
Cela ne passe pas précisément inaperçu, ces jours-ci. Vendredi 30 main, la justice française a décidé qu'un homme pouvait obtenir l'annulation de son mariage sous prétexte que la mariée n'était pas vierge au moment de formaliser l'union. Ce verdict a enflammé les classes politique et médiatique.
Le couple – qui a jusqu'à maintenant conservé son anonymat – s'est marié en juillet 2006. L'époux, la trentaine, s'est aperçu que sa femme n'était plus vierge, et a porté l'affaire en justice. Basant sa demande sur l'article 180 du Code civil, il a argué qu'un mariage pouvait être annulé à la demande de l'un des conjoints s'il y avait eu erreur sur les « qualités essentielles » de l'autre. Vendredi dernier, le tribunal de grande instance de Lille a conclu que l'homme s'était engagé « sous l'emprise d'une erreur objective », la mariée ayant reconnu avoir menti sur sa virginité. « Dans notre cas, le tribunal a estimé que la virginité était une qualité essentielle parce que les deux époux en avaient convenu ensemble avant », a expliqué l'avocat du mari, Pascal Labbé, en insistant sur la nécessité de ne pas donner à ce dossier « une connotation religieuse qu'il n'a pas ».
Tollé général
Le jugement a provoqué un tollé général dans les hautes sphères de la politique française. Fadela Amara, secrétaire d'État à la politique de la Ville, a été outrée : « C'est un véritable scandale, une vrai fatwa contre l'émancipation des femmes. J'ai cru que l'on parlait d'un verdict rendu à Kandahar ». Sa collègue à la Santé, Roselyne Bachelot, s'est dite « absolument scandalisée », et a évoqué la nécessité de « réfléchir à la façon que ça ne se reproduise plus ». Sihem Abchi, la présidente de Ni Putes Ni Soumises, a résumé la stupéfaction des associations féministes : « Nous sommes trahies par notre propre justice, qui instaure une véritable fatwa contre la liberté des femmes », a-t-elle martelé. La sage Elizabeth Badinter a déclaré qu'une telle prise de position aboutissait simplement à « faire courir nombre de jeunes femmes musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l'hymen ».
Une fois n'est pas coutume, l'UMP et le Parti socialiste sont tombés d'accord, le premier dénonçant un jugement qui revient à « intégrer la pratique de la répudiation dans le droit », tandis que le second a mentionné une décision « atterrante ». C'est le mot.
Bref. Une décision qui n'a pas fait l'unanimité. Et pourtant, la ministre de la justice Rachida Dati, seule contre tous, a réservé un accueil plus modéré au jugement. « Le fait d’annuler un mariage est aussi un moyen de protéger la personne […] parce que je pense que cette jeune fille […] a souhaité également, sans doute, se séparer assez rapidement », avait-elle indiqué. Bon, elle a quand même changé d'avis, puisqu'elle a répondu aux demandes formulées vendredi jusqu'au sein même de l'UMP de déclencher un recours et a demandé lundi 2 juin au parquet de Douai d’interjeter appel de la décision. Guillaume Didier, le porte-parole de la chancellerie, a nuancé ce revirement : « la ministre a voulu prendre en compte le vif débat de société suscité par cette décision. Des gens ont été choqués. Dans ce contexte, il est important que la juridiction collégiale d’appel puisse à nouveau se prononcer ».
La faute des socialistes
Quelle que soit la raison de ce revirement, elle n'a pas empêché la ministre d'accuser, mardi 3 juin, les socialistes d'être indirectement responsables du jugement du tribunal de Lille. En substance, cela donne : le tribunal de grande instance a annulé un mariage parce que l'épouse avait menti sur sa virginité, du fait de « l'échec » de la politique d'intégration de la gauche qui a conduit à un « repli communautaire ». « Vous avez abandonné un nombre de jeunes filles dans les quartiers difficiles entre les mains des grands frères », a-t-elle lancé pendant la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. « Votre politique d'intégration a été un échec. Nous payons aujourd'hui pour ces filles ». « À défaut de votre soutien, elles ont trouvé la justice. La justice les a aidées, elle leur a permis d'être libres, indépendantes », a poursuivi Rachida Dati sous les huées des députés socialistes, ulcérés.
La ministre de la Justice a justifié sa décision de faire appel. « Nous sommes tous d'accord: il n'est pas question d'admettre la procédure en nullité pour le seul motif de la non-virginité. Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur l'interprétation de la loi ». Ainsi, bien que les deux principaux concernés aient souhaité en rester là, il y aura un second procès.
Beaucoup d'encre pour rien
Face à toute cette agitation de la classe politique, les juristes sont plus pragmatiques. Xavier de la Chaise, avocat spécialisé de Paris, a ainsi précisé que les « qualités essentielles » évoquées dans l'article 180 du Code civil sont subjectives et basées sur la perception de la personne qui présente la requête en annulation du mariage. De ce fait, il n'était pas nécessaire de faire couler autant d'encre. « Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il n'est pas reproché à cette femme de ne plus être vierge, mais de ne pas l'avoir dit. A partir du moment où elle le savait, que le mari peut apporter la preuve qu'il ne l'aurait pas épousée si elle le lui avait dit, tout cela soumis à l'appréciation du tribunal, cette jurisprudence n'a absolument rien d'extravagant », a-t-il résonné. « Personne ne s'insurge quand sont prononcées des annulations de mariage pour impuissance alors que la femme tenait absolument à fonder un foyer ou lorsqu'un des conjoints a caché qu'il s'était prostitué ». « Cette affaire est avant tout une instrumentalisation politique », a-t-il conclu. |