
Les récents événements dans les rues françaises interpellent tout le monde. Le feu semble avoir été maîtrisé, mais le volcan reste en veilleuse. Dans un échange avec un collègue, lui-même Français, une certaine argumentation s’est développée qui m’a forcé à la réflexion que je propose de partager avec vous dans les lignes qui suivent.
Il semblerait plausible d’affirmer, selon mon collègue, que ces violences se répètent tous les cinq à dix ans. Elles seraient spontanées et feraient généralement suite à une goutte d'eau (les ados de Clichy) qui fait déborder le vase de la frustration ou, pour prendre une autre image, a une étincelle qui met le feu aux poudres de l'exclusion sociale. Les causes de ces violences seraient principalement : échec scolaire, chômage massif, ghettoïsation des cites…
Il n'y aurait donc guère d'espoir que cela change, car en fait la cause la plus profonde a un nom : globalisation (en anglais) ou mondialisation, qui se traduit chaque jour par le transfert de milliers d'emplois vers les pays du Sud (Asie surtout, mais aussi Amérique Latine). Les fameuses délocalisations ! Il y a et il y aura donc de plus en plus de chômage, ou sous-emploi, en Europe de l'Ouest, et par conséquent, selon certains quidams de sociologues et démagogues politiques, les ados des banlieues, au capital culturel microscopique ne seraient pas intéressés par l'école et rêvent de faire fortune grâce au loto, roue de la fortune, football et autres opiums du peuple… Quand ils n’y arrivent pas, ils découvrent alors la gang-culture, machiste et frustrante. Ils cultivent "la haine" !
Ceci serait une des suites logiques du développement de la société capitaliste elle-même qui a crée le lumpenprolétariat il y a quelques siècles seulement au début de l’ère industrielle. Cependant, comme dans notre société post-industrielle on n'a fondamentalement plus besoin de "main d’œuvre" (le petit charbonnier), car on a besoin aujourd’hui des travailleurs hyper-qualifies pour les secteurs de l'avenir (difficiles a identifier !), qui accepteraient des salaires modestes pour être compétitifs, alors se pose un vrai problème ! La vraie équation à résoudre dans la société post-industrielle semble aujourd’hui celle de savoir comment convaincre un cadre hyper – qualifié à accepter le salaire de sa secrétaire. Peut-être faut-il dévaloriser le travail, ou alors ouvrir la porte au plombier Polonais, et à l’infirmière Ethiopienne ! De toutes les façons, ce casse-tête a ses gagnants parmi les Le Pen, en France, et les Haider, en Autriche, qui marquent des points chaque fois que ça brûle !
L'option américaine, qui paraît intéressante en ce qu'elle se fonde sur l'absorption du Sud a l'intérieur de ses frontières devrait aussi interpeller l’Europe non seulement à ouvrir ses portes et à laisser entrer les migrants, mais aussi à accepter d’intégrer les modes de production et d'échange du Sud, c'est-a-dire le secteur informel, l'économie souterraine… dans les structures des échanges commerciaux mondiaux. Il faudrait absolument y parvenir, pensait mon collègue non sans raison d’ailleurs, car plus cette situation perdure, et tant que les causes réelles de ces violences ne seront pas traitées, l’avenir sera sombre et pire, tous les 5 à 10 ans, on assistera aux mêmes scènes de violence. Il faut donc s’attaquer aux causes réelles pour éviter la récidive de la crise et échapper à sa violence et ses incendies !
Cette thèse paraît juste car elle relève du bon sens. Cependant, s’il faut parler des causes, il y a bien lieu d’affirmer que l'une des causes des avènements auxquels nous assistons aujourd'hui en France : c'est l'immigration. C'est la vague humaine chaude venant du Sud qui - pauvre et sans espoir, hantée par les fantômes de la terreur, politique ou religieuse, mais aussi séduite par le luxe d'apparat selon l'image que les médias, eux-mêmes européens, donnent de l'Europe - vient remplir les rangs des frustrés, victimes de l'exclusion sociale, dans les ghettos de la banlieue...
On le sait. Parmi les causes de l'immigration elle-même, il y a non seulement la misère de là-bas qui n'est d'ailleurs pas un état des choses statique - car on peut la combattre et améliorer la situation -, mais surtout la mauvaise gouvernance, la dictature, le despotisme, le totalitarisme clientéliste qui caractérisent les régimes de nombreux pays du Sud. Il y aussi les conflits religieux qui, quand ils sont justifiés par certaines traditions caduques, dépassées, ne laissent plus à certains maillons faibles de la société qu'une seule alternative: émigrer, partir...!
Il est d'autant plus étonnant que les dirigeants occidents qui connaissent bien cette équation et ses conséquences sachant bien que les crises de ce genre qui empoisonnent la vie des populations du monde civilisé, en France, en Occident, et qui causent du tort à leurs Gouvernements ont quelques racines au Sud, continuent à encourager la mauvaise gouvernance, la bêtise politique... certes, par ce que les dictateurs et tous les dinosaures impunis des pays du Sud ont leurs « amis », leurs « protecteurs », ou « grands-frères »… et leurs « pères » dans les grandes chancelleries des pays développés!
Ceci est un aveuglement politique suicidaire, car l'Occident est aussi victime de ses erreurs ! Car le Sud est en marche vers l'Occident. Tout un peuple de déshérités et les sans-rien-de-la terre entend venir réclamer ses droits... le droit à l'existence, le droit à une vie humaine digne... selon les principes mêmes de la grandeur, comme enseignés par l'Occident aux heures les plus folles de démence civilisatrice. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ces gens n'ont pas besoin de richesse matérielle, ils ont juste besoin d'un minimum pour vivre et élever leurs familles... envoyer leurs enfants à l'école... voilà pour quoi certains des leurs qui ont réussi à traverser la méditerranée utilisent quotidiennement les structures de la Western Union ou du Money Gram, ces moyens de transfert rapide d'argent qui deviendront bientôt la principale courroie de transmission pour faciliter le partage de la vie. Car il s’agit désormais non pas de transactions financières, mais d’exercer de la solidarité avec ceux qui sont restés au village dans l’attente fiévreuse des nouvelles du fils courageux qui est allé à la chasse, ou de la fille brave à la pêche…
Mais tout ceci ne saurait contribuer à développer un peuple qui assure de plus en plus à son autodétermination. Il serait donc primordial de s'attaquer aux causes en amont, car après, le courant peut toujours briser la digne, comme on le voit aujourd'hui dans les rues françaises... Il s'impose la nécessité des mesures à long terme, car on ne peut résoudre, dans la précipitation, avec des petites mesures démagogiques à court terme, une telle crise dont les causes sont centenaires...
La crise des banlieues en France n'est pas seulement l'échec de la politique intérieure française. Elle est aussi, et même surtout le résultat de l'échec de la colonisation et toutes ses formes dérivées qui ont détruit le patrimoine développemental des pays du Sud et demandent aujourd'hui a ces pays de voler sans ailles! Dans un contexte concret, il serait gênant de se rappeler qu’un Jacques Chirac, comme son prédécesseur François Mitterrand, pour ne prendre que le cas de la France, ont toujours pensé, du fond de leurs cœurs, que la démocratie n'est pas faite pour l'Afrique et vice versa. Tous les autres dirigeants des pays développés d'ailleurs pensent de la même manière, car si non, les grandes orientations de leurs politiques étrangères et la coopération au développement de leurs pays auraient misé sur l'amélioration de la gouvernance dans les pays du Sud et l'éducation de la masse déshéritée...
Nous savons tous que ce n'est pas le cas, et tant que ça ne sera pas le cas, l'homme Africain-moyen continuera à rêver de l'Europe - lumière, à considérer l'émigration comme un droit, la seule alternative pour échapper à l'anéantissement de son être dans la sombre - Afrique! Voilà qui remplira toujours les ghettos de la banlieue en France, ou ailleurs. Voilà aussi que tous les cinq ou dix ans, pour partager le pessimisme de mon collègue Français, le vase de la frustration débordera toujours… et le feu de l'exclusion sociale se rallumera dans les rues de cet occident aveuglé par son moi-sans-partage...
Il nous faut donc un changement de paradigme. Il faut surtout apprendre aux Africains que l'émigration n'est pas la seule alternative. L'émigration est un choix, un petit pas parmi tant d’autres. Et quand on veut faire un choix, on se doit d'abord – c’est du domaine de la responsabilité - d'être certain de remplir les conditions requises pour matérialiser ses plans et ses rêves ! Et d'ailleurs cette question devrait se poser auparavant, et non après le choix, car après c'est trop tard, et si le choix n'a pas été réaliste, alors on récolte la frustration causée par le rejet et la déception... et c'est la haine qui s'installe! Car, à ce qu’il semble, même avec un diplôme universitaire, rien aujourd’hui, au Sud comme au Nord, n’est garanti !
Il nous faut surtout de bonnes politiques de gestion du patrimoine humain qui apprennent aux gens à compter sur eux-mêmes et sur leurs ressources locales... encore faut-il les impliquer dans la gestion des ces ressources. Il nous faut trouver les moyens de les convaincre que la meilleure alternative, c'est le droit de rester dans leurs villages, leurs villes et cités à Tunis, Kinshasa, Nairobi ou Lagos, de pouvoir y aller à l'école, de pouvoir y trouver un petit travail, ou de pouvoir se le créer ce petit travail, de pouvoir se marier chez soi, faire des enfants, les éduquer… de pouvoir vivre. Car la vie peut-être belle en Afrique !
L' Afrique est davantage dépeuplée, et d'une manière réaliste, c'est l'homme de la rue, la force travailleuse que nous perdons, chaque fois qu'un jeune émigre, c'est la main d’œuvre qui s'en va, celle-là même dont nous aurions eu besoin pour construire quelque chose! Il y a des siècles, les Kunta Kinté (Alex Halley) et autres vigoureux fils de ce continent étaient vendus aux esclavagistes pour aller construire l'Amérique. Puis vint l'exode de l'élite Africaine vers l'eldorado occidental du marché commun. Cette élite semble à présent, par fierté et non par conviction - car l'élite est consciente de ses propres contradictions -, avoir établi un pont entre l'Europe et Afrique – entre les eaux comme dirait Mudimbe, pour pouvoir mieux survivre !
Mais le pire c'est qu'aujourd’hui c'est la fuite du "petit homme" que nous déplorons, l'homme de la rue, le "parlementaire debout", comme on dit à Kinshasa, le poumon même de nos pays. Et dans ses projets, le petit homme – même sans mandat - s'en va réclamer son droit à Paris, à Londres, ou ailleurs... Traumatisé par la misère qu'il laisse derrière, ou la guerre, c'est en Survivant, et non pas comme un Vivant qu'il va prend position... car survivre, c'est vivre à moitié, et ceci est synonyme d'humiliation!
A qui sert finalement cette ruée vers l'occident? Sans vouloir trop généraliser, je pense humblement qu'elle ne rend service ni a l'Afrique – elle reste toujours pauvre -, ni aux migrants eux-mêmes – ils sont souvent rejetés à destination ! C’est toute la question de la nouvelle approche du développement de l'Afrique dont dépend, en grande partie, l'amélioration de la situation sociale dans beaucoup de pays d’Europe occidentale.
Alain Kayinda est un fonctionnaire international |