
L'enfer existe. J'y suis né. J'y ai vécu 32 ans. J'y vais tous les ans. J'ai de la famille là-bas. C'est l'Afrique.
Pour les enfants d'Africains nés en Europe, à la faveur (!) des images négatives bien sélectionnées et des informations bien orientées (et Stephen Smith vint !, sans compter le non-mangeur de manioc !), l'Afrique c'est non seulement la jungle, la brousse mais c'est aussi la guerre, le SIDA, le paludisme et surtout la faim.
Aussi, pour prévenir toute rébellion naissante chez un enfant indocile, lui brandit-on souvent la menace : "si tu continues de faire des bêtises je t'envoie en Afrique. Tu sentiras ce que c'est que de ne pas manger du yaourt !".
Eh ! Oui ! Qu'il y ait effectivement UNE PARTIE de l'Afrique qui soit frappée par des guerres, des maladies ou autres calamités dont on ne cherche pas, objectivement, par ailleurs, à connaître les causes et l'origine, c'est TOUTE L'AFRIQUE (et particulièrement l'Afrique noire) qui est touchée. Nul îlot de bonheur ici.
L'autre jour, parcourant l'encyclopédie Encarta sur mon ordinateur, je montrais à mon neveu, 10 ans, né à Paris et habitant maintenant la Belgique, les images de la ville de Kinshasa. Au vu des images, sa réponse fut immédiate et nette : "non ça ne peut pas être Kinshasa. Au Congo les hommes habitent les arbres !".
Ne me demandez pas ce que fut notre consternation, ses parents et moi !
Je vous fais aussi grâce de la mésaventure arrivée à un Belge qui devait partir non seulement en Afrique mais, pire encore, au Congo pour la première fois. De plus, il n'allait même pas à la capitale mais à Kisangani (qui signifie à l'intérieur de l'île, c'est vous dire !). Toujours est-il qu'arrivé sur place, à commencer par l'aéroport, il crut que le pilote s'était trompé de destination. Et puis, installée au quartier Immo Tshopo (pour qui connaît Kisangani, c'est Binza de Kinshasa ou Neuilly de France), sa villa était plus moderne et plus belle que celle des ses parents qui l'avaient pourtant obligé à prendre tente, moustiquaire, casseroles, etc. tous ces nécessaires de civilisation qui, selon eux, manquent encore tant aux Africains, même dans les grandes villes, même après la colonisation !
Faut-il condamner les médias ou l'école ? Plus particulièrement l'école belge dont les parents ont pourtant construit 80 % de ces bâtiments qui ressemblent à ceux de Bruxelles ou de Paris ? Oui et non. Et c'est un vaste débat dans lequel je ne veux pas entrer pour le moment.
Mais le plus curieux, c'est que les avions vers l'Afrique sont toujours pleins ! Et à 80 % pleins de têtes dont les cheveux sont loin d'être crépus ! Kinshasa est l'escale la plus juteuse de l’ex-SABENA. Air France n’a pas publié ses résultats d’exploitation sur l’Afrique alors qu’elle l’a fait pour toutes les autres destinations. Pourquoi ? Mystère ? Non c'est que cette Afrique-enfer-là doit rapporter beaucoup. Mais les Africains l'ignorent. Tant pis eux. Tant mieux pour Stephen Smith et pour son journal "Le Monde" (qui ne connaît que le monde thanatonique de l'Afrique éternelle).
L’Afrique épouvante, l’Afrique repoussoir, l’image peut nous atteindre jusqu’en Europe. La littérature négative sur l’Afrique est résumée dans un excellent livre, devenu introuvable, allez savoir pourquoi, écrit par un sociologue français, François de Negroni ; Afriques fantasmes (Ed. Plon). Ceux qui parlent d’intégration devraient au préalable le lire avant de devenir Bourguignons et détester le manioc, symbole de non civilisation ?
Moi j’aime beaucoup le manioc bien avant le yaourt. C'est lui qui m'a fait grandir et mon pays, la RDC, en est le deuxième producteur (après le Brésil) et premier consommateur au monde.
Et je dois aussi beaucoup aimer l'enfer africain : que ce soit au Bénin, au Sénégal, au Cameroun, au Kenya, en Centrafrique, en Guinée (je mets de côté l'Afrique du nord), dans tous ces pays, je me suis senti si bien, si chez moi que je donnerais un mois de séjour à Paris contre deux jours dans les rues de Bamako ou de Niamey que je ne connais pas encore, même dans la capitale « nauséabonde » (dixit un journal de Londres), bondée mais gaie de Kinshasa. |