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Un duel courtois, mais Laurent Gbagbo plus pugnace dès l'entame |

Le duel, courtois, qui a eu lieu à la télévision ivoirienne entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo restera dans les annales de la vie politique ivoirienne, et plus généralement la vie politique de l’Afrique noire. C’est en effet la première fois que deux candidats à une élection présidentielle sur le continent se livrent à cet exercice devant leurs concitoyens. Le format choisi était un format proche du style des débats présidentiels américains, où les candidats ne débattent pas directement, mais répondent chacun à tour de rôle aux questions du journaliste, ici Pascal Aka Brou, rédacteur en chef à la RTI (Radio Télévision Ivoirienne) chargé de l'animation du débat. Cinq thèmes étaient prévus au cours des 2h15 que devait durer le débat : la politique nationale, la défense, l’économie, la société, et la politique étrangère. Chacun des deux candidats disposait de trois minutes de conclusion à la fin du débat.
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Nous avons eu un débat courtois, responsable. Beaucoup pensaient que Laurent Gbagbo et moi allions échanger des coups de poing, mais nous sommes des frères (...) Je ne suis pas venu en politique pour un poste, mais je veux gagner car j'ai des solutions pour la Côte d’Ivoire et pour les Ivoiriens |
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Alassane Ouattara |
C’est Alassane Ouattara qui a le premier pris la parole en répondant à une question sur les motivations de sa candidature à l’élection présidentielle. Il s’est réjoui d’un premier tour « apaisé », avec un taux de participation à 84% et a terminé en évoquant son « frère » Laurent Gbagbo. Lorsque le président sortant a pris la parole, il a remercié le « premier ministre ». Un terme qu’il s’est évertué à utiliser tout au long du débat pour désigner Alassane Ouattara, et qui n’a sans doute pas été employé par hasard :
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Merci à la Télé ivoirienne. C'est la 1ère fois en Afrique Occidentale, en Afrique noire, qu'un tel débat a lieu (...) Je vous ai demandé des sacrifices, (...) nous arrivons à l'aboutissement. Cette élection n est pas seulement celle d'un chef d'Etat mais aussi un retour à la paix (...) Dieu bénisse la Côte d'Ivoire |
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Laurent Gbagbo |
le président sortant voulait souligner le contraste entre lui, chef de l’Etat ivoirien, et son challenger, qui n’a jamais exercé la magistrature suprême. Le terme n’est pas sans rappeler le fameux «tout à fait monsieur le premier ministre » adressé par François Mitterrand à Jacques Chirac lors de leur débat télévisé en 1988. |
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Minute de silence et couvre-feu... |
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Le débat suivi sur grand écran
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Laurent Gbagbo a cherché à produire un effet de surprise en effectuant deux annonces : la première en demandant une minute de silence pour les personnes décédées dans les troubles qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire depuis 1999, la seconde en annonçant la mise en place d’un couvre-feu visant à prévenir d’éventuels débordements lors du second tour des élections. Alassane Ouattara fera remarquer à son adversaire qu'il aurait pu le prévenir de la décision de mettre en place le couvre-feu, soulignant également que la mesure avait tendance à dramatiser la situation politique dans le pays.
Evoquant le bilan des années de crise, Laurent Gbagbo s’est une nouvelle fois montré plus offensif qu’Alassane Ouattara en rappelant des citations ambigües de ce dernier datant des années 1999 : "en décembre 2001, le premier ministre Ouattara dit à propos des élections présidentielles nous n’attendrons pas cinq ans" ou encore "je rendrai ce pays ingouvernable". Conclusion de Laurent Gbagbo : "Ce sont les citations du premier ministre et ça ne me plaît pas. (...) Des phrases de ce genre amènent l’instabilité, les coups d’Etat. Je le rends responsable de ce qui est arrivé depuis 1999."
Alassane Ouattara a répondu à Laurent Gbagbo sur ce point en citant également des propos de ce dernier à l’époque du coup d’Etat du général Guei ("le coup d’Etat est un coup de pouce salutaire à la démocratie"). Il a également souligné que le FPI avait soutenu la transition militaire du général Guei jusqu’au bout et rappelé que Laurent Gbagbo avait gagné les élections de 2000 alors que Henri Konan Bédié et lui étaient écartés. Mais il a ajouté ne pas vouloir s’apesantir sur le passé : "si on veut rentrer dans cette sauce, on va perdre du temps aux Ivoiriens".
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Economie : Gbagbo répond au plan à 12 000 milliards de Ouattara |

Par la suite les deux candidats ont évoqué différents thèmes, allant du type de régime politique qu’il fallait après le second tour, à la réforme de la justice dans le pays en passant par l’organisation administrative, la décentralisation, l'éducation, le chômage des jeunes...Laurent Gbagbo, pas vraiment attaqué sur son bilan par Alassane Ouattara, a mis en avant le fait que le pays se trouvait en situation de guerre pour justifier l'échec ou la non mise en place de certaines des réformes ou des promesses qui avaient été faites. De son côté Alassane Ouattara a fini par contrecarrer, assez tard dans le débat, l’argument selon lequel la guerre expliquait le mauvais bilan de la Côte d’Ivoire dans plusieurs secteurs comme l’économie.
Evoquant son programme économique (point sur lequel sa crédibilité est théoriquement supérieure à celle de Laurent Gbagbo), Alassane Ouattara a souligné que l’économie ivoirienne allait mal, et a déploré le fait que le budget du pays serve dans sa quasi-totalité à la consommation, et pas assez à l’investissement. Il a souligné qu’il entendait mettre sur pied un plan massif d’investissement de 12 000 milliards de fcfa sur cinq ans, qu'il voulait effectuer des allègements fiscaux en faveur des entreprises, encourager les entrepreneurs et créer un cadre spécial pour les Ivoiriens de l’extérieur désireux d’investir au pays.
Laurent Gbagbo, sachant que ce thème était le principal point fort de son concurrent, s’était manifestement très bien préparé : Il a rappelé que la guerre avait nui à l’économie ivoirienne, et souligné qu’il avait trouvé un endettement de 6700 milliards de francs cfa lorsqu’il a pris la tête de la Côte d’Ivoire. ("Des dettes qui n’étaient pas de mon fait" a-t-il pris le soin de préciser.) |

Il a également ajouté que le point d’achèvement, qui permettrait d’obtenir de la part des institutions financières internationales des ressources financières à hauteur de 500 milliards de cfa par an, serait atteint après le second tour des élections. Il a aussi évoqué un grand projet minier au sujet duquel la Guinée, le Liberia et La Côte d’Ivoire devraient s’entendre pour que l’exploitation puisse débuter. Il a enfin discuté des perspectives de l’agriculture ivoirienne (collaboration avec le Brésil, augmentation de la production de cacao etc).
Toujours un peu plus pugnace que son adversaire et soucieux de minimiser la perception selon laquelle Alassane Ouattara serait un meilleur président parceque meilleur dans le domaine économique, Laurent Gbagbo a astucieusement déclaré : "Tout à l’heure le premier ministre a dit qu’il était un bon économiste mais nous sommes dans une élection présidentielle. Les grands dirigeants de ce monde n’étaient pas économistes (...) y compris Houphouët Boigny dont se réclame M Ouattara qui était médecin. Diriger un Etat c’est avoir le sens de l’Etat et je suis frappé par le fait que nous prônions les mêmes mesures alors que lui est économiste et moi non".
En réponse à l’attaque de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara a utilisé une formule imagée en disant qu’il fallait un chirurgien, et non un simple médecin généraliste pour sortir la Côte d'Ivoire des problèmes économiques et a (enfin) répondu à l'argument de "guerre obstacle" de Laurent Gbagbo : Il faut que Laurent Gbagbo cesse de dire à ses gens de tout mettre sur le dos de la guerre ; ça fait quatre ans que l’accord de Ouagadougou a été signé..." Le candidat du RPHP a également réagi par la suite à l’appellation de "premier ministre", terme sous lequel le désignait Laurent Gbagbo depuis le début de la soirée en disant : "Les Ivoiriens doivent savoir qu’on se tutoie". |
Sortie de crise : Alassane Ouattara veut une commission ''Vérité et Réconciliation'' |

Réponse de Laurent Gbagbo : "Nous sommes dans un débat solennel et je veux lui conserver son caractère solennel (...) mais en sortant du débat, nous nous parlerons comme d’habitude". (Les deux candidats se sont effectivement salués fraternellement à la fin de la soirée NDLR). En réponse à l’importante question de savoir ce qui allait être fait par chaque candidat pour réconcilier les Ivoiriens, Alassane Ouattara a effectué une annonce surprise en évoquant la mise sur pied d’une commission "vérité et réconciliation" sur le modèle de ce qui s’était fait en Afrique du Sud :
"Il faut évacuer les accusations sans preuves, sans enquêtes. Je voudrais mettre en place une commission pour enquêter sur le coup d’Etat de 1999, afin qu’on sache qui en étaient les bénéficiaires. Savoir qui a financé la rébellion, qui l’a organisée, pourquoi il y a eu tant de dégâts, de souffrances, de tueries entre frères ivoiriens. Tous les corollaires seront également examinés comme l’assassinat de Boga Doudou, de Gueï (...) La commission Vérité et Réconciliation suivra un chronogramme pour savoir comment il faut agir au sujet des indemnisations éventuelles, de l’éventuelle loi d’amnistie...
Laurent Gbagbo de son côté avait évoqué (avant l’intervention d’Alassane Ouattara) la mise sur pied d’un forum de discussion entre citoyens, et rappelé les concessions faites à Pretoria, de même que la mise sur pied du dialogue direct, pour aboutir à la situation où des élections présidentielles peuvent se dérouler aujourd’hui dans la sérénité en Côte d’Ivoire.
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Gbagbo joue la transparence... |
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Des ivoiriens regardent le débat dans un ''maquis''
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getty |
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En fin de débat, le thème important de la corruption a été évoqué : Laurent Gbagbo a affirmé que son comportement passé montrait qu’il savait sévir quand il était informé d’actes de corruption. Il a ajouté qu’il avait été handicapé par le fait que certains ministres, entrés au gouvernement suite aux accords de paix, étaient en quelque sorte intouchables car leur éviction aurait provoqué des remous politiques. Mais il a fait valoir que la mise sur pied d’un audit de tous les ministères étaient à l’ordre du jour après le second tour des élections présidentielles.
Alassane Ouattara a pris le contre-pied de son adversaire en déclarant qu’il aurait sévi dans tous les cas. Parlant des revenus pétroliers, Laurent Gbagbo a souligné que c'est depuis l'avènement de l'ère Gbagbo qu'on parle publiquement des revenus du pétrole alors que le pétrole avait été découvert en Côte d’Ivoire dès 1977. Pour le président ivoirien, le fait que les institutions financières internationales renouent avec la Côte d’Ivoire montre que les revenus pétroliers sont bien gérés.
Laurent Gbagbo a également joué la transparence en disant qu’il n’avait qu’un seul compte bancaire et que sa seule source de revenus était le salaire qu’il se versait en tant que président (Alassane Ouattara n’a pas souligné que le président de la république gérait le budget de la présidence s'élévant à plusieurs dizaines de milliards de francs cfa qui s’ils ne constituent pas des revenus personnels lui donnent des moyens plus étendus que son simple salaire NDLR). Enfin critiquant certaines habitudes des régimes passés (habitudes aujourd’hui révolues selon lui) Laurent Gbagbo a déclaré : "Depuis que je suis président, on ne vient pas chez moi le soir avec des valises d'argent provenant de la douane, ou du trésor..." |
Fin du débat : une atmosphère détendue entre les deux candidats |

La partie du débat consacrée à la politique étrangère a porté essentiellement sur la situation des immigrés (26% de la population) en Côte d’Ivoire, mais n’a pas donné lieu à des annonces spectaculaires. Laurent Gbagbo se contentant de dire qu’il fallait envisager la suppression de la Carte de séjour et rappelant que la Côte d’Ivoire était liée par des accords signés avec des pays étrangers, tandis qu’Alassane Ouattara affirmait de son côté qu’il fallait "redonner de la dignité" aux étrangers présents dans le pays.
Au moment de la conclusion finale, les deux candidats ont échangé quelques plaisanteries, disant qu’ils s’appelleraient dès qu’ils connaitraient les résultats, et réitérant chacun l’engagement pris pendant le débat d’accepter le verdict des urnes, Alassane Ouattara promettant même de constituer un gouvernement d’union comprenant un ministre issu du PDCI et des ministres du FPI. Au final on peut donner un petit avantage à Laurent Gbagbo à l’issue du débat, car il n’a jamais été mis en difficulté par son adversaire, qui est le challenger.
Il s’est également montré un peu plus pugnace qu’Alassane Ouattara qui a parfois pris du temps pour lui répondre, à la manière d'un moteur diesel, et qui ne l'a pas assez critiqué sur son bilan. Si le débat fera certainement baisser la tension dans le pays au vu de la bonne entente qui semblait prévaloir entre les deux candidats, et s'il a donné une bonne image de la Côte d’Ivoire avec des candidats faisant preuve d’une grande maturité, il ne fera certainement pas pencher de façon décisive la balance en faveur de l’un ou l’autre. La clé de l’élection devrait être de savoir dans quelle mesure les consignes d’Henri Konan Bédié (qui a demandé à ses partisans de voter en faveur d’Alassane Ouattara) seront suivies. Rendez-vous pris pour le dimanche 28 novembre. |
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