
Le malheureux évènement vécu, hier, par nos confrères de Sud n’est qu’une récidive du pouvoir de l’Alternance. Coutumier des faits depuis l’année 2000, le régime de Wade n’a jamais eu de bons rapports avec la presse sénégalaise et même internationale avec l’exclusion de l’ancienne correspondante de Rfi, Sophie Malibeaux. Les intimidations et les harcèlements ont toujours été la marque du pouvoir de l’Alternance face à la presse.
Sous le prétexte d’une simple interview du chef du maquis casamançais, Salif Sadio, diffusée par nos confrères de Sud, l’Etat s’est autorisé à garder pendant plus d’une journée le personnel dudit organe de presse. Cela a choqué plus d’un. Dans le pays et à l’étranger, les réactions ont coulé à flots pour s’offusquer d’une telle attitude. Mais, une telle attitude du gouvernement de Wade ne peut étonner, si l’on tourne le regard vers les années passées. En effet, depuis le début de l’Alternance, les rapports entre la presse et le pouvoir ont souvent été caractérisés par la tension. Et dès la première année de l’Alternance, le pouvoir de Wade avait annoncé la couleur avec la convocation des responsables des organes de presse à la Division des investigations criminelles (Dic). Ce fut Mame Less Camara, directeur de publication du journal Le Matin qui passera le premier sous les filets de Wade. Suite à un papier de son correspondant de Ziguinchor, qui avait fait état d’une attaque perpétrée dans la région Sud par un groupe de rebelles, Mame Less a été convoqué à la gendarmerie de Thiong. Atteinte à la sûreté de l’Etat, atteinte au moral des troupes, seront les griefs retenus contre lui. Après quatre heures d’interrogatoire, le directeur de publication du Matin est libéré. Mais, c’était grâce à l’intervention de l’ancien ministre du commerce, Kouraïchy Thiam, auprès du président de la République. Wade décide alors de lever la plainte contre Le Matin.
Mame Less va pourtant très vite avoir d’autres démêlés avec la justice, l’Etat sénégalais notamment. Puisque, un mois plus tard, une autre convocation lui sera servie. Le tort du canard de Yoff est d’avoir repris, à sa une, les propos tenus par l’ex-maire de Guédiawaye, Macky Sall, qui disait, lors d’un meeting, avoir des dossiers compromettants sur les anciens ministres du Parti démocratique sénégalais, du temps du régime socialiste.
Après son interrogatoire, Mame Less sera de nouveau libéré, sans qu’aucun motif ne soit retenu contre lui. Au mois de décembre de la même année, ce sera autour du journal Le Populaire de subir les mêmes pressions, les mêmes intimidations. Alors que le gouvernement s’apprêtait à signer un accord avec le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), Mamadou Thierno Talla et Sidi Diop, respectivement directeur de publication et rédacteur en chef du journal, sortent un grand dossier sur la crise casamançaise. Malgré leur choix de faire la chronologie des faits et le rappel des différents évènements qui se sont déroulés depuis le début de la crise, les deux journalistes seront convoqués à la Dic au sortir du premier jet du dossier. Les enquêteurs tenteront de les dissuader de publier le reste de ce dossier, sous prétexte que le moment n’était pas propice à la diffusion de tels articles. Un niet catégorique leur sera opposé par les deux journalistes qui préféreront honorer le contrat moral qui les liait aux lecteurs.
Quand le troisième jet fut sorti, Sidi Diop et Thierno Talla seront placés en garde à vue et mis sous contrôle judiciaire. Leurs passeports sont confisqués et il leur sera interdit de quitter le territoire national. Les deux confrères trouveront la grâce, trois mois plus tard, après une rencontre entre le président de la République et les éditeurs de presse.
Wade n’avait pas pour autant fumé le calumet de la paix avec les journalistes. En effet, en août 2001, Alioune Fall le rédacteur en chef du Matin sera interpellé par la police. Il est alors gardé à vue. Mais sa santé défaillante lui évitera d’être déféré. Son tort aura été d’avoir signé un papier expliquant les raisons de l’évasion des deux caïds, Ino et Alex, suite à une mutinerie à la prison de Rebeuss. Dans l’interrogatoire, les policiers essaieront de savoir le nom de leurs collègues avec qui le journaliste était entré en contact. Mais grâce au principe sacro-saint de la non-révélation des sources, Alioune Fall protègera ses informateurs. Aussi, les Sénégalais n’oublieront-ils jamais l’arrestation du directeur de publication du journal Le quotidien, Madiambal Diagne. Pendant les quinze jours qu’aura duré son séjour à Rebeuss, tout le Sénégal s’était mobilisé pour réclamer sa libération.
Mais, l’Etat ne s’attaquera pas uniquement à la presse sénégalaise. Les correspondants étrangers seront aussi servis. Et le cas Sophie Malibeaux, la correspondante de Rfi est encore frais dans les mémoires.
On le voit bien : la presse sénégalaise n’a jamais été autant troublée par le pouvoir que depuis l’avènement du régime de l’Alternance. Wade se limitera-t-il à ce qui vient d’arriver à nos confrères de Sud ? Rien n’est moins sûr.
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