Susana Baca : une diva pour la cause des afropéruviens
Par guyzoducamer, vendredi 29 juillet 2011 à 01:34 :: Culture :: #3983 :: rss
Susana Baca : une diva pour la cause des afropéruviens
La gagnante d’un Grammy Latino Susana Baca construit actuellement un centre consacré à l'héritage africain du Pérou. En ratissant la côte, elle a trouvé des chansons ancrées dans l'époque de l'esclavage, pour éventuellement les sauver de l'extinction et contribuer à défendre la génération actuelle.
Par Tracy Wilkinson, Los Angeles Times
Dans ce village qui porte encore le nom de Santa Barbara, l'ancienne plantation de canne à sucre, Susana Baca marche péniblement à travers un champ de patates douces. Il n y a même pas 48 heures que la diva de renommée internationale de la musique afropéruvienne est rentrée de Paris, utlime arrêt de sa dernière tournée mondiale.
Mais ce jour-là, elle est en visite dans sa ville natale de sa mère, délabrée, une partie négligée du Pérou qui est le berceau de son histoire multiethnique, où les descendants des esclaves noirs et les ouvriers agricoles chinois et japonais vivent depuis des générations, se marient les uns aux autres et continuent même actuellement de travailler la terre.
"Nous sommes tous égaux ici", dit Carlos Franco Aguilar, un des vieux amis de Baca,, un homme de couleur caramel avec des yeux en amande dont les grrands-parents chinois e sont sentis obligés de changer de noms de famille (Lao est devenu Franco, et Lin est devenu Aguilar), et dont la mère est en partie noire.
"Tous égaux", dit-il en riant. "Pauvres à égalité."
Baca qui a 67 ans vient à Santa Barbara, aussi souvent qu'elle le peut. La gagnante d’un Grammy construit actuellement ici un centre culturel qui sera consacré à l'héritage africain des péruviens, ainsi que le conglomérat d'ethnies qui pendant des siècles ont influencé la musique, la nourriture, l'art et l’économie de cette nation, mais qui ont systématiquement été marginalisés par une société à classes stratifiées.
"Je veux que ces gens aient le sentiment d’appartenir à quelque chose ... de se sentir protégés", dit Baca, assise sur une terrasse parmi les petits bâtiments qui formeront son centre, avec ses portraits de Martin Luther King Jr. et de musiciens de jazz. Seul le braiment d’un âne pas loin interrompt le grondement de la mer à quelques miles plus loin.
"L'histoire officielle est blanche", ajoute son mari, Ricardo Pereira, un sociologue qui aide à promouvoir le travail de Baca. "L'idée est de rendre visible une histoire cachée."
Il y a deux ans, le Pérou est devenu le premier pays d'Amérique Latine à présenter des excuses officielles à ses citoyens d'origine africaine pour des années de discrimination. Et il y a quelques jours, le gouvernement a octroyé une reconnaissance à plusieurs sommités noire du Pérou. Mais pour Baca et d'autres, ce n’est en grande partie que de la poudre aux yeux, et que le racisme reste ordinaire.
Tout cela s’est fait évident lors de l'élection présidentielle du mois dernier lors de laquelle des épithètes ethniques étaient couramment utilisés pour insulter les deux candidats, l'un d'origine asiatique et l'autre, un métis avec un nom indien.
Statistiquement, les Péruviens noirs se trouvent généralement aux extrémités les plus basses des échelles économique et de l'éducation.
"Il y a des Afropéruviens qui ont avancé", explique Rafael Santa Cruz, membre de la légendaire famille musicale à laquelle on attribue la réactivation du mouvement afropéruvien. "Mais beaucoup d'entre nous sont traités comme des citoyens de seconde classe."
Étant une source abondante d'argent, d'or et, plus tard, de guano, le Pérou colonial fut l’un des pays les plus riches des Amériques après sa conquête par les explorateurs espagnols et le centre du nouvel empire. Les espagnols ont apporté des esclaves qui sont immédiatement entrés en conflit avec la population autochtone locale en plus de l’être avec leurs maîtres européens blancs. Les indigènes qui étaient autant réprimée considéraient les Noirs comme une partie de la colonisation étrangère, et beaucoup les haïssaient pour cette raison.
Les esclaves péruviens étaient forcés d'abandonner (ou cacher) leurs langues, leurs musiques et leurs religions. Au cours des siècles, leur nombre relativement peu élevé les obligea effectivement à se marier aux Indiens des Andes, aux blancs et aux mestizos qui sont la progéniture des Indiens qui s’accouplaient avec les Espagnols. La culture a fané.
Ce n'est qu’au cours des 50 dernières années, presque parallèlement au mouvement américain des droits civiques qu’ un petit groupe d'afropéruviens a travaillé pour sauver cette musique aux percussions lourdes, cette poésie, cette danses simples et en bout de ligne la singularité de la culture.
"C’est plus que de chanter une jolie chanson ou de chorégraphier une danse: C'est la quête de l'identité", indique Santa Cruz.
Les Noirs au Pérou n'ont jamais constitué un groupe monolithique. Les esclaves des plantations côtières de sucre et de coton ont vécu une vie très différente de celle des esclaves urbains, qui ont atteint une relative prospérité et la liberté. Ils étaient artisans - tailleurs, potiers, cordonniers, forgerons, charpentiers – auxquels ont permettait de garder un peu de l’argent qu'ils gagnaient ; et beaucoup ont à la longue acheté leur liberté.
Lima, la capitale royale coloniale des palais, des plazas et des balcons en treillis, était presqu’à moitié noire aux 16ème 17ème siècles. Aujourd'hui, en grande partie à cause des mariages mixtes et de la difficulté de maintenir leur culture, les Noirs représentent moins de 2% de la population nationale.
Après que l'esclavage eu finalement été aboli au milieu du 19ème siècle, les esclaves des plantations ont largement été relégués à des destins de métayers, rappelle Natalia Maturana, qui a entièrement vécu ses 87 ans ici à Santa Barbara. Elle est noire, mariée à un homme de 88 ans, mestizo, et ils ont 11 enfants, dont la plupart travaillent dans les champs de patate douce et de yucca qui couvrent cette terre.
Légèrement voûtée, le visage plein de rides et de taches de rousseur, Maturana vit dans une maison datant des environs de 1900 qui a été construite pour le premier flot de travailleurs japonais, amenés pour travailler dans les champs de coton. La peinture blanche s’écaille sur le côté de la maison légèrement affaissée. A l'intérieur, sur la plancher en bois éraflé, les arrières petits-enfants de Maturana jouent pendant que les adultes cuisinent, cousent et sélectionnent les haricots pour le dîner.
Presque tous ceux qui ont plus de 12 ans ont travaillé dans les champs, tandis que les plus âgés se souviennent lorsqu’il était facile d'aller à la mer toute proche pour pêcher les bars et les crevettes abondantes. "Tout ça, c’est fini", dit Maturana.
La réforme agraire du Pérou intervenue au milieu des années 1900 a donné des titres de propriété aux Indiens et aux mestizos, mais a exclu les Noirs parce qu'ils étaient considérés comme étant trop proche des propriétaires blancs de l'hacienda, dit-elle. Ce n’est que cette année que l’un de ses enfants, Manuel, qui a 45 ans a finalement obtenir le titre pour ses terres.
Pour Baca, qui achète pendant cette visite un sac de 200 livres de patates douces fraichement sorties de terre, c'est leur histoire et leur musique qui ressuscitent l'histoire des Noirs du Pérou.
Elle signale la statue de Carlos "Caitro" Soto de La Colina , une autre légende afropéruvienne de la musique et membre de Peru Negro, l'un des premiers groupes à avoir acquis la notoriété dans les années 1970. Baca dit que c'est le premier monument construit au Pérou pour l'un de ses musiciens noirs.
La fille d'une cuisinière noire et d'un chauffeur noir travaillant pour de riches blancs à Lima, Baca a également souffert de la discrimination, ignorée dans son adolescence lorsque son école a choisi les filles blanches pour former la troupe de danse, même si elle était la meilleure danseuse. Aujourd'hui Baca se déplace toujours avec le flow d'un danseur, les bras flottants, la tête légèrement inclinée, comme si elle écoutait une chanson quelque part au loin.
Elle sourit volontier, laissant éclater des dents blanches lumineuses à toute personne qui la salue, de l'agriculteur le plus pauvre et le plus sale ici, aux automobilistes qu’elle croise dans la ville animée de Lima.
Agissant à la fois comme détective et sociologue, Baca a sillonné la ligne côtière du Pérou pendant deux décennies, à écouter et à étudier la musique distinctive de chaque partie du pays. Beaucoup de chants et danses remontaient à la période de l'esclavage et étaient en danger d'extinction. La musique afropéruvienne est lourde dans une cadence et sensuelle et une rythme basé sur le cajon, un instrument en forme de boîte que les esclaves péruviens ont commencé à utiliser après que leurs maîtres, et l'Église catholique eurent interdit leurs tambours traditionnels. Le cajon est aujourd'hui un symbole national reconnu du patrimoine culturel.
"Beaucoup de gens le considéraient comme la musique des esclaves. Ils en avaient honte", dit Baca. Mais elle essaie de la présenter comme quelque chose dont on peut être fiers. Avec un album de musique afropéruvienne, Baca a remporté un Grammy latino en 2002, et elle parcourt le monde fréquemment, dont un arrêt programmé à Los Angeles, pour le mois d'août.
"Le plus important c'est d'appartenir à quelque chose", dit Baca. "Nous avons besoin de nous sentir heureux avec nos différences et d'avoir le sentiment d'appartenir à un groupe et que nous ne sommes pas seuls."
Traduit de l'Anglais par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com
http://articles.latimes.com/2011/jul/11/world/la-fg-afro-peruvian-20110711
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