M. Cissé, nous venons de sortir des joutes électorales. Est-ce que les cadres intellectuels jouent vraiment un rôle sur le plan politique ?

Je pense que la politique aujourd’hui est l’un des chemins peut-être les plus rapides qui mènent à tout. Moi, j’ai un cursus politique un peu particulier qui a démarré dans les années 80, alors que j’étais à Dakar, étant jeune. J’ai milité depuis 1982 au niveau des jeunesses libérales des Parcelles assainies au côté de l’ancien député et chargé de l’organisation du parti Abdoulaye Sy. Depuis 1996, j’ai un peu mis en veilleuse mon militantisme politique pour m’occuper de ma vie personnelle et professionnelle. Membre de la Cellule initiative et stratégie du Pds à Dakar, arrivé à Louga, j’ai intégré la structure locale qui, malheureusement, n’a pas été ce qu’elle devrait être. Avec cette léthargie, j’ai pensé qu’il y avait des possibilités par rapport à mon expérience au niveau des Ong de faire quelque chose du point de vue mouvement citoyen et appuyé par le président Wade. C’est dans ce sens qu’avec un contrôleur d’État du nom de Cheikh Ismaïla Diouf, nous avons mis en place un mouvement dénommé « Ada, And dolel alternance ak Abdoulaye Wade ». J’ai mis à profit toute mon expérience du développement dans ce mouvement avec lequel on est parvenu à canaliser beaucoup de sympathisants et nous pouvons revendiquer plus d’un millier de membres actifs. Maintenant, du point de vue purement politique, c’est dans l’action citoyenne que je soutiens le président Wade. Je pense que l’action citoyenne est ponctuelle, elle a une certaine durée de vie, mais elle est forcément amenée à se transformer en une action politique. C’est pour cela que nous sommes en contact permanent avec les responsables politiques pour vraiment faire la jonction, ce qu’on a presque réussi avec la présidentielle où nous avons apporté notre contribution à la réélection du président Wade.

Qu’est-ce qui, selon vous, différencie les cadres des autres acteurs politiques ? Est-ce qu’ils manquent d’ambitions politiques ?

J’ai toujours refusé d’être un politicien professionnel. Je pense que l’idéal pour tout individu qui entend embrasser une carrière politique, c’est d’avoir son métier d’abord et avant toute chose. Avoir sa profession pour pouvoir faire un travail politique conséquent. Sinon, être un professionnel politique constitue pour moi un danger pour les jeunes cadres. Il faut d’abord régler le problème d’acquisition de connaissances et de compétences, de qualifications professionnelles et d’emploi avant de se lancer dans la politique. Parce que la politique doit venir en appoint pour permettre à l’individu de mettre ses compétences au service de son pays. Mais non le contraire.

Malheureusement, aujourd’hui, ce qu’on voit, c’est que le politicien professionnel, celui-là qui n’a pas réglé toutes ces questions, ne cherche que la récompense ou sa part dans le partage du gâteau. La politique ne doit pas être pour nous un moyen d’arriver à nos fins. En tout cas, moi, je ne le conçois pas comme ça. Je conçois la politique comme une sorte d’accomplissement de soi, quelque chose qui nous permet d’atteindre la plénitude de nos ambitions, c’est-à-dire servir notre pays. Les gens doivent accepter les choix faits par le parti. Tout le monde ne peut pas être investi. Il faudrait que les gens admettent que le président ne peut pas mettre n’importe qui à n’importe quel poste. Et que, aussi, on ne peut pas être tous députés. Et même si on n’est pas député, on peut toujours trouver un poste ou encore un endroit, une situation où on peut servir le pays et soutenir politiquement le président de la République.

Et qu’en est-il de la promotion des jeunes cadres sénégalais ?

Tous les cadres où qu’ils soient et quel que soit leur niveau social ont des ambitions pour leur pays qu’ils ont le devoir de servir. Personnellement, je n’ai jamais quitté le Sénégal, j’y ai fait toutes mes études et travaillé sur place. Les cadres se sont toujours inscrits dans un processus graduel, c’est-à-dire franchir les différentes étapes de la vie et aspirer à une étape supérieure. Aujourd’hui lon a tendance à privilégier les jeunes cadres qui issus des universités l’étrangères. Mais la question qui se pose c’est ce que ces gens-là connaissent-ils vraiment le pays et ses réalités. J’en doute fort. En tout état de cause, je pense qu’on doit inverser cette tendance pour aller vers la responsabilisation des jeunes cadres de ce pays. Mais qu’on ne doit plus être complexé devant un diplôme d’Oxford, de Prinstone, de Harvard même. Parce que, ce qui se fait dans nos universités de Dakar, de l’Institut Supérieur de Management, de l’IAM, je pense que c’est ce qu’il y a de mieux pour le pays. C’est-à-dire que les gens apprennent tout, le management et autres avec les réalités du pays qu’ils connaissent bien. Ils sont par conséquent de mon avis les meilleurs à même de conduire les changements nécessaires pour que le Sénégal soit résolument dans la situation de pays émergent. Je pense que c’est là une révolution à faire à savoir se décomplexer par rapport au mythe du diplôme étranger. Je vous l’avoue, j’ai été moi-même candidat malheureux à plusieurs sélections parce que, tout simplement, de trois cents au départ, on se retrouve à trois à l’arrivée. On te dira qu’on a pris, telle personne parce qu’elle a eu un diplôme de la France, de l’Angleterre, du Canada, des Etats-Unis, etc. Je persiste à dire que c’est une erreur, mais l’essentiel est que les autorités fassent valoir ces compétences jeunes au service du pays.

ENTRETIEN REALISÉ PAR OUSMANE MBENGUE