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« Des questions, toujours des questions. Il ne s’arrêtera donc jamais ! J’ai énormément du mal à comprendre où je suis. » Ce sont là les premières lignes du roman de Wilfried N’SONDE, Le Cœur des enfants léopards, publié en début d’année chez Actes Sud, et qui vient d’obtenir le prix des cinq continents de la francophonie. Le héros du roman est en état d’arrestation, il doit répondre aux questions du capitaine, qui attend des aveux, quitte à user de violence envers lui. Qui est donc ce jeune homme et qu’a-t-il fait ?
Le lecteur apprend à le connaître au gré des soubresauts de sa mémoire qui restitue des pans de sa vie. Né en Afrique, il n’y est resté que quelques années. Sa scolarité, sa vie s’est construite en France, dans une cité en région parisienne. Comment vit-on dans une cité ? Cette dernière ne prend-elle pas ses fils et ses filles en otage ? N’apparaît-elle pas comme une ombre qui obscurcit considérablement leurs chances de se forger un destin à la hauteur de leurs rêves ? Les jeunes de cité, de diverses origines, se rendent très tôt compte du sort qui les attend. Ils sont perçus comme une menace et parqués dans cette cage dans laquelle on veut les enfermer : l’immigration.
Pourtant, malgré leur différence de peau ou leurs cheveux frisés, en eux-mêmes ils ne se sentent pas différents de leurs camarades blancs. Ils ne pensent pas être des étrangers loin de chez eux. Leur ‘‘chez eux’’, c’est la cité, c’est le RER, les bars cafés, c’est la France. Pour les autres cependant, ils ne sont pas à leur place. « Tu viens d’où ? Tu connais ta culture ? » (1) « T’es qui toi ? » (2) « T’es quoi en fait, français ou africain ? » (3) |
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Comment donc être ? Comment se tenir ? Comment se comporter ? D’ailleurs qui est-il, ce jeune Noir de banlieue ? En effet les uns disent qu’il se prend pour un Blanc et les autres pensent qu’il devrait retourner sur son bananier en Afrique. Le jeune de banlieue est soumis à une quête d’identité qui peut aller jusqu’à la crise, comme c’est le cas pour Drissa, l’ami du héros, noir comme lui.
En fait, la prison où se trouve le héros symbolise l’enfermement des Noirs et autres immigrés dans un tiroir, leur réduction à une étiquette : Noir égal délinquance, égal « problèmes à l’éducation nationale, violence et échec scolaire. » (4)
De même les questions qui sont évoquées au tout début du roman, et qui font référence à l’interrogatoire serré du personnage principal par la police, préfigurent le « virus des questions » (5) qui, comme un monstre, menace l’équilibre psychologique des jeunes habitants des cités. Il faut alors résister à cette Charybde, cette Scylla, apprendre à les ignorer ou à mettre une distance entre elles et vous, autrement elles dévorent votre tranquillité, votre insouciance, votre vie… Elles envahissent votre être, elles vous poursuivent partout. Comment échapper aux stigmates de la cité ? Comment garder l’équilibre ? |

Le héros avait jusque-là l’amour de Mireille. Il a aussi les « esprits » des ancêtres dont le totem est le léopard : communiquer avec eux est une façon pour lui de donner vie et corps à une famille, à des parents pour qui il compte, parce que le peuple français auquel il croyait appartenir le repousse.
Mireille qui, de race blanche pourtant, se sent aussi à l’étroit dans cette cité, avait les livres :
Elle me parle rarement d’elle et de sa famille, seulement de cette cascade de vers, de strophes, des kilos de prose qu’elle veut absolument partager avec moi, assis sur un banc ou parfois à même le sol, main dans la main. Quand les mots étaient trop beaux, le sens infiniment profond, nous nous embrassions, du magma dans la bouche. (6)
Aussi, lorsque Mireille met un terme à leur relation amoureuse, c’est pour le héros un séisme qui l’entraîne dans les profondeurs de l’abîme. L’énigme du début de l’histoire est peu à peu dévoilée : le héros a commis un meurtre. Un narrateur extérieur intervient même subrepticement pour apporter plus de lumière au lecteur. Autrement, c’est la voix intérieure du personnage principal qui retentit tout au long du roman, c’est à travers elle que l’on perçoit les pensées, les paroles, les actes des différents personnages, et sans qu’il n’y ait de signes de ponctuation particuliers pour souligner le changement d’interlocuteurs.
La voix du héros-narrateur est une voix qui rend hommage à la femme, mère ou maîtresse ; à l’amour. L’amour qui épanouit et qui fait tant mal trouve dans ce roman un poème incomparable. |

Wilfried N’SONDE, Le Cœur des enfants Léopards, Actes Sud, 2007. 140 pages. 15 €.
Notes :
1. p. 29
2. p. 123
3. p. 130
4. p. 49
5. p. 123
6. p. 97-98
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