Retrouvez Grioo.com sur votre mobile: http://m.grioo.com
Grioo.com   Grioo Pour Elle       Village   TV   Musique Forums   Agenda   Blogs  
   Vendredi 10 Mai 2024 RECHERCHER : Sur Grioo.com  Sur Google 
 Accueil  Rubriques  Archives  Forum     Qui sommes-nous ?     

  News
News pays
Afrique
Caraïbes
Monde
Société
Sports
Santé
Insolite
Bloc Notes
  Economie
Management
  Culture
Histoire
Médias & Société
Musique
  Hommes illustres
Success stories
Interviews
Parcours
Initiatives
  Célébrités
Quizzs
Galeries Photos
Bons Plans
Musique
  Opinions
Conseils B2B
Forum


Pour recevoir notre lettre d'information, veuillez saisir votre email



AccueilRubriquesCultureArticle
Aimé Césaire : un volcan s'est éteint
22/04/2008
 

Achille Mbembe rend hommage à Aimé Césaire tout en parcourant les temps forts de l'oeuvre de ce dernier
 
Par Achille Mbembe
Imprimer
Envoyer à un ami
Réagir
 Publicité 
 
 
© fluctuat.net  

Le glas ayant sonné, Césaire est donc parti. Désormais allongé, étendu seul, il est là, ici, partout et nulle part, fiché horizontalement, à la manière de ce qui plus jamais ne se relèvera.

Passé au pays du grand sommeil, le veilleur s’est finalement délivré de soi. Et ayant rejoint le revers du temps, celui-qui-guettait-la-nuit s’est frayé un chemin solitaire dans la nuit, la grande nuit de l’innommé.

Mais l’entretien entamé en 1935 en Dalmatie (Croatie), au moment de l’invasion et de l’occupation de l’Éthiopie par les troupes italiennes, au zénith de l’impérialisme européen, de la montée du fascisme, de l’hitlérisme et du racisme, lorsqu’il entreprit d’écrire le Cahier d’un retour au pays natal – cet entretien sera toujours, par essence, infini.

Et c’est donc à le reprendre, chaque fois en des termes nouveaux, sans jamais donner à ses affirmations un sens trop facile, trop frivole, que la présence nue de sa mort désormais nous convie.

 Publicité 
 
Le sort de « l’homme noir » dans le monde
 
 

Toute sa vie, Césaire aura lutté avec force et tranchant, énergie et lucidité, mixte de clarté et d’obscurité, avec les armes miraculeuses de la poésie et celles non moins honorables de la politique, les yeux fixés tantôt sur l’impérissable, tantôt sur l’éphémère, ce qui passe et s’en retourne à la poussière. Il aura obstinément cherché à ménager un lieu de permanence à partir duquel le mensonge puisse être éventé, la vérité ressuscitée et l’indestructible se manifester. C’est la raison pour laquelle sa pensée, volcanique, aura été à la fois celle de l’interruption, du soulèvement, de l’espérance et de la déclosion.

Le socle de cette pensée de la lutte et du soulèvement aura été d’une part l’affirmation de l’irréductible pluralité du monde ou, comme il aimait à le dire, "des civilisations"; et de l’autre la conviction selon laquelle "l’homme où qu’il se trouve a des droits en tant qu’homme". Ce dont cette pensée aura porté témoignage, c’est l’espérance d’un rapport humain avec la différence – rapport inconditionnel d’humanité rendu d’autant plus impératif à l’évidence du visage sans nom auxquels on se heurte, et de l’inexorable moment de violence qui nous pousse à dénuder ce visage, à violer ce nom et à en effacer la sonorité.

Ce qu’elle aura mis en procès, c’est le racisme et le colonialisme, deux formes modernes de ce viol et de cet acte d’effacement, deux figures de l’animalité dans l’homme, de l’union de l’humain et de la Bête contre laquelle la république elle-même n’est pas immunisée et de laquelle notre monde est loin d’être entièrement sorti.

Aimé Césaire en 1993  
Aimé Césaire en 1993
© Chester Higgins Jr
 

Enfin, la terreur qui l’aura habité, c’est celle d’un sommeil sans réveil, d’un sommeil sans jour nouveau, sans soleil ni lendemain. Et, puisque l’on y est, l’obsession de Césaire, ce ne fut pas seulement les Antilles, ce pays qu’il avait coutume d’appeler non pas "français", mais "caribéen". Ce ne fut pas seulement la France qu’il servit avec amour et dévouement et dont il disait de la Révolution qu’elle avait - événement tout à fait inaugural dans son esprit - fait l’impasse sur "le problème colonial", c’est-à-dire la possibilité d’une société sans races.

Ce fut aussi Haïti (une terre qui, disait-il, "avait prétendument conquis sa liberté", mais qui était plus misérable qu’une colonie). Ce fut le Congo de Lumumba et, à travers lui, l’Afrique (où l’indépendance avait débouché sur "un conflit entre nous-mêmes"). Ce fut l’Amérique noire (à l’égard de laquelle il n’avait cesse de rappeler et de proclamer la "dette de reconnaissance").

Ce fut, comme il ne cessa de le répéter lui-même, "le sort de l’homme noir dans le monde moderne".

Pluralité du monde et partage des singularités

Or, au moment où Césaire s’en va, il nous faut prendre au sérieux ce souci déclaré pour ce qu’il appelle "l’homme noir". Il nous faut éviter de neutraliser la charge polémique que portent ce souci et l’inconnu auquel il se rapporte tout en acceptant que tout cela puisse nous déconcerter.

Il nous faut embrasser ce souci non pour enfermer Césaire dans une conception carcérale de l’identité, encore moins pour reléguer sa pensée à une forme de tribalisme racial, mais pour que justement, dans le vacarme des éloges officiels et les tentatives nationalistes de récupération et d’instrumentalisation, nul ne puisse se dérober face aux difficiles questions qu’il fit siennes, qu’il ne cessa de poser à tous, et qui aujourd’hui encore restent, pour l’essentiel, sans réponse, à commencer par la question du colonialisme, de la race et du racisme.

Ne disait-il pas encore, récemment, que "ce qui fait question, c’est le racisme ; c’est la recrudescence du racisme dans le monde entier ; ce sont les foyers de racisme qui, ça et là, se rallument. C’est cela qui fait question. C’est cela qui doit nous préoccuper. Alors, est-ce bien le moment, pour nous, de baisser la garde et de nous désarmer nous-mêmes ?" (Discours sur la négritude, 1987)

Gorée  
Gorée
© completissima.it
 

Que veut donc dire Césaire lorsqu’il proclame son souci pour le sort fait à "l’homme noir" dans le monde moderne ? Qu’entend-il par "homme noir" ? Pourquoi ne pas dire l’humain tout court ?

Soulignons d’abord qu’en faisant de la race le point de départ de sa critique du politique, de la modernité et de l’idée même de l’universel, Césaire s’inscrit en droite ligne d’une tradition critique intellectuelle noire que l’on retrouve aussi bien chez les Afro-Américains que chez nombre d’autres penseurs caribéens anglophones, voire Africains.

Chez Césaire cependant, le souci pour "l’homme noir" ne débouche pas sur la sécession du monde, mais sur l’affirmation de sa pluralité et la nécessité de sa déclosion. Affirmer que le monde est pluriel, militer pour sa déclosion, c’est dire que l’Europe n’est pas le monde, mais seulement une partie de celui-ci.


C’est donc faire contrepoids à ce que Césaire appelle "le réductionnisme européen" - par quoi il entend «"ce système de pensée ou plutôt l’instinctive tendance d’une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même pour faire le vide autour d’elle en ramenant abusivement la notion d’universel à ses propres dimensions, autrement dit à penser l’universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres". Et d’indiquer les conséquences que cela entraine : "couper l’homme de l’humain, et l’isoler, en définitive, dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie".

D’autre part, affirmer que le monde ne se réduit pas à l’Europe, c’est réhabiliter la singularité et la différence. En cela, et quoi que l’on ait dit, Césaire est très proche de Senghor. Tous les deux récusent les visions abstraites de l’universel. Ils font valoir que l’universel se décline toujours dans le registre de la singularité. À leurs yeux, l’universel est précisément le lieu d’une multiplicité de singularités dont chacune n’est que ce qu’elle est, c’est-à-dire dans ce qui la relie et la sépare d’autres singularités. Chez l’un comme chez l’autre, il n’y a donc pas d’universel absolu. Il n’y a d’universel qu’en tant que communauté des singularités et des différences, partage qui est à la fois mise en commun et séparation.

On le voit. Ici, le souci de "l’homme noir" n’a de sens que parce qu’il ouvre la voie à la déclosion du monde et à une autre imagination de l’idée humaine et de la communauté universelle. En cet âge de la guerre sans fin et des multiples retours du colonialisme, une telle critique est loin d’être terminée. Elle est encore indispensable dans les conditions contemporaines, qu’il s’agisse de questions liées à la citoyenneté, à la présence des étrangers et des minorités parmi nous, aux figures non-européennes du devenir humain, au conflit des monothéismes ou encore à la globalisation.

Retours du colonialisme
 
 

Sur un autre plan, la critique de la race chez Césaire a toujours été inséparable de la critique du colonialisme et de la pensée qui le portait.

Qu’est-ce en son principe la colonisation, se demande-t-il dans son Discours sur le colonialisme (1955).

Elle n’est, "ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du droit". Équation malhonnête, elle est fille de l’appétit, des cupidités et de la force – les mensonges, les traités violés, les expéditions punitives, le poison instillé dans les veines de l’Europe, l’ensauvagement, tout ce par quoi le colonisateur se décivilise, plonge dans l’abrutissement, apprend à réveiller les instincts enfouis, la convoitise, la violence, la haine raciale et le relativisme moral.

D’où le fait que "nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler".

Et d’ajouter : "Le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraine à le traiter en bete, tend objectivement à se transformer lui-même en bete".

Prendre au sérieux Césaire, c’est continuer de traquer dans la vie d’aujourd’hui les signes qui indiquent ces retours du colonialisme ou sa reproduction et sa répétition dans les pratiques contemporaines – qu’il s’agisse des pratiques de guerre, des formes de minorisation et de stigmatisation des différences ou, plus directement, des formes de révisionnismes qui, s’appuyant sur l’échec des régimes indépendants, cherchent à justifier ex post ce qui fut avant tout un gouvernement grossier, vénal et arbitraire.

Un testament d’espérance
Negre je suis, negre je resterai  
Negre je suis, negre je resterai
© bulletin.auf.org
 

Finalement, il importe de continuer de s’interroger sur les sens du terme "nègre" que Senghor et Césaire réhabilitèrent au plus fort du racisme impérial. Il est d’ailleurs significatif qu’au soir de sa vie, Césaire s’estime obligé de rappeler récemment à Françoise Vergès : "Nègre je suis et nègre je resterai" (Nègre je suis, & nègre je resterai. Entretiens avec Françoise Vergès, 2004).

La prise de conscience de son être-nègre date du début des années 1930 quand il fait, à Paris, la rencontre de Léopold Sédar Senghor et des écrivains afro-américains Langston Hughes, Claude McKay, Countee Cullen, Sterling Brown et plus tard Richard Wright et bien d’autres.

Cette prise de conscience est provoquée par l’interrogation pressante, angoissante, que se posent, dans l’entre-deux-guerres, une génération de penseurs noirs. Cette question porte sur la condition noire d’une part et les possibilités du temps de l’autre. Césaire la résume de la manière suivante : "Qui sommes-nous dans ce monde blanc ? Que nous est-il permis d’espérer et que devons-nous faire ?".

À la question "Qui sommes-nous dans ce monde blanc ?", Césaire apporte une réponse dépourvue d’ambigüité : "Nègres nous sommes". En affirmant de façon aussi péremptoire sa "négritude", il affirme une différence que rien ne doit simplifier, qu’il ne faut pas chercher à réduire et de laquelle il ne faut pas se détourner en la déclarant indicible.

Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon  
Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon
 

Mais qu’entend-il par "nègre", ce renvoi ou encore ce nom dont Fanon dit, dans Peau noire, masque blancs, qu’il n’est qu’une fiction ? Et que nous faut-il entendre par ce mot aujourd’hui ? Pour lui, ce nom renvoie non pas à une réalité biologique ou à une couleur de peau, mais à "l’une des formes historiques de la condition faite à l’homme". Mais ce mot est également synonyme de "lutte opiniâtre pour la liberté et d’indomptable espérance".

Chez Césaire, le terme "nègre" signifie donc quelque chose d’essentiel, qui ne relève absolument pas du racisme noir ou de l’idolâtrie de race. Parce qu’il est chargé de tant d’épreuves (que Césaire tient absolument à ne jamais oublier) et parce qu’il constitue la métaphore par excellence de la "mise à part", ce nom exprime le mieux, et a contrario, la quête de ce qu’il appelle une "plus large fraternité", ou encore un "humanisme à la mesure du monde".

Ceci dit, cet humanisme à la mesure du monde, on ne saurait en parler que dans le langage de l’à-venir, de ce qui toujours se situera au-devant de nous et qui, comme tel, sera toujours privé de nom et de mémoire, mais non point de raison – ce qui, comme tel, toujours échappera à la répétition parce que toujours radicalement différent. Du coup, l’universalité du nom "nègre", il faut la chercher non du coté de la répétition, mais de celui de la différence radicale sans laquelle la déclosion du monde est impossible. C’est au nom de cette différence radicale qu’il faut réimaginer "le nègre" comme la figure de celui qui est en route, qui est prêt à se mettre en route, qui fait l’expérience de l’arrachement et de l’étrangeté.


Mais pour que cette expérience du parcours et de l’exode ait un sens, il faut qu’elle fasse une part essentielle à l’Afrique. Il faut qu’elle nous ramène à l’Afrique, ou du moins qu’elle fasse un détour par l’Afrique, ce double du monde dont nous savons que le temps viendra.

Césaire savait que le temps de l’Afrique viendrait, qu’il nous fallait l’anticiper et nous y préparer. C’est cette réinscription de l’Afrique dans le registre du voisinage et de l’extrême lointain, de la présence autre, de ce qui interdit toute demeure et toute possibilité de résidence autre qu’onirique - c’est cette manière d’habitation de l’Afrique qui lui permit de résister aux sirènes de l’insularité.

Finalement, c’est peut-être l’Afrique qui, lui ayant permis de comprendre qu’il y a des forces profondes en l’homme qui excèdent l’interdit, octroya à sa pensée son caractère volcanique.

       
Sur le même sujet sur Grioo.com
  L'oeuvre d'Aimé Cesaire bientôt réintroduite dans les programmes scolaires français ?
  Aimé Césaire, écrivain, penseur et homme politique (1913-2008)
 
Mots-clés
achille mbembe   cesaire   colonialisme   discours sur le colonialisme   hommage cesaire   martinique   patrice lumumba   
 
 Donnez votre opinion ou lisez les 1 réaction(s) déjà écrites
 Version imprimable de l'article
 Envoyer l'article par mail à une connaissance


Partager sur: Partager sur Facebook Facebook   Partager sur Google Google   Partager sur Yahoo Yahoo   Partager sur Digg Digg   Partager sur Delicious Delicious  
 
 
Les dernières photos publiées sur Grioo Village
 
Les derniers articles Grioo Pour Elle

 Grioo Pour Elle, le site des femmes noires et métissées
 
Les derniers billets sur nos blogs
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
  Billets - Bat che nang mua gia re - DotClear 1.2-rc
 
 
 
 
Top
 
 
 
 
 Exposition : Senghor et les arts : du 7 février 2023 au 19 novembre 2023
 Mbappe joueur le mieux payé de ligue 1 : 6 millions d'euros par mois
 Mbappe nouveau capitaine :entrée en matière réussie ?
 Gala 2016 : le club efficience annonce la création d'un fonds de la diaspora
 Les cosmétiques Soleza désormais disponibles au Cameroun
 Can 2017 : le tirage au sort a eu lieu
 Terroriste où es-tu ? : Partout et nulle part !
 Nigeria : Stephen Keshi s'en est allé
 Mohammed Ali, ''the greatest'' s'en est allé
 Décès de Papa Wemba : les hommages se multiplient
 
Afrique      Afrique Du Sud      Barack Obama      Benin      Bons Plans      Burkina-faso      Cameroun      Caraïbes      Célébrités      Congo Brazzaville      Cote D'ivoire      Diaspora Africaine      Diversité      France      Gabon      Ghana      Haïti      Livre      Mali      Nigeria      Racisme      Rdc      Senegal      Tchad      Togo     
 
 



   
 
Le site des femmes noires et métissées | Grioo Village | English version