Le moment d'euphorie passé, chacun s'est vite rendu compte que le communiqué des ministres des Finances était pour le moins ambigu. Le diable est parfois dans les détails. Et ce qui était apparu comme une offre généreuse des pays riches envers quelques pays pauvres triés sur le volet est vite devenu une pingrerie du G7. Une pingrerie d'autant plus alarmante que les engagements limités des ministres des Finances ne sont pas sûrs d'être respectés. Au risque de faire capoter cet accord considéré, à l'époque, comme historique. D'une part, les pays pauvres ne sont pas tous à la même enseigne. D'autre part, l'annulation de dettes réservée à une petite partie d'entre eux repose sur un engagement à long terme des pays riches. Enfin, ces derniers sont loin d'être consensuels sur la question.

L'accord conclu par les ministres des Finances du G7 ne concerne en premier lieu que les pays bénéficiant de l'initiative PPTE (HIPC selon la terminologie anglo-saxonne). Cette initiative a été lancée au sommet du G7 de Lyon en 1996 et renforcée au sommet de Cologne en 1999. Son objectif est de ramener le poids de la dette des pays bénéficiant de ce programme à un niveau jugé supportable. Schématiquement, ces pays peuvent bénéficier d'un allégement de dette si tant est qu'ils mettent en oeuvre un programme économique adoubé par le FMI. En mai dernier, 38 pays, africains pour la grande majorité, étaient éligibles à cette initiative. Mais seuls dix-huit avaient fourni assez d'efforts pour bénéficier d'une remise de dette partielle. Ce sont eux qui ont été choisis par les ministres du G7 pour bénéficier d'une annulation pure et simple de leur dette multilatérale, évaluée à environ 40 milliards de dollars. Ce qui est loin du compte aux yeux de la société civile, qui n'a pas manqué de souligner la faible ampleur de ce geste. Car, selon la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), 48 pays sont classés en tant que « pays les moins avancés ». Et leur dette externe s'élève à 145 milliards.

Pire : si l'on prend en compte la nomenclature de la Banque mondiale, 136 pays sont considérés comme pays en développement et leur dette totale externe s'élevait, quant à elle, à près de 2.500 milliards de dollars en 2003 dont un peu plus de 230 milliards pour les seuls pays d'Afrique sub-saharienne. En outre, sur la totalité de la dette externe, seulement 20 % environ sont dus aux institutions multilatérales comme le FMI ou la Banque mondiale, le solde émanant d'une dette bilatérale ou envers le secteur privé. Que pèsent dans ce cas 40 milliards de dollars face à la montagne de dette des pays pauvres ? Peu de chose, d'autant plus qu'elle n'est pas encore annulée. Loin de là. Le mécanisme envisagé est redoutable et repose sur la parole donnée.

En effet, la proposition des ministres des Finances du G7 repose sur un principe de substitution. Les pays riches se proposent d'assurer eux-mêmes le service de la dette des 18 pays choisis en remboursant, à leur place, les intérêts et le principal. Concrètement, ces 18 pays disposent d'une dette envers l'Agence internationale de développement (AID), le bras armé de la politique d'aide au développement de la Banque mondiale. En général, les remboursements effectués par les pays pauvres endettés servent à octroyer d'autres prêts ou des dons à d'autres pays dans le besoin. Mais la faiblesse des taux de prêt pratiqués, sans parler des dons, implique une déperdition de capitaux au fil du temps. C'est pour cette raison que les caisses de l'AID sont alimentées par des versements périodiques des pays riches - tous les trois ans - afin de lui conserver, ou d'accroître, ses capacités financières sur le long terme.

Dans le schéma imaginé par les ministres à Londres, chacun aura compris que ce sont grâce à ces versements périodiques que les pays riches vont assurer le service des intérêts et du principal de la dette des pays PPTE. Dans la mesure où les dettes concernées des 18 pays ont été contractées à long terme (jusqu'à quarante ans), la substitution des pays riches pour le remboursement implique un engagement à très long terme à renflouer les caisses de l'AID. Or, à ce jour, bon nombre de gouvernements ont refusé de s'engager sur une telle période. Les Etats-Unis, par exemple, se sont engagés seulement sur trois ans, le dernier renflouement des caisses de l'AID (le 14e) intervenant cette année. Ce qui ne laisse pas d'inquiéter les Européens alors que la part des Etats-Unis dans l'AID est passée de 20 à 12 % et celle de l'Europe de 42 à 57 %. Est-ce à dire que les Européens devront supporter seuls le financement de l'annulation de la dette ? « Le refus de l'engagement américain au-delà de trois ans représente une épée de Damoclès sur le programme », reconnaît un membre du FMI.

A ce refus américain, il faut ajouter une fronde des petits pays européens qui ont visiblement perçu les propositions du G7 comme un diktat insupportable. Ce qui n'a rien de surprenant puisque ceux-ci sont les meilleurs élèves de la classe en ce qui concerne l'aide publique au développement (APD). Les pays nordiques consacrent plus de 0,7 % de leur PIB - objectif désigné par les Nations unies - à l'APD. Ce qui est loin d'être le cas des pays du G7. Certains comme la France se sont engagés à accroître leur pourcentage - de 0,46 % aujourd'hui - mais pas les Etats-Unis. Bref, les pays nordiques auxquels il faut rajouter l'Autriche, la Belgique, les Pays-Bas ont fait part, durant l'été, de leur désaccord face à cette proposition du G7 sur la dette des 18 pays PPTE. La Belgique, l'Autriche et le Luxembourg ont même proposé que cette annulation de dette ne soit mise en place que de manière progressive. Le temps de permettre au FMI de poursuivre son dialogue sur les politiques à conduire avec les pays pauvres. Les Suisses, les Néerlandais, les Norvégiens et d'autres pays du nord de l'Europe s'interrogent, quant à eux, sur la sagesse de cette annulation de dette pour ce nombre limité de pays en laissant d'autres pays endettés sur la touche.

Les discussions, ce week-end, des ministres des Finances des pays membres du FMI et de la Banque mondiale risquent donc d'être animées. Une prise de bec que ne manqueront pas de regretter les ONG. D'autant plus que l'annulation de dette est très limitée et loin d'être acquise à 100 %.

RICHARD HIAULT