
Il faisait froid et humide, ce samedi-là, sur La Turbie (Alpes-Maritimes), et Didier Deschamps criait : «Vas-y Shaba ! Allez Shabi ! Plus de changement de rythme !» Shabi, Shaba, Shabani Nonda refermait son coupe-vent, se relançait. C'était le 6 mars, son premier entraînement avec l'AS Monaco depuis sa blessure, le 24 août, contre le PSG, tacle de Pierre-Fanfan. «On revit ! C'est la renaissance !» rigolait Shabani, le genou gauche refait à neuf, après la rupture des ligaments. «Sur le plan physique, ça réagit bien. J'ai l'impression que ça tient encore plus qu'avant !» Dès ce soir, après sept mois d'absence, il pourrait rejouer, contre Ajaccio, «cinq ou dix minutes». Nonda, le grand retour.
Enfant, à Bujumbura (Burundi) où il est né de parents congolais, il était «le petit dernier de maman», avec huit frères et soeurs. On le surnomme Shabani, «l'ancien», «clin d'oeil à quelqu'un de la famille». Baptisé Christophe, il devient Chris, puis «Chris Waddle», dès ses premiers dribbles. «Mon père, mécanicien, se débrouillait. On arrivait à tenir debout, à être éduqué. Dans la moyenne de l'Afrique.» Mais la guerre civile frappe le Burundi, et «la guerre, ça ne choisit pas [ses victimes]». Chris s'enfuit avec un frère vers la Tanzanie. Il a 16 ans. «J'étais le vrai gamin.» Il ne va pas le rester. Ses parents sont au Congo (alors le Zaïre), et il va en être séparé. «La vie a pris une autre tournure.»
Hasard. Il taquine toujours le ballon, et, à Dar es-Salaam, «un coup de hasard, dans le quartier, un mec me repère, "tu vas aller essayer dans une grosse écurie"». Shabani se retrouve aux Young Africans, équipe première, «je faisais 1,80 m, une morphologie déjà avancée». Il part jouer un match en Afrique du Sud, y gagne la coupe d'Afrique des vainqueurs de coupe (1994). Le club battu, Vaal Professionals, l'embauche. A Johannesburg. «C'était dur, j'avais encore les délires d'un jeune de 17 ans, et pourtant tu commences une vie d'adulte.» Il gagne 1 500 euros par mois, une fortune, «Je me dis "je fais un an ou deux, puis j'arrête".» Cependant, un agent le repère, et Shabani débarque à Zürich, en 1996. «Le froid, une autre mentalité, j'étais limite. Pour moi, j'avais déjà fait un exploit de venir en Europe.»
Toutefois Shabani s'adapte, encore. Se retrouve à Rennes, en 1998. Y mène «deux vies : le foot et, à côté, n'importe quoi, la veille des matchs en boîte, des sorties presque tous les soirs. Je profitais, j'essayais de rattraper la vie perdue. Tant que je colle des buts, c'est bon». 31 buts en 62 matchs : trouvez mieux. «Je plante des buts, c'est soit le talent, soit la chance.» 2000, Monaco. Au début, la grosse galère, «j'ai beaucoup souffert». Il ne colle plus de buts, il a coûté cher, plus de 20 millions d'euros. «Il fallait trouver un bouc émissaire», il s'appelle Nonda.
«Faut partir». Première saison nulle (Monaco 15e). Il s'en remet, Monaco aussi, et il finit meilleur buteur, l'an passé (26 buts). Mais «le président [Campora] me convoque, "faut partir, problème d'argent"». Part-il à Lyon ? Non, finalement, il reste monégasque. Pourtant tac ! Le tacle de Pierre-Fanfan, «un gars gentil», et l'arrêt brutal, «les risques du métier». Puis ce type, Morientes, qui le remplace et joue comme un dieu. «Bien plus qu'un remplaçant ! Un super-joueur. On m'a vite zappé. Au foot, c'est comme ça.» Shabani a 27 ans, ce soir, il veut se montrer, on ne va pas l'enterrer comme ça.
D'après Libération |