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Extrait : “Oui, Biya devrait faire ainsi avec tous les opposants-là qui se cachent à l’étranger, dit un homme sérieux. Ainsi au moins les Parisiens-là cesseraient d’aboyer”, souligna son voisin.
Un autre client de mon maître dit: “Et tu crois que s’ils reviennent ici on pourra les faire taire?”
- Du moins s’ils reviennent ici, ils vont servir à quelque chose. Au lieu de passer leur temps à critiquer, ils vont construire le pays avec nous.
La voix de Panthère dit: “Mbe ke di? Ou mbe ke di? C’est vous qui construisez le Cameroun assis derrière votre jobajo, non?” (La Jobajo est une marque de bière très populaire au Cameroun NDLR)
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Dans l’espace africain francophone, plusieurs courants littéraires se sont cotoyés par le passé, autant au niveau du fond que celui de la forme. En ce qui concerne la forme en particulier, certains auteurs comme Cheikh Hamidou Kane, Mariama Bâ ou Camara Laye ont decidé de s’exprimer dans un français des plus classiques, précis et très depuré; D’autres comme Mongo Beti et Sony Labou Tansi ont choisi une plume plus exhubérante; et enfin certains auteurs ont choisi la voie suivie par Ahmadou Kourouma et (parfois) Henri Lopès, qui est celle d’un français correct mais obéissant souvent à des structures grammaticales et narratives africaines.
Le livre de Patrice Nganang est une rupture presque totale avec les schémas sus-cités, et disons le très clairement dès le départ, il est de ces livres qui créent le précédent, et de ceux qui deviennent des références et donnent naissance à de nouveaux courants littéraires.
Celui qui nous décrira ce temps de chien est justement un chien. C’est un chien qui a un nom, Mboudjak (“La main qui cherche”), et qui a un maître, Massa Yo. Avoir un nom et un maître est un luxe pour un chien de Yaoundé, cela n’a rien de banal. Et encore moins banal est le fait que Mboudjak est un chien qui pense, un chien qui s’auto-définit comme chien penseur, comme un chien humaniste, comme un chien scientifique qui analyse et décrypte le monde qui se résume plus ou moins pour lui aux alentours du bar de son Maître, “Le client est Roi”.
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Quand j’écris, je me place du point de vue de la liberté totale, celle de la feuille blanche, mais aussi celle des villes africaines où on urine sur les murs des commissariats et où, dans le même temps, meurent des innocents. Je me place donc dans leur commerce intime avec la démocratie où tout est possible. Les contes citadins prennent cette philosophie du quotidien au sérieux, et en font des principes autant esthétiques que de narration. Voilà pourquoi il faut les lire toujours à plusieurs niveaux, et allez plus loin que la langue écrite qui filtre toujours celle des rues |
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Patrice Nganang |
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Même si les chiens errants du quartier le traitent de “chien capitaliste” et de “chien bourgeois aliéné de sa canitude”, il n’en est pas moins soumis à la dure vie des chiens du tiers-monde qui est de passer de leur statut naturel de carnivore à celui d’omnivore, quand ce n’est à celui de détrituvore. Mais Mboudjak n’en cogite pas moins, à l’image de son alter-ego français Kador, le chien freudo-kantien créé par Charles Binet.
Grâce donc à Mboudjak, on commence par faire connaissance avec ceux qui ont leurs habitudes chez “le Client est Roi”: Entre autres, la Panthère “Nzui Manto”, vieil homme un peu poète et surtout très affabulateur, qui finit toujours par boire à l’oeil en échange de ses histoires à dormir debout; Docta, ingénieur galant et savant mais au chômage; Le très mystérieux Corbeau, toujours en train de prendre des notes dans son petit carnet; et le vendeur de cigarettes, bien sûr, car qui a déjà vu un bar, un vrai bar de Yaoundé sans un vendeur de cigarettes au-devant?
Tous, invariablement présents du matin au soir, refont le monde en buvant de la bière, en jouant au ludo ou au jeu de dames, en regardant le va-et-vient (et le postérieur) des “petites” du quartier qui montent et qui descendent. |

Mais aussi chez “Le client est Roi”, on parle de tout et de rien pour tuer le temps. En vrac: des voleurs de “bangalas” qui circulent dans la ville, des “Mamis-Ndolè” qui servent de la chair humaine dans leurs restaurants, des Lions Indomptables qui ne gagnent plus leurs matches; de “Mbiya” qui pille le pays; et aussi de ces opposants “biafrais” qui protestent en multipliant des manifestations (mais là Massa Yo coupe toujours court: "Je ne veux pas de politique dans mon bar-o !"). Bref, des discussions typiques de bars, dont les conclusions sont d’ailleurs toujours les mêmes: "Le Cameroun, c’est le Cameroun", "Bia boya alors?", "N’est-ce pas c’est eux qui tiennent le pays?", et enfin "Allez dire: Le Cameroun se porte bien!".
L’approche adoptée par Patrice Nganang en littérature est celle de la création d’oeuvres modernes et contemporaines, extrêmement innovatrices dans la forme, mais fidèles à image de l’Afrique d’aujourd’hui, celle dans laquelle des centaines de millions d’hommes et femmes vivent au quotidien.
Car à travers les rues des quartiers Madagascar, Mokolo ou Nlongkak à Yaoundé, au détour de ces innombrables discussions, fait-divers et légendes urbaines qui naissent dans ce micro-univers que représente “Le Client est Roi”, c’est toute l’Afrique du début des années 90 qui est passée au scanner, cette époque oú le fameux vent de l’est poussait le peuple à revendiquer plus de pain et plus de liberté. |

L’oeuvre est aussi une analyse sociologique fine -merci, Mboudjak- de cette suite logique qui commence par l’inactivité, mène à l’oisiveté, puis à la paresse, cette suite logique qui a signifié l’écroulement du tissu économique et social en milieu urbain, et la naissance du bien nommé "état contemplatif" chez certains africains.
Et enfin, c’est pour qui saura l’entrevoir un appel sourd à un transcendement de la réalité, surtout lorsqu’elle est difficile. Car comme le dit la Panthère, "La vie est invivable si elle n’est pas réinventée. Regarde cette journée qui passe, regarde cette route qui s’en va se perdre au loin, regarde la vie qui ne s’arrête pas. "À me ben tchùp... Regarde comment le jour est laid. Embellis-le avec ton imagination !" |

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