
Certains mythes évoquent des hommes devenus singes, des singes devenus des hommes
inférieurs, ou des mélanges plus ou moins heureux qui expliquent les différences des
uns et des autres.
Quoi qu'il en soit, à partir du mythe du monogénisme, d'origine monothéiste, l'humanité est conçue comme une descendance « adamique ». Néanmoins, de même qu'il y a inégalité fonctionnelle entre l'homme et la femme, il y aura aussi inégalité fonctionnelle entre les trois « races » : japhétique, sémitique, chamitique.
Classement que doublera plus tard (XIXe s.) une appartenance à une même famille linguistique : famille linguistique indo-européenne, sémitique, chamitique.
Malgré, donc, une unité originelle, et du fait même de la hiérarchisation introduite ensuite entre les trois fils de Noé, ce qu'on peut appeler racisme avant la lettre était entrain de se constituer. Il semblait « naturel », comme voulu par Dieu, que les Noirs (Chamites) mettent au service des Blancs les forces physiques qui sont leur apanage, comme tout aussi naturel que les Indo-européens (descendants de Japhet ou Japhétites) qui sont appelés à exercer une domination de paix, de beauté et de bien-être, écoutent la parole de Sem (Sémites) dont la mission est de répandre le
monothéisme ou vérité de l'esprit.
Et grosso modo, selon une sorte de vision du monde simpliste et mythico-idéologique « occidentale », c'est bien ce qui à l'air de s'être passé. Japhet dominant et « se dilatant », la raison et la beauté grecques s'universalisent, le monothéisme est reconnu comme d'essence sémitique (« spirituellement, nous sommes des sémites », Pie XI), les Noirs sont « esclaves-dominés », les « Jaunes, non encore touchés massivement par l'apport monothéiste sémitique, ont pris quelque retard sur les Japhétites.
Une telle mythologie introduit, par le fait même, soit une tension inférieurs/supérieurs, sous-développés/développés, sauvages/civilisés, soit une
coupure irrémédiable entre ces deux termes catégories.
In, Vladimir GRIGORIEFF, les mythologies du monde entier, conclusion : mythes et mythologies d'aujourd'hui, édition Marabout, 1987, p. 346-347
Que devais-je vivre face à l'outrageuse vision des nôtres, semblant être condamnés à occuper la pathétique rubrique « morbides » des actualités nationales et internationales, déversée par des médias trop souvent avides de démonstrations sensationnellement déshumanisées et non de profondeurs investigatrices?
La résignation, l'amertume, le détachement devant ce déferlement d'images exprimant une situation, notre situation. De l'Afrique, en passant par la Nouvelle-Orléans et Paris, que sommes-nous ? Qui sommes-nous ? Les mêmes qui inondent le monde bienfaisant de nos télévisions et de nos magazines, les mortifères de la planète, les irrémédiables sauvages, les parias de l'humanité. Nous sommes ces peuples d'Afrique, ces noirs descendant de Cham poursuivis par la malédiction originelle, nous condamnant à ployer, sous la famine, les guerres et barbaries tribales, les
pandémies. Nous sommes ces pauvres relégués à qui le monde des élus de Dieu doit sans cesse donner l'aumône, nous avons la valeur des esclaves-dominés : inférieurs, sous-développés, sauvages. L'histoire récente tente encore de nous le démontrer.
Pouvons-nous accepter cette assignation !
Pouvons-nous demeurer apathiques, nous noirs de France ! Que faisons-nous ? Où sont nos consciences ?
Il suffit. Oui, il est temps de s'écrier qu'il suffit. Il est temps qu'ensemble nous sortions de notre léthargie afin de rejoindre ceux des nôtres qui mènent le combat de la reconnaissance sans relâche.
Cessons d'accepter, à travers l'histoire et le quotidien, l'image terrifiante de notre assignation.
Assignation à demeurer les enfants déshonorés de Cham.
Assignation à demeurer la lie de l'humanité.
Redressons la tête pour réhabiliter la place égale des nôtres sur l'arbre commun de l'humanité.
Arrêtons de porter une visière et de croire, nous qui avons une assise sociale, que nous ne sommes pas éclaboussés par l'interprétation qui est donnée au monde de la position des noirs. Regardons la réalité en face, sortons de cette apathie, car dès que l'on vous regarde, que l'on me regarde, on y percevra le reflet du bannissement.
Dépassons les clivages, plongeons dans notre commun pour y trouver la lumière qui viendra éclairer un « soi » perdu dans les entrailles de notre individualisme.
Qui sommes-nous, si nous ne nous extrayons pas définitivement de l'ombre pour agir conscients de notre devoir, de notre responsabilité pour le futur ? Quelles mémoires de nos actes, allons-nous laisser à nos enfants ? Celle de notre déchéance, au bas
de l'Arbre ?
N'attendons plus que les autres fassent pour nous, car l'histoire conservera en sa mémoire notre acceptation du rôle qu'un jour nos semblables ont voulu nous attribuer, en inscrivant dans le grand livre de l'histoire, pour asseoir leur pouvoir sur le monde, la notion de race. Refusons désormais de nous revêtir de ce rôle qui nous propulse sans fin dans le néant.
Sommes-nous des résignés ? N'y a-t-il réellement plus d'espoir ! Alors pourquoi assisterions-nous sans réagir à ceux que les autres prétendent faire de nous ? |