Le Conseil Représentatif des Associations Noires en France est né il y a environ deux mois. Cette initiative issue de membres de diverses associations et personnalités du milieu culturel et artistique, des intellectuels et des sportifs de haut niveau a eu de l’écho dans la presse nationale voire internationale. A y voir de près cette initiative a soulevée un débat contradictoire.
D’aucuns estimant que le CRAN relève de l’ordre des associations communautaristes, qu’il ne serait pas la bienvenue dans une république égalitaire, fraternelle et universaliste. D’autres par contre se sont félicités de l’initiative surtout qu’elle coïncide à la période trouble de la crise des banlieues en France.
Quelles que puissent être les raisons conjoncturelles de sa création, il existe bien des raisons historiques pour les africains de France et d’ailleurs de croire au CRAN et par delà pour des citoyens et résidents en France et ailleurs d’encourager et de soutenir cette initiative qui n’est pas si innovante que cela. Le CRAN se situe dans une continuité historique des formes sociales et politiques d’interrogation des rapports à l’altérité africaine et de réclamation du droit à la différence en France et en Europe en général où les pratiques discriminatoires sont légion vis-à-vis des communautés dites non autochtones.
En effet des recherches historiques attestent de la difficulté de dater les premières migrations de l'Afrique vers l'Europe. On trouve selon ces données historiques des témoignages de la présence africaine en Europe depuis l’époque antique jusqu’au moyen âge. Déjà au VIIIème siècle, la population noire était de plus en plus nombreuse et visible. Cette présence étant consécutive aux conquêtes musulmanes de l’Europe du sud, ce qui se traduit par une forte proportion de soldats et de mercenaires mais aussi des chefs militaires. Au IXème siècle avec le début de la traite transsaharienne des captifs Noirs, des références relatives à la couleur de la peau apparurent dans les actes notariés. C’est en quelque sorte les débuts des actes discriminatoires vis-à-vis des Noirs.
Malgré le statut juridique d’esclaves au mieux de serf de ces noirs en Europe et les actes racistes et discriminatoires dont ils ont été l’objet, la communauté des noirs en Europe s’est toujours organisée pour défendre la situation dans laquelle elle se trouve.
Au XVI et XVIIème siècle au Portugal et en Espagne, les esclaves africains se regroupent en fraternités religieuses et en associations culturelles. Ils créent des institutions de défense de leurs droits, de rachat de leur liberté et pour la protection des esclaves en fuite.
Etant donné que la législation interdisait la pratique de l'esclavage sur le sol anglais, français ou hollandais, les esclaves qui accompagnaient leurs maîtres en métropole n'hésitaient pas à intenter des procès à ces derniers. Le cas le plus célèbre est celui de James Somerset qui a gagné en 1772 un procès contre son maître.
En France, des Noirs de condition servile qui avaient épousé des Françaises réclamaient et obtenaient parfois leur liberté malgré l'opposition farouche des lobbies de colons. Dès 1716, le maire de Nantes réclame l'interdiction aux Noirs d'épouser des Françaises. Le Conseil Royal d'Etat expose alors la position du gouvernement dans un Edit d'octobre 1716 sur l'entrée des Noirs en France. D'importantes concessions sont faites aux colons. Le mariage mixte n'est pas interdit mais il subit de sérieuses restrictions. Par exemple aucun esclave ne peut se marier sans le consentement de son maître. Et si le maître consent, l'esclave doit être libéré aussitôt. Mais la Déclaration de 1738 finira par supprimer le droit de l'esclave de se marier en France même avec l'accord du maître.
Les Noirs libres d'Europe furent les premiers à dénoncer l'iniquité de l'esclavage ainsi que l'aberration des préjugés raciaux. Ils ont aidé à réveiller les consciences européennes en apportant une contribution politique directe au mouvement abolitionniste. En Angleterre, Olaudah Equiano, ancien esclave, publia en 1789 son autobiographie, "The Interesting Narrative of Olaudah Equiano...", révélant les horreurs de la traite négrière et de l'esclavage. En 1729, le philosophe africain de Halle (en Saxe), Anton Amo, avait présenté un texte sur un sujet au titre prémonitoire : "Du Droit des Noirs en Europe" (1729).
D’autres mouvements de réclamation des droits des Noirs ont existé plus récemment tels le mouvement de la négritude, des indigènes de la république, des intellectuels noirs de France. Certes les objectifs et les ambitions de ces différents mouvements varient, mais ils ont la particularité d’avoir le dénominateur commun de l’identité anthropologique relatif à la couleur de la peau.
Au vu de tout ce passé riche en engagements pour la cause des Noirs de quelque catégorie qu’ils soient dans une société où ils souffrent encore de la couleur de la peau, le CRAN est une structure en laquelle il faut croire afin d’agir pour faire avancer la société dans ses rapports à la différence et la république quant aux actions qu’elle pose pour éradiquer à jamais cette situation contradictoire à ses idéaux.
Néanmoins cela ne dédouane pas le CRAN à se cadrer et à travailler davantage ses objectifs, ses orientations et ses projets.

Djibril.