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Pouvez-vous vous présenter à nos internautes?
Je suis Alick Mouriesse, j'ai 33 ans, je suis président de l'Ecole Supérieure d'Informatique de Paris autrement appelée SUPINFO, après en avoir été moi-même un élève jusqu'en 1992. Je suis originaire de la Martinique, avec une mère Guadeloupéenne et un père Martiniquais, je suis donc un mélange des deux îles, et comme tout antillais je suis un mélange d'un certain nombre d'origines, à la fois les Arawak (les anciens indiens qui habitaient les Antilles avant la colonisation), puis tout un ensemble d'autres ethnies, d'autres mélanges.
Ce que je peux vivre à travers mon métier, en France métropolitaine et aussi dans d'autres régions du monde, puisque nous avons des actions dans l'Océan Indien, aux Antilles, ou en Asie (j'ai eu l'occasion d'ouvrir 3 écoles SUPINFO en Chine), c'est qu'il y a un certain nombre d'a priori et de préjugés qui peuvent peser sur notre communauté, mais nous avons une chance inouïe de montrer que le succès peut être à notre portée.
J'ai envie de délivrer ce message parce que j'ai l'impression que beaucoup de compatriotes noirs ont souvent peur d'agir, et cette peur est souvent à l'origine de leurs limites.
Qu'est-ce qui vous a poussé à faire des études informatiques?
Comme beaucoup de jeunes d'aujourd'hui, je me suis depuis les années 1979-1980, donc aux tous débuts de la micro-informatique, intéressé à l'informatique. Etant le seul garçon de ma famille je voulais trouver un centre d'intérêt un peu différent de celui de mes deux grandes soeurs, et lors d'un voyage à Paris avec mes parents, je me suis intéressé à l'informatique et j'ai voulu en faire mon métier.
L'aspect programmation m'intéressait particulièrement, le contrôle que je pouvais avoir sur la machine, lui faire faire exactement ce que je voulais, et je trouvais la démarche intéressante.
Ensuite, quand j'ai gagné en maturité, j'ai voulu apporter ma pierre à ce système automatique de traitement de l'information, et faciliter le travail au plus grand nombre. |
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SUPINFO, l'école dont Alick Mouriesse est le propriétaire
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Vous passez ensuite de l'autre côté en devenant directeur de votre ancienne école, poste probablement moins informatique que ce que vous souhaitiez au départ, comment s'explique ce revirement?
J'ai envie de dire que j'ai beaucoup de chance. Je suis passionné par la technologie d'une manière générale, j'en fais d'ailleurs encore, et je suis complètement "branché". Même s'il y a des fonctions de gestion et de management qui composent également l'étendue des missions qui m'incombent, je suis encore attiré par la technologie. J'ai cette chance au sein de SUPINFO de continuer à en être très proche, voire encore plus proche qu'avant. En effet, au travers de l'école qui est une structure de formation, qui doit donc transmettre un savoir à jour sur ces technologies qui évoluent très vite, je suis obligé de rester tout à fait à jour. J'ai la chance à travers cette école d'échanger et de discuter avec les acteurs majeurs du monde informatique (Microsoft, Oracle, IBM, Cisco, Apple, Sun), que ce soit la filiale française de ces entreprises, ou leurs représentants internationaux.
Comment est-ce devenu possible? SUPINFO comme beaucoup de structures a eu un fondateur qui a dû passer la main, ce qui est arrivé en 1998, et si vous voulez j'ai eu la chance de reprendre l'école parce que j'ai répondu présent à ce moment-là.
Depuis 1998 je suis le président de l'école, et j'en suis également le propriétaire. |

Le fondateur vous a vendu ses actions?
Le fondateur de l'Ecole Supérieure d'Informatique 35 ans après avoir conçu son établissement avait pris un peu de recul par rapport aux choses, ce qui est normal et m'arrivera probablement un jour où il faudra que je passe la main. C'est vrai que l'école avait alors perdu un peu de sa dynamique et j'ai eu la possibilité de racheter l'école à ce moment là.
Pouvez-vous nous décrire vos responsabilités au quotidien, et de ce que vous faites pour préparer l'évolution de l'école? Nous savons par exemple que vous voyagez énormément
Etre patron d'une Ecole regroupe plusieurs aspects. Il y a un aspect académique, que tout le monde imagine, qui est le relationnel avec les élèves, les parents d'élève, le rectorat et le corps professoral. Ces fonctions-là étaient au coeur de mes activités il y a 4 à 5 ans. Aujourd'hui il y a un certain nombre de directions opérationnelles au sein même de l'Ecole que j'ai mises en place, et qui ont la charge de gérer ce quotidien.
Progressivement, même si je reste attaché aux étudiants et au fond des choses, je me suis orienté vers une démarche plus structurée avec plus de stratégie sur l'avenir de l'établissement et l'orientation que l'Ecole doit prendre pour lui réserver le meilleur avenir.
Effectivement depuis 3 ans il y a eu une réelle volonté de se tourner vers l'International, domaine qui est traditionnellement le point faible des établissements français, notamment par manque de pratique de l'anglais : trop peu d'écoles parient sur les échanges internationaux et sur l'exportation du savoir et du savoir-faire, c'est-à-dire du contenu pédagogique et de la manière dont il est transmis.
Nous avons fait le pari il y a 3 ans de constater que nous avions une formule qui marchait bien à Paris, et de l'exporter dans d'autres régions de France et du monde, francophones ou non, pour pouvoir former des professionnels de l'informatique.
Nous avons créé la première école d'ingénieurs des Antilles Françaises en 2001 en Martinique, avec SUPINFO Caraïbes, qui est en fait une section de SUPINFO Paris: On donne la possibilité à des étudiants antillais de suivre exactement le même cursus avec un modèle innovant, avec une véritable stratégie : par vidéoconférence, par le déplacement tous les 15 jours d'enseignants qui viennent en Martinique, ainsi que par des nouveaux professeurs locaux. Progressivement, l'établissement antillais gagne en autonomie pédagogique. Nous avons déjà formé 6 professeurs locaux et des assistants de laboratoire qui assurent eux-mêmes et de fort belle manière la diffusion du savoir.
Ce modèle que nous avons démarré en Martinique, nous sommes en train de le déployer à l'international puisque nous mis en place au sein de 3 universités d'Etat chinoises : nous formons des chinois avec le label SUPINFO en Chine, l'enseignement se faisant en anglais. Paradoxalement cet enseignement en anglais se fait pour le plus grand bénéfice de la langue française : ces étudiants ont pour objectif d'effectuer leur dernière année en France. Alors nous leur apportons 8 heures d'apprentissage du français par semaine ce qui n'est pas neutre dans la mesure où ces étudiants seraient plus naturellement portés à apprendre l'anglais uniquement. |
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Alick Mouriesse signant un accord avec un représentant chinois
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Combien de personnes emploie SUPINFO ?
Une quarantaine de permanents ainsi qu'une soixantaine de vacataires qui ne sont pas à l'école en permanence à enseigner, et qui font des vacations à l'heure étalées en fonction des promotions dans l'année scolaire. Je parle de l'effectif "français", Paris et Martinique.
En Chine c'est un staff chinois qui ne sont pas des employés de SUPINFO mais des universités chinoises avec lesquelles nous avons des partenariats.
SUPINFO navigue dans le secteur informatique qui est sinistré depuis l'éclatement de la bulle. Cela a-t-il eu un effet sur le nombre d'étudiants ou sur les contacts que vous avez avec les entreprises ? Est-ce que ce n'est pas parce que ça marche mal que vous essayez de vous diversifier en Martinique, en Chine et dans d'autres pays?
En fait nous considérons comme un bien l'éclatement de la bulle spéculative, une correction du marché qui était prévue par beaucoup d'experts qui contestaient la valorisation des sociétés Internet. Que ceci ait été corrigé est normal, et que cette correction ait engendré des désillusions, je pense que c'est logique, même si chacun aurait pu s'y préparer à l'avance.
Après la correction et la fin de ce qu'on pourrait appeler le miroir aux alouettes, avec des emplois trop rapidement donnés à des salaires inadaptés, ce dont nous nous sommes rendus compte parce que certains de nos étudiants ont été attirés par des entreprises peu scrupuleuses qui tentaient de les capter avant même la fin de leur cursus. Leur motivation était de développer vite des logiciels pour faire de nouveaux tours de table financiers. Les produits n'avaient pas de véritable valeur technologique, c'étaient souvent des sites web sans plus-value intellectuelle.
Les élèves qui ont, malgré nos conseils désapprobateurs, suivi ces entreprises (toutes liquidées depuis) se retrouvent aujourd'hui sur le carreau, sans diplôme.
Aujourd'hui il y a de vrais secteurs technologiques qui fonctionnent, qui se retrouvent avec de vrais concurrents, et nous nous rendons compte que ces entreprises font plus attention à la qualité des personnes qu'elles recrutent, ce qui est une bonne chose pour nous.
Nous n'avons pas connu de récession sur notre marché au contraire, puisque nous sommes passés en deux ans de 500 à 1000 élèves. |
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Des étudiants de SUPINFO Caraïbes
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Nous ne vendons pas de rêve aux étudiants. Quand un étudiant rentre chez nous après le BAC il en a pour 5 ans d'études. Aujourd'hui le marché est tendu, mais dans 5 ans nous aurons besoin de compétences, l'Europe aura besoin de compétences, et les structures de formation ne sont pas en nombre suffisant pour assurer ce marché à l'avenir. Nous faisons donc de notre mieux pour répondre à cette demande, en suppléant les universités qui sont en retard sur les technologies de l'information.
Notre formation est pragmatique, proche des besoins des entreprises, nous nous rapprochons donc de celles-ci pour connaître leurs besoins, et nous adaptons notre formation en conséquence, là où les grandes écoles et les universités ont souvent un enseignement non renouvelé depuis plusieurs années, et pas toujours adapté, notamment parce qu'on y enseigne trop de sciences fondamentales alors que le marché de l'informatique bouge trop vite.
Vous occupez, vous le jeune noir un poste assez intéressant aujourd'hui. Mais avez-vous été victime de racisme au cours de votre carrière professionnelle, ou une évolution moins rapide que ce qu'elle aurait pu être? A l'inverse, n'êtes-vous pas obligé aujourd'hui d'en faire un peu plus que ce que vous devriez faire si vous aviez une origine différente?
Oui je suis obligé d'en faire un peu plus, je ne vous le cacherai pas. Mais je crois que noir, blanc, arabe, chinois, tout le monde devrait en faire un peu plus, tout dépend des objectifs qu'on se fixe.
Je suis noir, j'appartiens à une minorité dans une communauté qui n'est pas noire, puisqu'on est en France. Que de là on se fasse une idée de moi qui serait fausse, c'est dommageable. Mais on ne peut pas se cacher qu'en France il y a encore un certain nombre de personnes qui pensent comme cela.
Quand je voyage, en Angleterre, en Inde… etc., les gens sont différents, les coutumes sont différentes, je me rends compte que nos repères, notre éducation ne sont pas des valeurs immuables, et ça ne peut que donner de l'humilité. Ceux qui vivent dans leur cocon ne verront pas la différence et penseront hélas que les valeurs qu'on leur a inculquées sont universelles.
C'est valable pour le respect des minorités, pour le respect des religions, de la sexualité…
Si on arrive à démontrer à quelqu'un ayant des a priori sur les noirs, mais sans le brusquer, en respectant le fait qu'il soit dans l'erreur, on a plus de chances de "convertir" cette personne à des valeurs plus justes que par la confrontation brutale. |
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Alick Mouriesse et un représentant chinois
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Oui, j'ai vécu le racisme, lorsque j'ai repris SUPINFO, j'ai eu quelques remarques d'amis "qui me voulaient du bien" m'expliquant que nous sommes en France, que SUPINFO est une école privée et chère, que je suis jeune ET noir, que "ça ferait peur aux gens", me conseillant de m'effacer et de laisser les fonctions de représentation à d'autres personnes plus "présentables".
Je me suis demandé "et s'ils avaient raison?", j'ai douté. Si j'ai un message à faire passer à notre communauté c'est bien de ne jamais douter. Dans mon erreur, j'avais inscrit "Directeur des Etudes" sur mes cartes de visite, pour ne pas dire que j'étais le patron. Ca n'a duré qu'un été grâce aux étudiants qui étaient très fiers de leur école et me présentaient naturellement lors de salons d'orientation scolaire à d'autres étudiants ou à des parents d'élèves.
Cela ne posait pas de problème parce que je faisais extrêmement attention à la manière dont je me présentais, à la manière dont j'argumentais, et je crois que c'est normal: le noir dans un pays blanc, la minorité dans un pays, doit redoubler d'efforts pour avoir une représentativité exemplaire. Les gens ont peur de la différence, si vous ne leur montrez que cette différence au début, ils vont partir en courant!
Par exemple, quand je m'adresse à un parent d'élève, je fais attention à mon français, à mon élocution, à ma présentation, forcément occidentale et impeccable. Quand je suis au Maroc j'aime bien porter des djellabas, mais j'effraierais les parents d'élèves si je la mettais à Paris.
Mon message est donc de ne pas douter : aujourd'hui je ne doute plus. Je vais en Chine représenter mon établissement, mais je prends garde au respect des autres. Je ne joue pas au "petit français" en Chine, comme je ne joue pas au parisien aux Antilles, etc. je m'adapte à chaque fois au terrain, même aux Antilles dans ma propre communauté. |

Qu'est-ce que vous vous voyez faire dans 5 ans? Toujours directeur de SUPINFO?
Oui parce que c'est un boulot très riche, très ouvert, parce que l'informatique touche tous les secteurs d'activité, et que l'enseignement est au coeur de la vie. Je suis à la fois à un poste de direction et de management forcément intéressant parce qu'on rencontre beaucoup de gens, on prend des décisions. Je suis dans l'informatique, secteur technologique, et je suis dans la pédagogie, dans l'enseignement.
Management, informatique, enseignement, trois valeurs essentielles et qui me passionnent.
Si vous aviez un conseil à donner à un jeune antillais ou africain souhaitant réussir, quel serait-il?
J'ai envie de donner énormément de conseils aux jeunes noirs, ce qui est complètement dans la ligne de Grioo. Je leur dirai effectivement de ne pas douter, et quelque part, le pendant de ne pas douter est d'oser. L'objectif est de mettre à profit son savoir, son potentiel, pour réaliser quelque chose. Nous avons tous notre pierre à apporter. Lorsque l'on doute, qu'on n'ose pas, on prend le risque de fermer le robinet, de gaspiller notre potentiel, notre énergie. Souvent c'est une question de complexes, je constate notamment au niveau des antillais que les gens n'osent pas, se disant "ça ne marchera pas, les banques ne me feront pas confiance, je ne peux pas réussir dans un pays de blancs".
J'ai envie de conclure par une phrase qui n'est pas de moi : "il a pire que de ne pas avoir réussi, c'est de ne pas avoir essayé".
Malheureusement j'ai peur que les noirs n'essaient pas suffisamment. Mon message est donc, "osez, ayez la ‘‘gnaque’’, et ça marchera".
Blanc, noir, jaune, on reconnaît toujours la valeur des hommes à leurs réalisation, et si par exemple l'esclavage a été aboli, c'est parce que nombre de noirs ont OSE prendre des risques insensés à l'époque, mais qui ont fini par payer.
Nous vous remercions |
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