Le cauchemar continue

Ma tristesse est tellement grande, tellement grave qu’elle m’empêche de partager les rares moments de gaieté de mon entourage. Quand mon regard se pose sur mon peuple qui se meurt, pris dans l’étau de ses élites dirigeantes, le dégoût m’habite, me remplit les veines, me presse le cœur comme un citron, me trouble l’esprit, m’empoisonne le quotidien. Mon cœur s’affole devant l’arrogance de certains de nos leaders qui ne voient que les honneurs. Le constat est là palpable : le cauchemar continue.

Au secours ! L’Etat nous étouffe. Le constat est là. Les populations le voient, le sentent, le vivent : la souffrance s’empare de mon peuple. Une souffrance toute silencieuse. Une souffrance qui couve sa larve dans la tranquillité de ses profondeurs comme un volcan. Oh ! Seigneur Dieu ! Sauve mon peuple de l’irréparable ! Que le volcan s’endorme pour des millénaires et des millénaires.

Ce matin, j’ai pleuré pour compatir à la souffrance d’une femme n’ayant plus de nouvelles de son mari depuis que ce dernier, un jour de désespoir poignant face à ses difficultés à trouver son pain quotidien pour nourrir sa petite famille, a choisi d’inscrire son nom sur la liste des milliers de candidats à l’immigration clandestine par le biais des pirogues de fortune. J’ai pleuré avec elle parce qu’elle n’a pas su répondre aux questions de ses enfants qui voulaient savoir où se trouvait leur père. Désormais, le mot océan suffit à lui faire porter sa croix. Le constat est là : le désespoir assassine nos frères et sœurs dans l’océan Atlantique.

Cet après midi, en entendant à la radio dire que le gouvernement du Sénégal et l’Espagne se sont entendu pour rapatrier plus de dix milles de nos compatriotes en échange de vingt millions d’euro offerts comme une aumône à mon pays pour soi-disant financier un plan dit REVA, j’ai eu honte. Aussi bien de la part des « donateurs » que des demandeurs, c’est un acte désolant. Cela me rappelle le cynisme à l’état sauvage de ce journaliste de La Revue Economique de Londres qui soutenait que l’Europe ne peut pas continuer à s’occuper des malades du SIDA des pays pauvres en subventionnant leurs soins. Après avoir construit leur continent grâce à la sueur, au sang, aux larmes, aux ressources maritimes, au sol et sous sol du continent africain, aujourd’hui, l’Europe continue, avec la complicité de négriers des temps modernes, à humilier l’Afrique : prenez nos vingt millions d’euro et aider nous à enchaîner vos frères pour les jeter hors de nos frontières. Et nos négriers des temps modernes de courber l’échine avec un Oui Monsieur révérenciel. Le constat est là : le cauchemar continue.

Ils ont tué l’espoir de ma jeunesse ; de grâce qu’ils ne la tuent pas de honte. Le monde entier nous observe. Elle réclame sa place au soleil, dans son propre pays. Mais, à la place d’une bonne politique de jeunesse capable de bien éduquer, bien former, bien employer dans des secteurs de développement, ils préfèrent engloutir les ressources du pays dans des constructions de prestige. Chaque peuple à ses priorités. Pour le mien, sa priorité est aujourd’hui le ventre. Ne nous voilons pas la face ; les populations ont faim. Comment des yeux creusés par la faim peuvent-ils voir la beauté d’une corniche ? Et voilà : une minorité fait la bamboula avec des sommes d’argent faramineuses devant un peuple fatigué à l’avenir hypothéqué par des arrivistes qui, grâce au règne de la médiocrité, de l’impunité, de la corruption, du copinage et de l’arbitraire foulent au pied les règles les plus élémentaires du savoir faire en matière de bonne gouvernance et du savoir vivre dans leurs rapports avec les autres. Le constat est là : ma jeunesse compte ses chances avec des miettes de pain face au saccage de ses deniers.

Les signes du chao s’amoncellent. Ce pays de Yacine Boubou, d’Aline Citoé Diatta, d’El Hadji Omar Foutyou Tall, du Cardinal HYacinthe Thiandoum, d’Alboury Ndiaye, de Cheikh Ahmadou Bamba, d’El Hadji Malick Sy, du poète Léopold Sédar Senghor, de Mame Abdoul Aziz Sy Dabah, de Bat Ling Siki ne mérite pas cela. Aucun pays ne le mérite à plus forte raison ce pays dont ses cultures sont nourries par le dialogue, l’attachement à l’éthique et au culte de l’excellence. Ce pays ne mérite pas d’être mis en lambeaux par des individus qui ne pensent qu’à se remplir les poches, ou aux honneurs. Qu’ils soient d’un côté comme de l’autre, qu’ils nous épargnent l’horreur de leurs basses besognes.

J’invite toutes les obédiences religieuses, la société civile, les partis politiques, les artistes et intellectuels, les journalistes, nos véritables hommes d’Etat à unir nos efforts de sentinelle de la paix afin de barrer la route aux fossoyeurs de notre chère République. Mon peuple à besoin de toutes ses compétences pour la résolution de ses problèmes tels que le chômage des jeunes, leur manque de formation, les pénuries d’électricité, de liberté de presse et d’opinion, de carburent, de gaz, de nourriture pour le monde paysan laissé à son triste sort, la flambée des prix des denrées de premières nécessités, les fermetures d’usines et de sociétés, les bizarreries notées dans les rangs de nos hommes de robes, la « phobie de la terre » de certains de nos gouvernants. Pour installer dans un pays un climat de paix durable, il faut impérativement résoudre le problème du ventre et de la justice à vitesse variable, du processus électoral et du respect des dates des élections qui doivent être transparentes. Le constat est là : la démocratie n’est que de façade chez moi ; les Diaz ne me diront pas le contraire, eux que des esprits mal intentionnés ont voulu, pour des raisons de politique politicienne, à un moment donné, faire porter la nationalité d’un pays imaginaire. Que Dieu les assiste dans la dure épreuve qu’ils traversent. Demain, il fera jour et la justice de Dieu s’accomplira. Mon peuple a besoin de toutes ses valeurs telles que le courage, la gratitude, la tolérance, la droiture, la politesse, la sagesse pour caresser un nouveau rêve qui ne soit pas de la duperie comme ce fameux plan REVA. Un rêve qui vote pour la reconquête de notre dignité d’homme partout où nous l’avons perdue à cause de nos propres faiblesses. Il a besoin de tous ses hommes de savoir pour élaborer et exécuter un nouveau projet de société en mesure de rassurer ses fils. Un autre Sénégal plus clément avec son peuple est possible. Mais en attendant, le constat est là : le cauchemar continue.

« On ne participe pas à la chasse à l’éléphant en se contentant de regarder passer son cadavre devant sa case ».
                                                                       Tafsir Ndické Dièye
                                                                                      Ecrivain Sénégalais
                                                                           Auteur de romans policiers dont :
                                                                        « Ces fossoyeurs de la République »
                                                              Les Editions Mélonic Québec Canada juillet 2005
                                                                             E-mail : ndickedieye@yahoo.fr