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Le nouveau premier ministre Seydou Diarra (à gauche), en compagnie du président Laurent Gbagbo, dispose d'une marge de manoeuvre des plus réduites pour former son équipe.
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Le spectre de la guerre totale plane de nouveau sur le pays du cacao. Paradoxalement, la formation du gouvernement de «réconciliation» pourrait précipiter la reprise des hostilités en Côte d'Ivoire. De retour à Abidjan après avoir été adoubé par le président Laurent Gbagbo, le nouveau premier ministre ivoirien, Seydou Elimane Diarra, doit commencer aujourd'hui la formation de ce gouvernement. Le président ivoirien refuse pour l'instant d'y intégrer les rebelles, qui menacent de reprendre les armes.
La confirmation de Seydou Diarra dans ses nouvelles fonctions, l'un des points clefs des accords de paix de Marcoussis, est intervenue plus de deux semaines après sa nomination à Paris. Celle-ci avait été violemment contestée par les partisans du chef de l'État, qui avaient multiplié les manifestations contre l'accord et le futur chef du gouvernement, accusé d'être le «premier ministre des Français».
Diarra dispose d'une marge de manoeuvre des plus réduites pour former son équipe. Laurent Gbagbo, martèle que Marcoussis n'est pas une «Constitution bis» et s'accroche à ses prérogatives présidentielles, refusant à Seydou Diarra l'«inamovibilité» que lui confère en principe l'accord jusqu'à la prochaine élection présidentielle en octobre 2005. Après dix jours de silence, le président Gbagbo s'est contenté d'accepter l'«esprit» de ces accords comme «base de travail» le 7 février.
Les forces armées loyalistes ont déjà opposé leur veto à l'attribution des ministères de la Défense et de l'Intérieur à la rébellion. Et les «jeunes patriotes» de Laurent Gbagbo refusent purement et simplement l'entrée des rebelles au gouvernement.
De leur côté, les rebelles dont la participation dans le futur gouvernement n'a à aucun moment été directement évoquée, menacent de relancer une «offensive militaire sur tous les fronts pour prendre le pouvoir à Abidjan». «Si Seydou Diarra proclame un gouvernement qui n'a rien à voir avec ce qui a été décidé à Paris, nous n'irons pas travailler à Abidjan», prévient Guillaume Soro, secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), le plus ancien et le plus important mouvement rebelle, qui contrôle la moitié nord de la Côte d'Ivoire.
«Le MPCI considère que M. Laurent Gbagbo, avec la ruse et le double langage qui le caractérisent, a rejeté les accords, affirme Soro. Etre contre la délégation des pouvoirs au premier ministre et être contre son irrévocabilité, c'est être contre Marcoussis.»
Les rebelles n'ont pas l'intention de renoncer aux ministères de la Défense et de l'Intérieur, qui leur ont été promis à Paris. «Personne ne doit compter sur le MPCI pour revenir» sur ces deux portefeuilles, a prévenu Guillaume Soro. «Le seul moyen de cantonner nos troupes c'est de nous accorder le ministère de la Défense», renchérit le colonel Michel Gueu, l'un des principaux responsables militaires du MPCI.
Rien n'indique que le président Gbagbo accordera aux rebelles le moindre maroquin. «Pourquoi Laurent Gbagbo serait-il le premier président africain à accepter une cohabitation à la française ?, s'interroge un diplomate. Le pouvoir en Afrique, cela ne se partage pas.» De source diplomatique, Laurent Gbagbo aurait jusqu'à présent rayé tous les noms de membres ou de proches de la rébellion figurant sur la liste des ministrables de Seydou Diarra.
Selon Toussaint Alain, un proche conseiller de Laurent Gbagbo, il existe de «fortes réticences à l'entrée des rebelles au gouvernement». Mais il n'exclut pas que certains proches de la rébellion, qui ne seraient pas des têtes d'affiche des mouvements rebelles, puissent décrocher des portefeuilles ministériels. «Au nom de la paix et du retour au calme, on peut accepter que des gens soient réintégrés dans la République, affirme Toussaint Alain. Mais les rebelles doivent accepter une convalescence et revenir dans la République à petit pas.»
Les trois mouvements rebelles doivent se réunir, demain à Bouaké, pour prendre une «décision finale» quant à une reprise des hostilités. Les rebelles menacent de les relancer dès vendredi, s'ils ne sont pas intégrés à la hauteur de leurs ambitions dans le gouvernement de «réconciliation».
Jusqu'à présent, seuls les soldats français de l'opération Licorne, qui ont pour mission de sécuriser les ressortissants français et de veiller au respect du cessez-le-feu, ont bloqué l'avancée des rebelles. Sauvant ainsi le régime de Laurent Gbagbo. Pour l'instant, il n'est pas question pour la France de laisser la voie libre aux insurgés.
Les rebelles affirment que cette fois-ci les troupes françaises ne les dissuaderont pas de relancer leur offensive. «La Côte d'Ivoire c'est notre pays, insiste le colonel Gueu. Nous connaissons toutes les pistes et nous pouvons contourner le dispositif français, pour aller jusqu'à Abidjan. Jusqu'à présent, nous avons toujours considéré que la mission des forces françaises était sacrée. Parce qu'elles tentaient de ramener la paix. S'il n'y a plus d'espoir, rien ne nous empêchera d'obtenir par les armes ce que Gbagbo nous a promis à Paris.»
Les rebelles tablent sur un repli des forces françaises à Yamoussoukro et Abidjan pour protéger les ressortissants étrangers, dès qu'ils reprendront leur avancée. Paris a envoyé des renforts en Côte d'Ivoire à la fin de la semaine dernière. Le dispositif militaire français avoisine désormais les 3 000 hommes. «Notre dispositif actuel nous permet à la fois de sécuriser les ressortissants français et étrangers et de continuer à tenir la ligne de cessez-le-feu», indique le commandant Frédéric Thomaso, porte-parole de l'opération Licorne.
Selon un officier français, tant que les forces françaises de l'opération Licorne auront pour mission de tenir la ligne, les rebelles disposeront d'une faible marge de manoeuvre. «Les rebelles peuvent facilement contourner le dispositif français, estime cet officier. Des groupes peuvent s'infiltrer. Mais si les rebelles veulent prendre Abidjan, ils doivent opérer un mouvement de troupe important. Il sera facile de les repérer. Grâce aux hélicoptères, les forces françaises peuvent se regrouper aisément et les traiter, si nécessaire.»
En revanche, si les rebelles sont infiltrés en masse dans Abidjan, comme ils l'affirment, le dispositif français risque d'être débordé. Depuis le 19 septembre, la France, tente d'éviter un nouveau Rwanda en Côte d'Ivoire en ménageant à la fois les rebelles et le régime de Laurent Gbagbo. Si les hostilités reprennent, Paris pourrait être obligé de choisir son camp.
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