Au lendemain du bombardement par l'aviation gouvernementale de Bouaké, fief des rebelles des "Forces nouvelles", des mouvements de troupes près de la "zone de confiance" renforcent les craintes que la Côte d'Ivoire ne bascule de nouveau dans la guerre civile.
A Bouaké, les rues étaient désertes vendredi matin, à l'exception des "ex"-rebelles des FN, qui patrouillaient mitrailleuses et lance-roquettes à la main.
Les bombardements aériens de la veille contre la deuxième ville du pays, que la rébellion tient depuis le coup d'Etat manqué de septembre 2002, marquent les premières hostilités majeures depuis la trêve signée en mai 2003.
"Les civils ne sortiront pas ce matin. Les Forces nouvelles patrouillent à bord de leurs véhicules", souligne un employé humanitaire à Bouaké, ajoutant que 42 personnes ont été blessées dans les trois raids menés la veille par l'aviation ivoirienne.
D'après des officiers des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci), une intervention terrestre devrait suivre ces raids aériens pour déloger les rebelles qui contrôlent la moitié nord de la Côte d'Ivoire.
Toute la nuit, des camions transportant des soldats et des munitions ont circulé à Yamoussoukro, la capitale administrative située à une 100 de kilomètres au sud de Bouaké. Et, ajoute-t-on de même source, des renforts se dirigeant vers la "zone de confiance", le long de la ligne de cessez-le-feu.
Des soldats marocains de l'Onuci, la mission de l'Onu en Côte d'Ivoire, ont cependant bloqué la route reliant Yamoussoukro et Bouaké au niveau de Tiébissou.
"Il y a beaucoup de soldats de l'armée dans la ville depuis hier. Ils disent qu'ils veulent aller à Sakassou et Bouaké", assure une adolescente vivant à Tiébissou.
L'essentiel des 10.000 casques bleus et soldats français de l'opération Licorne sont déployés le long de la "ligne de confiance" pour veiller au respect des accords de cessez-le-feu.
Mais ce regain de tension, sans précédent depuis près de 18 mois, fait craindre un basculement dans la guerre civile, enrayée par le déploiement de soldats français et par les accords de Linas-Marcoussis signés sous la férule de la France en janvier 2003.
A New York, Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, s'est dit très préoccupé jeudi soir et à rappelé toutes les parties à leurs responsabilités "pour garantir la sécurité des populations civiles, du personnel de l'Onu et des expatriés".
En France, le Quai d'Orsay, "extrêmement préoccupé", a appelé toutes les parties ivoiriennes "à ne pas céder à la logique du pire".
"Nous lançons à nouveau un appel (...) pour le respect absolu du cessez-le-feu", a déclaré Hervé Ladsous, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. "La France rappelle inlassablement qu'une sortie de crise par la violence est irrémédiablement vouée à l'échec", a-t-il ajouté.
Abidjan n'a pas été épargnée. Les sièges de deux partis d'opposition ont été attaqués dans la nuit par des partisans du président Laurent Gbagbo.
De la fumée s'échappait vendredi matin des bureaux du Rassemblement des républicains (RDR), la formation de l'ancien Premier ministre Alassane Dramé Ouattara empêché de se présenter à la magistrature suprême pour "ivoirité" douteuse.
Non loin, dans le quartier huppé de Cocody, le siège du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), l'ancien parti unique de l'ex-président Henri Konan Bédié, a été saccagé par de "jeunes patriotes" réputés proches de l'actuel chef de l'Etat, a annoncé Alphonse Djédjé Mady, porte-parole du PDCI.
La veille, les rédactions de trois journaux perçus comme hostiles au président Gbagbo avaient été mises à sac.
Les rebelles des FN se sont retirés la semaine dernière d'un processus de désarmement qui aurait dû débuter le 15 octobre et ont affirmé que le conflit pourrait reprendre à brève échéance.
Alors que le président Gbagbo affirmait le 19 octobre dans Le Figaro que l'option militaire n'était "dans (ses) plans", des observateurs redoutent qu'une guerre civile en Côte d'Ivoire, premier pays producteur mondial de cacao et "poumon économique" de la région, ne déstabilise tous ses voisins.
Reuters |