins propice aux attaques étrangères par l'Atlantique, permirent aux Africains de résister plus longtemps à « la férocité blanche », quoique bien péniblement
Au nombre des raisons pour lesquelles l'occupation militaire de l'Afrique par les Blancs fut relativement tardive, il y a la découverte beaucoup plus rapide des richesses naturelles de l'Amérique, dès le tout début du XVIème siècle.
Or, l'Europe de la fin du XVème siècle, essentiellement agricole/paysanne, n'avait pas les moyens logistiques et militaires de tenter l'occupation "coloniale" simultanée de deux continents aussi immenses que l'Amérique et l'Afrique. C'est pourquoi le chronogramme de l'expansion atlantique européenne va être surdéterminé par la chronologie des découvertes des ressources naturelles : d'abord en Amérique, puis en Afrique.
De plus, l'immensité des ressources sylvestres, des réserves d'or, argent, fer, cuivre, etc. du pays des Amérindiens suffisait largement à combler la féroce convoitise d'Européens dont les économies nationales pré-capitalistes d'alors n'avaient pas davantage de capacités d'absorption de tant de volumes de matières premières.
Ce qui explique d'ailleurs, au moins partiellement, l'incroyable gabegie individuelle autant que collective d'anciens misérables subitement devenus de nouveaux riches : les trésors du "nouveau monde" remplissant des palais royaux et châteaux européens (dont ils servaient aussi à l'édification), où ils suscitaient des comportements orgiaques, fastieux, de luxe autant que de luxure...
C'est au fur et à mesure du développement des capacités productives européennes et, concomittamment, de l'épuisement des trésors du "nouveau monde" que la recherche de d'autres sources de matières premières et débouchés va accroître l'intérêt des Blancs pour l'Afrique : à partir du XIXème siècle, la course au dépéçage de l'Afrique sera aussi implacable, frénétique, cruelle que celle de l'Amérique trois siècles plus tôt ; les moyens militaires, logistiques, technologiques des assaillants étant devenus beaucoup plus efficaces que ce qu'ils étaient au début de cette conjoncture historique... _________________ http://www.afrocentricite.com/ Umoja Ni Nguvu !!!
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Les aborigènes ignoraient les métaux ; ce furent les Portugais qui durent découvrir, pour leur propre compte, les endroits où s’étaient déposées les alluvions aurifères sur le vaste territoire que la défaite et l’extermination des indigènes ouvraient devant leur avance conquérante.
[…] La région de Minas Gerais entra ainsi impétueusement dans l’histoire : la plus grande quantité d’or découverte jusqu’alors dans le monde fut extraite dans le plus court laps de temps.
[…] Tout au long du XVIIIè siècle, la production brésilienne du minerai convoité dépassa le volume total de l’or que l’Espagne avait extrait de ses colonies pendant les deux siècles précédents.
[…] Trois cent mille Portugais au moins émigrèrent au Brésil pendant le XVIIIè siècle, « un contingent humain plus important que celui que l’Espagne avait envoyé dans toutes ses colonies d’Amérique. »
On estime à quelques dix millions le total des esclaves importés d’Afrique , depuis la conquête du Brésil jusqu’à l’abolition de l’esclavage : si l’on ne dispose pas de chiffres exacts en ce qui concerne le XVIIIè siècle, on sait que le cycle de l’or absorba une énorme quantité de main-d’œuvre noire.
[.. ;] Le père Antonil dénonçait les très nombreux propriétaires prêts à payer une fortune pour un nègre trompettiste et plus encore pour une prostituée de couleur, « afin de se livrer avec elle à de continuels et scandaleux péchés »[…]
[…] Les esclaves épuisaient leurs forces et leurs jours dans les laveries. Luis Gomes Ferreira écrivait : « Ils y travaillent, y mangent et souvent doivent y dormir ; et comme, durant leur travail, ils baignent dans leur sueur, les pieds toujours dans l’eau, lorsqu’ils se reposent ou mangent, leurs pores se referment et se glacent, si bien qu’ils deviennent vulnérables à nombre de maladies dangereuses, telles que les convulsions, la paralysie, les pneumonies et beaucoup d’autres. » La maladie était une bénédiction du ciel qui rapprochait l’heure de la mort. Les capitaes do mato de Minas Gerais touchaient des récompenses en or contre les têtes coupées des esclaves qui s’enfuyaient.
[…] L’Angola exportait des esclaves bantous et des défenses d’éléphants en échange de tissus, de boissons et d’armes à feu ; mais les propriétaires de Ouro Preto préféraient les Noirs qui venaient de la petite plage de Whydah, sur la côte de Guinée, car ils étaient plus vigoureux, un peu plus résistants, et avaient des dons magiques pour découvrir l’or. Chaque exploitant minier avait en outre besoin d’au moins une maîtresse noire de Whydah pour que la chance l’accompagne dans ses explorations.
[…] La soif d’esclaves d’Ouro Preto était insatiable. Les Noirs mouraient rapidement ; rares étaient ceux qui supportaient sept années continues de travail.
[Pp74-78]
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