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Bonjour Pierre Pom. Pouvez-vous nous dire où vous avez fait vos études ?
Je suis un "vrai faux" camerounais-français, né au Gabon de parents bassa’ a qui ont émigré au Gabon dans les années 57. Nous sommes une famille de dix enfants dont huit nés à Libreville. J’ai fait toutes mes études primaires et secondaires et mon début d’université à Libreville. J’ai été au lycée Léon Mba, puis à l’université Omar Bongo d’où j’ai été exclu malheureusement en 81, à la suite d’un conflit assez dur entre le Cameroun et le Gabon. J’ai dû quitter le Gabon et l’enseignement universitaire africain malgré moi.
Comment se passe votre arrivée en Europe ?
Il faut dire que j’avais été "sauvé" par mon beau-frère qui est gabonais, qui voyant que j’étais désoeuvré à Libreville m’a demandé de le rejoindre en Tunisie où j’ai commencé par faire médecine car mon père voulait que je fasse médecine. Mais en Tunisie, il y a eu une grève du blé, puis un soulèvement de la population bref la situation politique était instable. En 84, je quitte la Tunisie pour la France accueilli par une de mes sœurs.
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Etre senior manager implique trois types de responsabilité : production, business developpement et management des consultants |
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Pierre Pom |
Durant ces soulèvements populaires, le conseiller culturel français que je suis allé voir au consulat de France en Tunisie m’a dit que je ne pouvais pas faire médecine en France à cause du numérus clausus. Finalement il restait la psychologie comme point de chute. Je me suis dit que la psychologie était aussi une façon de "s’occuper" des gens. J’arrive à Paris V René Descartes en 84, et j’ai fait psycho jusqu’en maîtrise. Point important : Durant ces quatre années d’études, j’ai déposé chaque année une demande de bourse camerounaise sans succès et sans justifications. Ma situation économique et mes résultats universitaires le permettaient pourtant. |
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Ensuite je suis allé faire à Paris I un DESS en ressources humaines. En fait dans ma maîtrise il y avait deux certificats, un certificat d’économie et un certificat de psychologie sociale. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet : lors de l’entretien concours du DESS, un ancien dirigeant d’Axa me pose clairement la question de savoir si je compte travailler dans les Ressources Humaines en France car "ce sera impossible pour moi" vu que le racisme existe. Je lui ai dit que je ne savais pas si je retournerais tout de suite en Afrique, réponse naïve vu que je n’étais pas complètement au fait du fonctionnement de la société française...
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Lors d'un entretien pour entrer en Dess, un dirigeant m'a dit que ce serait impossible pour moi de travailler dans les ressources humaines en France puisque j'étais africain |
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Pierre Pom |
En maîtrise vous aviez commencé une "petite aventure..."
L’association Africaine de lutte contre la piraterie est en effet lancée pendant ma maîtrise, et j’y suis très actif pendant une à deux années pour monter la structure. Dans l’attente de subvention, la situation est un peu difficile et c’est comme ça que je me décide à travailler et que je rentre au sein de la société IPC.
Y êtes-vous rentré facilement ? Sachant que ce n’était pas évident pour quelqu’un d’origine africaine de postuler à des postes en ressources humaines...
Il y a des rencontres et peut-être la chance, plus le fait que des personnes peuvent vous avoir vu à l’œuvre et savoir ce que vous valez. Lors de mon cursus DESS, j’avais un intervenant extérieur qui était en même temps directeur financier chez IPC, qui m’avait proposé un stage. J’ai fait mon stage de DESS là-bas et lorsqu’il y a eu l’opportunité de créer un poste au sein de la direction des ressources humaines il a fait appel à moi. Je ne sais pas si j’aurais pu rentrer autrement, mais c’est comme ça que j’y suis rentré (rires). |
De votre passage chez IPC qu’est ce qui vous a marqué pendant ces huit années ?
C’était un groupe international d’origine asiatique, les gens avaient un profil ouvert, il y avait beaucoup d’échanges avec l’Asie. On fonctionnait énormément sur le mode projet, notamment au niveau des ressources humaines, surtout au cours des cinq premières années. Après les choses sont devenues plus délicates et l’entreprise a fini par être rachetée par Zenith Data System, une filiale de Bull.
Le "mariage" s’est mal passé pour moi puisque dans la réorganisation entre les deux entreprises, le directeur financier grâce auquel j’étais rentré chez IPC n’est pas resté, on a coupé la branche et les "feuilles" sont parties avec...
Ce qui ne me gênait pas trop lors de ce départ, c’est que l’association que nous avions créée avait pris du poil de la bête. Dans les années Mitterrand, le contexte était favorable : Jack Lang nous a permis de lancer l’association, puis nous avons eu des locaux qui nous ont permis de travailler...
Avant de rejoindre Bureau Van Dijk, j’ai travaillé sur la privatisation de France Télécom et d'Air France en deux contrats à durée déterminée. Je gérais une équipe de quarante personnes, et à ce moment là, quelqu’un m’a parlé de SAP en me disant que c’était un créneau porteur. Pour sortir de ces deux CDD, je n’ai plus souhaité continuer dans la gestion des ressources humaines pures car c’est quelque chose de très sensible "politiquement". Je me suis lancé dans les SIRH et en particulier SAP ressources humaines. J’ai suivi une formation de deux mois et j’ai été recruté une semaine après le début de la formation par "Bureau Van Dijk". La branche française de Bureau Van Dijk a pris un gros coup d’arrêt après le 11 septembre 2004. Les actionnaires belges ont décidé d’arrêter et les 150 consultants ont été remerciés. Ils se sont recasés sans difficultés car SAP était porteur. |
Quelles étaient vos attributions chez Bureau Van Dijk ?
J’étais consultant junior sur le produit mais senior fonctionnellement car je connaissais le métier. J’ai débuté Axa avec Andersen consulting pour une étude de cadrage. J’ai ensuite fait une mission dans une société du secteur pharmaceutique en "full implémentation" (on passe en revue toutes les phases d’un projet).
Lors du passage à l’an 2000, je travaillais sur un projet où le chef de projet est tombé malade et j’ai dû le remplacer. C’est comme ça que je suis passé en management de projet, puis je suis devenu directeur de mission pour des sociétés comme Inergy ou encore pharmacie holding basée à Rouen. J’ai aussi travaillé sur des dossiers d’autres secteurs.
Quelles responsabilités occupez-vous actuellement chez Atos Origin ?
J’y suis actuellement senior manager, ce qui présuppose trois types de responsabilité :
-La production (staffing : je suis facturé chez le client, ce qui représente 70% de l’activité). Je me staffe en tant que directeur de projet, par exemple sur le projet FreshField, j’ai passé huit mois à Londres.
Je me staffe en tant qu’expert, sur les problématiques RH, à l’université catholique de Louvain- en Belgique par exemple. J’ai donné des cours sur SAP et j’ai assisté la direction de projet SAP de l’Unesco.
Ensuite il y a le business développement. Quand on est sur un compte, il faut perpétuer la relation et trouver des opportunités d’affaires.
Troisième activité : le management, s’occuper de la vingtaine de consultants, évaluation, suivi de carrière, recrutement, en lien avec la DRH. |
Avez-vous rencontré des difficultés particulières au cours de votre carrière liées au fait que vous soyez noir ?
Oui bien sûr. Je ne veux pas trop m’arrêter sur ce genre de détails. Ce que je dirais en parlant d’un livre qui s’appelle "black blanc beur", dont j’ai entendu parler sur la chaîne du câble "Demain", c’est que quand on interroge des responsables politiques, des directions générales d’entreprises...pour savoir quelle est leur position vis-à-vis des minorités, le constat est terrifiant. On est toujours dans des perceptions du type "s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont été favorisés etc..."
Dans mon entreprise, Mon manager m’a avoué que beaucoup étaient "contre le fait que je sois là". Par pur racisme. Il m’est arrivé d’aller chez des confrères, et d’attendre avec mes consultants qui font partie de mon équipe. On se tourne naturellement vers les autres. Il m’est arrivé d’être dans une salle d’attente, et on n’imagine pas que M. Pom ça puisse être moi. Maintenant il ne faut pas s’arrêter dessus car le bilan est quand même positif.
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Lors de mes travaux en tant que Parrain à l'Afip, j'ai été frappé par le niveau de sous-estimation auquel étaient arrivés bon nombre de jeunes qui ne croyaient plus en eux |
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Pierre Pom |
Entre aujourd'hui et les années 80, percevez vous une différence ?
Clairement même si la France qui est constituée de différences a du mal à faire cohabiter ces différences, à les faire vivre ensemble. Il y a un problème en ce qui concerne le "vivre ensemble". Partant de là, ça se ressent sur les entreprises, les institutions, dans les comportements...D’où l’importance d’initiatives comme la charte de la diversité et surtout la réalisation de cette diversité au delà des intentions et des grands principes. |
Si vous aviez des conseils à donner à de plus jeunes voulant travailler dans les RH ou dans le conseil ?
C’est une question qui pour moi est fondamentale. J’ai des enfants, des frères, et ce que je fais aujourd’hui c’est aussi en pensant à eux. Voilà pourquoi je suis par exemple parrain chez l’AFIP, depuis le début. Il m’est arrivé d’embaucher des personnes venant de l’AFIP.
J’avais adhéré au constat de Carole Da Silva et aux possibilités de solutions qu’elle proposait, essentiellement le parrainage. Ça permet de donner aux gens qui n’ont pas, pour utiliser un terme à la mode, les "bons codes sociaux" ou la bonne information, la possibilité de s’insérer dans l’entreprise, et d'acquérir la confiance et le comportement qu’il faut pour pouvoir aborder le marché de l’emploi. Au sein d’Atos, je suis aussi un maître d’apprentissage, puisque nous avons des accords avec universités qui nous envoient des apprentis.
Pour en revenir aux conseils, j'en aurais cinq à donner :
-Il faut aller jusqu’au bout de ce qu’on entreprend
-Travailler tant et autant qu’on peut
-Ne pas se raconter d’histoire et rester soi même le plus possible
-Ne jamais avoir peur mais être respectueux
-Poser des questions, écouter, et dire l’essentiel |
Y a-t-il quelque chose qui vous a marqué lors de votre pratique en tant que parrain au sein de l’AFIP ?
Oui c’était le niveau de sous-estimation auquel étaient arrivés ces jeunes qui ne croyaient plus du tout en eux. Lorsqu’on préparait les entretiens, la réfection des CV, il y avait beaucoup de comportements qui renvoyaient à un manque de confiance. Au bout de deux à trois séances, la personne se rendait compte qu’elle n’avait aucune raison de se sous-estimer. Ça participe de ce que disait M. Yazid Sabeg, à savoir qu’il y a un pan de la société qui est mis de côté. Ghettoïsé...et cela se traduit par ça. Des gens qui ont toujours été de "l’autre côté du périph" comme on dit et ne savent pas qu’il y a autre chose au-delà. Cette situation va fatalement faire du tort à la France.
Vous êtes également maire adjoint de la commune de Granges le Roi...qu’est ce qui vous a poussé à être actif dans ce domaine ?
Je suis quelqu’un qui aime être occupé, et j’aime avoir une maîtrise de la situation dans les environnements dans lesquels je me trouve. Il faut être là où les choses se passent (organisations, associations etc.). En discutant avec les gens, et en me créant des relations, j’ai pu intégrer une liste qui a été élue et c’est ainsi que je me suis retrouvé conseiller municipal. |
Quelles sont vos attributions en tant que Maire adjoint ?
Je suis en charge du développement économique, des relations avec les associations, de la jeunesse...et de ce qu’on appelle l’intervillage. Je ne suis pas seul, j’anime une équipe de sept conseillers municipaux et nous nous répartissons les taches. Je suis titulaire au sein de la commission qu’on appelle communauté des communes, qui regroupe sept communes.
Parallèlement je m’occupe aussi de la vie associative qui est très importante dans notre commune. Par ailleurs, je suis aussi élu délégué UMP de la troisième circonscription de l’Essonne mais je précise que cela ne m’a pas servi pour devenir maire adjoint. Au contraire !
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Il est important pour les 'Negres' (référence à Aimé Césaire) d'être présents là où les choses se passent, donc il faut être présent en politique |
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Pierre Pom |
Pensez-vous qu’il est important de s’engager en politique ?
Aimé Césaire disait que la meilleure façon de faire les choses était de les faire soi même. En ce qui concerne les Nègres (terme que j’utilise en référence à Césaire), la question se pose avec beaucoup plus d’acuité. Ils considèrent qu’ils ont des problèmes, peut-être plus que les autres, à tort ou à raison. Mais tout le monde en a...Par rapport à cela je pense à une phrase de Rama Yade qui disait qu’il est important d’être là où les choses se passent. Pour pouvoir participer à les réaliser, à résoudre les problèmes soi même. En France, pays de lois, les choses se décident très souvent en politique, et c’est ce qui m’a poussé à entrer en politique. |
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Une vue de Granges le Roi
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Que pensez-vous de la situation des Noirs en France ?
Je préfère le terme NEGRES plus représentatif. La France est malade de sa démocratie, par conséquent les différences ne sont pas mises en valeur. Il est sain et normal que les nègres s’expriment, et encore mieux, agissent pour trouver leur juste place dans le pays. C’est ce que font, avec du positif et du négatif, toutes ces associations et autres personnalités nègres plus ou moins connues ici. Il faut agir pour la France, et non pour telle ou telle catégorie sociale dans le sens où en France on sait qu’il y a des castes, et on sait que chacun agit pour soi sauf que personne ne le dit.
Agir pour la nation doit être encore plus vrai dans le cas des nègres qui ont des valeurs de fraternité à proposer dans ce pays. Mais pour moi, la situation du nègre (qu’il soit africain, français, Anglais, Belge, Suisse, Canadien, Américain, Brésilien ou même Chinois demain etc.) dépend d’abord de comment il se positionne -et non les autres- et construit sa situation de nègre parmi toutes les autres situations de non nègres. Et tout l’enjeu dans ce positionnement c’est de prendre le bon train et ce n’est pas gagné dirait Audrey Pulvar. |
C'est-à-dire ?
Nous sommes un petit groupe à travailler sur cette question de méthode et de positionnement, et nous sommes partis d’un concept qui s’appelle LIBAG et qui est en fait une méthode d’organisation que nous construisons. Ce concept qui signifie à peu près "l’état profond de quelqu’un" en langue basaa du Cameroun, ce qui fait que cette personne a une valeur unique, renvoie au fait qu’il faut arriver à concrétiser et à réaliser la négritude, la traduire dans des actions et projets concrets. La négritude qui a une puissance conceptuelle essentielle est restée pour la masse nègre ordinaire, me semble t-il, trop théorique, peu palpable et donc inaccessible et peu fédératrice.
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Quel serait le regard des autres sur nous si l'Afrique était un continent 'bien comme il faut' ? |
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Pierre Pom |
Pierre Aliker, très proche d’Aimé Césaire parle du "rendez-vous du Nègre avec lui-même". C’est très juste. Il est temps que ce rendez-vous se fasse et la méthode LIBAG est une approche pour structurer ce "rendez-vous". La question qui se pose c’est "comment"? Notre hypothèse de travail est simple : Tant que les Nègres hors Afrique, qu’ils se nomment dupont, doudou, Jackson, capoera, amigo ou Mamadou ; qu’ils luttent là ou ils vivent pour leur travail, des droits, d’autres idées ou d’autres combats légitimes ;
tant que ces nègres là ne se connectent pas avec l’Afrique, les questions qu’ils traitent aujourd’hui en France ou ailleurs ne seront abordées que de façon "sucrée salée", c'est-à-dire opportuniste, temporaire, bountyste, symbolique avec toujours en arrière-fond une crise identitaire. La libagisation ou connection est une démarche d’abord individuelle avant d’être collective, et nous pensons que tant que la question de l'Afrique ne sera pas abordée par les Nègres du monde, ils auront du mal à s’épanouir là où ils vivent. |
Selon vous le continent africain ne peut donc être exclu de cette réflexion...
C’est la clé ! Souvent quand je vois des nègres s’époumoner à la télévision, faire des manifestations de revendication, comparer leurs égos etc. je me demande pourquoi ils ne concentrent pas d’abord ces forces gaspillées sur le développement de l’Afrique et donc sur eux-mêmes en tant qu’africains aussi. Quel serait le regard de ces nègres sur eux-mêmes et sur les autres si l’Afrique était un continent "bien comme il faut" ? Auraient-ils tant que ça besoin d’être visibles ou reconnus ? A chacun de méditer.
Pour voir une application de la négritude de la negritude sur le site de
Libag : www.libag.org
le site d'AtosOrigin : www.fr.atosorigin.com |
Contacter Pierre Pom |
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