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Bonjour Eugène Ebodé. Vous êtes écrivain, mais aussi ancien international junior du Cameroun. La Coupe du monde a démarré par une mauvaise surprise pour tous les supporters des lions indomptables qui ne s'attendaient pas à la défaite face au Japon...
Toute défaite est amère. Notons que sur le papier, le Cameroun est, selon le classement FIFA, la 19ème nation de football au monde tandis que le Japon pointe à la 45ème. C’est dire l’écart théorique qui séparait les deux équipes avant le coup d’envoi du match. Mais chaque rencontre livre sa vérité propre. Notons aussi que tout est question d’ambition et d’organisation.
Les Japonais, par la voix de leur entraîneur, ont assuré viser les demi-finales. Ils ont tiré des enseignements de leurs quatre participations consécutives aux rassemblements mondiaux ; ils ne veulent pas s’arrêter au stade des huitième s comme ce fut le cas en 2002 durant la première Coupe du monde que le japon et la Corée du Sud co-organisaient.
J’ignore quelle est l’ambition affichée par Paul Le Guen en dehors du vague « aller le plus loin possible ». Le Guen est un entraîneur respectable et un honnête homme. Mais son organisation de base, et notamment le choix de Mbia sur le flanc droit de la défense, m’a paru inopportun, absurde. Je l’ai écrit dans mon blog avant le match.
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L'organisation de base, et notamment le choix de Mbia sur le flanc droit de la défense, m’a paru inopportun, absurde |
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| Eugène Ebodé |
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Les lions indomptables à l'entraînement le mardi 15 juin
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Que pensez-vous justement de certains des choix de Paul Le Guen : le remplacement de Kameni par Souleymanou, le positionnement d'Eto'o comme ailier droit, la présence d'Alexandre Song sur le banc etc.
Un sélectionneur choisit, c’est incontestable. Sans vouloir refaire ni l’équipe ni le match, disons que les deux premiers noms cités posent problème. Le choix de Souleymanou ne me paraît pas relever de critères strictement sportifs. Certes, Carlos Idriss Kameni a affiché une relative baisse de forme ces derniers temps en équipe nationale. Cela tenait probablement à une usure physique et non à une chute durable de performance. Même le Grand Thomas (Nkono), du temps de sa splendeur, a connu ce type de situation.
Généralement, un tour sur le banc pendant des matches sans enjeu rebooste le joueur talentueux et Le gardien de l’Espagnol l’est. Sans être désobligeant à l’endroit de Souleymanou, je pense que la balance (et l’équipe du Cameroun doit pouvoir en trouver une) montrerait, je crois, qu’il a un peu abusé des macabos et des ignames. Il ne me paraît pas faire son poids de forme. Ceci me semble être un indice élémentaire, mon cher Watson. Deux ou trois kilos en trop et vous perdez votre assise, vos gestes deviennent chancelants et votre confiance friable. Non, Kameni n’a rien à faire sur un banc.
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Le choix de Souleymanou ne me paraît pas relever de critères strictement sportifs(...)Kameni n'a rien à faire sur un banc. Il faut qu'il reprenne sa place sur le terrain |
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| Eugène Ebodé |
Il faut qu’il reprenne sa place sur le terrain. Enfin, s’agissant du positionnement de Samuel Eto’o, on lui a compliqué la tâche. En le maintenant à droite, c’était faire pencher le jeu du Cameroun sur le flanc droit. Or, c’est dans l’axe qu’il convenait de placer le leader et le dépositaire du jeu des Lions Indomptables. Mettre Eto’o au centre aurait également rendu un fier service à Jean II Makoun qui est un joueur qui est aspiré vers le but et Eto’o lui aurait été très utile dans la verticalité du jeu camerounais.
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Titularisé face au Japon, Souleymanou n'a pas convaincu
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En choisissant le système qu’on a vu contre les teigneux japonais, l’horizontalité n’a pas servi les desseins de Le Guen. C’était s’emmêler les crampons et ne pas profiter des fautes qu’auraient commises les Japonais dans l’axe si Samuel Eto’o y avait été positionné. C’est l’option de ralentissement, du « wait and see » et non la formule de l’accélération des particules que l’entraîneur a imposée à son équipe. Repétons que cette dernière n’est utilisable que lorsqu’Eto’o joue en pointe et non quand il est exilé dans un rôle de faux ailier. A son crédit, on l’a vu enrhumer deux défenseurs japonais et donner un ballon de but que le jeune Choupo n’a pas su convenablement enrouler.
Choupo Moting et Matip sont des jeunes prometteurs, mais ne sont-ils pas un peu tendres pour une compétition comme la coupe du monde ?
Non, ils ont besoin de sentir la pression qui permet de grandir plus vite. La vitesse ou la mort ! Ce sont les événements et la manière dont on les aborde qui vous élève, vous fait entrer dans l’histoire ou vous tient en dehors d’elle. Ces jeunes ont du talent. Ils savent que le prochain match est quasiment celui de la dernière chance. Je pense que la constitution d’une authentique colonne vertébrale passant par Kameni, Mbia, Makoun, Eto’o sera un choix structurant fondamental.
Il n’y a plus guère de temps pour des essais, il faut redonner une philosophie de jeu directe à l’équipe. Elle doit être fondée sur l’alimentation de Samuel Eto’o en ballons exploitables. Il faut cesser de tourner autour du pot : le leader c’est Eto’o. Le mettre dans de bonnes conditions est déterminant. C’est du reste ce que j’ai suggéré en répondant, dans mon blog, à notre « Danseur de Makossa National », Roger Milla, suite à la polémique qu’il a soulevée.
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Paul Le Guen donnant des consignes à son capitaine Samuel Eto'o lors de Cameroun Japon
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Le Cameroun a paru assez attentiste en première mi-temps jouant sur une sorte de faux rythme que vous qualifiez de « tempo indolent » qui n'a jamais créé de danger pour les japonais. Comment cela s'explique t-il selon vous ?
Nous n’avons pas encore suffisamment ouvert les yeux sur les évolutions du football et sur le fait que la vitesse, la réactivité, est aujourd’hui un facteur capital dans la circulation des idées et des marchandises. Vous me feriez observer que les fables sont de solides remparts contre les précipitations et me sortiriez donc celle de La Fontaine : le lièvre et la tortue. Si rien ne sert en effet de courir, il faut évidemment partir à point. Mais partir tout de même !...
L’indolence que je déplore masque le doute sur la philosophie de jeu et le secteur défensif. Souvenez-vous que le Cameroun a pris quatre buts en match de préparation contre la Serbie. Par ailleurs, une certaine polémique a émietté la concentration et fragilisé les plans de jeu à établir dans un contexte houleux. Temporiser, c’est se mutiler. Regardez donc tout le temps perdu par le temporisateur en chef qu’est Paul Biya ! On peut dire qu’en première mi-temps, le Cameroun a joué à son image ! Où est donc le ministre Zoa pour rappeler que c’est à l’entraîneur que les clefs de l’équipe ont été confiées et non à un joueur comme le crie le peuple si prompt à brûler ses idoles.
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Le Cameroun ne devrait t-il pas précisément construire son équipe autour de son meilleur joueur, Samuel Eto'o ?
Oui, Quand on a un Samuel Eto’o devant et des garçons comme Choupo, Webo, il vaut mieux ne pas musarder en chemin et attaquer le match tambour battant. Le redoublement de passes latérales dans le camp des Lions Indomptables arrangeait l’adversaire nippon qui en souriait. C’est la politique du nain qui ne veut pas monter sur les épaules des géants. Le philosophe Paul Virilio, dans son livre Vitesse et politique, consacre un chapitre, à l’intitulé un peu ébouriffant, sur "l’arraisonnement des véhicules métaboliques". Il y reprend un commandement du Roi de Prusse Frédéric II lancé à ses troupes, commandement qu’il conviendrait d’ordonner aux Lions Indomptables : "Ne raisonnez pas !" J’allais dire : "Ne raisonnez plus, jouez pour Eto’o !"
Après une défaite face à l'adversaire considéré comme le plus abordable du groupe, y a t-il encore espoir ? Quels changements faudrait t-il effectuer pour que le Cameroun se reprenne face au Danemark ?
L’obligation est de marquer des buts. Or, les équipes francophones ou influencées par un jeu stéréotypé à la française marquent le pas et ne marquent pas de but. C’est le musicien Zao qui devrait demander des droits d’auteur au regard des prestations des Lions Indomptables, des Fennecs et des Eléphants. Aucune de ces formations n’a encore, comme l’équipe de France, du reste, scoré. Je crains que les équipes africaines aient donc montré combien une certaine méta-politique continuait à tétaniser les initiatives et à agir dans les esprits.
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Benoît Assou Ekotto et Alexandre Song
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Il faut secouer le vieux moule, sortir de la logique des Ancien combattants (pour ne plus "marquer le pas, un deux, ancien combattant...") moquée par le musicien congolais Zao. Ce qu’il faut reprendre et chantonner, c’est « Indépendance Cha cha cha », le tube de Grand Kallé… Alors, vous verrez que les Camerounais pourront de nouveau danser le Mangambeu et la rumba autour des poteaux de corner.
Sur le plus long terme, le Cameroun ne devrait t-il pas travailler davantage à la détection de joueurs créatifs qui manquent cruellement dans son effectif ? Ce pays peut-il se contenter "d'exporter" des milieux récupérateurs et des défenseurs grands et costauds pour satisfaire les clubs professionnels ?
C’est absolument indispensable. La question est plus globale et concerne le statut du créateur en Afrique, je veux dire de l’artiste. La logique footballistique actuelle formate le jeu. Regardez le Brésil de Dunga. Rabotée, sa culture stylistique. Fustigés, ses créatifs. Où est Ronaldinho ? Kaka a l’air perdu dans cette formation car écrasé par ses pépins physiques et par la logique de l’efficacité immédiate. Au fond, c’est la rentabilité et la logique du cash flow qui tue la créativité. Le Cameroun est dans cette seringue absurde qui diffuse dans les neurones et dans le monde globalisé les principes du retour rapide sur investissement.
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La logique footballistique actuelle formate le jeu. Regardez le Brésil de Dunga. Rabotée, sa culture stylistique. Fustigés, ses créatifs. Où est Ronaldinho ? Kaka a l’air perdu dans cette formation car écrasé par ses pépins physiques et par la logique de l’efficacité immédiate |
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| Eugene Ebodé |
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Le Cameroun manque cruellement de joueurs créatifs comme Théophile Abega
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Célestin Monga ou Jean-Claude Tchatchouang expliqueraient ceci avec davantage de pertinence que je ne puis le faire. « Time is money » ! Les joueurs créatifs ont une autre sensibilité et une autre approche. Même Messi, dans une équipe d’Argentine dirigée par Maradona, ne s’exprimait pas complètement à son aise. Les créatifs vivent une période difficile. Partout. Oui, la vitesse a ses avantages et ses inconvénients.
En matière de formation des jeunes, il faut réellement un plan d’urgence pour l’éclosion des numéros 10. Ils deviennent rares, car « informatables » et on fait montre de peu de patience à leur égard. Si le Cameroun n’a pas l’équivalent d’un Zidane, rappelons que ce pays a eu Emmanuel Mvé "Le penseur", Jean-Louis Mama, un meneur de jeu techniquement extraordinaire mais malheureusement limité sur le plan physique.
Il a d’ailleurs terminé sa carrière au Racing club de France, dans les années quatre-vingts. L’équipe du Cameroun a également été conduite par le brillant Théophile Abéga « Docteur ». je citerai aussi Louis-Paul Mfédé avec lequel j’ai joué en sélection Juniors. Il y était meneur de jeu avant d’être positionné à l’aile gauche dans l’équipe du Stade rennais, en France. Les créatifs et les artistes sont à replacer dans le combat contre l’uniformisation à marche forcée du monde. Nous avons à veiller à la diversité des talents et des imaginaires dans les stades, dans les musées, dans les bibliothèques et dans la vie quotidienne pour renforcer la capacité d’enchantement de nos existences.
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