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Cette année encore, aucun film africain ne sera présenté en compétition. Ce fait est vécu comme un drame ou encore une fatalité lié au destin du continent noir.
Pourtant l’Afrique n’a pas mal fait lors de ses précédentes présences au prestigieux Festival de Cannes. L’Egyptien Youssef Chahine est invité pour la première fois à ce festival en 1951 pour son film «Le fils du Nil». Le cinéaste nigérien Oumarou Ganda présente en 1969 «Cabascabo» qui est le premier film africain sélectionné au Festival de Cannes. Puis il y a eu l'Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, qui a remporté la Palme d’Or du Festival de Cannes en 1975 pour son film «Chronique des années de braise». Quant à «Yeelen» du cinéaste malien Souleymane Cissé, de même que son autre film, «Le Destin de Chahine», ils obtinrent respectivement le Prix du Jury en 1987 et 1997.
Dans un article en date du 8 mai dernier, la journaliste Claire Diao cite trois facteurs qui bloquent la montée des films africains sur les marches de Cannes. Selon elle, premièrement, tout film sélectionné à Cannes ne doit pas avoir été présenté dans d’autres festivals, ni avoir été exploité ailleurs que dans son pays d’origine. Donc, tout film africain présenté à Venise, Berlin, Ouagadougou ou Carthage, se verra écarté de la sélection cannoise. Deuxièmement, tout film sélectionné ne peut être retiré du programme au cours de la manifestation (article 4 du règlement). |
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Abderrahmane Sissako
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fespaco.bf |
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De ce fait, les malheureux cinéastes n’ayant pas bouclé la post-production de leur film par manque de financement, ne peuvent se permettre d’être annoncés pour finalement ne jamais envoyer leur copie...
Troisièmement, le Festival de Cannes étant le plus vieux et le plus célèbre rendez-vous cinématographique mondial, force est de constater que les réalisateurs qui s’y présentent sont souvent soutenus par de grandes sociétés de production. Or, sur le continent noir, combien de cinéastes peuvent présenter des films dont les budgets dépassent les milliards de dollars? Voilà une iniquité économique qui perdurera tant que les gouvernements ne s’attèleront pas à la construction d’une industrie cinématographique stable et rentable.
Cette année, Abderrahmane Sissako, réalisateur d’origine mauritanien, est parrain, avec Juliette Binoche, du Pavillon ‘Les Cinémas du Monde’, qui vise à promouvoir la diversité culturelle à Cannes. «Il ne faut pas s’étonner de l’absence de films africains à Cannes puisqu’il n’y a quasiment pas de projets qui se montent. Chaque année, une vingtaine de films se font sur tout le continent africain, si l’on met à part les productions d’Afrique du Sud, de l’Egypte et du Maroc. C’est très peu,» a expliqué Sissako. |

Au passage, il déplore le manque de courage politique. « Si la cinématographie coréenne se développe depuis dix ans, c’est parce que ce pays a mis en place une politique de soutien importante au cinéma. Il manque une politique de soutien des films en Afrique. La France n’est pas plus riche que l’Allemagne, mais elle a un cinéma. Elle a aussi la culture d’aller dans les salles de cinéma parce que les politiques l’y encouragent. Or, sans politique d’encouragement, très peu de jeunes africains vont y croire et vouloir faire leur métier dans le cinéma,» a-t-il soutenu.
Peu de gouvernements accordent de l’importance au développement d’une industrie cinématographique. En mars dernier, le ministre mauricien de l’Industrie, Dharam Gokhool, a mis l'accent sur la nécessité de promouvoir les films mauriciens. "Pour encourager plus de producteurs locaux à aller de l'avant avec des idées novatrices pour le cinéma mauricien, il est impérieux que les films locaux obtiennent suffisamment de couverture par la télévision nationale, la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC)," a-t-il affirmé.
Dharam Gokhool a déclaré avoir eu une réunion avec le directeur général de la MBC pour discuter de la possibilité de diffuser des films mauriciens sur les chaînes nationales. "On est arrivé à un accord selon lequel la MBC diffusera ces films, à condition que la Mauritius Film Development Corporation (MFDC) trouve les sponsors nécessaires," a-t-il ajouté. «Il est temps de transformer la MFDC en une organisation professionnelle de production de films, » a soutenu le ministre. Son prédécesseur, Joseph Tsang Man Kin, avait osé évoquer l’industrie du cinéma. Mais il fut tourné en dérision par ses détracteurs politiques dont les remarques ont été relayées par une bonne partie de la presse. |

Le problème de fond, c’est que la culture est également l’âme d’un pays. On ne peut la dépouiller de ses richesses et ne pas reconnaître ses valeurs intrinsèques. L’Afrique ne peut pas fournir uniquement son or, son uranium et ses diamants sans exporter sa culture alors que d’autres civilisations imposent des cultures importées à notre jeunesse. Le réalisateur Sissako affirme: «Je sens l’urgence de montrer l’état des choses dans un continent comme l’Afrique, qui ne se raconte pas au cinéma. Je ne sais pas s’il faut la raconter tout de suite, mais la condition des femmes en Afrique, le drame des femmes congolaises qui se font violer, c’est horrible. Pour moi, c’est difficile de montrer les injustices que l’Afrique se fait à elle-même sans stigmatiser. Or, les films doivent servir à informer, comme la presse.»
S’il y a un pays qui se débrouille assez bien en Afrique d’un point de vue cinématographique, c’est le Nigeria. Selon les médias nigérians, "Nollywood", l’industrie cinématographique nigériane a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars, soit un peu plus de six milliards de rands. Près de 2500 films y sont produits chaque année, et le secteur, qui emploie près de deux millions de personnes (cameramen, acteurs, réalisateurs, musiciens, techniciens etc.), est désormais le second secteur d’activités du pays, après l’industrie pétrolière, mais avant les télécoms. Il est également extrêmement rentable puisque les bénéfices représenteraient 50% du chiffre d’affaires de l’industrie. |

Les films de «Nollywood», tournés en langues locales et en anglais, s’exportent dans différents pays africains, et même en dehors du continent noir puisqu’il y a un public pour ces films dans des pays comme la Jamaïque, la Barbade, Haïti, l’Angleterre ou les Etats-Unis. Selon Peace Aniyam-Fiberesima, créatrice de l’African Movie Academy, l’académie africaine du cinéma, qui s’exprimait lors du Dubai International Film Festival, l’essor de l’industrie du cinéma au Nigeria provient du fait que les films sont rentables et qu’il y a une valeur commerciale à les produire: «Les gens ont vu que s’ils investissaient 20 000 dollars dans un film, il rapporterait entre 70 000 et 100 000 dollars en l’espace de quelques semaines».
Or, c’est le manque de budget conséquent qui empêche l’accès à la sphère internationale. «Si nous pouvions obtenir les budgets, nous pourrions faire de gros films. Mais nous sommes Africains, dans des environnements où nous devons faire face à la pauvreté, l’intolérance, aux gouvernements corrompus,» explique Peace Aniyam-Fiberesima.
Si l’on en croit le comité de sélection du Festival de Cannes, les films retenus ne le sont pas du fait de leur nationalité mais bien du fait de leur qualité. Dans le cas des films nigériens, la qualité est souvent très mauvaise mais les films arrivent malgré tout à gagner de l'argent car ce qui intéresse par exemple les gens dans les villages, c'est plus l'histoire narrée que la qualité du film telle que nous la percevons. |

A «Nollywood», par exemple, depuis quelques années, les femmes nigérianes ont trouvé un nouveau moyen de s'affranchir. Qu'elles soient costumières, productrices ou actrices, les histoires de ces femmes sont autant de scénarios. A «Nollywood», on trouve d'ex-étudiantes en droit enchaînant une dizaine de tournages par an, d'anciennes danseuses de musique traditionnelle fuji osant dévoiler leurs courbes malgré la pression religieuse des églises pentecôtistes, des doyennes de comédie yoruba passées par les pièces de Wole Soyinka ou des starlettes spécialisées dans des rôles de «bad girls» qui leur collent à la peau. Certaines sont devenues des vedettes, à l’instar de Geneviève Nnaji, qui perçoit 17 000 euros par film, soit environ de 198 800 rands sud-africains. Une fortune, dans un pays où le revenu moyen, selon la Banque Mondiale, ne dépasse pas les 330 euros par an, soit environ 3, 865 rands.
D’autres soutiennent que la qualité du film nigérien va s’améliorer. «Pour l’instant, nous faisons pâle figure lors des festivals. Mais une nouvelle génération de réalisateurs très doués est en train de se donner les moyens de produire de la qualité. Dans peu de temps, ils remporteront des récompenses internationales,» prédit Steve Ayorinde, critique de cinéma à Lagos au Nigéria.
La question est: est-ce que ce sera suffisant pour sauver l’honneur africain et nous permettre de remonter les marches des prochains Festival de Cannes? Seul le temps nous le dira. D’ici là, contentons-nous du cinéaste malien Souleymane Cissé et de son long-métrage «Min-Yé», sélectionné hors-compétition parmi les six films en séances spéciales, pour représenter les couleurs du continent noir. Et sur la participation du réalisateur tunisien Férid Boughédir, sélectionné en tant que juré dans la catégorie Cinéfondation et courts-métrages. |

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