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Imaginez un médecin dans un hôpital, en train de dire à des patients qu'il faut détruire le matériel qui sert à les guérir. Imaginez un instituteur en face d'élèves, leur disant qu'il faut brûler les ouvrages dont il est censé les instruire. Telle est l'impression qu'on pourrait avoir en entamant la lecture de ce livre.
Imaginez ensuite ce médecin, expliquant à ses patients que le matériel qu'il utilise pour les soigner les rend plus malades, parce qu’inadapté et défectueux... Imaginez aussi l’instituteur expliquant à ses élèves que leurs ouvrages les abêtissent plus qu’ils ne les éclairent, parce qu'ils évoquent des problématiques éloignées de leurs réalités. Telle est la démarche de Jean-Marc Ela.
Dans ce livre, l'auteur dénonce le rôle que joue l’Eglise chrétienne dans le mécanisme qui contribue à maintenir et assurer la dépendance des peuples africains face au système hégémonique occidental.
Cette démarche peut de fait surprendre, puisque l’auteur est prêtre. La perception et la conception que nous avons du clergé en Afrique circonscrivent le rôle de l'Eglise à sa fonction liturgique. L'auteur montre que ce ne devrait pas être le cas. «La religion ne se réduit pas à un rapport avec le «surnaturel» : elle apparaît aussi comme une force sociale : en elle, l’homme peut puiser des possibilités contestatrices de l’ordre établi».(Page 62). |
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Il invite par conséquent les chrétiens et les Eglises d'Afrique à sortir de cette assignation, et à étendre leur action aux autres domaines de la vie quotidienne pour rompre avec la tradition de complicité et de collaboration avec les forces prédatrices du capitalisme financier.
La séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat en Afrique est un piège tendu au clergé afin de s’assurer son indifférence face "au cri de l'homme africain": «les régimes à parti unique, qui se répandent en Afrique, ôtent à l’Eglise sa fonction critique de la société en la maintenant dans les strictes limites de la sphère religieuse. Tout au plus lui reconnaît-on une place dans l’enseignement et la santé, dans la mesure où ces activités remontent à une tradition caritative hautement appreciée.» (Page 67)
Utiliser les "possibilités contestatrices" débouche sur une action révolutionnaire, et la révolution entraîne la violence... Alors, comment concilier la morale religieuse, qui exclut l’emploi de la violence, avec l’urgence du changement ? Jean-Marc Ela se demande quel peut être le rôle de l’Eglise dans ce processus, «si la situation vécue par les millions d’Africains exige des transformations audacieuses», quelle attitude peut amener une réflexion sur la violence «comme praxis absolue, comme le veut, précisement, Frantz Fanon» (Page 72) |
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Jean-Marc Ela
©
journal.uqam.ca |
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Frantz Fanon est sans conteste l’intellectuel qui a posé avec le plus d’ampleur le problème de la violence dans le processus révolutionnaire. L’auteur va s'appuyer sur une partie de l'analyse faite par celui-ci dans «Les Damnés de la terre» pour déconstruire sa conception de la violence dans le processus révolutionnaire.
Fanon considère la violence comme le moyen suprême pour la libération de l'homme opprimé: «La libération des masses colonisées «doit se faire et ne peut se faire que par la force»» (Fanon cité par l’auteur, Page 73)
Sa justification de la violence est fondée sur le postulat qu'elle transforme le psychisme de l'homme opprimé : «Elle le rend intrépide, le réhabilite à ses propres yeux» (Fanon cité par l’auteur, Page 46).
Bien qu'admettant la pertinence de ce postulat, Jean-Marc Ela se démarque de Frantz Fanon sur ce point précis, en contestant «l'effet cathartique» de la violence: «Où sont les preuves que les actes individuels de violence métamorphosent effectivement les individus?» (Page 75). Selon lui, «l'objectif de l'effet purificateur de la violence, dans l'optique même de Fanon, qui était de transformer les hommes, n'a pas été atteint. Car l'indépendance acquise n'a pas rendu les Africains capables de créer une société meilleure. Dans cette perspective, il lui paraît vain de s'épuiser dans la critique de l'apologie «fanonienne» de la violence purificatrice. Aucune pratique sociale, dans l'Afrique actuelle, ne confirme cette théorie» (Page 79). |

Avoir souligné les limites de la conception fanonienne de la violence dans le processus révolutionnaire est l’un des éléments les plus saisissants de son analyse.
Il poursuit en profondeur l’analyse sur les bourgeoisies locales. Cette analyse laisse apparaitre sans ambiguité la responsabilité de ces classes qui, grace à ses rapports avec le capital financier, se taillent la plus belle part du revenu national aux dépends des autres, les privant des possibiltés d’émancipation. Elle montre que l’aliénation par exemple, résulte aussi de l’étouffement de la classe populaire par les classes bourgeoises, et non uniquement, comme on a trop tendance à le penser, de la pratique des religions étrangères par les sociétés africaines. C’est peut-etre pour cette raison qu’il s’est abstenu d’appeller au rejet total du Christianisme en Afrique.
En vous procurant ce livre, vous pourrez apprécier l’originalité de la démarche de l’auteur. Elle se différencie des autres analyses qui se limitent souvent au traitement de la question de l’inadaptation des religions révélées et de leur effet aliénant.
Je n’ai pas juge nécessaire de présenter tous les points dont il a traité, et me suis contenté de ne le faire que sur ceux qui m'ont le plus interpellé... |
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