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Teza est le dernier film du réalisateur éthiopien Haïlé Gérima. Haïlé Gérima est né en Ethiopie en 1946. A 21 ans, il quitte son pays pour les Etats-Unis, apprend les arts dramatiques à Chicago, puis en 1969, le cinéma à l’Université de Los Angeles. Avec plusieurs réalisateurs afro-américains, il participe à la fondation de la « Los Angeles School of Black Filmakers » qui réunit plusieurs artistes qui, à travers leurs films, relatent la vie des populations noires aux Etats-Unis et tentent de s’affranchir des règles cinématographiques en vigueur à Hollywood. En 1975, Gérima part à Washington pour enseigner le cinéma à l’Université d’Howard.
Celui qui se définit lui-même comme un réalisateur « à temps partiel » réalise un court-métrage en 1971, un film expérimental en 1972 et enfin son premier long métrage en 1976. Son premier film, La moisson de 3000 ans, défend les paysans éthiopiens soumis à des règles féodales et à une forte exploitation foncière. Révélateur pour un homme qui se veut être un « cinéaste indépendant du Tiers-Monde ». Ce film est d’ailleurs l’un des sept long-métrages qu’a choisi Martin Scorsese pour les faire restaurer par sa « World Cinema Foundation ». Gérima réalise ensuite quelques documentaires (Wilmington en 1978, After winter sterling brown en 1985, Imperfect Journey en 1994 et Adwa : an African victory en 1999) et un film, en 1993, qui s’échappe de l’Ethiopie pour suivre le parcours d’une jeune afro-américaine qui se retrouve propulsée 200 ans en arrière et doit revivre le voyage des esclaves africains vers les Amériques.
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La trame du film est a priori très simple et raconte l’histoire d’un jeune éthiopien, Anberber, parti en Allemagne de l’Est, à Cologne, dans les années 1970. En chemin, il rencontre une jeune femme africaine avec qui il partage sa vie, découvre le militantisme politique et débat des idéaux marxistes et du futur de son pays avec ses amis éthiopiens et leur femme allemande. Devenu un brillant médecin-chercheur, Anberber souhaite, selon ce que Gérima décrit comme une « mythologie » de l’immigration, revenir en Ethiopie pour éradiquer toute forme de maladie et sauver des vies dans son village |
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Aaron Arefe joue le rôle de Anberber
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Haïlé Gérima, influencé par sa grand-mère conteuse et son père qui l’emmenait très tôt au théâtre, et ancré dans sa posture de militant de la gauche catholique, cherche dans ses films à dénoncer le néo-colonialisme, à l’heure où l’Afrique célèbre le cinquantenaire des indépendances. Gérima veut faire un cinéma autonome, indépendant, qu’il décrit comme « révolutionnaire et didactique », définitivement éloigné des blockbusters hollywoodiens : « traiter des thèmes comme l’identité, l’émancipation, la mémoire, fondent ma vision de ce que le cinéma indépendant devrait être ». Cinéaste engagé, il l’est définitivement avec son film Teza (2008).
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Lors du Fespaco, Haïlé Gerima a laissé sa sœur aller chercher son prix des mains de Blaise Compaoré, car lui a décidé de ne plus mettre les pieds au Burkina Faso depuis l’assassinat de Thomas Sankara |
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Pour preuve le dernier coup d’éclat du réalisateur. Lors du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou(FESPACO) il a laissé sa sœur aller chercher son prix des mains de Blaise Compaoré, car lui a décidé de ne plus mettre les pieds au Burkina Faso depuis l’assassinat de Thomas Sankara. Teza est donc à la hauteur du parcours de Gérima. Il s’agit d’un film particulièrement ambitieux, qu’il a patiemment réalisé pendant 14 ans, faute de moyens, entre l’Allemagne, l’Ethiopie et la France. Ce long parcours a permis au réalisateur de garder la main sur son projet et de livrer au public un travail majeur et abouti.
La trame du film est a priori très simple et raconte l’histoire d’un jeune éthiopien, Anberber, parti en Allemagne de l’Est, à Cologne, dans les années 1970. En chemin, il rencontre une jeune femme africaine avec qui il partage sa vie, découvre le militantisme politique et débat des idéaux marxistes avec ses amis éthiopiens et leur femme allemande. Devenu un brillant médecin-chercheur, Anberber souhaite, selon ce que Gérima décrit comme une « mythologie » de l’immigration, revenir en Ethiopie pour éradiquer toute forme de maladie et sauver des vies dans son village. |

Teza inscrit cette histoire d’un migrant ordinaire dans l’Histoire de son pays, l’Ethiopie. Rappelons ici brièvement cette histoire, car Gérima n’en fait pas seulement une toile de fond anecdotique mais en brosse un vrai tableau. En 1924, l’Ethiopie est le premier pays africain à entrer dans la Société des Nations. En 1926, Haïlé Sélassié 1er devient le 256ème et dernier Négus du pays qui mènera entre 1936 et 1941 la résistance face aux fascistes italiens de Mussolini.
Si Sélassié a tenté de moderniser le pays, il a surtout dû faire face aux conflits frontaliers avec l’Erythrée et la Somalie qui luttaient pour leur indépendance. Le 12 septembre 1974, une junte militaire (Derg) renverse ce régime théocratique et féodal contesté depuis des décennies. L’un des acteurs majeurs de ce coup d’Etat, le colonel Haïlé Mariam Mengitsu, participe à la fondation d’un nouvel Etat socialiste.
Les réformes socio-économiques et les nationalisations se heurtent rapidement aux contestations des années 1980 : étudiants dans la rue pour réclamer une meilleure répartition des terres et de meilleures conditions d’études, universitaires et professeurs en grève, conducteurs de taxis réclamant la fin de la hausse du pétrole, syndicats menant une grève générale pour une revalorisation des salaires et des retraites, publications clandestines qui se propagent, etc. En 1987, le pouvoir tente de se transformer et le nouveau Parti des Travailleurs Ethiopiens (PET) fonde la République démocratique d’Ethiopie. |
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Anberber et son ami Tesfaye de retour en Ethiopie après leurs études en Allemagne
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L’opposition, menée par des organes politiques comme le PRPE et le MEISON, se fissure, en proie à des rivalités présentées comme ethniques mais qui tournent principalement autour de la définition du socialisme et du marxisme-léninisme. Mengitsu réprime sévèrement toutes ces revendications et l’on parle de près de 80 000 morts rien qu’entre 1978 et 1980. Il est vrai que le régime militaire de Mengitsu est généralement connu pour les arrestations d’étudiants, les viols et les assassinats politiques qu’il a commis. A cette « terreur rouge » il faut ajouter la famine qui a frappé le nord du pays et la « villagisation » imposée en 1980. Ce n’est qu’en 1991 que Mengitsu, fragilisé, fuit et trouve l’asile politique auprès de Robert Mugabe.
Face à l’évolution politique de son pays et porté par un espoir d’idéal révolutionnaire, Anberber décide de rentrer à Addis-Abéba dans les années 1980 pour rejoindre son ami Tesfaye, médecin lui aussi, rentré quelques années plus tôt en Ethiopie et ayant laissé derrière lui femme et enfant. Malgré les espoirs représentés par la chute du Négus, Anberber se heurte rapidement au régime autoritaire de Mengitsu. Menacé par le pouvoir, il retourne finalement en Allemagne avant de revenir définitivement à Minzero, son village natal, dans les années 1990.
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En 2 heures et 20 minutes, le réalisateur réussit donc le coup de force magistral d’aborder à la fois les questions de l’identité et de la mémoire des migrants, des épreuves de l’exil, des envies et des désillusions du retour, mais aussi des relations entre Noirs et Blancs et du racisme dans un film qu’il dédie « à tous les noirs battus et tués parce qu’ils sont seulement noirs ». Et Gérima nous parle également de ce régime dictatorial et de la résistance des intellectuels éthiopiens, grâce au parcours d’un homme tiraillé par sa conscience politique |
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Le film suit donc ces allers-retours entre ces quatre étapes de la vie d’Anberber. Teza est un film esthétique construit autour d’incessants flashbacks et d’images métaphoriques qui, même si elles rendent parfois la mise en scène assez opaque, suivent à merveille les aléas de la mémoire vacillante du personnage principal. Pris entre deux feux, celui de l’Ethiopie du passé et celui de l’Ethiopie qu’il retrouve, Anberber est perdu, blessé. Sa mémoire lui fait défaut, ses souvenirs lui reviennent en bribes, violents et implacables. |
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Haïle Gerima et les acteurs de ''Teza'' au festival de Venise
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A son retour au village, il tente de se reconstruire, comme il le peut, aidé par une jeune femme du village. Il se retrouve pris dans une réalité qu’il ne comprend plus et qui n’est finalement presque plus la sienne après ses années d’exil. Alors il ferme les yeux, tente de se réfugier dans les quelques souvenirs de son Ethiopie, celle d’avant, celle de son enfance. Haïlé Gérima a glissé ici beaucoup de lui-même, mais aussi beaucoup de ce que vivent tous les émigrés africains d’Europe et d’Amérique :
« Et comme pour Anberber, l’Ethiopie d’aujourd’hui s’apparente à un vrai cauchemar pour moi. Lorsque je retrouve ma terre natale, je rêve l’Ethiopie de mon enfance. Une Ethiopie généreuse, abondante. La terre produisait alors assez pour nourrir tous. Les arbres étaient chargés de fruits. Aujourd’hui, c’est fini. » C’est en cela que ce film n’est pas qu’une simple leçon éthiopienne mais un véritable poème universel, sur toute une génération d’intellectuels émigrés, sur leurs espoirs et leurs illusions. |

Gérima nous fait donc voyager entre la mémoire individuelle d’un homme, fragile et chaotique, et l’histoire collective des immigrés et décrit, sans concession et parfois avec une dureté impressionnante l’envie de retour qui travaille chaque immigré africain : « Au début c’est facile. C’est comme si on vous envoyait chercher de l’eau. Mais quand vous traversez l’océan, le retour n’est pas aussi aisé. Cela devient une expérience générationnelle, un processus. Vous vous demandez sans cesse : « Pourquoi ne suis-je pas à la maison, mais bon sang qu’est-ce que je fais ici ? Cette foutue neige… cet endroit enneigé dans lequel je ne suis pas né. Ce n’est pas mon climat. » Vous vous demandez toujours pourquoi vous vivez ici, surtout quand vous êtes face aux maux qui rongent cette société. Pourquoi ne partez-vous pas ? »
En dressant le portrait de ce qu’il appelle cette « élite incomplète » qui a parfois du mal à connaitre, reconnaitre et à aider son pays d’origine tant elle a appris à vouloir le fuir, Gérima offre au public un film fort, un témoignage poignant et bouleversant dans lequel tous les immigrés pourront s’identifier. Une œuvre majeure qui permet, comme il le dit très justement, « d’exorciser » ces expériences difficiles de l’entre-deux. En 2 heures et 20 minutes, le réalisateur réussit donc le coup de force magistral d’aborder à la fois les questions de l’identité et de la mémoire des migrants, des épreuves de l’exil, des envies et des désillusions du retour, mais aussi des relations entre Noirs et Blancs et du racisme dans un film qu’il dédie « à tous les noirs battus et tués parce qu’ils sont seulement noirs ». Et Gérima nous parle également de ce régime dictatorial et de la résistance des intellectuels éthiopiens, grâce au parcours d’un homme tiraillé par sa conscience politique. |

Porté par des acteurs magistraux, Araba Evelyn Johnson Arthur (dans le rôle de Cassandra, l’amie africaine d’Anberber en Allemagne), Téjé Tesfahun (dans le rôle d’Azanu, la jeune femme du village) et Abéyé Tedla (dans le rôle de l’ami Tesfaye) qui jouent ici leur premier rôle au cinéma, mais surtout par Aaron Aréfé (Anberber), Teza est un film coup de poing.
Un film essentiel qui a déjà été primé à plusieurs reprises : prix spécial du Jury et meilleur scénario à la Mostra de Venise en 2008, ainsi que label cinéma de l’UNICEF et prix « Cinéma pour la paix et la richesse de la diversité » ; Tanit d’Or et meilleur scénario aux Journées cinématographiques de Carthage en 2008 ; Licorne d’Or au Festival international du film d’Amiens en 2008 ; prix des valeurs humaines de la chaîne parlementaire grecque en 2008 au Festival international du film de Thessalonique ; prix du public au Festival du film de Rotterdam en 2009 ; Etalon d’Or du meilleur film du continent au Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision (FESPACO) en 2009 ; et enfin prix de la meilleure réalisation au Festival du Cinéma Africain de Khourigba en 2009.
Teza sera visible sur les écrans français à partir du 28 avril prochain. |

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