« Telle est la force du mensonge qu’à force d’être répété,
un beau jour le menteur lui même finit par y croire... »  Proverbe Peul.



Diagnostic d’un « Enorme Malentendu »



ILS MENTENT …

« Le Blanc est blanc. Le Nègre est nègre. Ils ne se rencontrent jamais »!!



L’exotique n’est pas « faire » du Sauvage.
L’exotique n’est pas l’ esthétique de l’«éclat», de l’«humour», de l’«exubérance» et de l’«apocalypse».
L’exotisme n’est pas spécificité de la production de l’«Autre».

L’exotique est "larbinage" et soumission.
L’exotique est création vide en dedans.
L’exotisme est d’abord et avant tout : Demande de l’Occidental et Offre de l’Africain.

L’exotisme est UNE conception de l’Afrique. Une vision formante et déformante, héritée du choc de la douloureuse rencontre et des rapports malhonnêtes auxquels elle a donné le jour. Le « contact » fut donc faussé dès le début, faisant de la création un dialogue d’une remarquable complexité.
Les égarements qui sont nés de ce que Frantz FANON qualifiait « Le heurt violent de deux mondes » et qui, toujours selon l’auteur des Damnés de la terre, « a ébranlé considérablement les vieilles traditions et disloqué l’univers de la perception… », sont désormais le partage de tous. Blancs et noirs sont aujourd’hui les mirages.

L’exotisme est demande occidentale.
Demande motivée et nourrie par « les images vaporeuses » de cet Ailleurs qu’un certain monstre à trois têtes philosophie- histoire- ethnologie (dont nous avons déjà eu à parler) a éternellement fixées dans l’imaginaire occidental. Le rapport à l’Afrique n’a guère évolué, même si elle a pris de nombreux masques depuis les « Peurs du noir », comme l’essai de David ELLIOT tente de le monter dans le catalogue d’ Africa Remix.
Cette approche fantasmatique de l’Afrique s’est transformée en institution, asphyxiant, dirigeant ( dans sens d’imprimer une direction) et bridant la création africaine. Influant à loisir sur le faire africain, le regard de l’occident l'a vidé de tout déterminisme.
L’occidental qui sait très bien ce qu’il veut de l’Afrique, n’a jamais cherché à la découvrir. Il n’est pas réellement disposé à être étonné. Il réclame l’afrique. Son idée de l’Afrique qui est SON afrique mais qui n’est définitivement pas l’Afrique.
La demande étant, du fait d’un manque de tact évident, fortement exprimée et la proposition étant jugée sur son adéquation , l’occidental n’est de fait plus dans le juste. Il est automatiquement et en plein dans exotique.

L’exotisme est aussi Offre africaine.
Si l’occidental, dès le début, s’est rendu coupable et pourvoyeur d’exotisme en réclamant une afrique que ces préjugés lui inspiraient, il faut dire que l’africain n’a pas fait mieux. Le sauvage, l’esclave, le colonisé d’hier et l’ « écorché vif » qu’est l’Africain d’aujourd’hui ne se sont jamais montrés tels qu’ils sont réellement à l’Occidental. Les "échanges" se sont très vite transformés en un jeu de dupe. Epiant et juchant l’attente du « Dominant », l’éternel « Dominé » a appris très vite à satisfaire celui ci pour être admis dans son monde, travestissant (et trahissant ?) ainsi, du même coup, le sien.
De fait, l’africain a une part active dans l’exotisme.

Le 15 Février 1988, au Centre culturel Français de Lomé, lors d’un entretien avec un panel d’auteurs locaux, Sony Labou TANSI, par une de ces feintes dont lui seul a le secret, effleura la question cruciale de l’"offre positive". Voici la lecture que fait un des plus grands esprits du siècle dernier de ce qu’il a humour d’appeler art d’aéroport :
« C’est à dire que si les européens achètent, alors on produit. Les africains n’achètent pas des objets d’art. Et ça fait qu’il y a comme ça, je ne sais pas, un décalage quelque part. cet homme qui est dans une culture, qui est dans une société et qui est en train de créer par rapport à l’autre seulement. Si l’autre achète, il peut manger et alors il est obligé de créer par rapport à ça et de se donner des schémas. Je crois que tout ça, tout le monde le sait entre nous  » (« Conférence à Lomé » in Riveneuve continents N°1).
Il n’est pas sûr que tout le monde ait le même niveau de conscience de la comédie aigre doux qui corromps la création africaine (un terme qui en deviendrait presque problématique) ou en tout cas, que tous cherchent à y mettre fin. La chose a été digérée et semble avoir infiltré les couches brumeuses de l’insu ou du « je ne veux pas savoir ». Une situation que l’absence d’une réflexion esthétique tend à entretenir.

Nous en arrivons à cette absurdité que les mots de Paulin HOUNTONDJI, résument parfaitement: « La victime se fait secrètement complice du bourreau, communiant avec lui dans l’univers artificiel du mensonge » (Remarques sur la Philosophie africaine contemporaine, cité par S.S. ADOTEVI). Et nous vivons, désormais, le retour masqué de nouvelles générations de « mensonges vivants » (L’expression ici est emprunté à SARTRE).

Mais l’offre positive ou affirmative dirigée du "dominé" n’est pas uniquement et toujours motivée par la maladive "complicité". Elle serait aussi attitude de résistance du fait des circonstances uniques de l’histoire, comme nous le montre Frantz FANON:
« … Dans la situation coloniale, les inventions individuelles, la liberté d’être soi-même, d’amorcer et de réussir un « contact », ne sont pas observables. La situation coloniale uniformise les rapports, car elle dichotomise la société coloniale de façon tranchée. (…)
Cette observation particulière renvoie à l’attitude globale du colonisé qui n’a presque jamais de conduites de vérité avec le colonisateur. Le colonisé n’avoue pas, ne se confesse pas, ne se fait pas transparent en présence du colonisateur. » ( L’an V de la révolution algérienne).

FANON avait déjà dans Peau noire masque blanc, son tout premier ouvrage, mis le doigt sur le problème :
«  Le Noir a deux dimensions. L’une avec son congénère, l’autre avec le Blanc. Un Noir se comporte différemment avec un Blanc et avec un autre Noir. Que cette scissiparité soit la conséquence directe de l’aventure coloniale, nul doute… qu’elle nourrisse sa veine principale au cœur de différentes théories qui ont voulu faire du Noir le direct acheminement du singe à l’homme, personne ne songe à le contester. Ce sont des évidences objectives qui expriment la réalité. »

Il s’agit de bien comprendre que l’Africain s’est de tout temps défilé, parce qu’il voit en l’occidental le « dominant », avec lequel il ne peut y avoir de rapport vrai, envers lequel il ne s’agit en aucun cas d’être vrai.

Cette fuite en avant prend deux dimensions qui peuvent - c’est là encore une des spécificités de l’offre, pas de celles qui la rendent moins complexe - n’en être qu’une.
Au début du siècle dernier, déjà, Paul GUILLAUME énonçait les deux masques du "défilement" nègre :

« Depuis que les blancs se sont portés sur son sol, cherchant à lui imposer leurs façons, altérant sa quiétude, ruinant sa foi, le Nègre anémié, amorti, désemparé, rongé par es fléaux physiologiques que lui injectèrent joyeusement les barbares civilisateurs, avili, déchu, n’offre plus au vainqueur que le spectacle lamentable d’un être dégradé sentant qu’il touche à sa fin, prêt à tout renier, à tout apostasier, à commettre toute lâcheté pour prolonger de quelques décades une existence dont les heures sont désormais comptées. Parodiant, simulant, jouant la comédie servilement pour apitoyer ou simplement plaire à un maître brutal, il s’abîme dans le ricanement, la bêtise, la folie… »
Mais si " larbinage " et lâcheté nous flairons, ils sont aussi attitudes de résistance d’une Afrique qui tire la langue :
« Elle (l'Afrique) tombe en léthargie mais ne satisfait pas l’oppresseur ; elle ne s’assimile pas, elle ne produit pas - elle ne collabore pas. Dissimulant son aristocratique fierté, elle ne livre à la contrainte du barbare que les formes desséchées d’un rameau dont la sève s’est dérobée dans les racines insaisissables. »
Que Paul GUILLAUME ait été un des Blancs les plus lucides dans la mesure du Nègre ne fait aucun doute.
Ainsi donc se limiter à faire ce que veut « le dominant », serait lui mentir (On ne se dévoile pas, on est l’autre qui n’existe pas) et l’Afrique , en tout cas , y voit une défense.

Il faut ajouter à tout ceci que la situation post coloniale a été pour beaucoup dans le maintient en Afrique même, de cette sorte de "servilité" des arts. Les désillusions des indépendances ont accouché de ces monstruosités que sont les dictatures africaines, n'admettant dans leur sillage qu'une production vouée à leur unique célébration et à l'"endormissement" du peuple. Dans cette nouvelle situation, l’artiste se retrouvera souvent réduit à et confirmé dans un statut d’"amuseur". Le "déjanté" étant devenu en littérature, en art de la scène comme en plastique, le seul moyen de s’exprimer sans se mettre en danger dans ses intégrités physique et matérielle. Contraint dans sa pensée et désormais dans ses moyens, exilé entre deux mondes, entre deux "dénis" L’artiste africain s’est réfugié dans le ricanement, trahissant tout et tout le monde. Les meilleurs réussiront à conserver leur âme en bâtissant une esthétique du carnavalesque "souriant", les autres se noieront tout entier dans la culture de l’exotique. Nous sommes aux sources de l’esthétique de l’exubérance qui pourrait s’avérer à la lueur d’une analyse sérieuse, n’avoir ceci de résolument africain que le triste sort qu’à fait la "modernité" au continent et l’urgence qu’il y a eu de palier à la mort; et bien souvent par la surenchère. L’Afrique ne se porte pas mieux et la donne artistique qui a pu (du moins dans un saisissement de cause à effet immédiat), un moment, faire sens, pourrait bien trouver, un jour, ses limites. Serons nous alors encore capables de discerner ce qui est vraiment "Nous" de ce qui n’a de tout temps été qu’un "nous" conjoncturel?


C’est aux conséquences les moins immédiates et cependant nullement négligeables pour la personne de l’Africain, aux profondes dépossessions que trahit la donne exotique, et au sort qui est fait l’acte créatif que s’intéresse la réflexion et le programme d’une nouvelle naissance.

Sony Labou TANSI, lui, ne laisse aucun doute sur les effets de l’art d’aéroport . Il n’y voit ni plus ni moins qu’ « une chose douloureuse ». Douloureux, autant pour l’art que pour l’artiste. Nous parlons bien de dépossessions.
Kossi EFOUI par exemple, les situe au niveau de l’ "outil " et au niveau du moteur créatif et établit, à raison, la solidarité de leur sort :
« Il y a un problème qui se pose : l’écrivain, le créateur de vérité utilise un outil vicié, le langage, un outil prostitué donc, à partir de ce moment-là, il me semble que le rêve lui même, est confisqué ». (« Conférence à Lomé » in Riveneuve continents N°1).
EFFOUI, vient ainsi de saisir au vol la perche que tend S.L. TANSI. Ce qui suit mérite la palme d’or de la clairvoyance :

« Nous vivons dans un univers ou tout est confisqué désormais, où le rêve, lui même est confisqué, où l’artiste vit uniquement sa propre agonie. La création devient désormais le compte rendu de l’agonie de l’artiste
La mort n’est donc jamais loin quand on parle de la création africaine !



Il semblerait en tout cas que le plasticien africain, ne vive pas dans une totale ignorance de ces mécanismes obscurs et complexes qui peuvent être en jeu et qu’il a choisi d’y amener plus de complications. Son projet (conscient ou inconscient, assumé ou non assumé) : Se faire maître de la mort.
Si son expression est de loin la plus problématique, quant à la définition exotique, aussi aura- t- il décidé d’éloigner la chose des seules basses spéculations sur le conflit (voire le vide) "spirituel" latent dans l’offre, et de l’emmener à un niveau hautement intellectuel en l’assumant en quelque sorte.
En témoigne la démarche de Mohamed EL BAZ, dont l’œuvre présentée lors de l’exposition Africa Remix, porte le titre évocateur de : « Niquer la mort/ Love Suprême ». Ce qui, en outre, n’est qu’un "fragment" d’une vaste projet intitulé « Bricoler l’incurable».(...)

De "bricolage", c’est exactement ce dont nous voudrions entretenir. L’interrogation ici, est proche de celle qui est manifeste dans la réflexion de EL BAZ ; à savoir : « Pourquoi ce qui forge les êtres, les conduit à s’aliéner plutôt qu’à s’assumer ?». Il est question d’éprouver notre perception du fait d’art noir à la lueur d’une délimitation de la donne exotique et la prise en charge de ses différentes composantes: l’apparente "démission" qui la produit, l’industrie qui la supporte, et les cécités dont elle se nourrit.

A- t – on réellement d’abord construit le « niveau de conscience» de la chose ? S’agit il pour l’Africain de tromper la mort en y jouant ? As t-on décidé d’assumer « l’incurable », de le retourner, ou de « faire mieux avec… » tout simplement ? Quel est l’horizon de ce parti ?



Sur l’ART CONTEMPORAIN AFRICAIN ...

« je suis un être blessé, une bête emprisonnée, un animal exotique, la reine nue.
Ma peau se clore de maintes nuances... » Ingrid MWANGI



L’exposition qui se proposait de montrer « L »’art d’un continent : AFRICA REMIX, a offert une occasion unique de réfléchir sur le statut de la création africaine.

Il est en effet indiscutable, que l’intérêt réel de cette exposition ne fut pas tant dans la chatoyante célébration plastique qu’elle initia, que dans les interrogations qui virent le jour dans son sillage. L’événement a le mérite d’avoir posé la question de l’exotique et les différents talent qu’il a réuni ont fait œuvre de sens dans la démarche et le projet, combien délicats, d’une définition et d'une réflexion ayant le fait d’art africain d’époque, au centre. Africa Remix fut un tout, il ne faut pas l’oublier. Et les leçons les plus prégnantes découleront des démarches qui l’aborderons dans sa Totalité et dans ses différentes totalités closes spatiale et temporelle, matérielle et spirituelle, etc. Le débat est désormais ouvert. Il faudrait qu’il le reste et que chacun se sente concerné.

La volonté de préciser la complexité des données mouvantes en jeu dans les rapports, se trouve concentrée à la base dans les différentes préoccupations et approches des organisateurs même, tels qu’on peut le deviner à la lueur d’une analyse des différentes interventions dans le catalogue de l’exposition.

Simon NJAMI (« Chaos et métamorphose », A.R.) semble aborder dans le même sens que FANON et GUILLAUME, en nuançant un peu le point de vue en ce qui concerne le « fait contemporain » en art, et en insistant surtout le caractère de défi dans le défilement, s’agissant du plasticien nègre. Le Commissaire Général de l’exposition nous livre avec une honorable sincérité et une acuité remarquable, une intéressante analyse des troublants mécanismes à l’œuvre dans l’art contemporain ou plutôt (nous préférons) dans la démarche des « artistes » africains d’aujourd’hui :

« … Mais les discours que véhiculent leur voix ne sont que des leurres. Des théories en trompe l’œil. Certains se sont même transformés en faussaires exemplaires, délivrant à qui souhaitait l’entendre, le discours convenu, rejouant à l’infini le paradoxe hégélien du maître et de l’esclave. (…) Il se joue ainsi depuis une quinzaine d’année une comédie aigre- douce dont les acteurs, effet secondaire de la mondialisation, se sont faits plus nombreux. (…) les gens pensent mieux se comprendre alors qu’ils ont oublié l’essentiel, au sens étymologique du terme, de ce que comprendre veut dire. (…) L’artiste africain se tait…

C’est à n’en point douter, une lecture très intellectualisée de la chose que NJAMI a là. Plutôt que le concept de « démarche mensongère » qu’avec beaucoup de légèreté nous avons avançons, celui qui a sillonné le continent pour aller à la rencontre des artistes et constituer cette imposante "collection", parle de « silence ». Un silence qui compte sur la portée "profonde" de la création pour dire l’Afrique et l’Africain :
« Au fond d’eux mêmes, ils se souviennent que toute parole n’est pas bonne à dire et que les objets ont un sens, une provenance qu’aucune analyse ne peut enlever ».

Le défilement en art resterait donc « expression de l’Afrique… » et ainsi aurait tout de même valeur de juste. L’exotique est un faux vrai qui est vérité. Cet postulat est très intéressant et mériterait sûrement approfondi. On nous pardonnera de simplifier énormément ici.

Le créateur africain joue, calcule, triche parce qu’il ne peut faire autrement soit parce qu’il est obligé de « tricher » ( ou de composer) pour placer sa création, soit tout simplement parce qu’il n’a pas confiance.

Dans sa quête d’un sens au Jeu (…) , il se surprend à éprouver du plaisir à tromper l’Autre même si cela est aussi, d’abord et surtout se tromper soi- même. C’est là le paradoxe de l’Africain. Il a et continue de donner à l’occidental ce qu’il veut ou (attitude plus contemporaine) de jouer à faire semblant de lui donner ce qu’il ne veut pas.

Sartre aurait vu juste : « L’indigénat est une névrose introduite et maintenue par le colon chez les colonisés avec leur consentement ». Larbinage assumé . Il reste, comme s’empresse de le préciser le philosophe, que la névrose porte en elle les germes de la phrénie « réclamer et renier, tout à la fois, la condition humaine : la contradiction est explosion. ». La déflagration qui s’en suit trouve en échos à la fois muet et criard dans une génération d’ "écorché vifs" ; Nègres déchirés en dehors à la proposition errante et dissonante. Création du « fracas ».

Il faut avoir à l'esprit, à quel point tout ceci est éminemment complexe.

Ainsi par peur, Jeu, lâcheté, silence, défi…, qu’importe le nom qu’on mettra sur l’absurde, l’ Afrique d’ailleurs (l’Afrique d’en dehors) initie une création du rapport à l’Autre. Ici l’exotique se trouve consacré en un véritable rituel où masques et mystères s’abandonnent au jeu de l’ apparaître- disparaître.
Nous voulons dire qu’aujourd’hui nous avons, consacrée en l’exotisme, une idée de l’Afrique obligatoirement fausse, dont tout le monde s’accommode. Le créateur africain pour les raisons sus- énoncées, et l’Autre parce qu’il aime finalement bien cette afrique là. Elle étanche sa soif de bizarreries (Tendances que le caractère ‘policé, ‘aseptisé, ‘standardisé, ‘ordonné de son monde nie, et qu’il ne peut trop - du fait de son statut de « personne rationnelle » - se permettre de cultiver), mais surtout, inconsciemment, l’ afrique exotique le rassure. L’afrique du "Folklorique", l’éternel "Cirque africain", l’afrique du "divers-tissement".
Celui qui croirait " réellement " y voir l’Afrique se fourvoierait de façon cruelle.

Bien évidemment, l’exotisme se nourrit d’abord et avant tout d’un rapport de force déséquilibré et d’un certain manque de disposition. Cela transparaît assez clairement dans les observations de David ELLIOT ( « Afrique, expositions et peurs du noir », A.R.) :
« Bref, l’Afrique sert à nouveau d’écran sur lequel nous, les puissants Européens, projetons… (…) Une fois de plus, l’africain est réduit à la passivité (…). Dans ce contexte, , l’histoire et la culture de l’Afrique ont été compressées et quasiment privées d’un espace entre le colonial et le contemporain, que l’artiste puisse occuper. »

Le "mensonge" tend à se transformer en vérité, et l’Africain tant à se diluer dans ces travestissement de lui. c’est là qu’il s’agit de faire attention.

Qu’on se souvienne que face à une œuvre africaine l’Observateur occidental a toujours du mal a exprimer le « Oui léger ». C’est d’éducation..., de plusieurs siècles d’éducation ethnologique, historique, et philosophique que l’actuelle offensive généralisée des média, grands pourvoyeurs de stéréotypes pernicieux, vient parfaire. Généralement, l’art , la vérité et lé beauté lui échappent complètement. Et quand on s’éloigne de l’art, nous l’avons déjà dit, on tend à s’éloigner de l’humain . On parle de hasard, on parle de l’ « émotion », on parle du « tourbillon », on parle d’ innocence ,on parle d’un rapport particulier au monde qui ferait faire « le beau » au Noir, sans qu’il s’en doute un seul instant, inopportunément (On en arriverait presque à le lui reprocher). Exotisme rime avec préjugés.
Et on vient ainsi (Enfin !) de trouver une spécialité au Nègre. Dans la grande mascarade de la Civilisation de l’Universel (conçu de toute pièces) , un costume sur mesure pour le Nègre. Réintégré (Ouf ?) dans l’ Humanité, le Nègre.
Certains, (pas des moins intelligents pourtant), s’en trouvent flattés et n’hésitent pas à chanter cette « émotion nègre», cette science particulière de l’univers qui, au Nègre, fait toujours faire, sans que jamais, il n’ait conscience de faire. Dans « le Grand Orchestre de l’Universel » l’Afrique occupera, c’est décidé, les sombres places : « Le rythme »(sic). Nous disons qu’il faut faire attention.

Certains s’en trouvent flattés et n’hésitent pas à chanter cette « émotion nègre», cette science particulière de l’univers qui, au Nègre, fait toujours faire sans que jamais, il n’ait conscience de faire. Nous disons qu’il faut faire attention. Dans « le grand orchestre de l’universel » l’Afrique occupe les sombres places.
L’Autre n’est pas disposé à reconnaître un quelconque contrôle sur la « sympathie ». Voyez vous, on demande au Nègre de donner la main . il y aurait : l’innocence nègre et la prescience blanche qui a " vocation" à la canaliser. Exotisme rime avec paternalisme. L’occidental en arrive à perdre de vue que cette innocence (si tant est qu’elle ait jamais existé) ne peut plus en être puisqu’elle ne s’ignorerait plus et qu’ allègrement ,elle est désormais cultivée (exploitée) par les « indigènes » mêmes.
Au « rendez-vous du donner et du recevoir », l’occident vient (et repart) les mains vides et l’Afrique se révèle manchot.

L’aveu des organisateurs et responsables d’Africa Remix personnalité sur la dimension "exotique" de l'offre plastique, n’est pas contrairement à ce qu’on pourrait penser une révélation.

Il est clair qu’aujourd’hui les masques sont assumés, et derrière « s’amorce le rire ». Peut- être sommes nous à l’ère d’un exotisme nouveau. Une caricature de l’exotisme. Le meurtre du mensonge par le mensonge. La mise en scène de la mise en scène et son spectacle. L’ultime contribution de l’Afrique à la confusion actuelle de la définition du fait d’art.
La tradition occidentale de PLATON (et son dialogue de l’ Hippias Majeur), à DERRIDA, les illustres penseurs "mystiques" que furent PLOTN, AUGUSTIN, PSEUDO-DENYS..., les "sciences" et philosophies "modernes" de l’art de HEGEL, KANT, HUME, HEIDEGGER, etc. et l’Esthétique de depuis BAUGMARTEN se sont tous employés avec la difficulté qu’on sait, à tenter de tailler un costume honorable au « __Beau__ », assimilant tour à tour, outre les très hautes aspirations des catégories "sensibles" , le concept aux notions de Bien, Juste, Vrai, Utile ... Voici maintenant que l’artiste africain vient de construire la beauté du « Faux »(...)

« Aussi longtemps que les hommes ne seront pas complets et libres, assurés surs leurs jambes et la terre qui les porte, ils rêveront la nuit » disait Paul NIZAN. Et de fait le Noir, plus que jamais, rêve. Sa plastique se joue des codes et sublime l’onirique. Une vitalité extraordinaire qui laisse pantois l’art d’occident définitivement en panne (A croire que la maxime religieuse se vérifie en art :Quand on a le ventre plein on ne peut communiquer avec les dieux ; l’esprit est en sommeil ; on ne rêve pas). L’art d’époque se veut une d’être une culture de la surenchère ! Et bien en la création africaine elle aura trouvé son meilleur disciple. Elle distord le champs exotique, le réinvente, le dynamise, le dynamite. Mais aussi semble t-elle ne pas arriver à s’en libérer et à initier un classique autonome.

Dans la gigantesque mascarade digne d’une comédia del arte , que nous avons essayé de mettre en lumière, douloureuses pour l’"être " peuvent s'averer les concessions, et on arrive à se demander qui se joue de qui et quel accueil le jeu fait à l’urgence.
La création africaine échoue se définir et à se trouver sa place, et aujourd’hui tout le monde peut se permettre d’en parler. Et ce qu’on en dit n’est jamais tout à fait innocent.






Du fourvoiement général et de ses dangers

«  Le chantier de démolition, la ruine, le décati, le désossé, le pillé, le bombardé, l’éventré, le dynamité, l’explosé, tout ceci pourrait bien représenter également l’espoir d’un maintien de la différence esthétique et un remède à la hantise d’un monde en voie d’uniformisation. Face à la vitrification et à l’enrobage d’un Nord muséfié, le maintien à l’état de friche des villes paupérisées du Sud pourrait bien constituer un refuge pour l’imaginaire, un espace de liberté et un terrain d’aventure dans lequel des Occidentaux auraient la possibilité de se ragaillardir. » Jean loup AMSELLE (« L’afriche », A.R.)




Il est indiscutable qu’il y ait une création du "Chaos" dans l’offre contemporaine africaine. D’ailleurs la description très imagée que fait Monsieur AMSELLE, par exemple, de la "proposition" congolaise ne prend peut- être avec la réalité que des libertés poétiques:

« …C’est un véritable recyclage du grunge, du destroy et du trash qui nous est proposé, une sorte de fleur létale qui pousserai sur la décomposition avancée de cette mégapole d’Afrique centrale.(…)
Kinshasa en tant qu’espace de décomposition avancée ne peut être apprécié que par des connaisseurs, des esthètes à même de jouir de l’exotisme de la pauvreté. (…) Un appel au tourisme désenchanté et dandy du XXIe siècle. »

« Les fleurs du mal congolais » font indiscutablement partie de ces esthétiques de la névrose. Elles tendent à triompher et ce serait une erreur de les négliger.
Mais, il s ‘agit d’être prudent et de ne pas prendre le discours pour l’expression car, c’est là que l’exotique en embuscade nous retrouve.
Dès qu’on passe de la pure description à une certaine herméneutique, des mirages décidément tenaces resurgissent. L’irruption normative et le formalisme restent critiques.

L’analyse de Jean Loup AMSELLE qui est un observateur patenté de la production africaine est aussi La demande occidentale ( c’est là que le bât blesse, car, comme nous l’avons montré plus haut, la création africaine ne peut, parce que n’en ayant pas les moyens, ignorer la demande et, est forcée de s’y conformer au point de croire que cette demande est sa proposition à elle). Il est normal de se féliciter du maintien de la « différence esthétique ». il est regrettable de voir les contours de cette « différence » être définitivement tracés dans des archétypes qui finalement ne prennent pas trop de distance avec ceux esquissées par l’ethnologie " sauvage" africaniste dont nous avons déjà eu à parler (cf : "ART", NEGRE… les approches occidentales du couple). Ce sont les archétypes de l’ éclatement et du naïf entre autres.
Que Jean Loup AMSELLE soit lui même anthropologue n’est peut être pas étranger au fait. D’ailleurs la remarque présentée plus haut ressemble beaucoup à celle que le « père fondateur » de la discipline, Bronislaw MALINOWSKI émettait déjà il y a une quarantaine d’années:
«  L’un des refuges hors de cette prison mécanique de la culture est l’étude des formes primitives de la vie humaine, telles qu’elles existent encore dans les sociétés lointaines du globe. L’anthropologie, pour moi du moins, était une fuite romantique loin de notre culture standardisée.»
Un "Nègre lâché" nous avait prévenu : « tous les anthropologues disent presque toujours les mêmes choses

Si cette déclaration avait alors, été beaucoup reprochée à MALINOWSKI, il semblerait que la chose soit mieux admis aujourd’hui et qu’elle coule de source quand il s’agit de parler des arts d’ailleurs.



REFUGE , voilà donc le danger qui guette la création africaine.
Ce qui devrait rester vœux pieux devient une suggestion. Le rapport de force déséquilibré termine de le transformer en imposition.
Nous disons que La création africaine n’a pas vocation à distraire ou à régénérer celle là occidentale ( et même si cela devait être le cas, ce qui ne serait que chose louable, il faudrait laisser à la création le soin de dire en quoi elle doit l’être ).



Analysons maintenant quelques uns des aspects de la dangerosité de ce raisonnement.

Objectivation, Simplification, Hiérarchie sont les fruits du narcissisme exacerbé et du " déficit d’innocence"

L’exotisme participe de la démarche de générale de rationalisation de l’autre caractéristique de l’occident. Une chosification de l’être en les enfermant dans des schèmes clos et abstraits. FANON l'a bien compris, lui qui, dans son intervention au premier Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs (Paris, setembre1956), met en garde : « l’exotisme est une des formes de cette simplification. »



L’africain ne s’écoute plus. Il met en sourdine son "élan intérieur". Il est obligé pour être à l’affiche dans les salles occidentales, de continuer à produire l’exotique. Les conflits intérieurs qui peuvent en résulter ne sont pas assez, de notre point de vue, pris en considération.

Le point de vue de Jean Loup AMSELLE est foncièrement différent de celui exprimé par NJAMI qui voyait en l’ Offre Exotique la manifestation du « silence » africain qui est lui même révélateur criard d’une Afrique meurtrie, rétrécie, réticente à s’offrir, incapable de se livrer. L’Afrique du « chaos » qui se cherche, et qui en attente de la « métamorphose », joue à se défiler. Une Afrique qui tire la langue, une Afrique définitivement insaisissable.

Le point de vue l’anthropologue fait du défilement une errance, et de l’errance en une sorte de vocation. Voici qu’on voit en l’art contemporain africain le ferment de la culture occidentale. Nous retrouvons la donne ethnologique qui n’est jamais réellement totalement et ouverture innocente sur l’autre, mais toujours pensée de soi ; qui n’est jamais démarche désintéressée et par delà "scientifique", mais application sur un sujet « passif » de présupposés fantasmatiques. François LAPLANTINE dirait :« …dans tous les cas, l’autre n’est pas considéré pour lui même. C’est à peine si on le regarde. On se regarde en lui

AMSELLE ne fait d’ailleurs guère mystère des aboutissants de ce qui est généralement le rapport occidental à la création africaine. Dans le quatrième de couverture de l’ouvrage qu’il consacra à l’art contemporain africain : L’art de la friche (titre éminemment bien choisi), il présente son parti pris en ayant soin de prévenir : « Il s’agit moins ici de réfléchir aux qualités proprement esthétique de l’art africain, que de délimiter, à travers celui-ci, la place qu’occupe l’Afrique dans notre imaginaire ».
Et si cette approche échouait à aménager un séjour à une connaissance scientifique réelle (obligatoirement auto- référencée des différentes formes d’expression du continent africain) des particularismes africains ? La pensée réelle de l’esthétique dans tout ce qu’elle a de fondamentale, nous semble niée.

Marie-Laure BERNADAC, Conservatrice en chef du patrimoine, chargée de l’art contemporain au Musée du Louvre, prend pour acquis, dans son introduction au catalogue : (« «L’aventure ambiguë» de l’art contemporain africain», A.R.) les spéculations de AMSELLE.
La Commissaire adjointe de l’exposition revisite dans sa contribution, les thèmes de « l’esthétique du divers », « métissage », « syncrétisme », « hybridité », « régénération », « fraîcheur » définitivement plaqués sur l’art contemporain africain et restitue en l’état, le postulat de Jean- Hubert MARTIN (« La réception de l’art africain contemporain et son évolution », A.R .) qui de L’exotisme, fait : « l’alter ego de toute identité ». Cela à n’en point douter est une réduction. De la cécité et de la démission critique. Tant qu’on rechignera à vouloir saisir en profondeur les facteurs réels, historiques et psychologiques qui font la création africaine, il se développera dans la mesure de "l’art des autres", un discours en tout point analogue à celui que sanctifia les sciences sociales pures, vide, relatif, dirigé, décentré, infondé. Et nous restons gentils. Il ne reste plus à l’observateur occidental qu'à intégrer ce qui suit dans sa superficialité et dans sa superficialité seulement : « L’Afrique est le lieu par excellence du mélange, de l’impureté, et ce qui est mis en pratique dans le domaine de la musique et de la danse existe aussi dans les arts visuels.» (sic!)
Pourquoi cette assertion nous rappelle-t-elle, avec autant d’insistance, cette autre ?:
« L’Afrique est le paradis naturel de la cruauté… »
Stephen SMITH est un grand « connaisseur » de l’Afrique, amateur de l’ « exotisme de la pauvreté » et du « tourisme désenchanté et dandy ». Et pour le plus grand malheur des Africains, il a une carte de journalisme et est un des auteurs les plus lus chez lui (Prix Radio France 2005).
De la « masturbation avec le sexe des autres… ». Blanc regard….

Si, comme Madame BERNADAC nous le rappelle,« tout un pan de l’art contemporain international revendique aujourd’hui ouvertement une forme de sauvagerie ou de régression archaïque », il n’est pas sûr que ce soit là la démarche des artistes africains. Ceci est très important. Nous pensons même, ne pas aller trop loin, en disant que la revendication (si tant est qu’il y en ait une, raisonnée, assumée, conscience d’en être) est complètement à l’opposé de l’approche qu’en a généralement la. Et tout le problème est là. L’écart gigantesque entre les angles de visions, entre les motivations réelles et les diverses interprétations, entre les causes et les discours… Entre l'Afrique et l’Occident.

Il s’agit de bien comprendre N’JAMI quand il parle du « Chaos ».
La question de l’identité est réelle ; mais elle n’est plus tant liée à la personne de l’artiste qu’à l’art lui même.

L’Humanisme occidental et son bras armé scientifique et théorique se manifeste ici sous ses aspects les plus "culturicides". FANON alerte contre cette lecture réductrice qui consacre une insidieuse hiérarchie :

« Dès lors aucune confrontation culturelle ne peut exister. Il y a d’une part, une culture à qui l’on reconnaît des qualités de dynamisme, d’épanouissement, de profondeur. Une culture en mouvement, en perpétuel renouvellement. En face on trouve des caractéristiques, des curiosités, des choses, jamais une structure »



Un refuge!
Un certain esprit qui se veut, qui se croit rationnel tend à figer définitivement les manifestations des autres cultures dans des schèmes non centrés. Ce manque de tact se double, et c’est certainement le plus grave d’une sorte de suggestion (pour ne pas dire imposition.) feinte ou latente. La suggestion en l’occurrence pour "L"’art contemporain africain est celle par laquelle Monsieur AMSELLE définit les manifestations de la chose : une production de la friche : « lieu alternatif, espace intermédiaire, site abandonné (…) La friche tire sa vitalité des ruines ». Toujours cette esthétique de la ruine, du désordre, du naïf, du "déboussolement", du « naturel » qui plait tant à l’observateur occidental et que celui ci, depuis HEGEL, est persuadé d’être caractéristique du faire « primitif » ou d’ « ailleurs » et qu’il ne semble plus se défendre de traquer avidement.

La création africaine n’ayant de toute évidence ni les moyens ni la volonté ni le courage de contredire la « suggestion », ne peut se défaire du "prêt- à- faire" pensé sur mesure pour elle. Elle répond (sauf rares exceptions) par la positive à la demande générale (qui est aussi l’attente) du public occidental et confirme et satisfait les axiomes du délire « scientifique » de l’intelligentsia africaniste. L’absence d’une philosophie, d’une théorie autocentrée, arrange la chose. Cette situation permet l’assise et le triomphe du point de vue occidental, et voici que le fantasme, définitivement, s’installe en vérité non discutée.


Ainsi relégué au rang de culture sans consistance sinon « par rapport à », une sous- culture de la distraction sans projet autre que celui que lui confère le regard de l’Autre, et incapable de se sortir de ce schème, la création africaine tend à se figer. Le manque d’auto- référentiation rend ainsi l’initiative africaine vide de substance. L’exotisme devient une institution, L’âge mûr du fait colonialiste. Un mécanisme de domination qui annule tout élan vers une production efficiente de son être et inscrite dans un programme. L’exotisme consacre une certaine hiérarchie des caractéristiques socioculturels.
Il s’agit là d’une forme de meurtre culturel qui s’ignore jusque dans sa rhétorique auto- justificative et dont les conséquences les plus inattendues sont de l’ordre de la névrose (nous reviendrons sur les esthétiques de la névrose).

Le jour viendra où il nous faudra questionner sérieusement cette foie universaliste qu’affichent (peut–être, et nous sommes prêts à ne pas en douter, avec la plus bonne volonté; mais sûrement avec beaucoup d’économie critique) nos cher spécialistes. Donner un sens réel au concept « Métis ».
L’occident quand il croit discuter avec les autres ne continue en fait que son habituel monologue. Forçant l’autre à dire ce qu’il veut entendre, l’occidental s’écoute parler. Il continue à se fourvoyer en croyant s’être fait un ami tout à fait original. Cet aveuglement s’organise en un mécanisme non assumé de bridage, inhibiteur de l’originalité et profondément dangereux pour l’altérité. C’est encore NJAMI qui en parle le mieux :

« Nous en sommes arrivés à un point où l’on refuse le discours d’un Africain quand on le juge incompatible avec les idées et les visions qu’on s’est faites de l’Afrique ». (Africultures n°5)

Les différentes institutions de recherche : CNRSS, EHESS sont la caution morale de cette idéologie. La somme impressionnante d’ouvrage qui paraît de spécialistes de tout bords d’une l’Afrique qui vit de plus en plus dans sa propre amnésie, (tous formés à l’école africaniste) sur les différents sujet, sont de véritables armes de destruction massives des mentalités innocentes blanches et noires. Les propriétaires de salles, directeurs d’espace d’exposition et autres producteurs finissent de décourager toute proposition qui défie les canons de ce qui communément est désormais admis comme "africain".

Cet entêtement témoigne de l’incapacité chronique et inquiétante de l’Occident à initier une approche innocente vis à vis de l’Autre qui se manifeste dans la volonté de toujours vouloir appliquer sa grille de pensée .






Pour une création africaine

« Mon peuple… Quand donc cesseras-tu d’être le jouet sombre
Au carnaval des autres Ou dans les champs d’autrui L’épouvantail désuet… »Aimé CESAIRE


Comment l’exotisme perverti tout

« Je vous reproche l’Europe à vous autres Européens 
et aux Africains, je reproche le folklore. »
Sony Labou TANSI

La poésie moderne africaine est rentrée avec grand fracas dans l’univers de l’esthétique et l’a révolutionné, mais la même langue qui consacra la chose révolution, allait, ses contours définis en extraire la substance. D’autres mieux que nous ont fait le procès de la fixité de la névrose raisonnée qui fit « faire de la négritude » sans « parler du Nègre ».
La Négritude allait finir de rejoindre le rang de toutes les crispations niées. Puis la longue nuit que furent les indépendances, les incessantes déchirures nationales et humaines enfantèrent d’un autre monstre. La contagion exotique dont la création noire échoue aujourd’hui encore à se dépêtrer.
Mongo BETI en parle sous ces termes :« L’Afrique suscite un romantisme de la souffrance, et la plupart des écrivains se sont jetés éperdument dans ce cliché, s’emprisonnant eux mêmes dans un genre dont certains commencent a peine a se défaire »
La littérature du « tout va mal » et ses penchants, celles du « tout danse », du « tout baise », du « tout éclat de rire », et celle du « et nous nous en foutons ». Cette "lit-et-rature" dont les tenants sont seuls abonnés aux plateaux- télé et aux rayons "Afrique" des "grandes" librairies.
Il faut dire que l’occidental moyen ignore (dans le double sens de méconnaître et de nier) l’existence de toute littérature en dehors du champ exotique. Les auteurs n’ont d’autres choix que d’entretenir le seul public qu’ils ont , et font allègrement dans la surenchère du carnavalesque. Une production qui donne dos à l’Afrique. Nous en arrivons à la sanction sans appel de Kossi EFOUI : « Pour moi, la littérature africaine est quelque chose qui n'existe pas. »
Le Hip- Hop est sujet à la pire des manifestations de la gangrène exotique. Sa manifestation contemporaine née des configurations sociale, morale et économique, problématiques de la grande ville et sur laquelle nous reviendrons dans un prochain sujet.
Les arts appliqués et décoratifs n’échappent pas à la perversion. Une réédition et surexploitation indécente de formes et de signes creux, qui n’ont d’africain que ce que "l’éducation" mentale, l’aridité intellectuelle et peuvent encore nous amener à y voir. Une monstruosité. "L’ethnique", un mot qui devrait faire hurler d’horreur n’importe quel Africain. « La masturbation avec le sexe des autres » n’est pas le propre du Blanc.
Nombreux sont les apports africains qui furent interprétés avec tout le sérieux et la rigueur auxquels invite l’acte créatif, par l’élite artistique occidentale, et qui donnèrent le jours aux solutions plastiques qu’on sait. Que les Noirs, les premiers, s’en étonnent et soient incapables d’y déceler l’empreinte de cultures africaines est symptomatique du conditionnement entretenu par des années d’expansion dans la culture exotique et de l’amnésie d’eux même qui inévitablement en résulte.


La robe de mariée Jean-Paul Gaultier, véritable évênement du défilé "Eté 2005"


La vérité est d’abord ceci : l’idéologie colonialiste ayant décidé que la maladresse était caractéristique du "faire" noir ; voilà que les Noirs l’ont intégré et mettent un point d’honneur à l’élever à son plus haut niveau d’expression. Une absurdité. L’esthétique des écorchés vifs.
Dans l’esprit même des générations de noires nées et ayant grandi dans le contexte occidental, et pas seulement dans les banlieues des grandes villes, l’exotique triomphe.
Un attachement forcé, bancal et maladroit à ce qui est le passé que l’Afrique n’a jamais connu que dans l’imaginaire des civilisateurs. L’originalité. Une autre monstruosité.
Il s’agit de pas prendre l’UN pour le TOUT et de ne pas couper la forme de la pensée. Peu rechignent à se mettre en prise, dans l’expression artistique, avec le présent. A aucun moment « l’effort ne réinterprétation » n’est amorcé.
Aussi faut il craindre que l’africain ne continue à s’éloigner de l’Africain.


La corruption exotique est complexe à saisir. Elle joue de ses masques. Elle réapparaîtra au cœur même de "l’engagement" au moment où le Nègre décidera de parer au diktat du paradigme culturel occidental. Frantz FANON l’analyse ainsi parlant " l’habillage" et de l’ "à côté " de la création poétique qui par ailleurs était bien dirigée:
« Lorsque parvenu à l’apogée de la rut avec son peuple quel qu’il fût et quelque qu’il soit, l’intellectuel décide de retrouver le chemin de la quotidienneté , il ne ramène que des formules infécondes. Il privilégie les coutumes, les traditions, les modes d’apparaître et sa quête forcée, douloureuse ne fait qu’évoquer une banale recherche d’exotisme (…). Le boubou se trouve sacralisé (…).
Retrouver son peuple c’est quelquefois dans cette période vouloir être nègre, non pas un nègre comme les autres mais un véritable nègre, un chien de nègre, tel que le veut le Blanc » (Les Damnés de la terre)

Quel est réellement l’espace qu’occupe le « boubou » dans le créatif africain. Celle que le Noir lui réserve ou celle que l’Autre lui a aménagé ?

ADOTEVI renchérit quand il précise dans son incontournable Négritude et Négrologue, que quoi qu’ils y fassent : « force est donc est de constater que, (…) les hommes de « tiers monde » qui cherchent à définir l’originalité de leur culture prolongent en fait, et souvent consciemment , une démarche idéologique d’origine purement et simplement occidentale. »

Une fois encore, loin de nous l'envie de refaire ici, le procès des errances de l’"originalité" et de" l’ authenticité", dont la plus haute expression se réduira à un pauvre bonnet léopard. Voilà un bien triste manifeste. Que le Nègre lise FANON, qu’il s’abandonne aux turbulentes analyses d’ADOTEVI.



Oyé Oyé,2002, Michèle MAGEMA (Africa Remix)



Il est intéressant de noter qu’inévitablement tous les grands courants artistiques sombrent dans la routine exotique. Peut- être est- ce du à la difficulté (cadeau de l’histoire) pour le Noir de se déprendre du fait Blanc. Comment freiner la dérive exotique ? Est il réellement impossible de l’éviter au sein d’une esthétique de la ré- action ? Est il envisageable d’initier une création qui ne soit pas une du "rapport" ? N’est on pas tout simplement condamné comme dirait Jean- Hubert MARTIN à être toujours exotique pour l’autre ? Toutes ces interrogations sont ô combien lancinantes pour le Noir, et bien trop souvent, il choisit de vivre dans leur négation.


Quand l’Africain s’adresse à l’Autre, il est obligé d’utiliser son code pour se faire comprendre de lui. Il est obligé de satisfaire à une attente. De fait, il n’est pas dans le juste . S’adresser à l’Autre conduit à produire l’exotique.
Quand l’africain s’adresse à l’africain il est « naturel », il ne compose pas. Il est juste. Il transpire la vérité. Il EST africain. S’adresser à soi, c’est être juste.


Qu’est - ce qui mieux que cette réflexion de Hassan MUSA – qui en 2000 refusa de participer à l’exposition « Partage d’exotismes »- pourrait résumer notre propos : «  L’art africain est un énorme malentendu éthique et j’essaie d’en profiter sans l’aggraver mais cela ne me laisse q’une étroite marge de manœuvre. Moi, artiste né en Afrique, n’ayant aucun enthousiasme à porter le fardeau de l’artiste africain, je sais que les seules occasions qui m’ont permis de présenter mon travail au public en dehors de l’Afrique sont des occasions de type « ethnique » où d’autres m’attribuent le rôle de « l’autre africain » dans des lieux conçus pour ces rituels saisonniers où une certaine Afrique est « à l’honneur ». Cette situation qui ne manque pas d’ ambiguïté me donne l’impression d’ être un otage de cette machine étrange qui intègre les artistes nés en Afrique dans le monde de l’Art tout en les maintenant dans une catégorie à part »(...) (« Lettre à Jean- Hubert MARTIN », Partage d’exotisme )

C’est heureux d’avoir le point de vue aussi lucide d’un artiste africain sur la mascarade qu ‘est l’exotisme. Il est des esprits qui ne sont nullement dupes de la comédie qui se joue.
Et David ELLIOT de continuer à citer l’artiste qui s’oppose aux « ...attentes de l’esthétique européenne qui poussent les Européens à s’inventer leur propre art africain. Un art africain que les Africains ne voient jamais, car cet art est souvent produit en Europe pour les Européens qui le collectionnent, l’exposent et en font un objet de réflexion artistique. »
Hassan MUSA vient, à la suite de TANSI, de définir ce qu’est l’exotisme : Une production dirigée, la création "par rapport à l’Autre".
Comment donc sortir de cet « univers où le langage de bois règne et où le mot devient cadavre ? » (Kossi EFFOUI).

Il s’agit certainement pour l’Autre qui se veut en quête de l’Afrique, de l’Afrique vraie, de guetter les "moments de vérité". Il lui faut beaucoup de tact et de discrétion pour laisser être l’Africain. Il ne lui faut surtout être prêt à prendre ce qui va lui être donné.
L’Africain qui veut couper avec l’exotique, devra destiner son propos en priorité à l’Africain. Il se montre ainsi respectueux de son soi propre. Il scelle la réconciliation avec son "être" et est honnête avec l’Autre. Ce projet est bien évidemment de l’ordre de l’utopique, les sédimentations des faits de l’histoire et la difficulté des rapports ayant considérablement compliqué les choses.


De la nécessité de "libérer" le Nègre

« L’Afrique avait sans doute beaucoup à dire mais on a fait âme basse sur elle. 
Maintenant, pour des raison de salut, il faut qu’elle parle, qu’elle surprenne… » 
Sony Labou TANSI (Revue Equateur N°1-2)
«  Il est temps, maintenant, d’être Nègre. Vraiment. »
Stanislas Spero ADOTEVI

Sony Labou TANSI invite l’Afrique à rompre le « silence ».
Pour mettre fin au délire de ceux qui depuis toujours parlent « en son nom, à sa place, avec sa voix ».
Comme dirait Aminata Dramane TRAORE il faut arriver à « désintoxiquer l‘imaginaire occidental » et de l’amener à un rapport innocent à l’Afrique. Cela n’est pas tache facile.
Pour l’artiste il s’agit d’être entièrement et de nier « l’attente ». Peut- être en arriverons nous à cette rupture brusque qui permettra d’établir enfin un rapport neuf, juste et honnête. L’Afrique a le challenge d’initier une création nouvelle, un cran au dessus de ce que FANON appellerait : « Les structures abêtissantes et infantilisantes qui infestent les relations entre le colonisé et le colonisateur ».
Il est primordial qu’on saisisse la place de la création dans toute construction "nationale".C’est par là même - le discours sur l’absence, l’ inefficience et de par là l’infériorité du fait d’art noir (tous ces délires qui se perpétuent aujourd’hui sous formes plus ou moins déguisées)- que sont arrivées les plus profondes atteintes à l’ "humanité" noire. Les ruses de la rhétorique, les tournures de l’esprit , tous les agencements intellectuels qui sont autant de nouveaux masques ne suffisent pas à cacher le legs dans les mentalités blanches et noires des GOBINEAU, HEGEL etc.

Homme de la terre, homme de la joie, homme de la nature, homme de la liberté, …

Le moment est venu de ne plus participer à cette mascarade. Tous les arts sont concernés : Plastique, lettres, musique, spectacles vivants, danse,… Il faut une renaissance du «faire» africain qui passera nécessairement par une conscience d’elle même et qui devra être (c’est la condition de son efficience) dirigée vers l’Afrique (cela consacrera son originalité vraie et permettra une intégration dans le dynamisme universel). Il faudra, c’est important un programme. L’histoire a montré qu’il faut pour chaque esthétique, chaque révolution ses théoriciens.

Nous parlons bien du « dépassement idéologique de la problématique coloniale, c’est à dire occidentale » que suggère ADOTEVI ; la « compréhension intuitive de valeurs non occidentales » n’y suffisant plus.
Il s’agit d’en arriver à cette « élaboration nouvelle où les cultures des peuples du « tiers monde » seraient perçues non plus d’un point de vue réducteur, mais dans la signification qu’elles se donnent elles même ». Si dans ces passages l’auteur a en tête un retournement de la donne anthropologique, il faut dire qu’en ce qui concerne l’approche des arts le démarche ne peut être que la même.
« On ne peut parvenir à un véritable discours théorique qu’en minant définitivement « la certitude de soi » de l’Occident par une praxis qui libère complètement notre espace conceptuel (artistique compris…) de ce regard idéologique et aliénant qui destine à l’extérieur toute recherche sur l’Afrique »

Encore et toujours, c’est de déconstruction qu’il est question.

La difficulté est que la demande de l’Occidental n’est plus aujourd’hui aussi grande que l’offre même de l’africain. Le créateur africain est devenu le principal pourvoyeur d’exotique. En effet il a choisi de faire du « mensonge » son fond de commerce. Il travaille ainsi résolument contre lui. Les gains pécuniaires ne réussiront pas à combler le vide intérieur et le préjudice à la perception du « noir ».

Il urge que l’Africain définitivement se reconstruise cette personnalité nouvelle, positive et efficiente qui transcende les intérêts et évolue en marge de toutes les tentatives de simplification. Nous pressentons que cette révolution dans les arts nécessitera des sponsors pour passer outre le puissant mécanisme de bridage dont les Noirs eux mêmes aujourd’hui tiennent les rouages.



Les arts anciens africains ne sont pas exotiques pour le sou, parce conçus pour les besoins de la société africaine et destinée à celle ci. Elle devient ainsi complètement intéressante pour L’Autre parque réellement "originale". Malheureusement, celui ci continue à ne vouloir y traquer que lui même. Au contraire l’art contemporain africain tend à s’adresser directement et souvent uniquement ( tant qu’elle se sait art et se travaille à être reconnu art ) à l’autre et fait en plein dans le cliché et s’éloigne de la vérité.

Oui l’exotisme est partout et corromps tout. Il faut le traquer, le déconstruire et le retourner, sinon la nier. Pour qu’enfin la création africaine trouve « son propre lieu ».



pour le GRDPEA




Notes:

Bien évidemment les mots « exotique » et « exotisme » n’ont ici que le sens que nous leur donnons.

La volonté de cette réflexion est de mettre la lumière la tendance (même inconsciente) chez l’Africain à privilégier en art comme ailleurs, les «modes d’apparaître» au détriment des modes d’être. Et la vraie question à se poser est la suivante : « Pourquoi tout ce que fait l’Africain est bon ? ». Les horizons que peuvent ouvrir une tentative de réponse à cette interrogation ne sont pas à négliger.

Ceci est une généralisation. Nous croyons que, "dépouillée", l’exotisme (d’angle africain) est un courant artistique qui a sa place à coté de la Vérité. Elle (l’exotisme) ne deviendra pertinent comme expression qu’à la lueur de ce que nous appellerons « le véridique ». Nous voulons dire par là qu’il faut que le choix soit vraiment possible. Exotisme n’est définitivement pas un gros mot.

Notre petite investigation sur le fait exotique s’est construite avec en trame de fond une observation des questionnements que soulève « L » ’expression plastique contemporaine africaine et une analyse des réactions de différents spécialistes de la chose, recueillies dans le catalogue de ce qui fut la plus grande célébration de cette expression : l’exposition AFRICA REMIX . Mais les conclusions à souhait extensibles à tous les arts : musique, Cinéma, arts vivants, littérature, arts appliqués etc.
Attention, l’exotique est partout…

Les illustrations sont pratiquement toutes tirées du catalogue et choisies soit pour le caractère "critique" ou le contre-pied évident que les œuvres ciblées font à la tendance exotique. Illustration de présentation : une création de Joël ANDRIANOMEARISOA

Nous rappelons à toutes et à tous que l’art est au cœur de la question raciste...





Ci après, la preuve qu’on peut aborder les thèmes de la guerre, du racisme, la misère et exprimer les problèmes identidaires sans tomber dans le "romantisme de la souffrance" et l’esthétique de l’exubérance, de "l’éclat", de "l’apocalypse", de "l’éventré" et du "désossé" ; clichés auxquels on veut vouer la création africaine.
Bien sûr, il faut avoir le talent d’une Ingrid MWANGI (1/), d'un Bili BIDJOCKA (2/) ou d'un Andries BOTHA (3/)...


1/Down by the River2/The Room of Tears





3/History as an aspect of oversight in the process of progressive blindness, 2004 (Africa Remix)