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Rencontre avec Tidiane N'diaye, auteur du "génocide voilé"
02/06/2009
 

Anthropologue, chercheur de référence mondiale, Tidiane N'diaye revient sur son dernier ouvrage. Il y aborde divers thèmes comme la traite négrière arabo musulmane, la résistance complicité des Africains, le rôle de certaines communautés dans l'esclavage etc
 
Par Pape Cissoko
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Tidiane N’Diaye, vous êtes Anthropologue, Economiste et chercheur de référence mondiale, spécialiste des civilisations négroafricaines et de leurs diasporas. Avant d’aborder la question de la traite négrière arobo-musulmane, sujet de votre dernier ouvrage (le génocide voilé*) , je voudrais planter le décor, pour permettre de mieux comprendre votre œuvre. Celle-ci que d’aucuns qualifient "d’approche nouvelle", parce que sans complaisance, fait honneur à la recherche. Aussi, voulez-vous d’abord nous éclairer sur cette légende (ou interprétation) de la "malédiction de Cham", qui a tant servi à justifier l’asservissement des peuples noirs ?

En fait c’est une construction biblique, où histoire et légende se croisent. Il y est dit que : «les descendants de Cham étaient condamnés, à être les esclaves des lignées de ses frères Sem et Japhet.» Mais si tant est que, les faits relatés sur une page de l’histoire de l’humanité par la Bible, furent réellement avérés, cette malédiction concernait les enfants de Canaan. Les Israélites soumirent ce peule, lors de la conquête de la Terre Promise, si loin de l’Afrique noire. Dans la version biblique de cette légende, la malédiction (genèse, IX, 1-27), tombe sur le plus jeune des fils et pas sur les autres dont Kouch, qui serait dit-on, l’ancêtre des Noirs.

A l’origine, les Cananéens, esclaves des Israélites, étaient leurs proches cousins. Il fallait donc trouver une justification religieuse, voire idéologique à leur asservissement. Par la suite, cette légende servit de prétexte aux Atlantistes, puis aux Arabo-musulmans. Ceci parce que dans l’entreprise criminelle de déportation et d’asservissement des peuples africains, racisme et théologie se conjuguaient tout simplement, pour donner un justificatif acceptable à la condition qui leur était réservée. Alors qu’avant le XIIème siècle, cette histoire qui avait conservé un caractère très abstrait, n’était associée à une quelconque couleur ou « race. » Enfin une précision importante : j’emploie fréquemment le vocable de « Arabo-musulman » dans mon étude.

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Tidiane Ndiaye  
Tidiane Ndiaye
 

Cette approche ne présente en aucun cas, les pays musulmans comme une entité particulière ou une catégorie spécifiquement homogène sur le plan historique. Elle n’est pas une vision « essentialiste » de l'Histoire, réduisant des peuples à leur religion ou à leur culture. Le fait est tout simplement que, les négriers qui ont trempé dans cette tragédie, n’étaient pas exclusivement arabes. Ils étaient aussi maghrébins, Turcs (sous l’empire ottoman), Iraniens (perses) et mêmes asiatiques, puisque le roi du Bengale possédait 8 mille esclaves africains au milieu du XVème siècle.

Le seul point commun entre tous ces peuples négriers, était la religion sans que celle-ci en soit la principale cause. L’Islam comme les autres religions monothéistes ont hérité de l’esclavage. Mais passant outre les recommandations du prophète Mohamed, certains érudits musulmans et autres docteurs de la loi, ont interprété abusivement les textes sacrés, pour asservir des peuples.

Quelle différence faites vous entre servitude et esclavage ?

Par exemple, le servage dans les sociétés lignagères africaines, était différent de l'esclavage antique, en ce sens que le captif ici était intégré à la famille. Il avait le statut d'un adopté, voire même d'un « parent. » Il n’était pas comparable à un automate au sens grec, un «bien» au sens romain ou une «chose mobilière» au sens français. Il jouissait de droits civiques et de droits de propriété.

Les droits inhérents à sa condition étaient définis de façon claire. Généralement il ne devait au maitre que cinq jours de travail par semaine et pouvait les autres jours, travailler librement pour son propre compte. En fait cette institution ressemblait à ce qui se passait dans certains pays d’Europe où le servage était traditionnel. Sauf en périodes de crises économiques, les serfs ne vivaient pas forcément dans des conditions misérables ou humiliantes. Les liens du sang étaient respectés. Ils entretenaient même des rapports affectifs et de respect avec les maitres ou seigneurs.

La structure des sociétés africaines, avant l'arrivée des Arabes, pourrait s'apparenter à celle d'une société féodale européenne, avec ses tribus suzeraines et d'autres plus ou moins vassales. Pour la plupart des monarques ou chefs africains, les captifs n’en demeuraient pas moins leurs frères. Ils pouvaient les servir comme domestiques, guerriers ou autres travailleurs forcés. Mais nul n’avait le droit de leur enlever leur liberté au sens bestial du terme, de les séparer violemment de leurs familles, de les vendre aux enchères et de les rouer de coups.

Tidiane N'diaye en compagnie d'Aimé Césaire  
Tidiane N'diaye en compagnie d'Aimé Césaire
 

Le servage interne africain n’existait qu’à l’état de simple fait, voire d’institution patriarcale, sans cruelles chasses à l’homme et sans ventes publiques. Dans presque tous les royaumes africains, il faut le souligner, le système de servage obéissait aux mêmes principes, bien qu’il y eut - comme dans toutes les civilisations et sur tous les continents -, des exceptions, même extrêmement cruelles évidemment ! Car nombreux sont les témoignages effrayants, rapportant la férocité de certains monarques, notamment de quelques royaumes de la cote du Dahomey, moins avancés dans leurs rapports interhumains. Par exemple à la cour du roi Mtéza, Stanley rapporte que, pour satisfaire un simple caprice, le monarque faisait abattre la tête à quelques centaines de ses captifs.

Quant aux femmes qui composaient sa maisonnée, il ne se passait pas de jour, où une ou deux de ces malheureuses n’étaient conduites, une corde roulée autour du poignet, trainées ou tirées par les gardes du corps, vers l’abattoir. Par peur du souverain, pas une main ne se levait pour les arracher au bourreau. Quand un roi du Dahomey (actuel Bénin) mourait, on lui érigeait une espèce de cénotaphe entourée de barres de fer, surmontée d’un cercueil en terre, cimenté du sang d’une centaine de captifs sacrifiés, pour servir de gardes au souverain dans l’autre monde. Lors des fêtes sanguinaires nommées « Grandes Coutumes », on égorgeait à la fois des centaines de captifs, pour qu’ils aillent porter au roi défunt, la nouvelle du couronnement de son successeur.

Cependant, hormis ces exceptions notables, la condition des captifs africains, employés à cultiver la terre, servant de domestiques ou de soldats, ne ressemblait en rien, à celle des Africains esclaves asservis en terres arabo-musulmanes ou dans le Nouveau Monde. Car quelles que furent les formes d’asservissement dans la plupart des sociétés négro-africaines, celles-ci ne sauraient être comparées aux horreurs des traites arabo-musulmane et transatlantique, autrement dit à des pratiques débouchant sur des déportations massives et des traitements mutilants, traumatisants ou meurtriers.

Quant à l’esclavage en question, c’est le droit abusif que des hommes se sont donnés, pour user, disposer et parfois abuser des services d’une personne, qui ne peut exprimer librement sa volonté. Ainsi au « maître » le droit d’utiliser C’est la négation même des attributs naturels de l’homme libre à savoir : disposer de sa personne et agir selon sa volonté ; faculté de posséder des biens et d’en jouir librement ; liberté de travailler et de choisir son travail. C’est cette pratique qui est essentiellement attachée aux traites négrières transatlantique et arabo-musulmane.

 
 

-Est-ce seulement les Africains qui ont connu cette forme d’asservissement ?

En fait l’esclavage est un phénomène universel qui a existé dans toutes les communautés humaines et dans toutes les aires de l’histoire. A Athènes quatre siècles après le Christ, on ne dénombrait pas moins de Deux cent cinquante mille têtes serviles, autant dire que les citoyens en possédaient au moins un chacun. Grâce à Xénophon, nous savons combien il était alors aisé de se procurer des esclaves. Venus de la Haute Égypte, les Nubiens ( déjà des Africains ), y étaient appréciés, bien qu’ils fussent en nombre restreint.

Chez les Romains, l’esclavage était aussi chose courante. Au cours de leurs nombreuses guerres de conquêtes - si bien illustrées par Jules César -, ils réduisirent à l’état d’esclave un nombre considérable de captifs pris les armes à la main ou « raptés » dans leurs lointaines colonies. Ils étaient pour la plupart dits de « race » blanche. La Rome Antique a eu recours à l’esclavage sur une large échelle, pour la production de marchandises. Il y aura jusqu’à 3 millions d’esclaves en Italie, soit près de 30% de la population. Quant aux autres peuples d’Occident, toujours sous la botte des conquérants de tous acabits et victimes des aléas de la guerre, ils ont longtemps payé le tribut aux « maîtres » et cela, jusqu’à la Renaissance.

L’éternelle loi du plus fort a toujours fait du vaincu l’esclave du vainqueur, selon le vieil adage Vae victis ! Dans les faits, le Moyen Age fut en Europe, une époque faste pour le trafic d’esclaves, dont Arabo-musulmans et Juifs firent en partie les frais. La Méditerranée devint le « champ de bataille », où Latins et Orientaux s’affrontèrent dans des combats sanglants, dont firent également les frais des centaines de milliers d’autres malheureux. Tout au long des siècles et jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, les « slaves », nom donné par les Arabo-musulmans aux captifs blancs européens, furent très nombreux sur les marchés d’esclaves. On sait quel fut leur sort et comment ils seront progressivement remplacés par les Africains.

Quels que soient les continents et les civilisations, la domination de l’homme par l’homme comme on sait, constitue une des caractéristiques fondamentales de l’histoire de l’humanité. L’esclavage est tout simplement, la plus marquante et la plus extrême de ces caractéristiques. Mais force est de reconnaître que la dimension prise par la traite et l’esclavage dont ont été victimes les peuples noirs, dépasse en traitement des victimes, en durée et en horreurs, tout ce qui l’avait précédée.

 
© http://hitchcock.itc.virginia.edu/SlaveTrade/  

Quelle différence entre le commerce triangulaire et la traite négrière transsaharienne et orientale ?

Dès le XVIIème siècle les Européens, bien après Venise et Byzance ( Portugais et Anglais en tête, suivis de près par les Français et les Espagnols), avaient dans un premier temps, allégrement concurrencé les Arabo-musulmans en fait de chasses à l’homme et de commerce ad hoc : c’est comme on sait, la traite transatlantique, de sinistre mémoire. Il est sans doute difficile d’apprécier l'importance de la saignée subie par l'Afrique noire au cours de la traite transatlantique. Du Bois l’estime à environ 15 à 20 millions d’individus. Philip Curtin quant à lui, en faisant une synthèse des travaux existants, aboutit en 1969 à un total d’environ 9,6 millions d’esclaves importés surtout dans le Nouveau Monde, plus faiblement en Europe et à Sao Tomé, pour l’ensemble de la période 1451-1870.

Cette douloureuse page de déportation et d’exploitation des peuples africains, était motivée par des raisons essentiellement économiques et de « salubrité. » Et quelle que fut son ampleur, il suffit d’observer la dynamique diaspora noire qui s’est formée au Brésil, aux Antilles et aux USA, pour reconnaître qu’une entreprise de destruction froidement et méthodiquement programmée des peuples noirs au sens d’un génocide - comme celui des Juifs, des Arméniens, des Cambodgiens ou autres Rwandais -, n’y est pas prouvée. Dans le Nouveau Monde la plupart des déportés ont assuré une descendance.

De nos jours, plus de soixante dix millions de descendants ou de métis d’Africains y vivent. En revanche, la traite négrière arabo-musulmane est très largement antérieure au commerce triangulaire. Du VIIème au XVIème siècle, pendant près de mille ans, les Arabo-musulmans ont même été les seuls à pratiquer ce misérable négoce, en déportant près de 10 millions d’Africains, avant l’entrée en scène des Européens. Si la ponction transatlantique a duré de 1660 à 1790 environ, les Arabo-musulmans ont été à l’origine des razzias des peuples noirs et ceux qui ne veulent pas fermer les yeux, savent bien que cela continue encore au Darfour et ailleurs. Les statistiques de cette infamie - du moins celles parvenues jusqu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de relations écrites au contraire des atlantistes -, sont effarantes.

Ceci bien qu’une partie des sources statistiques de ce crime reste « voilée. » Cette carence m’a conduit, à travailler sur des hypothèses, des récits de griots, des recoupements et des témoignages directs ou indirects d’explorateurs. Cependant l’étude la plus crédible sur le sujet et qui m’a beaucoup servi, est celle de mon confrère américain Ralph Austin. Les travaux de ce chercheur, qui est sans doute le meilleur spécialiste de la question, font autorité. Sans chercher à minimiser le crime des Occidentaux, ses estimations ont été constamment affinées.

 
 

Ainsi, nous pouvons estimer les Africains déportés par le Sahara, au nombre de 9 millions 337.000 individus. Dans les régions proches de la mer Rouge et de l’Océan indien, 8 millions d’Africains environ auraient été transférés. On aboutit ainsi à un total de plus de 17 millions d’Africains. Ce chiffre serait même, selon certaines sources, vraisemblablement en deçà de la réalité. Il faudrait le traiter avec une marge d’erreur d’au moins 25%, sur une période s’étalant du milieu du VIIème siècle au XXème siècle.

On imagine aisément l’ampleur d’une telle tragédie à l’échelle d’un continent. Ce chiffre peut paraitre très élevé, mais il faut l’étaler sur une longue période de treize siècles sans interruption. La plupart des hommes, femmes et enfants concernés, survivants et arrivés à « bon port », n’ont presque pas assuré de descendance, du fait des traitements inhumains, de l’infanticide et de la castration généralisée. ceci pour qu’ils ne fassent pas souche dans le monde arabo-musulman.

Vous dites que d’éminents penseurs arabes ont justifié l’esclavage des noirs par leur infériorité. Cette information est méconnue du grand public. Est-ce cela qui explique leur élimination après utilisation et qui vous a amené à employé le terme de "génocide" ? N’est-il pas trop fort ?

En fait cette déportation des Africains en terres arabo-musulmanes était dans une large mesure, une véritable entreprise programmée, de ce que l’on pourrait qualifier « d’extinction ethnique par castration massive. » Il faut noter qu’au chapitre du mépris envers les Africains, l’historien Ibn-Khaldum qui fut l’érudit arabe le plus connu et écouté du 14ème siècle écrivait : « les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » La question qui se posait donc, était de savoir, comment faire pour que ces « animaux », ne se reproduisent pas en terres arabo-musulmanes. Car dès les débuts de cette traite, les négriers voulaient empêcher qu'ils ne fassent souche.

Comme cela n’avait rien de métaphysique, la castration apparaissait comme une solution bien pratique. Aussi, dans cette entreprise d’avilissement d’êtres humains, si les Arabes et les Turcs destinaient la plupart des femmes noires aux harems, ils mutilaient les hommes, par des procédés très rudimentaires et qui causaient une effroyable mortalité de l’ordre de 80% des « patients. » Ainsi, en dépit des masses énormes de populations africaines déportées sur ces territoires, seule une minorité d’entre elles, a pu laisser de descendance. Et c’était le but recherché dès le début, pour éviter qu’ils ne se reproduisent en masse et probablement créer des problèmes par leur descendance.

 
 

Il est certain que le racisme, le mépris, les conditions inhumaines d’exploitation, l’infanticide et la pratique généralisée de la castration, sont les principaux facteurs ayant permis cette quasi-disparition. Et les rares survivants ayant assuré une descendance - essentiellement issus de concubines noires des harems et objets sexuels -, sont aujourd’hui discrètement marginalisés dans ces sociétés et nommés par des termes méprisants du genre : « abds » ou « zenjis » qui veulent dire esclaves.

-Pourquoi avoir exploré cette piste de recherches, quand on sait que presque tout le monde à ce jour, ne se penche que sur la traite transatlantique ?

La traite transatlantique nous est bien connue et est largement débattue depuis des décennies. Les études et synthèses sur la question sont légion. Je lui ai personnellement consacré trois ouvrages. Mais dans le monde arabo-musulman, un silence coupable recouvre toujours, le martyr des peuples noirs, dont ils ont une grande part de responsabilité. Jusqu’ici, tout se passait comme si les descendants des victimes étaient devenus les obligés, amis et « solidaires religieux » des descendants des bourreaux sur qui, ils décidaient de ne rien dire.

Ce silence sélectif entourant le crime arabo-musulman envers les peuples noirs ou sa sous-estimation, pour mieux braquer les projecteurs uniquement sur la traite transatlantique, est disent certains, comme un ciment devant réaliser la fusion des Arabes et des populations négro-africaines, longtemps victimes du colonialisme occidental. Aussi notre démarche dans ce travail, est d’informer sur l’antériorité et la dimension colossale de cette terrible traite transsaharienne et orientale. Car si les chercheurs africains premiers concernés, ne le font pas, aucun enseignement ne pourra en être tiré. Tous les descendants des victimes des tragédies passées, doivent intégrer le fait que les horreurs de l’histoire, ne sont pas affaire de croyances religieuses ou idéologiques. Quels que soient leurs auteurs, elles doivent être dénoncées au même niveau, pour ne jamais tomber dans l’oubli.

 
 

Comme vous le savez aussi, une autre polémique est ouverte depuis peu car, des militants pour la cause noire, ainsi que certains historiens africains ou de la diaspora évoquent souvent l’implication des Juifs dans la traite transatlantique. Quelle votre position sur la question ?

Vous savez, dans cette douloureuse page de l’histoire, il convient d’éviter certains raccourcis simplistes et autres falsifications de l’histoire, souvent à des fins politiques. Il est vrai que dans ce trafic, la plupart des 120 vaisseaux négriers américains qui, au début du XVIIIème siècle transportaient les captifs africains des sites portuaires de la cote du Bénin vers le Nouveau Monde, étaient la propriété de négociants et d’armateurs juifs, de Caroline du Sud, de Charleston et de Newport. Ce sont essentiellement : Moses Lévy, Abraham All, Sam Lévy, Isaac Lévy, Aron Lopez et même d’hommes d’affaires Juifs portugais établis en Amérique comme Félix de Souza et David Gomez.

Il est aussi vrai que Daniel M. Swetschinski estime que la part des négociants juifs dans les affaires internationales de l’époque était alors disproportionnée. Ils ne constituaient que 10% de la population américaine, mais représentaient 75% des affaires mercantiles, chiffre exagéré à mon sens. En outre, il n’est nullement prouvé qu’il s’agissait exclusivement du marché des esclaves. Et quel que soit le nombre de Juifs ayant trempé dans cette tragédie, ces hommes ont plus agi en businessmen opportunistes, qu’en tant que juifs. Leurs responsabilités individuelles ne sauraient nullement engager le peuple juif dans son ensemble. Ou à contrario, il faudrait aussi lister le nombre de catholiques, de protestants, de musulmans etc. ayant bénéficié du travail des Noirs et qui seraient sans doute beaucoup plus nombreux.

En fait entre Noirs et Juifs il y a souvent méconnaissance de l’histoire des uns et des autres. Par exemple, les lois racistes de Nuremberg discriminaient les Tziganes, les Noirs et les Juifs sous le génocidaire régime nazi. Mais qui veut bien se souvenir que dans les territoires français, aux Antilles, en Guyane et en Louisiane, en période d’esclavage le code noir, dans son article premier, discriminait aussi les juifs en ces termes : « Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens. » Ceci dément historiquement, une prétendue participation des Juifs dans ce trafic, pour ce qui nous concerne, nous francophones.

Chaka Zoulou  
Chaka Zoulou
© pennmush.org/~alansz
 

Vous savez il faut se garder de chercher à communautariser l’Histoire ou les Mémoires. Ce serait la porte ouverte à une hiérarchisation victimaire, donc dénué de caractère scientifique. Il faut laisser ce genre de procédés à des antisémites pathologiques comme Farrakhan, qui n’a pas encore compris que là où on crie « mort aux Juifs », on prépare aussi le terrain aux ratonnades d’arabes et autres lynchages de Noirs. Si aux USA, loin d’être le Melting pot rêvé par Israel Zwil, on y a plutôt affaire à une juxtaposition de communautés que ne s’imbriquent pas, en France nos rapports inter communautaires bien que difficiles, sont tout autres. Propager ce qui rapproche est plus noble que ce qui divise.

Une autre question qui fâche, est celle de la complicité des Africains dans leur propre tragédie. Qu’en est-il objectivement ?

Il est vrai que, contrairement à la thèse de certains auteurs, qui tentent de mettre dos à dos bourreaux et victimes, de nombreux chefs africains et leurs sujets, ont violemment résisté à cette infamie. Face aux négriers arabo-musulmans et leurs complices qui ravageaient le continent noir, des chefs charismatiques et leurs sujets se sont dressés. En fait à côté des élites souvent islamisées et à la solde des négriers, il y’eut toujours des chefs résistants - beaucoup plus nombreux ceux-là -, qui n’avaient jamais perdu confiance en leurs civilisations assiégées.

Ces hommes savaient que tout crépuscule comme toute nuit a son aube. C’est souvent à ces meneurs - bâtisseurs d'empires, religieux mystiques ou grands seigneurs en mal d'aventures -, que les populations ont le plus souvent accordé leur confiance. Ces Hommes et ces Femmes qui se sont opposés à la traite puis à la conquête coloniale, étaient d'une trempe exceptionnelle à l’image de Soundiata Keïta, de Chaka Zoulou, des chefs Toubous du Sahara oriental, des femmes du Walo, de Ahmed Baba ou de Cheikh Ahmadou Bamba entre autres. Mais également force est qu’il n’y eut pas seulement que des résistants.

La complicité de certains monarques et leurs auxiliaires africains dans ce commerce criminel est aussi une donnée objective. Après les « rapts » isolés effectués par les Arabes – comme leurs successeurs occidentaux -, des monarques convertis et tout un ramassis de courtiers et d’intermédiaires africains vendaient sans vergogne, les prisonniers dont ils tiraient un bon prix. L’homme pour ses pareils étant alors considéré « bonne marchandise », surtout quand l’appât du gain ou le désir de vengeance meublait les esprits. Les monarques impliqués, dont Béhanzin ou Samory, furent coresponsables du triste sort réservé à leurs sujets, puisque dépositaires de l’autorité qui devait les protéger.

Behanzin  
Behanzin
 

Même si certains d’entre eux, sont présentés un moment, comme des héros de la résistance anticolonialste, ils n’en furent pas moins complice voire acteurs des traites négrières. Ainsi la triste réalité est que des Noirs ont bien livré d’autres Noirs. Parce que, aucun peuple n'est différent d’un autre dans les vertus ou dans le crime. Quand les chasseurs d’hommes européens ou arabes ne faisaient pas le travail eux-mêmes, la plupart des rabatteurs qui livraient les captifs noirs aux négriers, étaient bien des Noirs.

Dans toutes les guerres, comme partout dans les pays occupés, les vainqueurs se sont largement appuyés sur la collaboration de notables locaux et une partie de la population, qui ont livré des « frères » aux forces d’occupation. Pour autant, les effectifs composant ce ramassis de renégats « collaborateurs », furent sans commune mesure, avec les dizaines de millions de morts ou déportés. Les principales victimes restent avant tout, les peuples africains arrachés à leurs terres ou massacrés, dans une tragédie sans précédents à l’échelle d’un continent. Des victimes et leurs descendants, pour qui, la traite négrière arabo-musulmane n’a en rien profité. Et quelles que furent les complicités ou une comptabilité à la fois incertaine et sordide des victimes, l’éthique et la morale commandent de s’incliner avant tout, devant l'abomination de ce génocide et de la détresse de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes, dont la vie a basculé sans retour dans l’horreur et la désolation.

Certains idéologues ont souvent prétendu que les Africains n’avaient pas d’histoire et pas d’écriture, ce qui justifiait leur domination par des peuples culturellement supérieurs qu’en est-il ?

Le continent africain, durant les périodes d’esclavage puis de domination coloniale, fut longtemps marginalisé au regard du patrimoine universel, victime des préjugés eurocentristes, qui étaient le lot de plusieurs générations de chercheurs. Comme vous le savez, les vainqueurs de l'histoire refusaient toujours aux peuples dominés, tout apport significatif à l'évolution du genre humain. Ceci dans le but d'alimenter l'illusion de la supériorité culturelle des vainqueurs, afin de libérer l'histoire de leurs civilisations, de tout apport venant de peuples vaincus et souvent du Sud. Par exemple dès qu'un monument d'une certaine importance était trouvé en Afrique, on l'attribuait systématiquement à quelques « visiteurs » non africains. Heureusement que ces temps sont aujourd’hui révolus, à l’heure de la mondialisation culturelle de la grande famille humaine.

Des bronzes africains datant de plusieurs siècles  
Des bronzes africains datant de plusieurs siècles
© www.authenticafricanbronzesandceramics.com/
 

Il est de nos jours communément admis que l'Afrique, berceau de l'humanité, est une réalité paléontologique et anthropologique. Également dès les premiers millénaires de l'histoire de l'humanité - notamment au cours des périodes paléolithique et néolithique, le rôle tenu par l'Afrique fut de tout premier ordre. De nombreux peuples du continent noir - bien qu'usant de l'antique média de l'oralité -, ont mis sur pied des ensembles politiques, économiques et culturels des plus élaborés. L'Afrique a vu naître et s'épanouir des civilisations aussi prestigieuses que celle du Grand Zimbabwe par exemple. Il fut la deuxième grande civilisation africaine, après celle des Égyptiens, notamment en terme d'architecture. De nombreux chercheurs européens refusaient de croire, qu'une civilisation aussi avancée, pouvait être l'œuvre de populations négro-africaines.

Toutes les spéculations sur ses origines, finiront par être balayées, par les premiers archéologues - guidés uniquement par une démarche scientifique -, qui fouillèrent le site. Il est établi depuis et reconnu par tous, que cette civilisation aux constructions pharaoniques, fut bâtie par un peuple africain. Il s'agit des Shona qui s'y implantèrent vers 400 avant notre ère. Ces vestiges témoignent visiblement, qu'il existait au sein de ce peuple noir, l'équivalent d'astronomes avertis - l'édifice jouit d'une orientation astronomique précise -, d'architectes doués, d'ingénieurs en construction en pierre et en génie civil, de mathématiciens, de maçons et d'urbanistes.

Autres merveilles sont aussi les civilisations de la 25ème dynastie des pharaons noirs d’Egypte, de la Nubie, de l'Éthiopie, de Ghana, du Mali. Celles de Nok, d'Ikbo Ukwo, d'Ifé - au nord du Nigeria actuel – ont également livré pendant plus d'un millénaire, des chefs-d'œuvre parmi les plus exceptionnels et surprenants connus à ce jour, meublant les plus grands musées et que recherchent encore les plus avertis des collectionneurs du monde entier. C'est là un apport inestimable de l’Afrique, au patrimoine historique de l’humanité. Avec cette reconnaissance même tardive, nous sommes aujourd’hui loin des extravagances outrancières de Hegel, qui voulaient que les peuples d'Afrique noire, aient assisté en spectateurs à la marche de l'histoire.

Tidiane N’Diaye Merci.


* Tidiane N’Diaye : Le génocide voilé, Gallimard 2008.

Voir les interventions télévisées de Tidiane N'diaye en cliquant Ici

Vidéo : Tidiane N'diaye sujet de la traite orientale




       
Mots-clés
esclavage   le génocide voilé   tidiaye ndiaye   traite négrière   
 
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