Introduction |

Le débat en cours sur la probable dévaluation du franc CFA à mon humble avis ne doit pas s’arrêter au sujet de cette thérapie conjoncturelle dont les bénéfices à long terme ne sont pas toujours prouvés. Le débat doit aller plus loin car le défi à relever par les autorités monétaires, les politiques et les populations de la zone CFA dans le futur est celui du choix d’un régime de change adapté à la situation de leurs économies. Des économies essentiellement basées sur les exportations des matières premières et l’importation des produits manufacturés. Le choix du régime de change nominal fixe est généralement justifié par l’augmentation des risques que la fluctuation du taux fait courir aux échanges internationaux.
Cet argument purement intuitif reflète une aversion injustifiée au risque. Les évolutions technologiques, la mondialisation et la globalisation sont la source de constants changements et ceux qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui savent s’adapter, ceux qui sont capables d’apporter les ajustements nécessaires à leur système au bon moment. Le régime de change nominal fixe qui lie le Franc CFA et l’euro est source de risques difficiles à couvrir. Il constitue est un frein aux investissements et au développement du marché financier. Dans ce qui va suivre nous allons décrire c’est qu’est régime de change et montrerons ensuite les risques et conséquences que font courir le régime de change nominal fixe sur le système financier et les investissements dans la zone CFA.
Nous présenteront enfin les exemples de deux pays le Botswana et la Chine qui ont prouvé leur efficacité et peuvent par conséquent servir de modèle aux pays de la zone CFA. |
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A propos des régimes de change |

Un régime de change est l'ensemble des règles qui déterminent l'intervention des autorités monétaires sur le marché des changes et par conséquent la fluctuation du taux de change. Il existe deux principaux régimes de change : Les régimes de changes fixes et les régimes de changes flexibles. Dans un régime de change fixe une parité de référence entre la monnaie du pays considéré et une devise (ou un panier de devises) est définie. La banque centrale s'engage alors à échanger sa monnaie en fonction de cette parité. Dans un régime de change flexible, le taux de change flotte librement (flottement pur), en fonction de l'offre et de la demande sur le marché des changes.
Entre ces deux régimes extrêmes, on trouve des régimes intermédiaires, qui se distinguent selon les fluctuations que la banque centrale autorise autour de la parité de référence, et selon la fréquence des réalignements de cette parité. La multitude des régimes de change illustre la difficulté à choisir le régime idéal. L’abondante littérature économique sur le sujet reste aussi très partagée et de nombreuses expériences (1) récentes contribuent à prouver que le choix d’un régime de change est compliqué. La théorie économique nous enseigne néanmoins que le choix d’un régime de change doit être déterminé soit par la nature des chocs économiques futurs soit par la politique économique que l’on choisit d’appliquer.
Il est généralement admis que si les chocs futurs s’exprimeront en termes réels, le système de taux flexible serait le mieux adapté à y faire face. Dans le cas contraire, un système à taux nominal fixe serait préférable. Une politique économique monétaire présenterait beaucoup plus d’avantages dans un système flexible alors qu’une politique budgétaire serait avantageuse dans un system de change fixe. |
Risques et conséquences du taux de change nominal fixe. |

Parmi les avantages généralement présentés pour le maintient de la parité fixe entre le Franc CFA et l’euro ceux qui reviennent le plus souvent sont : L’attrait des investissements étrangers, l’élimination du risque de change, la stabilité financière. Ces avantages ce sont montrés à long terme contre productifs. La parité fixe entre le Franc CFA et l’euro a plutôt tendance à être un frein aux investissements directs étrangers, à être un frein au développement du system financier et au développement économique. |
Franc CFA frein aux investissements directs étrangers |

L’avantage de la réduction du risque de change des mouvements des capitaux à court terme qui parait économiquement justifié a pour conséquence dans le cas de la zone CFA de rendre les investissements directs étrangers spécialement spéculatifs et contribue ainsi à aggraver sa dette extérieure. En effet à cause du risque politique, du risque d’inflation et du risque de crédit, les taux d’intérêt dans la zone CFA sont normalement élevés que dans la zone euro et les autres zones monétaires.
Il devient alors facile pour les investisseurs d’emprunter à court terme en devises étrangères et d’investir en Franc CFA. La perception de la réduction du risque de change des mouvements des capitaux qui aurait été un moyen efficace pour les pays de la zone CFA d’attirer les investissements directs étrangers constitue alors à long terme un obstacle au financement de son développement. Pour son développement, la zone CFA à besoin de gros investissements qui demandent des financements à long terme mais ceux-ci sont restés très faibles et ont tendance à baisser en valeur relative.
Bien que fixe par rapport à l’euro, le Franc CFA fluctue relativement aux autres monnaies. Le taux de change nominal fixe par rapport à l’euro conduit ainsi à une instabilité du taux de change effectif réel (2). Ce qui a pour conséquence de pénaliser les exportations et surtout les investissements provenant des pays hors zone euro. Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un investisseur qui a en projet d’investir 1.000.000 de dollar Américain dans la zone CFA alors que 1 euro vaut 1,27 US dollar et que le temps de concrétiser son projet, l’euro vaut 1,42 US dollar. Il lui faudra trouver près de 120.000 Dollar en plus pour réaliser son projet. |

Quand on sait que ceux qui investissent le plus dans le monde aujourd’hui sont les Asiatiques, les pétroliers du moyen orient et les nouveaux capitalistes Russes on peut alors facilement imaginer ce que les pays membres de la zone CFA peuvent perdre en investissements étrangers à cause de la parité rigide qui lie sa monnaie à la monnaie européenne. Une marge de flexibilité aurait donné une possibilité aux autorités monétaires de s’adapter aux nouvelles tendances de l’économie mondiale. Des tendances qui seront sans doute des tendances de long terme à savoir : Le déclin des pays de l’Europe occidentale, la montée en puissance des pays asiatiques et des pays du moyen orient, l’appréciation de l’euro par rapport au dollar et aux autres principales devises de change. |
Franc CFA frein au développement du système financier |

La coopération monétaire entre la France et les pays membres de la zone CFA a attribué de facto une dominance des institutions financières françaises dans la zone CFA. Malgré la volonté de nationaux de jouer le rôle qui est le sien dans le développement de l’industrie de la finance, force est de constater que les filiales des banques et sociétés d’assurance françaises dominent toujours le marché. Leur présence parfois souhaitable n’aurait posé aucun problème si celles-ci jouaient leur rôle de financement de l’économie. Près de 50 années après les indépendances, les principaux groupes opérant dans la zone CFA n’ont pas pu contribuer au développement du système financier en satisfaisant à la demande qui est réelle ou en proposant une offre ayant un impact réel sur les économies des différents pays.
La monnaie a été sacralisée et constitue le plus souvent le seul actif financier, les marchés financiers sont embryonnaires et inefficaces. Les filiales des groupes étrangers utilisent les circuits « offshores » pour rapatrier l’épargne collectée en occident (3). Par la fourniture d’une bonne information, l'atténuation des contraintes de liquidité et la diversification et une bonne gestion des risques, un système financier moderne aurait contribué au développement économique comme Goldsmith R W l’écrivait déjà en 1969 dans “Financial Structure and Development”. |

Le Franc CFA fragilise le système financier en exposant les investissements à un risque de change ou à risque de maturité et soit parfois aux deux risques pour les investissements en provenance des pays hors zone euro. L’embêtant est que malgré les nombreuses compétences et les outils de l’ingénierie financière pouvant être utilisés pour gérer ces risques, le régime de change actuel ne le permet pas. Pour transférer les risques liés au taux de change par exemple, les entreprises doivent pouvoir emprunter à l’étranger en Franc CFA c'est-à-dire vendre des Francs CFA sur le marché des changes international ce qui n’est pas toujours possible malgré l’alignement à l’euro. Celles qui s’y aventurent doivent subir les frais d’une double transaction et les délais de procédures qui réduisent l’opportunité de l’opération.
Il est tout aussi difficile pour les entreprises de pouvoir couvrir le risque lié à la différence de maturité entre les actifs qui sont à long terme et le passif qui est à court terme car l’essentiel de la dette extérieure des pays de la zone CFA est exprimée en monnaie étrangère particulièrement en dollar américain qui fluctue beaucoup. De plus, la différence parfois très grande de taux d’intérêt dans la zone CFA et les autres zones monétaires rend aussi élevé le coût d’opportunité de la couverture des risques pour les investisseurs. Par exemple, un importateur qui a une dette à payer en dollar et qui anticipe une appréciation de celui-ci(le dollar) perdra la différence de taux d’intérêt en achetant par anticipation des dollars pour payer sa dette.
Le système tel qu’il fonctionne actuellement n’intègre pas la réalité des économies des pays membre de la zone CFA, il est resté trop attaché à l’histoire coloniale et doit être changé. La première étape du changement sera de revoir le système de change en zone CFA car celui-ci entretient l’illusion de stabilité, l’illusion d’un monde sans risque ou le taux de change ne changera pas. Contribuant ainsi à décourager la créativité des institutions financières et des investisseurs. De plus Il ne permet pas aux pays de s’intégrer au système financier mondial et de s’adapter aux stratégies de développement économique. |
Franc CFA frein au développement économique. |

L’inflation dans la zone CFA a été jusqu'à très récemment supérieure à l’inflation dans la zone Euro avec comme résultat à long terme la perte de la compétitivité des exportations des pays de la zone CFA. Une perte de compétitivité qui est davantage accentuée par une faible productivité et une monnaie effectivement surévaluée. Le franc CFA qui est très fort par rapport aux monnaies des pays voisins ne facilitent pas les échanges avec ceux-ci. Bien que l’inflation dans la zone CFA soit très inferieure au Nigeria par exemple, la différence entre le CFA et le Naira Nigérian ne facilite pas le développement des exportations des pays de la zone CFA vers le grand marché Nigérian.
Sur recommandation des institutions financières internationales, les pays de la zone CFA appliquent une politique monétariste qui aurait été beaucoup plus efficace si le taux de change était librement déterminé par les mécanismes du marché. Les banques centrales n’intervenant que pour stabiliser le rythme d’appréciation ou de dépréciation de la monnaie. Un régime de change qui est un obstacle aux investissements, au développement du système financier est un frein au développement économique. |
Des exemples à suivre |

De nombreux pays dans le monde ont expérimentés des régimes de change différents parfois ont connu de véritables succès et parfois de retentissants échecs. Je présenterai dans ce qui va suivre l’exemple de deux pays différent de par leur situation géographique, leur taille, leur système politique et leur politique économique… Ces deux pays ont choisi chacun un system qui lui a permis de réaliser les plus grandes performances économiques des 30 dernières années. Le Botswana et la Chine. |
L’exemple du Pula Botswanais |

Pour bénéficier des effets positifs des deux extrêmes régimes de change, le Botswana a choisi le système intermédiaire fixe ajustable qui a évolué au cours du temps passant d’un système fixe lié à une monnaie(le rand Sud Africain) à un système fixe lié à un panier de monnaies dans lequel le rand Sud Africain doit avoir un important poids vu les échanges entre les deux pays. Ce system lui a permis de trouver la juste balance dans le développement de ces exportations et une stabilité sur son marché intérieur. Depuis l’adoption du système de change, l’inflation est revenue à un niveau comparable à celui de ses principaux partenaires (4). La baisse de l’inflation et la stabilité du pula permet aussi au Botswana de diversifier ses exportations en apportant plus de compétitivité aux Produits d’exportations autres que le diamant.
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L’exemple du Yuan Chinois |

La chine très critiquée ces temps-ci par la communauté internationale sur la gestion de sa monnaie est l’exemple en la matière que les pays en voie de développement et particulièrement ceux de la zone CFA devrait suivre. Le yuan Chinois a résisté à toutes les crises financières asiatiques et mondiales et est le principal outil de son développement économique. Conscient de la fluctuation inévitable du taux de change de sa monnaie, le taux de change n’étant que le prix en monnaie locale de la devise étrangère, la chine a opté pour un taux de change fixe par rapport un panier de monnaies tout en se donnant une marge de flexibilité. Ce système permet à la chine de contrôler les fluctuations du yuan par rapport aux autres monnaies pour ne pas pénaliser ses exportations et nuire à son économie. Pour éviter tout choc économique qui sera la conséquence de la dégradation de son compte de capital (5), la Chine refuse aussi toute convertibilité des éléments de celui-ci. Rappelons que les chocs provenant de la dégradation du compte d capital son les plus pervers car ils contiennent en même temps éléments réels et nominaux.
Le système de change explique t-il la croissance phénoménale (en moyenne 9% pour le Botswana entre 1966 et 1999 et environ 7% depuis 2000 ; en moyenne plus de 10% pour la Chine depuis 1978) que connaît ces deux pays? Difficile de le dire. Toujours est-il qu’il permet aux autorités monétaires de ces pays d’avoir un control sur leur politique économique. Le système leur permet aussi de maintenir la compétitivité des exportations, d’opérer la diversification de leur économie respective et de réaliser les objectifs de croissance soutenue de leur économie. Ce que ces deux pays ont réussi à réaliser et continue de le faire peut être réussi par les pays de la zone CFA.
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Conclusion |

En conclusion nous dirons que le choix du régime de change doit être consistent avec l’environnement de plus en plus changeant dans lequel nous vivons. Le régime de change doit aider l’économie à mieux servir ses citoyens. S’il est vrai que les pays de la zone euro restent de loin les principaux partenaires des pays de la zone CFA, les structures des économies dans les deux zones restent très différentes et les politiques faces aux chocs économiques doivent par conséquent être différentes. De plus les investissements des pays hors zone euro dans le monde sont en très forte progression et le choix d’un régime capable de capter au maximum ses investissements s’imposent. Le système de parité fixe qui lie le franc CFA à la monnaie européenne est une source de nombreux risques pour le système financier un obstacle aux investissements. Il ne permet pas de mesurer la performance réelle de l’économie de la zone et restera une source de tensions qui le condamnera le CFA à des dévaluations répétitives et douloureuses. |
Notes |

(1) Ceux intéressés peuvent étudier les exemples de nouveaux pays industrialises d’Asie ou ceux des pays de l’Amérique du sud avant et après les crises financières de la fin des années 90 et du début 2000
(2) Le taux de change effectif réel d'une monnaie est une moyenne des taux bilatéraux de cette monnaie pondérée par le poids relatif de chaque pays étranger dans le commerce extérieur du pays considéré et ajusté au taux d’inflation.
(3) On a 40% de l'épargne africaine replacée dans des circuits extérieurs à l'Afrique
(4) Monetary policy statement 2002, Mid Year review. Bank of Botswana
(5) Appelé Capacité de financement de la Nation, le compte de capital recense les opérations d'achat ou de vente d'actifs non financiers, comme les brevets, ainsi que des transferts de capital
Edouard Pépin Taguedong, MBA
Calgary, Canada
Edtap235@gmail.com
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Références |

[1] – Calvo Guillermo and Carmen Reinhart. 2000a “Fear of Floating’’ University of Maryland. Economics Department
[2] – Calvo Guillermo 2006 “Money, Exchange Rates, and Output” The MIT Press
[3] - Ito, Takatoshi, Eiji Ogawa and Yuri Sasaki. 1998 “How Did the Dollar Peg Fail in Asia’’ NBER working paper 6792.
[4] - Fisher Stanley 1999 “On the need of for a Lender of Last resort” Address to the American Economic Association, New York.
[5] - Goldsmith R W (1969) “Financial Structure and Development”, New Haven, Yale University Press
[6] - Hausmann, 1999. “Exchange rates and financial fragility,” Proceedings, Federal Reserve Bank of Kansas City, pages.
[7] – Joseph E. Stiglitz (Editor) and Shahid Yusuf (Editor) 2001 “Rethinking the East Asian Miracle” World Bank Publication (Paperback)
[8] - Kawai, Mashiro and Shigeru Akiyama. 2000 “Implications of the Currency Crisis for Exchange Rate Arrangements in Emerging East Asia” World Bank; East Asia Department.
[9] - Reinhart Carmen 2000 “The Mirage of Floating Exchange Rates’’ American Economic Review 90, 2
[10] - Kwan Chi Hung. 1999 “Towards a Yen Block in Asia,” Nomura Reasearch Institute Quartely8
[11] - Kealeboga Masalila and Oduetse Motshidisi “Botswana’s exchange rate policy” BIS Papers No 17
[12] - Shantayanan Devarajan and Dani Rodrik 1991 “Do the Benefits of Fixed Exchange Rates Outweigh Their Cost? The Franc Zone in Africa” cepr Discussion Paper No. 561 |
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