Voici les notes prises par Frédéric Faverjon, enseignant protestant envoyé à Bangangté, au Cameroun, de 1995 à 1997... C’est l’un des regards les plus pertinents que j’ai lu sur ce pays. J’ai à ma disposition l’intégralité de ses notes qui sont passionnantes.

L'étude, l'analyse de la vie politique locale est assurément un des aspects de l'observation de la société camerounaise qui m'a le plus intéressé. Comprendre les dynamiques qui s'affrontent, percevoir les différentes logiques, mises en oeuvre par les multiples acteurs, décrire enfin la transition démocratique du pays qui se poursuit. Il me semble cependant nécessaire de partir des racines de la situation actuelle et donc de rappeler brièvement quelques éléments de l'histoire de ce pays. Je dois confesser mon ignorance de l'histoire de l'Afrique précoloniale et cette méconnaissance m'impose de débuter cette description avec l'arrivée des premiers colons. Le Cameroun doit son nom à des navigateurs portugais qui remontèrent l'embouchure du Wouri à Douala. Ils furent impressionnés par l'abondance des crevettes et baptisèrent ce fleuve « Rio des Camaroes », la rivière des crevettes. Dans un premier temps les occidentaux ne s'aventurèrent guère à l'intérieur des terres et se contentèrent de créer des comptoirs le long des côtes. L'une des principales activité de ces occidentaux fut la traite négrière de sinistre réputation. Ce commerce du bois d'ébène - comme l'appelaient pudiquement les blancs - dura plusieurs siècles et je ne perçois pas dans l'histoire de l'humanité, de génocide d'un peuple qui en détruisit aussi durablement sa dignité et son psychisme. Le génocide nazi, d'une rare intensité, ne semble pas avoir détruit autant les populations juives ou tsiganes qu'il comptait exterminer. Le but n'est pas de faire une classification dans l'horreur mais de faire palper l'ampleur du désastre. D'autant qu'aujourd'hui peu de français savent que notre pays a du et doit une grande partie de sa prospérité à l'exploitation sans vergogne de l'Afrique et de ses populations. Il convient cependant de préciser que certains africains ont souvent été les collaborateurs et les complices de la réduction à l'esclavage de beaucoup de leurs frères. Les marchands d'esclaves ne pénétraient pas dans la profondeur des terres; ils restaient le long des côtes et achetaient, contre quelques biens de peu de valeurs à leurs yeux, des chapelets d'esclaves. Ainsi il arrivait que certaines tribus vaincues soient vendues aux négriers. Le but de ce propos n'est pas de disculper les européens mais de cerner les responsabilités. La conférence de Berlin (1884-1885) établit une sorte de « gentleman's agreement » entre les puissances européennes. Les quatorze pays participant s'engagèrent à ne plus procéder à des acquisitions sauvages sans le notifier aux autres, pour leur permettre de faire des réclamations. Les peuples ou rois africains n'étaient même pas consultés ou informés de toutes ces discussions. Cette conférence a surtout formulé les règles du jeu entre puissances européennes qui ont permis une débauche d'opération et d'annexions ; chaque pays se précipitant pour planter son drapeau sur le plus grand nombre de territoires possibles. Ce sera l'Allemagne qui s'intéressera la première au Kamerun. Les chefs douala solliciteront un protectorat britannique puis allemand afin de protéger leur rôle d'interlocuteur privilégié entre les tribus de l'intérieur et les européens. En effet, ces chefs étaient de plus en plus concurrencés par leurs sujets dans le commerce avec les blancs. L'administration allemande va permettre un vaste développement des cultures d'exportation destinées à la métropole. Cependant les allemands seront boutés hors du pays par les armées alliées durant la première guerre mondiale. Le Cameroun est alors partagé entre les gouvernements anglais et français. Lors du traité de Versailles, les alliés imposent aux allemands de renoncer à toutes leurs colonies. Et en 1922, la Société Des Nations (SDN) confie le Cameroun sous mandat à la France et à la Grande Bretagne. La France est tenue d'envoyer des rapports à la SDN mais la marge de manoeuvre du gouverneur est très importante. Le Cameroun vivra, durant cette période, un développement économique très important notamment des cultures d'exportations : café, cacao, huile de palme, banane, caoutchouc,... Parallèlement l'activité des missions chrétiennes, protestantes et catholiques, s'intensifia, surtout dans la partie méridionale du pays. Les relations entre les missionnaires et les colonisateurs furent beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine habituellement. Souvent le missionnaire précéda le colon, tel Alfred Saker le premier missionnaire qui arriva en 1845 à Douala. Les rapports entre ces deux figures de l'Afrique coloniale purent osciller de la franche collaboration à des relations conflictuelles. Il est indéniable que les missionnaires étaient plus proche des populations que les colons et les premiers furent souvent les alliés des populations face aux seconds ou face à des systèmes traditionnels inégalitaire. Réduire les missionnaires à un rôle d'auxiliaire colonial au service de la métropole est une aberration tant intellectuelle qu'historique. La colonisation renforça dans un premier temps la prééminence des chefs traditionnels, surtout ceux du littoral grâce à leur rôle d'intermédiaire privilégié notamment dans le commerce des esclaves. Mais ces nouvelles activités permirent l'émergence de cadets sociaux, d'individus souvent dévalorisés dans le système traditionnel et qui jouèrent des rôles d'intermédiaires commerciaux (négociant), administratif (instituteur, traducteur, agent administratif) ou religieux (catéchiste). Rapidement la nature de certaines relations sociales put se trouver modifiée. D'abord certains chefs qui fondaient leur autorité sur une cosmogonie sont devenus, surtout dans le Sud, des intermédiaires et des dépendants d'un nouveau système politique et économique. Ensuite l'arrivée des européens a permis des processus d'ascension sociale en dehors de la sphère traditionnelle. Dans le pays Bamiléké, le colonisateur s'appuya dans l'ensemble sur les chefs traditionnels qui bénéficiaient d'une autorité incontesté et développèrent grâce à leur soutien et à leur avantage un mode d'administration quasi indirecte. (On leur confia notamment la levée des impôts). Cependant un essor rapide du commerce dans cette région et une nouvelle prospérité apportée par la culture du café favorisa l'irruption d'une nouvelle bourgeoisie. De même apparu une nouvelle élite scolarisée par les missions chrétiennes et qui concurrença la prééminence des chefs. A l'issue de la seconde guerre mondiale la SDN est dissoute au profit de l'ONU. Celle-ci accorde à la France et au Royaume-Uni le droit de tutelle sur le Cameroun. Ces pays sont cependant astreints à « favoriser l'évolution progressive des territoires vers la capacité à s'auto-administrer eux même ou vers l'indépendance », selon les mots de la charte. Il faut préciser ici que l'Etat du Cameroun est une création coloniale. Les populations locales, dont personne ne peut nier la capacité à s'auto-administrer, n'avaient pas d'organisation à l'échelle du pays puisque la structure traditionnelle de base était le village. Le Cameroun fait alors partie de l'Union française. Quatre députés élus dont Daniel Kémajou le feu chef supérieur Bazou, représentaient le pays à l'Assemblée Nationale française. Une assemblée représentative du Cameroun est mise en place. Son pouvoir, très limité au départ, deviendra prééminent avec l'indépendance lorsqu'elle se transformera en assemblée législative. Cette période a correspondu à des phases de transition tant dans le domaine politique que dans le domaine économique. Schématiquement, trois structures économiques se sont succédées. D'abord une structure de colonisation mercantile avant l'instauration du protectorat, ensuite une structure de colonisation productive qui représente la période coloniale en place, enfin actuellement une structure de la colonisation par le contrôle du développement. L'apparition d'une population de commerçants autochtones entraîna la première transition qui permis eux européens de s'assurer le monopole camerounais par le contrôle direct de la production. Le développement de luttes sociales (grèves, résistances diverses, constitution de syndicats et de partis) et des revendications nationalistes risquait de compromettre la solidité du pouvoir colonial. Ainsi le contrôle du développement grâce à des relais locaux se justifia économiquement. Nous sommes encore actuellement dans ce type de relations. Cependant assimiler la décolonisation à une volonté du centre impérialiste de partir pour mieux rester revient à négliger l'influence des élites locales sur la trajectoire politique du pays. La mise en place d'institutions représentatives à partir de 1945, comme l'assemblée territoriale, contribua à modifier l'organisation de la société civile. L'administration française avait néanmoins le pouvoir de circonscrire le jeu électoral puisqu'elle en fixait les règles, contrôlait les inscriptions sur les listes électorales, manipulait les résultats. Elle rejeta par exemple dans l'illégalité l'Union des Populations du Cameroun, l'UPC, parti nationaliste qui flirtait parfois avec des organisations communistes internationales. On vit la constitution de nouveaux partis, bénéficiant souvent d'une implantation régionale forte, comme par exemple les Paysans Indépendants conduits par Daniel Kémajou et biens implantés dans le pays Bamiléké. L'UPC était un parti d'obédience nationaliste, le plus important du pays. Ses revendications, la réunification des deux Cameroun et leur indépendance, le retrait des troupes françaises en échange de l'arrêt du terrorisme, la promulgation d'une amnistie générale, étaient nationalistes sans être exorbitantes. Cependant l'administration française réussit à désolidariser les principales élites régionales de l'UPC. Enfin son interdiction en 1955 peut être considérée aujourd'hui comme une énorme erreur. D'une part elle exclua une frange très importante de la population du jeu démocratique. D'autre part, l'UPC n'eut d'autre choix que la radicalisation et les attentats qui conduirent à des répressions sanglantes quelques années plus tard. Il convient de préciser ici que les partis autorisés (ceux de MM Ahidjo et Mbida) ne souhaitaient pas vraiment le retour à la légalité de ce parti qui les aurait fortement concurrencé. En avril 1957, M Mbida forma un premier cabinet ministériel qui déçut pour diverses raisons (rejet de l'UPC, programme de réunification et d'accession à l'indépendance beaucoup trop ambitieux). En 58, M Mbida est mis en minorité par son cabinet qui élit M Ahidjo à la place. Peu de gens crurent à l'époque à lui vu son rôle de second plan et le peu d'envergure qu'on lui prêtait. Aux yeux de beaucoup d'observateurs, le cabinet de M Ahidjo était transitoire, le temps de relégaliser l'UPC. Certains souhaitaient l'arrivée de Daniel Kémajou - président de l'assemblée législative - ou de Paul Soppo Priso au pouvoir, deux personnalités éminentes de la gauche libérale. Cependant l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle et ses démêlés avec Sékou Touré en Guinée, ne permit pas ce scénario. Rapidement M Ahidjo signe un accord secret de coopération militaire avec la France. L'intransigeance du premier ministre quant à la réintégration de l'UPC malgré sa forte popularité et sa remarquable organisation surtout en pays Bassa et Bamiléké va faire dégénérer la situation. Pressé par Foccart, le chargé des affaires africaines à l'Elysée, qui insiste sur les liens de plus en plus étroits qui unissent l'UPC à Cuba et à l'Union Soviétique, de Gaulle accepte le principe d'une intervention armée. M Ahidjo profitera de la zone de turbulence pour se faire voter les pleins pouvoirs en octobre 59. L'ONU fixa au 1er janvier 1960 la fin de la tutelle et l'accession à l'indépendance. Pour conforter son pouvoir, Ahidjo soumet à référendum une nouvelle constitution instaurant un régime présidentiel fort malgré l'impossibilité d'organiser sereinement des élections dans certaines zones troubles comme le pays Bamiléké. Cette nouvelle constitution, qui permettra à Ahidjo de se faire élire premier président de la république fédérale du Cameroun, ne sera adoptée que grâce aux trucages des élections dans le Nord où la présence de l'administration française restait importante. Durant cette période, la répression des maquis de l'UPC, menée avec l'appui d'officiers et de conseillers français, fut particulièrement sanglante. « On compte des milliers de morts dans les forêts de la Sanaga, et plusieurs dizaines de villages sont incendiées ou rasées. Beaucoup d'officiers admettront plus tard qu'on aurait pu éviter un tel bain de sang » (d'après « les secrets de l'espionnage français », Pascal Kropp, Payot). Max Bardet, un pilote d'hélicoptère présent au Cameroun de 62 à 64 témoigne « En deux ans l'armée régulière a pris le pays Bamiléké du Sud jusqu'au Nord et l'a complètement ravagé. Ils ont massacré de 300 à 400 000 personnes. Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre armes automatiques. Les Bamilékés n'avaient aucune chance. A la fin de la guerre, j'ai fait une prospection d'un mois avec un administrateur général du nom de Coudret. Il était indigné. Ce n'est pas possible tous ces villages morts, où sont les habitants ? Les villages avaient été rasés un peu comme Attila. Peu de français sont intervenus directement. J'en ai connu 3 ou 4. La presse n'en a pas parlé. On faisait plaisir au président Ahidjo parce qu'il fallait que le Cameroun garde ses liens avec la France. » (Max Bardet, OK Cargo, Grasset) En 1961, la plus grande partie du Cameroun anglophone choisi, par voie de référendum, le rattachement du Cameroun francophone dans un cadre fédéral. M Ahidjo n'aura de cesse de vider de sa substance le fédéralisme. La fusion de l'Union Camerounaise, parti du président dominant massivement la vie politique de l'Etat fédéré francophone, et des trois partis anglophones en un parti unique de fait, l'Union Nationale Camerounaise, ouvrit la voie à la suppression du fédéralisme en 1972, évolution qu'avait rendu inéluctable la centralisation croissante du pays et le poids prédominant de la communauté francophone. Parallèlement à ce régime de parti unique, le pays connaissait une présidentialisation poussée. D'une certaine façon, il est possible de qualifier la trajectoire de Ahidjo de bonapartiste. Il a accédé au pouvoir à un moment où une demande de pouvoir fort se faisait sentir et qu'il a pu réaliser en consolidant substantiellement le pouvoir présidentiel à la faveur de troubles (Maquis upéciste en pays Bassa et Bamiléké). Il a également jeté les bases de l'Etat camerounais tout en éliminant un à un les foyers non inféodés au pouvoir et qui aboutira au parti unique où les pratiques démocratiques étaient purement formelles. Concernant le régime de parti unique, où les militants ont comme activité principale d'applaudir après les discours du chef et de chercher à se faire une place au soleil, certains ont tenté de le justifier à l'aide de la structure traditionnelle des villages africain. Structure où le chef tranche, décide tout en bénéficiant d'un respect impressionnant. Tout d'abord il faut préciser que le pouvoir du chef traditionnel est beaucoup plus limité qu'il n'y parait. Le chef est soumis à beaucoup d'interdits et de contre-pouvoirs (conseil des neuf notables, sociétés secrètes par exemple pour les chefferies bamilékés réputés les plus puissantes). Or beaucoup de pouvoir ont émergé à la faveur de la décolonisation sans que des contre-pouvoirs s'édifient aussi rapidement, lorsque ces contre-pouvoirs ont le mérite d'exister. D'autre part le chef traditionnel ne prendra sa décision qu'après avoir longuement écouté et consulté. Aussi il entérine d'avantage le souhait de la population plus qu'il ne décide solitairement. Par contre, dès que le chef aura exprimé sa position, on n'osera la transgresser. Le 4 novembre 1982, Ahidjo démissionne se croyant gravement malade. Le 6 novembre, son dauphin constitutionnel, le premier ministre Paul Biya lui succède. Paul Biya incarnait énormément d'espoir après les années Ahidjo. En 1984, une tentative de putsch menée essentiellement par des nordistes - comme Ahidjo - échouera grâce à la loyauté de l'armée qui restera fidèle au président. En 1991 le multipartisme fut réintroduit au Cameroun comme chez beaucoup de ses voisins. Le principal parti d'opposition radicale, le SDF - le Social Democratic Front - boycotta les élections législatives. Le RDPC - le parti au pouvoir - réussit à avoir la majorité en s'alliant à d'autres partis. Lors des élections présidentielles qui suivirent, le président Biya fut opposé au leader du principal parti d'opposition John Fru Ndi du SDF. John Fru Ndi a sans doute manqué de clairvoyance en boycottant les législatives et en s'opposant de front aux intérêts de la France au Cameroun. De surcroît, c'est un anglophone, ce qui n'est pas pour plaire à Paris. Enfin, de plus en plus de personnes mettent en doute les capacités politiques de ce libraire qui est parti de rien et ne doit son ascension fulgurante qu'à son courage. Sa popularité fut d'une certaine manière un peu fortuite. Lors d'une des premières marche de l'opposition à Yaoundé contre le président Biya en 91 devenu très impopulaire, malgré les coups de feu tirés par l'armée, il fut un des seul à continuer à rester debout. Cet épisode en a fait un héros aux yeux du peuple d'autant qu'il reste incorruptible contrairement à beaucoup de leaders de l'opposition. Lors des élection présidentielles de 92, Paul Biya fut opposé à John Fru Ndi. Le président sortant Biya fut déclaré vainqueur par la cour suprême grâce à un trucage patent. Quelques temps plus tard, l'opposition organisera des villes mortes afin de faire tomber le régime. Ces dernières laminèrent l'économie sans apporter cependant de solution aux problèmes politiques. En effet, durant cette période, le régime de Biya fut soutenu à bout de bras par la France et les fonctionnaires restèrent payés malgré le boycott des impôts par la population. La politique camerounaise est peu basée sur l'idéologie, sur les projets des candidats. Il s'agit bien d'avantage d'une politique de rassemblement derrière quelqu'un en vue. Les partis politiques vont surtout placer en tête de liste des candidats à l'aura certaine qui se sont déjà illustrer par leurs actions au village. Ces élites rassembleront plus les électeurs sur leur nom que sur leur programme. Typiquement les candidats du RDPC dans le Ndé aux législatives ont été Niat en 91 (le directeur général de la Sonel, l'EDF du Cameroun) et Tchouta Moussa en 97 (le directeur général de l'Office National des Ports du Cameroun). Les électeurs ont plus voté pour ces « élites » qui ont su se montrer généreuses envers leurs frères que pour le RDPC honni par les populations et dont le bilan est peu flatteur. La plupart des partis politiques ont des zones d'implantation régionales fortes. L'UNDP dans le Nord, l'UDC en pays Bamoun. Seul le RDPC et le SDF sont bien implantés sur l'ensemble du territoire national. Le RDPC, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, a été créé en 1984 par Paul Biya en remplacement de l'UNC. Il fut jusqu'en 91 le parti unique et en garde certains traits. La tactique du RDPC consiste à se rendre incontournable pour quiconque souhaite exercer une parcelle de pouvoir dans ce pays. Il est quasiment nécessaire de faire allégeance au RDPC pour peu que l'on souhaite mener sereinement ses affaires ou prétende rester à un poste de responsabilité dans l'administration. Ainsi le RDPC est plus un conglomérat d'opportunistes qu'un parti politique. Je crois ne connaître aucun militant du RDPC ayant adhéré par conviction. En fait, ce parti regroupe des opportunistes souhaitant briguer des postes ou goutter aux miettes du festin, des « élites » qui veulent garder leur place dans l'administration ou les sociétés parapubliques, des commerçants souhaitant faire leur commerce sans entrave. Les intimidations, les affectations arbitraires sont encore légion pour tous les indociles ce qui a pour conséquence de tétaniser bien des fonctionnaires n'osant prendre aucune initiative sans être couvert par leur hiérarchie. Adhérer au parti est pour beaucoup de militants un moyen de manger ou une assurance de sécurité d'emploi. En l'absence d'une société civile développée, accéder à l'Etat revient à accéder à la richesse. Compte tenu de la maigreur du gâteau à se partager et du principe de gestion autoritaire de l'Etat, il convient de se ranger derrière un parent bien placé pour prétendre avoir les miettes du festin. A cause de l'étendue de la famille africaine et du poids des obligations communautaires, les demandes envoyées à ceux qui ont accès à l'argent sont très nombreuses. Ainsi un fonctionnaire haut placé cherchera à la fois à redistribuer le butin à ses « parents » afin de s'assurer leur soutien et de conforter sa position mais aussi à empêcher d'autres réseaux familiaux, ethniques à accéder aux quelques richesses disponibles. Il se crée donc des relations de dépendances réciproques entre ceux d'en haut et ceux d'en bas. Cette imbrication des réseaux d'entraide autorise à ce que l'Etat soit sapé sans que cela apparaisse « moralement condamnable ». Ceux qui ont le privilège d'accorder certains droits (policiers, fonctionnaires, etc...) vont souvent monnayer leur signature afin d'augmenter leur capacité de redistribution. Bénéficier de relais dans les administrations permet de s'affranchir de ses pots de vin. On comprend donc que beaucoup d'hommes politiques cherchent à se faire élire pour ensuite monnayer leur soutien au pouvoir et redistribuer une partie de ce qu'ils ont perçu. Ils le font soit à l'intérieur du RDPC en utilisant leur notoriété pour rassembler les électeurs derrière leur nom, soit en créant leur propre parti et en monnayant ensuite leur soutien à la coalition gouvernementale. Il n'est pas rare de voir des candidats déverser de l'argent comme des petits pains afin d'espérer obtenir les faveurs des électeurs. La population, n'étant pas dupe, a trouvé des mécanismes de défense face à ces prédateurs puisqu'elle mangera l'argent sans toujours voter le candidat. Ce qui lui permettra d'une certaine façon de prendre sa revanche face aux baobabs, face à des ministres que l'un d'entre eux qualifiait de gangsters. En effet, accéder à un ministère est souvent assimilé à accéder à un garde-manger que l'on pourra dépouiller. Il ne faut pas alors s'étonner que l’état soit vidé de sa substance et discrédité. Assister au jeu politique camerounais est très amusant pour un observateur étranger. Dans cette arène où les discours flagrant avec la réalité abondent, le jeu politique au sein du RDPC est une gigantesque pièce de théâtre où personne ne croit à son rôle mais où tout le monde s'attache à le jouer le mieux possible