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Une saison de machettes, une leçon à méditer
21/06/2010
 

Retour sur le livre de Jean Hatzfeld consacré au génocide rwandais
 
Par Hugo Breant
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Le 11 juin, un pasteur hutu âgé de 59 ans a été jugé en Finlande et condamné à perpétuité pour sa participation au génocide rwandais. A l’heure où l’on va reparler du génocide, il n’est pas inutile de relire le livre Une saison de machettes de Jean Hatzfeld, pour comprendre l’un des plus grands drames de l’histoire africaine depuis les indépendances.

Né à Madagascar en 1949, Jean Hatzfeld a grandi en Auvergne. En mai 68, il part sur la route de Katmandou puis revient et se fait embaucher dans une usine. Il enchaine alors les petits boulots divers. En 1973, il collabore avec le journal Libération, d’abord en tant que journaliste sportif, puis en tant que grand reporter. Ses premiers reportages et ouvrages portent sur les guerres d’Europe de l’Est et notamment sur son passage à Sarajevo en juin 1992.

Mais c’est à l’Afrique qu’Hatzfeld s’est ensuite intéressé et notamment au génocide rwandais. Après les massacres du printemps 1994, Hatzfeld se rend au Rwanda à plusieurs reprises, notamment sur la colline de Nyamata, au sud de la capitale Kigali. En 2000, il quitte Libération pour se consacrer entièrement à son travail sur le génocide rwandais. Il travaille à nouveau avec le journal au départ de Serge July pour s’en éloigner en 2006.

Pancrace : Je ne me souviens pas de la première personne que j’ai tué, parce que je ne l’ai pas identifié dans la cohue. Par chance, j’ai commencé par tuer plusieurs personnes sans les regarder en face(...) Ca c’était grand-chose. Les yeux de celui qu’on tue sont immortels, s’ils vous font face au moment fatal. Ils ont une couleur noire terrible. Ils font plus sensation que les dégoulinements de sang et les râles des victimes, même dans un grand brouhaha de mort. Les yeux du tué, pour le tueur, sont sa calamité s’ils les regardent. Ils sont le blâme de celui qu’il tue
Pancrace


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En l’an 2000, Jean Hatzfeld publie Dans le nu de la vie, récits des marais rwandais, dans lequel il donne la parole aux témoins et aux victimes tutsies du génocide. Le livre reçoit le prix France Culture en 2001. Mais dès sa sortie, nombreux sont les lecteurs qui s’interrogent sur les génocidaires eux-mêmes. On demande à l’auteur quelles étaient leurs attitudes vis-à-vis du génocide et ce qu’ils ressentaient à l’heure actuelle. Hatzfeld ne trouve pas l’idée intéressante. Tous les tueurs qu’il a pu rencontrer au cours de ses voyages lui disent qu’ils n’ont rien fait ou rien vu.

Mais son interprète lui propose de changer d’optique et lui suggère d’interroger des génocidaires déjà jugés et emprisonnés. Ceux-ci ne pourraient alors pas nier leur implication dans les massacres. Hatzfeld retourne alors à Nyamata et cherche à entrer en contact avec des Hutus qui ont participé au génocide. Dix personnes emprisonnées au pénitencier de Rilima acceptent alors très vite de lui parler.

L’auteur rencontre une bande de dix copains, parmi lesquels Fulgence, Jean-Baptiste, Ignace, Pancrace et Léopord. Tous étaient des cultivateurs ou des instituteurs hutus qui allaient à la messe le dimanche, jouaient au foot ou allaient dans les cabarets pendant la semaine avec leurs voisins tutsis.

Jean Hatzfeld  
Jean Hatzfeld
 

Pendant près de deux ans, Hatzfeld interroge un à un ces prisonniers. Il leur promet de ne rien raconter aux avocats ou à leurs amis, leur fait parvenir du courrier et va leur acheter du savon ou des médicaments prescrits par les médecins du pénitencier. Les génocidaires se sentent alors protégés, libres de parler. En échange, ils promettent de ne pas mentir. Pourtant, dès le début des entretiens, le journaliste se rend bien compte que les tueurs essayent de se défiler. Ils parlent de « combats » et d’affrontements avec les Tutsis. Hatzfeld met les choses au clair et leur demande de ne pas raconter d’histoires fictives.

Les prisonniers se méfient du journaliste. Hatzfeld se méfie d’eux. Et pourtant, pendant deux ans, ils vont discuter, très régulièrement. Les prisonniers finissent par raconter ce qu’ils ont vécu et ressenti à celui qu’ils ne perçoivent ni comme un complice ni comme un accusateur. Hatzfeld lui, s’efforce de rester distant et neutre. Dans les interviews qu’il a données par la suite, il a beaucoup insisté sur le fait qu’il ne voulait et ne pouvait pas ressentir de sympathie ou d’empathie pour ces « bourreaux ».

En 2003 parait donc Une saison de machettes, les tueurs parlent, le récit du génocide par les génocidaires. Cet essai a reçu le prix Femina en novembre 2004 et a été adapté en pièce de théâtre en 2006 par la compagnie « Passeurs de Mémoire ».

 
 

D’avril à juin 1994, ces copains cultivateurs sont donc devenus des bourreaux, partant à 9 heures le matin vers le terrain de football pour se rassembler avec tous les Hutus des environs et partant au « travail » jusqu’à 16 heures, à la nuit tombée. Leur travail, c’était de « couper ». À l’aide de la machette qu’ils utilisaient quelques semaines auparavant pour les champs, cette bande va participer aux massacres et décapiter tous les Tutsis « avoisinants », jour après jour, pendant trois mois.

Encadrés par les ordres discrets des milices interahamwe, ces Hutus deviennent des assassins méthodiques, rigoureux, appliqués. En trois mois, 800 000 Tutsis meurent au Rwanda. Tous les jours, la chasse à l’homme est lancée. Aucun « cancrelat » tutsi, comme les nomme la propagande radiophonique, ne doit survivre. Les camarades de football, les voisins doivent tous mourir. Machette à la main, chacun doit les traquer jusque dans les marais. L’un des génocidaires interrogés était lui-même marié à une Tutsie. Rien ne le prédestinait à devenir un tueur. Et pourtant, comme les autres, il participe au massacre, sans vraiment s’en rendre compte.

Une fois le premier coup de machette donné et le premier meurtre perpétré, la routine s’installe. Les génocidaires deviennent les acteurs principaux d’un film tragique dont ils ont pourtant l’impression d’être de simples spectateurs. L’horreur défile devant leurs yeux. Ils la perpétuent tous les jours. Sans y être vraiment forcés. Rien ne les oblige à tuer à ce rythme. Mais chacun y met toute sa force, massacre, machinalement : « la règle n°1, c’est de tuer, la règle n°2, il n’y en avait pas ».

 
 

Encouragés par les autorités et récompensés par les butins des pillages, les tueurs redoublent même d’effort. Confortés par le départ des Occidentaux du Rwanda et par cette impression grandissante que le génocide résout tous leurs problèmes et restera impuni, les cultivateurs se transforment en tueurs intouchables et zélés.

Et lorsqu’Hatzfeld leur parle de regrets ou de remords, les prisonniers lui affirment avec une franchise déconcertante qu’ils regrettent simplement de ne pas avoir achevé leur mission et d’avoir été jugés et emprisonnés. Eux n’aspirent plus qu’à retrouver leurs collines et leurs champs, comme si de rien était. Ils ne rêvent pas des massacres. Ils ne semblent aucunement traumatisés. Ils attendent simplement, très naïvement, le pardon des victimes pour retrouver leur vie d’avant. Une fois la peine purgée, la plupart des prisonniers interrogés ont d’ailleurs retrouvé la liberté. Aujourd’hui, ils se sentent des êtres ordinaires, pris dans le feu d’une histoire extraordinaire et surnaturelle, qu’ils ne veulent pas regarder en face, de peur de devenir fous.

Là où les journaux et les télévisions ont témoigné d’un génocide lointain et incompréhensible, Jean Hatzfeld réussit un coup de force dans un livre coup de poing, celui d’essayer de comprendre, sans juger, sans excuser, sans pardonner. Dans un livre qui intercale les récits des génocidaires et les explications historiques et politiques de l’auteur, parfois maladroites, l’on se retrouve plongé dans l’ordinaire et la quotidienneté d’un génocide. L’on voit se mettre en marche devant nos yeux les rouages des massacres. Et l’on comprend alors que la barbarie arrive très vite quand toutes les conditions sont réunies, quand la haine est attisée depuis des mois et quand l’émulation accélère les choses.


En lisant ces pages, l’on est saisi par l’effroi et l’incroyable distance, voire la nonchalance, qui émanent des témoignages. L’on s’interroge sans pouvoir trouver forcément des réponses. Mais ce livre réussit malgré tout la prouesse de tenter de comprendre l’inhumain en lui rendant son humanité.

Extraits :

« Pancrace : Le conseiller nous a annoncé que le motif du meeting était la tuerie de tous les Tutsis, sans exception. C’était simplement dit, c’était simple à comprendre ».

« Elie : On devait faire vite, on n’avait pas droit aux congés, surtout pas les dimanches, on devait terminer. On avait supprimé toutes les cérémonies. On était tous embauchés à égalité pour un seul boulot, abattre tous les cancrelats. Les intimidateurs ne nous proposaient qu’un objectif et qu’une manière de l’atteindre. Celui qui repérait une anomalie, il l’agitait à voix basse ; celui qui nécessitait une dispense, pareillement. Je ne sais pas comment c’était organisé dans les autres régions, chez nous c’était élémentaire ».

« Pancrace : Je ne me souviens pas de la première personne que j’ai tué, parce que je ne l’ai pas identifié dans la cohue. Par chance, j’ai commencé par tuer plusieurs personnes sans les regarder en face. Je veux dire que je cognais, ça hurlait, mais c’était de tous côtés ; c’était donc un entremêlement de coups et de cris qui se partageaient par tous. Je me souviens toutefois de la première personne qui m’a regardé, au moment du coup sanglant. Ca c’était grand-chose. Les yeux de celui qu’on tue sont immortels, s’ils vous font face au moment fatal. Ils ont une couleur noire terrible. Ils font plus sensation que les dégoulinements de sang et les râles des victimes, même dans un grand brouhaha de mort. Les yeux du tué, pour le tueur, sont sa calamité s’ils les regardent. Ils sont le blâme de celui qu’il tue ».



« Pio : Il y en a qui se montraient aisément tueurs, ceux-là épaulaient leurs camarades dans les situations pénibles. Mais chacun pouvait bien apprendre à sa manière, suivant son caractère. On tuait comme on savait, comme on le ressentait, chacun prenait sa vitesse ».

« Pio : On ne voyait plus des humains quand on dénichait des Tutsis dans les marigots. Je veux dire des gens pareils à nous, partageant la pensée et les sentiments consorts. La chasse était sauvage, les chasseurs étaient sauvages, le gibier était sauvage, la sauvagerie captivait les esprits. On était pas seulement devenus des criminels ; on était devenus une espèce féroce dans un monde barbare ».

« Pancrace : Tuer, c’est très décourageant si tu dois prendre toi-même la décision de le faire, même un animal. Mais si tu dois obéir à des consignes des autorités, si tu as été convenablement sensibilisé, si tu te sens poussé et tiré ; si tu vois que la tuerie sera totale et sans conséquences néfastes dans l’avenir, tu te sens apaisé et rasséréné. Tu y vas sans plus de gêne ».

« Fulgence : C’est trop difficile de nous juger, car ce que nous avons fait dépasse l’imagination humaine. En tout cas, c’est trop difficile de nous juger pour ceux qui n’ont pas participé à cette situation. Raison pour laquelle je pense qu’il nous faut cultiver comme auparavant, avec cette fois de bonnes pensées ; montrer nos regrets en toute occasion : donner des petits quelque chose aux personnes éprouvées. Et laisser à Dieu la trop lourde tâche de nous punir ultérieurement ».





       
Mots-clés
génocide rwandais   jean hatzfeld   rwanda   une saison de machettes   
 
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