Musique: le regard de A.M. Talla
Par diplomatix, vendredi 23 septembre 2005 à 18:06 :: culture :: #388 :: rss
André-Marie Talla est aveugle de naissance. Un handicap qui l’a peut-être exclu des terrains de jeux mais pas des grandes scènes de musique, en Afrique et dans le monde. Jeune artiste, il a eu l’occasion d’éblouir Claude François lors d’un festival qu’organisait la vedette française. Mais avant, le Ray Charles africain fait partie, avec Manu Dibango, ou encore Eboa Lottin, des camerounais qui ont sorti le makossa du terroir, pour le distiller dans les capitales africaines. Il est l’auteur du fameux titre “je vais à yaoundé“. En trente cinq ans d’une carrière pleine d’émotions, un des souvenirs qui suit ce poète est d’avoir remporté son procès intenté au monstre géant de la pop music James Brown sur la chanson “hot-koki”. Une histoire qui ressemble à celle de “soul makossa” de Manu Dibango, plagiée par Michael Jackson.
Dans les années 1970, vous vous attaquiez à James Brown pour plagiat. Il en fallait du courage pour s'attaquer à ce monstre sacré. - Bien sûr que oui. J'étais tout petit à l'époque. Je sortais de Douala avec mon premier album. Il n'était pas facile d'attaquer un monument comme James Brown. De plus, personne ne me croyait. Il a fallu des gens comme Georges Collinet ( qui travaillait à l'époque à La voix de l'Amérique) montent au créneau en présentant les deux versions de la chanson Hot-koki : celle de James Brown et la mienne pour que les Africains écrivent de milliers de courriers qu'on a déversés chez James Brown. Avec mon éditeur, on a engagé des poursuites et au bout de quatre ans, on a gagné le procès. Mais j'avoue qu'au début, partout où j'évoquais ce problème, on ne me croyait pas. Pourquoi ne vous croyait-on pas? - On ne me croyait pas parce que pour eux, c'était impensable que quelqu'un comme James Brown qui prétendait défendre les Noirs puissent commettre un tel forfait. D'autre part, je sortais de nulle part et on me prenait pour un mythomane. Cette affaire a-t-elle servi à votre carrière? - Pas vraiment. Je n'ai pas suffisamment exploité cet incident qui aurait pu être un tremplin pour moi. Mais il n'est pas tard. Actuellement, je cherche à travailler sur le continent nord-américain. J'espère que ce pan de l'histoire pourra servir. • Quels sont les moments marquants de votre carrière ? - C'est très difficile de les énumérer parce qu'il y en a eu beaucoup. Mais je me souviens qu'en 1985, en Côte d'Ivoire, avec la chanson “ Donnons-nous la main”, j'ai passé de très bons moments avec feu le président Houphouët Boigny. Lors d'un concert au Cameroun, une dame est venue me donner son bébé. Ce sont des moments inoubliables. Qu'est-ce que vous auriez fait différemment si c'était à recommencer? - Ce que j'aurais pu changer, c'est de ne pas croire au talent. Si j'avais à reprendre ma carrière, j'aurais eu l'intelligence d'associer le talent au marketing et aux outils modernes parce que, pendant longtemps, je n'ai pas compris que le talent passait souvent après le reste. J'en profite pour donner des conseils à la jeune génération : même si on a du talent, il faut prêter attention à son environnement. Ce qui entoure l'artiste compte autant que le reste, sinon plus. Vous vivez aujourd'hui en France, Manu Dibango aussi. Richard Bona est à New-York. C'est une véritable désertion chez les artistes camerounais. - Ceux qui ont choisi de vivre à Paris ont leur raison. Pour moi, essentiellement, c'est à cause des infrastructures et de la situation géographique de Paris qui est au centre par rapport à l'Afrique, à l'Amérique et à l'Asie (…) J'ai participé aussi dans les années 1970 à un festival avec Claude François. À cette époque, il m'avait demandé de venir à Paris. Il devait même me prendre dans son label. Malheureusement, quand je me suis installé à Paris, il y a eu cet accident qui l'a emporté. Mais j'ai décidé d'y rester. “ Je vais à Yaoundé, Yaoundé la capitale “, chantiez-vous. Y allez vous toujours avec le même plaisir ? - Toujours. Il n'y a pas de raison que je n'éprouve pas le même plaisir en allant à Yaoundé. - Il y a des artistes qui vivent à Yaoundé et qui tournent bien. On a le groupe Macase, Anne Marie NZié et bien d'autres. Pour l'instant, le Cameroun se bat pour mettre en place les moyens nécessaires pour que la musique avance. Il y a un réel engouement autour de la chanson avec des cabarets qui permettent à plusieurs artistes d'affiner leur art. On a des musiciens au Cameroun pouvant accompagner n'importe quel artiste au monde. C'est un bon point. Il y a un projet de construction d'une école des Beaux Arts. Il y a des bourses octroyées par des particuliers. Bref, tout est sur la bonne voie. En avez-vous marre qu'en interview, on évoque presque toujours le fait que vous êtes non-voyant ? - Non pas du tout. Mais je n'aime pas quand on y met l'accent. Moi, je suis guitariste, chanteur, auteur-compositeur et arrangeur. J'aime, quand on parle du métier. que l'on ne parle que du métier. Il peut arriver qu'on évoque le fait que je sois non-voyant. Mais ce n'est pas important.
De Montréal
Karim Djinko
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