
Pour la première fois de son histoire, le Prix International Frantz Fanon a été décernée à une Caribéenne francophone. Patricia Donatien-Yssa est maître de conférences en littérature de la Caraïbe anglophone et de l'Afrique anglophone à l'Université des Antilles et de la Guyane (UAG) et spécialiste de littérature et de l’art caribéens. Elle a été distinguée pour son ouvrage intitulé L'exorcisme de la blès : Vaincre la souffrance dans Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid.
Le 5 juin 2008, la lauréate du Prix a reçu la distinction en Guadeloupe, des mains de la fille de Frantz Fanon, Mireille Fanon Mendès France, dans le cadre de la 5e conférence annuelle – du 4 au 7 juin – de la "Caribbean Philosophical Association". Ce groupe de recherche international se consacre à l’étude de la production d’idées en accordant une attention toute particulière aux échanges Sud-Sud. L'ouvrage a été, à cette occasion, présenté à l'assemblée.
Décerné par un jury composé de professeurs issus d'universités américaines et caribéennes, ce prix récompense chaque année deux ouvrages apportant une contribution significative à la pensée caribéenne.
Dans son essai, L’Exorcisme de la blès, Jamaica Kincaid Autobiographie de ma mère, Patricia Donatien-Yssa développe une étude critique, rédigée en français, réalisée à partir de la version anglaise du roman de Jamaica Kincaid, The autobiography of my mother (1996), récit de la vie d’une jeune caribéenne écorchée. Par son travail, l’auteur interprète le cri de colère de l’écrivaine américano-caribéenne contre un système colonial avilissant. À travers un examen minutieux de l'esthétique de la souffrance et de la mort, Patricia Donatien-Yssa révèle la fonction de sublimation de la blès – maladie coloniale infectant les espaces, les corps et les esprits. L’auteur utilise le concept de la blès comme outil analytique de l’art caribéen. Sur cette base, elle propose une théorisation de la relation qu’entretient l’artiste caribéen avec la blès – ce syndrome qui affecterait dans la Caraïbe, les populations ayant subi successivement la déportation, l’esclavage et la colonisation – dont il est porteur, le définissant comme un être détenteur d’un pouvoir de révélation qui sait transformer sa blès en énergie créatrice.
Patricia Donatien-Yssa développe depuis une dizaine d’années des recherches sur la littérature féminine, la spiritualité, les arts et l’esthétique, ainsi que sur les interfaces qui existent entre ces aspects et les phénomènes socio-anthropologiques et historiques dans la Caraïbe. Parallèlement à ces activités de chercheur, elle est également artiste peintre et a exposé à de nombreuses reprises dans la Caraïbe, en Europe et en Afrique. Elle a par ailleurs été en charge de scénographies pour des pièces de théâtre et des chorégraphies.
Grioo.com est allé à la rencontre de Patricia Donatien-Yssa, par l'intermédiaire de Frédéric Abidos, attaché de presse de l'UAG.
Grioo.com : en quoi ce prix est-il important pour l'UAG ?
Patricia Donatien-Yssa : le Frantz Fanon Prize est un prix international prestigieux et le fait qu'il soit attribué à un chercheur de l'UAG, de plus formé par cette institution, prouve que cette université est valable ; cela est également important pour les étudiants qui doivent avoir des modèles à suivre dans leur propre université.
pourquoi cet essai a-t-il été récompensé ? Qu'a-t-il de novateur, qu'apporte-t-il à la pensée caribéenne ?
PDY : le comité de la Caribbean Philosophical Association a récompensé mon ouvrage parce que les chercheurs qui l'ont examiné ont estimé qu'il apporte une approche très différente de l'œuvre de Kincaid et de la littérature caribéenne en générale, ils ont également souligné qu'il a mis en oeuvre un nouvel outil conceptuel qui enrichit la pensée caribéenne et qu'en ce sens il est innovant.
pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter l'ouvrage ?
PDY : l'Exorcisme de la blès est une analyse théorique de l'ouvrage de Jamaica Kincaid, « Autobiographie de ma mère », qui est un des chefs-d'oeuvre de la littérature caribéenne; il étudie les axes et les thématiques majeurs de ce roman : la quête de soi, la mort, l'impact de la colonisation, etc., avec cet outil d'analyse qu'est le concept de blès qui permet d'aborder l'art caribéen avec un regard interne mais dénué de toute tentation d'exotisme.
comment s'est déroulée la cérémonie ? Combien de personnes étaient présentes ? Qui ?
PDY : il y avait environ une soixantaine de personnes de grande qualité à la cérémonie : les membres de la Caribbean Philosophical Association, des professeurs d'Universités américaines et caribéennes majoritairement qui ont salué mon travail. Etaient également présents des intellectuels et artistes et syndicalistes guadeloupéens et cela a été pour moi un hommage émouvant de l'île soeur. La présentation du Professeur Brinda Mehta, indienne de nationalité américaine, qui a salué en des termes élogieux mon travail de recherche a été très touchant et impressionnant pour moi. J'ai remercié tous ceux qui ont participé à ma formation et j'ai dit à quel point ce prix était important pour la visibilité de mon travail, car désormais je suis considérée comme un auteur qui compte dans la recherche sur la pensée caribéenne.
L’Exorcisme de la blès, Jamaica Kincaid Autobiographie de ma mère est publié aux éditions Manuscrit-Université. |