Quand un capitaine est maladroit, son navire le ressent.

Le 25 juin, à 16h, invité à RFO dans la ville du Lamentin à la Martinique pour une interview, j’y rencontre, juste avant d’entrer en studio, une journaliste qui me parla de Césaire qu’elle appelle affectueusement Maître. Elle commença par me réciter un passage de son œuvre intitulée Cahier d’un retour au pays natal : « Au bout du petit matin, l’échouage hétéroclite, les puanteurs exacerbées de la corruption, les sodomies monstrueuses de l’hostie et du victimaire, les coltis infranchissables du préjugé et de la sottise, les prostitutions, les hypocrisies, les lubricités, les trahisons, les mensonges, les faux, les concussions – l’essoufflement des lâchetés insuffisantes, l’enthousiasme sans ahan aux poussis surnuméraires, les avidités, les hystéries, les perversions, les arlequinades de la misère, les estropiements, les prurits, les urticaires, hamacs tièdes de la dégénérescence. »

A la question pourquoi elle me citait ce long passage du Maître elle me répondit :

« Parce que, il y’a plus de cinquante deux ans, avant que Maître ne fut maire de Fort de France, ce terroir, c’était tout ça. Mais Maître a su éduquer son peuple pour amoindrir tous ces maux. Tafsir, tu sais, ce que je retiens le plus dans la pédagogie du Maître c’est sa façon, par la culture, de nous pousser à tendre vers l’excellence, à bien faire ce que nous savons faire pour le bien de tous. Il a très tôt osé nous montrer du doigt nos propres défauts sans heurter notre dignité. Il nous a révélé à nous-mêmes. Aujourd’hui, ce peuple est un peuple qui s’assume grâce en grande partie au verbe et à l’engagement politique du Maître. On peut tout lui reprocher sauf d’avoir aimé les siens et consacré toute sa vie au bien être de la Martinique. D’ailleurs ceux qui l’attaquent se perdent souvent dans leurs propres arguments car Maître est un véritable Maître, qui éveille et veille sur son peuple. » Et moi, je me mis à penser à mon peuple ; « cette foule à côté de son cri de faim, de misère… »

Le lendemain, face au Maître, dans sa résidence où nous étions pour participer à son quatre vingt quatorzième anniversaire, je compris que tout guide, toute personne au fait de sa véritable mission, se doit d’œuvrer pour ce qui le survivra et cela n’est possible qu’en ayant en soi de l’engagement à servir et toujours servir la cause de l’homme de façon naturelle, gracieuse. Maître nous dit deux mots ce jour là : « Confiance – Espérance ».

Retour chez moi au Sénégal.

En foulant le sol de Dakar, une radio m’accueillit en me servant ce qu’elle appelait l’actualité : un avion à acheter pour les voyages interminables du président, son fils qui envisage de se rendre à Touba, le tiraillement au sein du football sénégalais, l’opposition qui appelle au boycott des élections sénatoriales (ce machin inutile, nul, et nuisible à notre économie quasi inexistante), les charognards de Bolloré et autres qui se disputent une partie de notre port, la plate forme de Diamniadio qui hoquette essoufflée avant le début de sa course réelle ou supposée, un entretien entre Abdou Diouf et El Hadji Maki Sall, la police qui interpelle Alioune Tine de la RADHHO, la tension entre pouvoir et opposition (deux entités qui se confondent souvent dans leurs agissements politiciens), un parlement presque monocolore et rétrogradé, « la génération du concret » pour préparer les esprits lentement à un Duvalier fils … Bref ! Le brouhaha habituel !

L’enthousiasme culturel des années Senghor est mis à rudes épreuves, les différents piliers de notre société corrompus ou mis à l’écart des grandes décisions, aujourd’hui, mon peuple se noie dans la flambée des prix des denrées de premières nécessités, les délestages d’électricité qui durent maintenant et presque tous les jours neuf à onze heures de temps, la misère du monde rural qui se vide bizarrement au seuil de la saison des pluies, la promiscuité des grandes villes qui étouffent sous le poids de leurs démographies, de l’insalubrité et du taux de chômage trop élevé etc.

Qui pour pousser mon peuple en direction de l’excellence lorsque le seul critère d’éligibilité demeure sans conteste la performance de mobilisateur de militants pour le chef, de laudateur, de lèche-bottes, de copinage, de corrupteur ? Qui pour donner le bon exemple à la jeunesse qui, comme un tourbillon, tourne en rond jusqu’au péril de sa vie dans des projets du genre Barça ou Barsakh? Même nos familles religieuses sont aujourd’hui infestées par les politiciens à des degrés certes différents. Qui pour corriger cette absence d’affection des chefs vis-à-vis des sans voix lorsque même chez les artistes, les écrivains, une grande partie joue sans gène le jeu du régime au détriment du peuple? Qui pour fouetter un bouillonnement de l’imagination des citoyens ?

Et mon peuple continue de « croire à tous les serments, malgré tous les mensonges » comme disait Birago Diop un jour de Décembre 1925.

Tafsir Ndické Dièye ndickedieye@yahoo.fr