Autant les graves atteintes aux droits de l’homme, qui sont commises en ce moment au Tchad et au Cameroun, trouvent peu d’échos dans les médias - la disparition au Tchad de Ibni Oumar Mahamat Saleh, leader d’un parti d’opposition, et de bien d’autres victimes de la répression de la population civile, l’emprisonnement au Cameroun des artistes Joe la Conscience et Lapiro de Bango et de nombreux autres Camerounais, qui n’ont fait qu’user de leur liberté de protestation, n’émeuvent pas les voix officiellement chargées de la défense des droits humains - autant les « émeutes de la faim » ont fait un tabac médiatique. On retrouve là en effet tous les traits de l’Afrique qu’on aime, naturellement misérable et victime d’on ne sait quelle malédiction. Tous les poncifs sont au rendez-vous : « Ils sont trop nombreux, ils ne savent pas cultiver ». Tous les messies se sont précipités pour apporter leurs bons conseils. On a claironné le montant des aumônes de l’aide alimentaire. Selon Le Figaro du 18 avril : « Face la crise alimentaire mondiale, Nicolas Sarkozy annonce que l’aide française sera portée à 60 millions d’euros défense de rire dès 2008. » Seule manquait au rendez-vous la description de réalités occultées. Non seulement l’Afrique peut nourrir ses habitants mais elle nourrit, entre autres, notre continent. D’immenses surfaces sont consacrées en Afrique au thé, au café, au cacao, à la banane, à l’arachide, toutes productions destinées à l’exportation. Ces productions enrichissent d’une part les grosses entreprises, étrangères pour la plupart, qui détiennent d’immenses plantations, d’autre part toute la chaîne de la spéculation sur les marchés internationaux, tandis qu’elles laissent les populations dans la plus grande pauvreté. Le salaire d’un ouvrier agricole au Cameroun, sur une bananeraie exploitée par une société française, est de 25 000 FCFA, 38 euros mensuels. Soit moins de 1000 FCFA pour dix heures quotidiennes de travail, tandis que le carburant au Cameroun, pays producteur de pétrole, est à 600 FCFA le litre à la pompe. La bouteille de gaz de 30 kg est à 6000 FCFA, le sac de ciment également. L’électricité est à 70 FCFA le kW (deux fois plus cher que le prix moyen en France). Autant dire que l’accès à ces modestes biens est réservé à une minorité. Le marché du gaz, du ciment, de l’électricité, produits localement, est possédé majoritairement par des sociétés étrangères qui dictent les prix. Les productions vivrières locales sont concurrencées par l’invasion des sous-produits de l’industrie agroalimentaire française : farine, poulets. Le pain, de très basse qualité, est consommé au détriment du bâton de manioc, bien plus nourrissant, facile à produire localement, et qui serait à l’abri des fluctuations du marché mondial. Bien loin d’aider les producteurs locaux, tout est fait pour les racketter, les décourager. Le transport intérieur est pénalisé par toutes sortes de prélèvements qui s’ajoutent au prix prohibitif des carburants. Mais l’Aide française au développement vient de subventionner au Cameroun la production de haricots verts pour l’industrie agroalimentaire de la conserverie française. Avec les salaires qu’elles touchent, les ouvrières de la mise en boîte ne peuvent pas subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. La liste des aberrations économiques que subit l’Afrique serait infinie. Mais les peuples qui en sont victimes sont sans voix, muselés par des pouvoirs féroces pour leur population mais sans courage, sans intelligence, sans imagination, quand il s’agit d’être asservis aux intérêts de l’ancienne puissance coloniale et des organismes économiques internationaux représentant ceux des grandes puissances mondiales. Ressent-on, dans ces conditions, l’injure que constitue l’aide, particulièrement dérisoire et méprisante, avec quelques larmes en prime pour s’apitoyer sur ceux qui ont faim ? Odile Tobner