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Le texte d’Ambroise Kom est né de plusieurs entrevues avec Mongo Beti en juillet 98 et juillet 99. Publié une première fois en 2002 et réédité cette année, il est le résultat d’interviews originales (bien les questions ne soit pas explicitement mentionnées dans le livre), et s’attarde sur le parcours et le cheminement d’un intellectuel engagé né sous la colonisation.
Le résultat final est la hauteur des ambitions initiales. C'est à peine 40 jours avant sa mort que Mongo Beti avait donné son accord à la version définitive soumise par Ambroise Kom. Le décès brutal de l'écrivain a donné à ce texte des allures de testament. Mongo Beti s’y exprime en effet comme à son habitude sans langue de bois, clair, incisif, sans compromis, certains diraient excessif...
Le premier chapitre s’ouvre sur l’évocation par Mongo Beti de sa jeunesse à l’école missionnaire tenue par des pères blancs à l’époque coloniale. Selon Mongo Beti l’essentiel dans l’école coloniale était de faire de faire apprendre le français aux jeunes africains afin que ceux-ci deviennent de parfaits auxilliaires coloniaux : « Le Noir était considéré comme un être inférieur voué aux fonctions subalternes, il ne s'agissait donc pas de former un citoyen au sens critique aiguisé, libéré des « préjugés et superstition ».
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Une élite qui ne peut pas s'engager n'existe pas |
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Mongo Beti |
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Si la nature ne t'a pas donné le génie, l'indignation te le donnera : la naissance de "Main basse sur le Cameroun" |

Mongo Beti raconte qu’après des études primaires à Mbalmayo, il entre au petit séminaire d’Akono, dont il est exclu pour indiscipline. Après des études secondaires au collège classique et moderne mixte, dans le futur lycée Leclerc de Yaoundé, il s’envole pour la France en 1951 car dit-il, tous ceux qui ont obtenu le baccalauréat entre 50 et 56 obtenaient une bourse pour la France.
En France, l’environnement selon Mongo Beti est plutôt favorable car la France sort de la seconde guerre mondiale et penche à l’extrême-gauche, le parti communiste avec plus de 120 députés est encore très puissant. C’est avec la décolonisation, et surtout la cuisante défaite de Dien Bien Phû, puis la guerre d’Algérie que les mentalités ainsi que le rapport des populations vis-à-vis des étrangers évolueront négativement.
Après avoir raconté ses années de jeunesse étudiante passées à Aix-en-Provence, avant qu’il ne continue ses études supérieures à la Sorbonne et ne s’oriente vers l’enseignement, Mongo Beti revient sur la genèse d’un de ses livres les plus célèbres. Marié à Odile Tobner, il s’est installé à Rouen avec son épouse et ses enfants. Il mène une vie relativement confortable. Mais ne se satisfait pas de situation.
Il se qualifie lui-même de « bourgeois » et explique par un « sentiment de culpabilité » la genèse de « Main basse sur le Cameroun ». : « je me disais que vu les convictions que j’avais, j’aurais dû être sur le terrain dans le maquis avec les insurgés au lieu de vivre en France confortablement ». La désinformation de certains médias français (notamment du journal Le Monde via un de ses journalistes) sur la situation exacte au Cameroun achève de le convaincre de se mettre à l'oeuvre. Son indignation le conduit à écrire un ouvrage qui contribuera à établir sa réputation. |
Présence Africaine est incapable de la moindre démarche commerciale! |

Le retentissement sera énorme et le livre sera saisi en France sur demande du Cameroun. La demande sera rédigée selon Mongo Beti par Ferdinand Leopold Oyono (écrivain et homme politique camerounais NDLR, auteur notamment du roman "Le vieux nègre et de la médaille"), qui fut un de ses amis proches alors qu'ils étaient tous les deux jeunes étudiants. Devenu ambassadeur du Cameroun en France au début des années 70, Ferdinand Oyono sera aux avant-postes lorsque "Main basse sur le Cameroun" sera saisi. Mongo Beti gardera une rancune tenace à celui qui fut un ami de jeunesse.
Mongo Beti revient également sur le lancement de la célèbre revue « Peuples Noirs-Peuples africains » qu'il éditait en compagnie de son épouse. Il qualifie la revue « d’erreur d’un point de vue économique » , mais de « grand moment d’un point de vue idéologique et psychologique » .
Donnant ses impressions et son point de vue sur le petit monde de l’édition parisien ("très politisé") , Mongo Beti livre une violente charge contre la célèbre maison d’édition « Présence Africaine » : « C’est une maison d’édition qui vit en comptant sur les subventions. Ils sont incapables de la moindre démarche commerciale, même quand on leur apporte de l’argent sur un plateau. Le résultat est médiocre pour une maison qui possède un tel fond et une telle notoriété ».
Après une trentaine d’années d’exil, Mongo Beti retourne s’installer dans son pays natal de façon définitive au Cameroun en 1999, et ouvre la libraire des peuples noirs à Yaoundé. Il s'explique sur ce choix qui peut sembler paradoxal pour quelqu'un ayant passé autant de temps à l'étranger : « ayant déjà vécu au Cameroun, il m’était relativement facile d’intégrer les informations nouvelles concernant le Cameroun, si bien que je n’ai jamais eu de mal à imaginer ce qui se passait au Cameroun que j’avais quitté pour la dernière fois en 1959 ». |
Camara Laye a t-il seulement lu son livre ? |

Mongo Beti ne serait pas Mongo Beti sans le franc-parler qui le caractérisait, et dont il était coutumier. Il passe ainsi en revue diverses personnalités : toujours critique de Camara Laye, il reproche à ce dernier de faire dans L'enfant noir" une apologie de la tradition « pour détourner les africains des leaders indépendantistes en les maintenant coûte que coûte dans les traditions rétrogrades ». Il va jusqu'à remettre en cause le talent d’écriture de ce dernier en reprenant des rumeurs qui avaient circulé selon lesquelles Camara Laye pourrait ne pas être le véritable auteur du livre pour lequel il aurait été « aidé » : « A l’entendre parler à la radio, on pouvait se demander s’il avait seulement lu, son livre ! » dit Mongo Beti
Il se montre plus tolérant à l’égard de Calixte Beyala « on ne peut imaginer qu’un écrivain se fasse un nom simplement en plagiant. Il s’agit d’une imprudence de jeunesse et surtout d’une maladresse dans les réponses à ses détracteurs ».
Il fustige les élites africaines déplorant qu’on appelle trop souvent « intellectuels » des gens qui ne sont que de « simples diplômés ». Souvent très consciente des problèmes, ces élites sont selon lui « capables de critiquer avec compétence et lucidité les gouvernements africains dans un salon », mais sont incapables de passer à l’action et de s’engager par peur de représailles. « Il ne suffit pas de dire j’ai été à l’école normale supérieure. Une élite qui ne peut pas s’engager n’existe pas ». assène Mongo Beti. |
Il n'y a pas eu en Afrique de débats sur les objectifs du système éducatif à la différence de ce qu'a fait le Japon |

Toujours aussi décapant, Mongo Beti affirme que les relations entre écrivains de pays colonisés et éditeurs d’un pays néocolonisateur ne peuvent que clocher, et que tout est fait pour favoriser les français en Afrique dans tout ce qui se rapproche de près ou de loin à l'édition :
« ce qu’il faut aussi constater, c’est que les français n’encouragent nullement le marché local du livre (...) c’est une française qui a le monopole des fournitures de livres au lycée français de Yaoundé. Elle fait venir les livres et les vend quatre fois plus chers qu’en France ! (...) Quand il s’agit de faire gagner de l’argent à un Blanc, les français de la place lui apportent de l’or sur un plateau. »
Au delà de ses critiques acerbes, souvent polémiques, on est frappé par :
-le recul dont fait preuve Mongo Beti sur divers sujets ("A la différence de ce qu'a fait le Japon, il n’y a pas eu dans les pays africains de débat collectif sur les objectifs du système éducatif et ses finalités, la seule ambition de beaucoup était de remplacer les blancs") ,
-l'attachement à son continent, son pays et son village natal après plus d'une trentaine d'années d'exil
-l’objectivité vis-à-vis d’une certaine mentalité qu’on pourrait qualifier de rétrograde dans son village (et plus généralement dans son pays natal) où il avait initié diverses initiatives de développement : « les gens du village n’ont ni le sens de l’épargne, ni celui de la prévision, vivent au jour le jour et ne comprennent pas qu’en sabotant une entreprise ils se sabotent eux-mêmes ! »,
-sa fidélité à ses convictions politiques (pas de pactisation avec le néo-colonialisme et les régimes politiques africains). |
Est ce qu'on a demandé aux Blancs de venir nous coloniser ? |

A lire ces entretiens avec Ambroise Kom, on comprend pourquoi ses adversaires (qu'ils avaient bien connu pour certains pendant sa jeunesse) le craignaient tant : le portrait qu’il fait du chef de l’Etat camerounais Paul Biya en patriarche bulu (P 240) (ethnie du sud cameroun dont faisait partie Mongo Beti) est décapant :
"Le patron se lève le matin, on lui montre le porc-épic qu'on va lui préparer pendant qu'il mange son petit déjeuner. Après, il joue au songo, il boit, il joue au songo, il boit. A midi, il se bourre de viande comme Louis XIV. Il a un régime alimentaire dégueulasse" (...)."
Mongo Beti avait une vision fine des problématiques africaines. Ainsi alors que l'immigration clandestine fait la une de l'actualité aujourd'hui, Mongo Beti se plaisait déjà à expliquer l'attrait qu'exerçait le monde occidental sur les jeunes africains : "en occident, outre l'éducation et le fait qu'on puisse subvenir à ses besoins, on peut aussi bénéficier de libertés, et d'un épanouissement individuel qui n'exclut pas la solidarité". Les gens en ont marre de la pauvreté et de la dictature.
Né sous la colonisation, Mongo Beti n'était pas de ceux qui voyaient un quelconque "rôle positif de la colonisation" : "avant de nous demander d'être reconnaissants, il faudrait nous demander comment nous en sommes arrivés là (...) est qu'on a demandé aux Blancs de venir nous coloniser ?"
C'est le regard de l'écrivain, de l'exilé, de l'opposant politique, balayant une tranche de vie, et une époque allant des années 30 jusqu'au début du 21ème siècle qui défile sous nos yeux dans ces entretiens entre Mongo Beti et Ambroise Kom. A lire ces lignes, on comprend que Mongo Beti ait laissé un grand vide dans le monde intellectuel et politique africain. Une voix qui nous manque. |

"Mongo Beti parle", testament d’un esprit rebelle, entretiens avec Ambroise Kom, éditions Homnisphères 2006
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