Au cours de son émission exploratoire, Thierry Thuillier donne la parole à plusieurs intervenants invités à s'exprimer sur l'évolution du 'pré carré' français en Afrique. Tous ont jugé la France au moins en partie responsable de la dégradation de la situation politico-économique dans cet espace. Aminata Traoré, ancienne ministre malienne du Tourisme, se demande pourquoi son pays est plus pauvre qu'en 1970, alors que tout ce qui a été entrepris avec le concours de la France et des institutions financières internationales l'a été pour accroître les richesses du pays. Alors elle dénonce les réformes néolibérales entreprises sur le continent, en même temps que la volonté (couronnée de succès) de la France de maintenir ses anciennes colonies dans le statut exclusif de fournisseur de matières premières et de marché pour les nations occidentales. Mais elle est lucide et admet que c'est de bonne guerre pour la France, qui n'a pas intérêt à promouvoir de vraies politiques de développement en Afrique : peut-on raisonnablement scier la branche sur laquelle on est assis ? Alors pour s'en sortir, il faut se libérer, défaire les chaînes mentales qui immobilisent, se désaliéner, 'arrêter de vous imiter', 'défaire la cravate avec laquelle vous tenez nos hommes politiques'. Pour Abdullah Coulibaly, il ne faut pas s'étonner que les Américains et les asiatiques prospèrent en Afrique. Ils dament le pion à la France parce que son industrie est incapable de s'adapter au marché local en compressant ses coûts…

Pour cet 'ami de la France qui lui dit tranquillement ses vérités', ce n'est pas parce qu'elle aime les Africains que la France investit l'Afrique. Elle y est parce qu'elle y a des intérêts. Se retirer serait pour elle suicidaire dans la mesure où ce serait rompre avec la source de son rayonnement mondial. Pourtant, elle n'assure pas. Depuis des siècles, elle se sert de l'ascenseur africain (esclaves, matières premières, et prochainement matière grise à en croire Sarkozy) pour prospérer, en oubliant de le renvoyer. Cheikh Modibo Diarra cite l'exemple d'un centre de formation des jeunes qu'il a mis en place, et qui a été entièrement équipé par les Américains alors que les Français étaient les premiers sollicités. De ces derniers, il n'a pas reçu un kopek ! Le scientifique de renommée mondiale qui a piloté, dans le cadre d'une mission de la Nasa, le robot Sojourner (du nom de la militante noire Sojourner Truth) chargé d'explorer la planète Mars, nuance son propos en disant que la France aide peut-être, elle aide sans doute ; mais elle aide les Etats. 'Et ça, ça ne se voit pas'. Au contraire d'une aide américaine souvent destinée à soutenir des projets concrets des ONG. Pour Modibo Diarra, le continent africain se trouve à un carrefour. Il espère qu'il choisira la voie du développement durable. Et ayant recouvré sa capacité financière et son autonomie, il reconnaîtra ses amis et se souviendra de ses tortionnaires…

Thierry Thuillier dans la posture du Français moyen convaincu de la mission civilisatrice de son pays, ose que pour ainsi tourner le dos à la France, en Côte d’Ivoire par exemple, l’Afrique est ingrate. « Non, ça ne marche pas comme ça », proteste JC Ruffin qui poursuit en substance : « Il ne s’agit pas de remercier. C’est justement ça le problème de la France. Le lobby francophone vote avec la France aux Nations unies ? Il faut remercier les pays ! Ça ne marche plus comme ça. Les autres pays essayent de tisser des relations ‘normales’ avec l’Afrique et discutent d’égal à égal, alors que la France garde la nostalgie de relations de subordination. » Pour Antoine Glaser (La lettre du Continent), Patrick de St Exupéry (Le Figaro) et Jean-Christophe Ruffin (Action contre la faim), la France a péché en voulant isoler l’Afrique francophone des soubresauts de la planète, et en exportant son modèle jacobin.

JC Ruffin souligne que l’Afrique est redevenue un enjeu stratégique. C’est le continent de l’énergie, de la population, des ressources, de l’espace... Les Chinois l’ont compris qui se positionnent. Plus généralement, il considère qu’il faut comparer la situation actuelle de l’espace francophone à l’Afrique australe et orientale qui, il y a quelques années, était un champ de bataille. Aujourd’hui ce sont des pays qui prospèrent parce que leurs dirigeants ont résolu le problème de la légitimité. Le pré carré français avait pendant les années de Guerre froide, revêtu une camisole de force (un Etat dirigé de l’extérieur par les réseaux Foccart) à l’instigation de la France, pour faire barrage au communisme. Les interventionnismes les plus osés étaient alors tolérés. La chute du mur de Berlin en 1989 installe une nouvelle donne, qui contraint la France à lâcher du lest. Du coup, des foyers de tension s’allument ici et là. JC Ruffin se défend d’être un partisan de la guerre, mais il est obligé d’admettre que les dirigeants africains devront peut-être en passer par là (les déboires de Gbagbo en Côte d’Ivoire ?) pour acquérir cette légitimité, et faire oublier les ‘dirigeants fantoches’ actuels (dont Eyadéma fils soutenu par Paris ?). Quel aveu !!