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La destruction symbolique des "mythes" africains
17/11/2002
 

Pour conquérir les africains, il fallait désacraliser leurs coutumes, leurs mythes ou leurs héros.
 
Par Paul Yange
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Dans le Monde s’effondre, Chinua Achebe décrit la façon dont les missionnaires, accompagnés de l’armée coloniale détruisirent les lieux sacrés africains, brûlèrent masques et statues servant de symboles aux Dieux. En racontant l’histoire du village ibo imaginaire d’Umofia, Achebe montre combien il est facile pour les gens d’abandonner la résistance à la colonisation une fois que leurs coutumes et leurs Dieux ont été désacralisés et rejetés. Les européens savaient que le meilleur moyen de conquérir les africains était de conquérir leurs Dieux, que la meilleure façon de les posséder était de posséder leurs masques et leurs statues, leurs rois ou leurs héros. [1]

Ainsi lors de la deuxième guerre contre les Ashanti, en 1896, les britanniques entreprirent des provocations extrêmes afin de déclencher les hostilités (que leur supériorité technologique leur aurait permis de gagner facilement sans subir de pertes en hommes). Le roi des Ashanti fut arrêté avec toute sa famille. Le roi et sa mère furent forcés de ramper à quatre pattes jusqu’aux officiers britanniques qui assis sur une boîte de biscuit, reçurent leur capitulation. La vision de rois entrain de ramper est symboliquement destructrice pour les Ashanti voyant les plus hautes autorités de leur société humiliées et soumises par l’arrogance des colonisateurs britanniques de l’époque. [2]

Cette destruction symbolique se retrouve lors des derniers moments de Patrice Lumumba : un étrange dialogue s’était engagé entre le "prophète" et ses assassins : "alors tu es toujours invulnérable ? tu craches toujours les balles ?". Lumumba épuisé par la torture, perdant son sang, à demi conscient fait signe de la tête...Oui, il est toujours invulnérable. Un mercenaire s’agenouille sur la poitrine du prisonnier, prend sa baionnette et l’enfonce lentement, méthodiquement dans la poitrine de Lumumba . Le corps fut par la suite dissous dans l’acide de façon à ce que ses partisans n’aient aucun corps leur permettant de se recueillir. Par cette action, la puissance coloniale entendait également marquer la fin du mythe de l’invulnérabilité du "prophète" (le surnom de lumumba qui a une signification symbolique évidente), réduit à "néant". [3]

L’historien camerounais Achille Mbembé a magnifiquement analysé la signification d'un point de vue symbolique de la mort de Ruben Um Nyobe , secrétaire général de l’Union des Populations du Cameroun, qui avait été abattu le 13 septembre 1958, en début d’après-midi par les troupes françaises chargées de mettre fin à l’insurrection organisée dans la région de la Sanaga maritime depuis 1955 par le mouvement qu’il dirigeait :

Les corps furent traînés jusqu’au village de Liyong, où ils arrivèrent ensanglantés et défigurés. On incita la population à venir contempler les cadavres : le fait d’obliger les paysans à dévisager les morts n’était pas gratuit. D’après VT Levine, "la mort d’Um marque (...) la fin d’une légende dont la force et la vitalité frappèrent profondément tous ceux qui y furent mêlés. Pour son peuple, Um avait la réputation d’un surhomme, invulnérable aux balles(...). Certains prétendaient qu’il possédait une puissante potion magique qui le rendait non seulement invulnérable, mais aussi invisible. La force de son caractère, son honnêteté, mais aussi sa loyauté étaient reconnus de tous y compris ses ennemis. La combinaison de la personnalité d’Um et de son auréole politique, magique et religieuse fit de lui une figure imposante".

Le cadavre d’Um devint propriété de l’Etat et fut dirigé vers la ville d’Eseka. Entre temps, les autorités coloniales avaient procédé à la publication et à la diffusion d’un tract annonçant la chute du
"Dieu qui s’était trompé". Tiré à plusieurs milliers d’exemplaires, ce tract fut distribué dans la plupart des grands centres urbains du Sud Cameroun situés le long du chemin de fer. Il représentait une photographie de Um vaincu par la mort et étendu au sol. Alors que le cadavre était exposé à l’hôpital, un des principaux chefs des milices dites d’autodéfense que l’administration avait organisées et financer pour tenter de contrer l’UPC, le mouvement dirigé par Um, tenta de le profaner.



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Il l’abreuva d’insultes, frappa le front du mort de son index droit, et mit ce dernier au défi de se mettre debout et de se mesurer à lui dans un duel dont assurait-il, lui ne pouvait sortir que vainqueur. Lors du cérémonial d’enterrement, les familles ne furent pas invitées, on exigea des gens qu’ils s’abstiennent de toute lamentation (même si la consigne ne fut point totalement respectée). Les rites appropriés pour le genre de mort auquel Um avait succombé ne furent pas respectées. L’on ne questionna point le mort. On n’offrit pas de repas, rien ne fut expliqué, il ne fut certes pas privé de sépulture, mais sur recommandation formelle des autorités de l’Etat, on immergea son corps dans un bloc massif de béton enfoui dans le sol.

L’Etat colonial avait voulu faire taire le mort de diverses manières :

De la brousse où il fut abattu jusqu’au village de Liyong où les paysans l’identifièrent, on traîna le cadavre dans la boue. Cela le défigura et il perdit donc sa figure singulière, la netteté de ses traits, ses formes distinctives : soucis de détruire l’individualité de son corps et le ramener à une masse informe et méconnaissable.

Puisque nul n’avait réussi à l’humilier de son vivant, il fallait déshonorer sa dépouille en lui barrant physiquement l’accès au statut de mort glorieux que sa vie, son témoignage et le drame de sa fin lui avaient mérité.Dans le même esprit, on ne lui accorda qu’une tombe misérable et anonyme. Aucune épitaphe, aucun signalement particuliers ne furent inscrits.

On l’enterra immergé dans un bloc de béton. L’Etat cherchait à brouiller définitivement les liens de Um avec le sol où il reposait et où selon le principe de l’autochtonie propre à la société dont il descendait, se perpétuaient ses rapports avec sa lignée, sa descendance. Il s’agissait au total d’effacer Um de la mémoire des hommes en le renvoyant au chaos où il ne serait plus personne. Lorsqu’en 1960 l’indépendance pour laquelle il avait milité et pour laquelle il fut tué échut finalement aux forces qui en avaient combattu le principe, l’Etat post colonial veilla à ce qu’aucun dispositif de mémorisation ne rappelle le mort.

Longtemps après la mort de Um, il était dangereux de citer son nom en public, de se référer à son enseignement, de garder chez soi son effigie et ses écrits. Plus de 30 ans après les événements, l’homme et sa mémoire étaient encore ensevelis sous les décombres des interdits et de la censure d’Etat. L’excès de l’oubli officiel est un aveu de l’importance de Um : dans l’acte d’oublier, de dire qu’il n’était rien, les pouvoirs établis dévoilaient paradoxalement l’irremplaçabilité du mort, de son nom et du texte dont il fut porteur.[4]


Références : [1] Manthia Diawara, "En quête d’Afrique", Editions Presence Africaine / [2] Sven Lindqvist "Exterminez toutes ces brutes", Editions Le serpent à plumes / [3] Rosa Amelia Plumelle Uribe, "La férocité blanche, des non blancs aux non aryens, génocides oubliés", Editions Albin Michel / [4] Achille Mbembé, "la naissance du maquis dans le sud Cameroun", Editions Karthala /]

       
Mots-clés
achille mbembe   afrique   cameroun   chinua achebe   patrice lumumba   ruben um nyobe   
 
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